Buste, XIVe siècle.

Delta intérieur du Niger, Mali.

Musée Dapper, Paris.

 

 

Le Royaume de Sosso

 

Plus à l’Est, à mi-chemin environ entre Goumbou et Bamako, se trouve un village du nom de Sosso qui eut, lui aussi, son heure de célébrité. Le roi de Ghâna y entretenait un gouverneur pris dans la famille sarakollé des Diarisso, lequel, vers la fin du XIe siècle, fit comme le gouverneur Niakhaté de Diâra à la même époque et se rendit indépendant. Un siècle après, vers 1180, une autre famille sarakollé, celle des Kanté, appartenant, dit-on, à la caste des forgerons, renversa la dynastie des Diarisso et s’installa à sa place. Sous la direction de Soumaoro Kanté, qui passait pour un habile général et un non moins habile sorcier, le royaume de Sosso prit une extension considérable. En 1203, Soumaoro s’empara de Ghâna et réduisit à l’état de vassal le descendant des anciens suzerains de Sosso. Cette action d’éclat a été rapportée par Ibn Khaldoun, dont le texte, mal interprété, a fait accréditer longtemps la légende de la destruction de Ghâna par les Sosso ou Soussou de la Guinée, laquelle légende n’est qu’une erreur basée sur une simple et fortuite homonymie. Ensuite, le même prince tourna ses armes vers le Sud contre le Manding ou Mali, qu’il annexa à peu près au moment où des musulmans émigrés de Ghâna fondaient Oualata ou lui insufflaient une vie nouvelle, c’est-à-dire vers 1224. Mais cette annexion ne devait être que momentanée et sonner le glas de la puissance et de la vie même de Soumaoro. Bientôt, en effet, un roi jeune et actif, le fameux Soundiata, succédait au Manding à ses frères débiles et, vers 1235, il battait et tuait Soumangourou non loin de Koulikoro, annexait à son tour à son État celui de Sosso et poussait jusqu’à Ghâna, qu’il détruisait de fond en comble en 1240.

 

La nécessité de suivre jusqu’au bout les destinées de l’État de Ghâna et les résultats de l’islamisation due aux Almoravides nous a conduits un peu loin et il nous faut maintenant retourner de six siècles en arrière pour aborder l’histoire de l’empire songoï ou empire de Gao.

 

 

Les Débuts de l’Empire songoï

 

Au VIIe siècle de notre ère, alors que l’un des derniers princes de race blanche régnait sur le royaume, déjà vieux de Ghâna, un autre État se fondait sur le bief oriental du Niger, qui était appelé à exercer lui aussi, mais bien plus tard, l’hégémonie sur la majeure partie du Soudan. Des Berbères, croit-on, qui peut-être étaient chrétiens, se seraient fait reconnaître comme chefs par une petite population de pêcheurs résidant à Gounguia ou Koukia, dans l’île de Bentia ou en face de cette île, à quelque cent cinquante kilomètres en aval de Gao. Leur dynastie, dite des dia ou des za, demeura au pouvoir de 690 à 1335. Vers l’an mille, ils transférèrent leur capitale de Gounguia à Gao, fondé alors depuis plusieurs centaines d’années, et leur royaume prit le nom de Songoï ou Songaï, qui était aussi, semble-t-il, celui des habitants. Ce royaume était à cette époque strictement limité aux bords et aux îles du Niger, depuis Bamba au Nord jusqu’aux limites septentrionales du Noupé dans la direction du Sud, et à une bande de territoire située à l’Est du fleuve. C’est vers la même date que le dia alors régnant, Kossoï ou Kossaï, se convertit à l’islam.

 

Peu à peu, l’influence du Songoï se fit sentir jusque dans la région de Tombouctou, dont la fondation en tant que ville remonte au début du XIIe siècle, jusque dans la zone des lacs et des inondations du Niger et même jusqu’à Oualata.

 

Cependant, un puissant rival s’était levé dans l’Ouest, sur le bief occidental du Niger : l’empire du Manding ou Mali. En 1325, les troupes de l’empereur mandingue Gongo-Moussa ou Kankan-Moussa s’emparent de Gao et le Songoï devient vassal du Manding. Dix ans plus tard, la dynastie des dia est remplacée par celle des sonni, soun, san ou chi, qui appartenait d’ailleurs à la même famille, et dont le premier acte fut de rompre les liens de vassalité qui attachaient le Songoï au Manding ; toutefois Tombouctou et Oualata demeurèrent au pouvoir de ce dernier État, ainsi que la région des lacs, le Massina et Dienné. Un siècle après, en 1433, le chef touareg Akil parvint à chasser la garnison mandingue de Tombouctou et à se rendre maître de cette ville ; puis, le 30 janvier 1468, le sonni Ali dit le Grand, s’emparait de la fameuse cité sur les Touaregs et, vers 1473, il se rendait maître de Dienné et du Massina, après avoir annexé à son royaume la région des lacs et Oualata, donnant ainsi pour la première fois au Songoï une extension qui en faisait un concurrent redoutable pour le Manding.

 

Cependant, tandis qu’Ali, grisé par ses conquêtes, passait son temps en débauches et en persécutions contre les musulmans, — musulman lui-même, il a laissé parmi ses coreligionnaires la réputation d’un impie — le roi des Mossi du Yatenga vint ravager le Massina en 1477 et s’avança jusqu’à Oualata qu’il pilla en 1480. Cette incursion hardie à travers son royaume fit réfléchir le sonni Ali, qui ne trouva rien de mieux, pour pouvoir à l’avenir secourir rapidement Oualata, que de relier cette ville à Tombouctou par un canal partant de Ras-el-ma et devant mesurer près de deux cent cinquante kilomètres de long. Pendant qu’il commençait à le faire creuser, on lui annonça que les Mossi du Yatenga avaient de nouveau envahi ses États ; il marcha aussitôt contre eux et parvint à leur faire rebrousser chemin, mais au cours de l’expédition, il se noya en traversant un torrent, le 6 novembre 1492.

 

Laissons là l’histoire du Songoï, que nous reprendrons aux chapitres suivants, et voyons ce qui s’est passé du VIIe au XVe siècle sur le haut Niger et à l’intérieur de la boucle du fleuve.