Tête (Ashanti), trésor du roi
Kofi-Karikari, 1867-1874. Ghana.
Or, fonte à la cire perdue, 18 cm.
Wallace Collection, Londres.
Alors commença ce que l’on a appelé très improprement la « domination marocaine au Soudan » : d’abord, il n’y eut de domination que sur une petite partie de l’ancien Songoï, sur la région riveraine du Niger allant de Dienné à Gao, toute la région dite « Dendi », située en aval, ayant conservé son autonomie avec un askia indépendant à sa tête. Ensuite cette domination ne dura guère que soixante-dix ans, au bout desquels l’autorité des pachas était devenue tout à fait nulle en dehors de la ville même de Tombouctou. Enfin elle ne peut être qualifiée de « marocaine », car, seuls, les pachas des vingt-deux premières années (1591 à 1612) furent, en partie au moins, désignés par le sultan du Maroc ; les ordres de ce dernier ne furent jamais exécutés, même par les premiers pachas, et les impôts levés sur les habitants ne furent jamais expédiés à Marrakech ; les autres pachas, qui se succédèrent au nombre de vingt et un durant quarante-huit ans (1612 à 1660), étaient portés au pouvoir soit par eux-mêmes soit par leurs soldats et étaient comme ceux-ci si peu marocains que la plupart ne comprenaient pas l’arabe et que la langue dont ils usaient entre eux était l’espagnol, ainsi que nous l’apprend la lecture du Tarikh el-fettâch, pour devenir ensuite le songoï.
Le mansa Mamoudou III voulut, en 1599, profiter de l’anarchie qui régnait depuis la défaite de l’askia Issihak II et tenta, avec l’aide de Hamadou-Amina, chef des Peuls du Massina, de s’emparer de Dienné. Le pacha Ammar envoya ses fusiliers contre lui. Les Mandingues et les Peuls résistèrent bravement au feu des Arma, mais l’intervention des habitants de Dienné, qui prirent parti contre Mamoudou, obligea celui-ci et ses alliés à battre en retraite. Toutefois, cette démonstration de l’empereur mandingue suffit à déterminer les pachas à le respecter désormais.
En réalité, les conquérants amenés au Soudan par Djouder et ses premiers successeurs formaient un ramassis de gens sans aveu qui, après être allés se mettre aux ordres du sultan du Maroc en reniant leur foi et leur patrie, dans l’espoir d’aventures profitables, donnèrent, une fois abandonnés à eux-mêmes dans le Soudan, libre cours à leurs instincts. Ils se signalèrent surtout par leur anarchie et leur indiscipline, leurs rapines, leur cupidité, leurs débauches, leurs persécutions contre les musulmans et les lettrés et leur talent de désorganisation. L’intervention de ce rebut de l’Europe causa l’un des coups les plus funestes qui aient été portés à la civilisation soudanaise. De l’aveu des meilleurs musulmans de Tombouctou, le régime des pachas, s’il avait duré plus longtemps, aurait amené la ruine totale de ce qui avait été péniblement édifié par les mansa du Manding et quelques-uns des askia de Gao.
À partir de 1660, il ne sévissait plus guère qu’à Tombouctou même, qui eut à subir encore pendant cent vingt ans les caprices de ces métis d’Espagnols et de Nègres. Le Tedz-kiret ennisiân énumère cent vingt-huit de ces prétendus pachas pour la période de quatre-vingt-dix ans allant de 1660 à 1750 : ces chiffres caractérisent éloquemment le régime. Depuis 1660 environ, tous ces tyranneaux, qui avaient l’audace de faire dire la prière publique en leur nom dans les mosquées, ne conservaient un semblant d’autorité qu’à condition de payer tribut au roi bambara de Ségou, qui faisait la loi au Sud, ou de verser de lourdes contributions aux Touaregs Oulmidden, qui la faisaient au Nord et ne se privaient pas de piller Tombouctou chaque fois que la faim les pressait. À partir de 1780, le titre même de pacha disparut et il n’y eut plus à Tombouctou qu’une sorte de maire, choisi parmi les Arma tantôt par les Bambara, tantôt par les Touaregs, tantôt par les Peuls du Massina, selon que les uns ou les autres étaient les maîtres du jour. Ce fut pour la ville une période de continuelle insécurité et de profonde misère qui ne devait prendre fin qu’un peu plus d’un siècle plus tard, en 1894, avec l’occupation de la vieille cité soudanaise par le commandant Joffre, qui fut maréchal de France.
Nous venons de parler des Bambara comme exerçant l’autorité au Sud de Tombouctou à dater de 1660 environ. En effet ce peuple, qui est un rameau du tronc Ouangara, répandu des deux côtés du Niger depuis Bamako jusqu’à la région de Dienné et du Massina, et qui avait été d’abord sujet du Manding pour devenir, au moins en partie, vassal du Songoï dès l’époque du sonni Ali-le-Grand et surtout de l’askia Mohammed, s’était rendu indépendant vers le milieu du XVIIe siècle et avait formé alors deux États. L’un avait sa capitale à Ségou et s’étendait le long du Niger, entre ce fleuve et le Bani ; l’autre, dit du Kaarta, avait son domaine à l’Ouest du premier, au Nord du haut Sénégal. L’un et l’autre étaient gouvernés au début par des princes de la même famille, celle des Kouloubali, la fraction occidentale portant le nom de Kouloubali-Massassi.
Vers 1660, le roi Biton Kouloubali venait de s’installer à Ségou. Le mansa du Manding, qui était alors Mama-Magan, voulut détruire dans son nid ce voisin qu’il devinait dangereux et, vers 1667, il vint mettre le siège devant la forteresse qu’avait élevée Biton. Le siège durait encore en 1670 et Mama-Magan, désespérant d’en venir à bout, se retira en suivant la rive droite du Niger ; Biton le poursuivit jusqu’à la hauteur de Niani, l’accula au fleuve et le força à conclure un traité aux termes duquel le souverain mandingue s’engageait à ne pas s’avancer dorénavant en aval de Niamina, Biton promettant de son côté de ne pas se porter en amont de ce point. Cet événement marqua la fin de l’empire mandingue qui, réduit désormais aux provinces malinké du haut Niger et de la haute Gambie, cessa de compter parmi les États puissants de l’Afrique noire.