Statue (Mumuye). Nigéria.
Bois, hauteur : 100 cm.
Collection particulière.
Figuration d’une force magique ou d’un ancêtre, protecteurs des familles et des individus. |
Les Africains croient que tout être animé renferme en lui, en plus de son corps, deux principes immatériels. L’un, sorte de souffle ou de fluide vital, n’a pas d’autre rôle que d’animer la matière et de lui communiquer la vie et le mouvement ; c’est un principe sans individualité ni personnalité propres, qui est éternel en ce sens qu’il est antérieur au corps qu’il anime présentement et lui survivra pour aller en animer un autre, et ainsi de suite jusqu’à la fin des temps. Comme la matière, il est divisible à l’infini et peut se dissocier en divers éléments dont chacun suffit, seul ou combiné avec un autre élément venu d’ailleurs, à animer un corps donné. Lorsqu’un homme vient à mourir, c’est que le souffle vital a abandonné son enveloppe charnelle pour aller immédiatement créer une nouvelle vie soit dans un fœtus humain ou animal en gestation soit dans une pousse végétale en germination. Bien entendu, cette sorte de fluide sans personnalité, sans intelligence, sans volonté, que l’on pourrait comparer à un courant électrique, n’est l’objet d’aucun culte. C’est un esprit si l’on veut, mais seulement au sens étymologique du mot (spiritus signifie « souffle »).
Le second principe est bien différent : né avec le corps qui l’abrite et en même temps que lui, il constitue la véritable personnalité de l’être auquel il communique la pensée, la volonté et la force d’agir. Le souffle vital permet aux membres d’un homme ou d’un animal de se mouvoir, à la sève d’un arbre de circuler dans ses vaisseaux, mais ce mouvement et cette circulation ne sauraient s’accomplir s’ils n’étaient ordonnés par l’esprit. S’il arrive qu’un jour le contrôle du souffle vital échappe à l’esprit et que, comme conséquence, ce souffle quitte son enveloppe et que la mort s’ensuive, c’est qu’un autre esprit plus fort a neutralisé le premier : voilà pourquoi tout décès est attribué par les Noirs, non à des causes matérielles, qui n’en sont pour eux que les causes secondes et occasionnelles, mais à l’influence psychique d’un esprit malintentionné, seule cause première et réelle de la mort.
Après le décès d’un être jusque-là animé, son esprit seul demeure, et il demeure tel qu’il était du vivant de cet être, avec la même personnalité, le même caractère, les mêmes affections et les mêmes haines. Seulement il n’a plus de souffle vital à commander ni d’enveloppe charnelle limitant sa fantaisie et il n’en devient que plus puissant, n’étant plus gêné dans son action par la nécessité de diriger la vie du corps et de se guider en quelque sorte sur le souffle vital. Aussi le divinise-t-on alors et c’est là qu’il faut trouver l’origine du culte des défunts ou plutôt des esprits des défunts, des mânes des ancêtres.
Si tout être animé — homme, animal ou végétal vivant — possède les deux principes dont il vient d’être parlé, les êtres inanimés — défunts, animaux ou végétaux morts, minéraux solides, liquides ou gazeux — sont naturellement dépourvus du souffle vital, ce qui n’a aucune importance au point de vue religieux, mais sont doués chacun d’un esprit personnel, intelligent et agissant, d’autant plus efficace ou redoutable, ainsi que je le disais tout à l’heure, qu’il n’a pas à se préoccuper du corps inerte qui n’est que sa représentation matérielle et auquel ne le lie pas l’obligation de contrôler le jeu d’un souffle vital absent. Ce corps d’ailleurs peut se dissocier, ainsi qu’il arrive pour les cadavres, et l’esprit n’est pas tenu d’en faire sa demeure constante.
Qu’il s’agisse de l’esprit d’un défunt ou de celui d’une montagne, d’un bloc de pierre, d’un gouffre, d’un fleuve, du ciel, de la pluie, du vent, de la terre et surtout d’une terre déterminée, de la parcelle du sol sur laquelle on habite et de laquelle on vit, c’est toujours pour les Noirs la même nature d’esprit, c’est toujours un principe invisible mais qui voit tout, qui se rend compte de tout, susceptible, qu’on peut offenser sans le vouloir, irascible également et capable de faire expier durement les offenses même involontaires qui lui ont été faites, mais faible et vaniteux aussi comme l’homme qui l’a créé à son image et se laissant émouvoir et amadouer par des prières et des offrandes ou fléchir par des sacrifices propitiatoires.
Tel est le fondement de la religion animiste répandue parmi les Noirs depuis le Sahara jusqu’au cap de Bonne-Espérance. Elle englobe dans le même culte les innombrables esprits des ancêtres des hommes et les non moins innombrables esprits des phénomènes de la nature, promus les uns et les autres au rang de divinités.