TÉLÉMAQUE CHEZ MÉNÉLAS, À SPARTE
Ils atteignirent Lacédémone aux ravins profonds et se dirigèrent vers le palais de l’illustre Ménélas. Le roi célébrait le double mariage de ses enfants. On festoyait donc dans la haute demeure et l’aède divin chantait pour eux, s’accompagnant à la cithare et rythmant les évolutions de deux acrobates qui tourbillonnaient au milieu. Les deux jeunes gens arrêtèrent leur attelage au porche de la maison. L’un des serviteurs les aperçut et vint prévenir Ménélas :
— Voici deux étrangers, Ménélas, qui ont l’air d’être de race royale, issus de Zeus. Faut-il dételer leurs chevaux rapides ou les envoyer ailleurs chercher qui les recevra ?
Le blond Ménélas se mit en colère :
— Tu n’étais pas stupide, auparavant, mais maintenant tu parles comme un enfant. Nous avons bien souvent mangé le pain des autres, tous les deux, avant de revenir ici. Dételle les chevaux des étrangers et conduis-les se restaurer ici.
Aussitôt on dételle les chevaux écumant sous le joug, on les attache devant les râteliers, on leur donne du blé, même de la farine d’orge ; on appuie le char en face contre le mur brillant. Les deux jeunes gens sont introduits dans le palais divin, pleins d’admiration : c’était comme un éblouissement de soleil et de lune.
On les conduisit au bain dans des baignoires polies ; les servantes les lavèrent et les enduisirent d’huile. Vêtus de beaux habits, ils revinrent s’asseoir près de l’Atride Ménélas. La servante apporta l’aiguière, en or, magnifique, versa l’eau lustrale sur leurs mains, au-dessus d’un bassin d’argent, et dressa à côté d’eux une table bien raclée. L’intendante leur apporta le pain et les plats de viande.
— Bon appétit à tous deux, leur dit le blond Ménélas. Une fois que vous aurez goûté au repas, nous vous demanderons qui vous êtes, certainement de la race des rois porteurs de sceptre.
Sur ces mots, il prit dans ses mains un filet de bœuf bien gras, sa part d’honneur, et la leur offrit. Quand on eut son content de nourriture et de boisson, Télémaque chuchota à Pisistrate :
— Regarde l’éclair du bronze dans ce palais sonore, celui de l’or, de l’argent, de l’ivoire. La grand-salle de Zeus Olympien est-elle aussi belle ?
Ménélas l’entendit et intervint :
— Mes enfants, aucun mortel ne peut rivaliser avec Zeus. Mais j’ai bien peiné, bien erré et je ne suis revenu qu’au bout de sept ans, après être allé à Chypre, en Phénicie, en Éthiopie et en Libye, où les agneaux naissent avec des cornes, où ni prince ni berger ne manque de fromage ou de viande, ni de lait sucré. Mais comme je préférerais n’avoir que le tiers de tout cela et que mes hommes soient encore vivants, ceux qui sont morts dans la vaste Troade, loin des prés à chevaux d’Argos. Mais je ne pleure pas sur eux autant que je pleure la perte d’un héros, Ulysse, qui tant peina pour moi ! À son souvenir, je perds le sommeil et l’appétit. Ma douleur est infinie, je ne sais s’il est vivant ou mort.
À ces mots Télémaque sentit monter en lui un désir de sanglots. Ses larmes coulaient au nom de son père. Il se cacha les yeux sous son manteau de pourpre. Ménélas le vit et devina qui il était. Mais il hésitait. Alors Hélène sortit de sa chambre pleine de parfums, au plafond élevé, semblable à Artémis au fuseau d’or. Elle s’assit sur un siège et demanda :
— Ménélas, qui sont ces jeunes gens ? Ou je me trompe fort, mais je dis que je n’ai jamais vu personne ressembler autant au vaillant Ulysse ; ne serait-il pas ce Télémaque qu’il a laissé nouveau-né dans sa maison, quand vous êtes venus porter la guerre en Troade, pour moi, pauvre chienne ?
— C’est aussi mon avis, répondit Ménélas. Il a mêmes pieds, mêmes mains, mêmes regard, tête et cheveux. Comme je mentionnais Ulysse, il s’est caché pour pleurer.
Pisistrate, fils de Nestor, intervint :
— Atride Ménélas issu de Zeus, chef du peuple, c’est bien le fils d’Ulysse, mais il est modeste et se serait reproché de parler alors que nous étions sous le charme de ta voix divine. Moi, c’est Nestor, le vieux cavalier, qui m’a chargé de lui servir de guide, car Télémaque voulait te voir pour te demander un conseil ou un appui.
— Hélas, s’écria Ménélas, voici que le fils de mon ami est venu dans ma demeure, le fils d’un héros qui a subi tant d’épreuves pour moi ! Si Zeus nous avait accordé d’échapper tous deux à la mer, je lui aurais donné une cité en Argolide et nous aurions vécu ensemble ; mais un dieu nous a refusé ce bonheur.
Il parla ainsi et en tous il fit monter le désir de sanglots. Tous pleuraient, Hélène l’Argienne, Télémaque, l’Atride Ménélas et même Pisistrate, le fils de Nestor. Mais Hélène eut une idée, elle jeta dans le cratère une drogue d’apaisement qui dissipait le chagrin, même si l’on avait perdu père et mère, même si devant soi on avait vu tomber un frère ou un fils, déchiré par le bronze. La fille de Zeus avait reçu cette drogue en cadeau de la reine d’Égypte : ce pays produit aussi bien des poisons que des remèdes et ses médecins sont les plus experts du monde. Quant elle eut jeté la drogue dans le vin et eut fait verser à boire, elle leur dit :
— Ménélas fils d’Atrée et vous fils de héros, festoyez et laissez-vous prendre au charme des récits. Je ne saurais vous raconter tous les exploits d’Ulysse, mais voici le coup d’audace risqué par ce héros puissant, au pays des Troyens. Il s’était accablé lui-même de coups affreux, s’était couvert de loques ; travesti en mendiant, il s’était glissé chez les ennemis. Tout le monde s’y trompa, mais moi, je fus seule à le reconnaître. Il niait adroitement. Mais quand je l’eus lavé, frotté d’huile, vêtu de neuf et que j’eus prêté serment de ne pas révéler sa présence, il m’expliqua le plan des Achéens ; il massacra ensuite bien des Troyens de sa lame effilée et s’en fut faire rapport aux Achéens. Les autres Troyennes criaient de douleur, moi je me réjouissais en moi-même, car mon cœur me poussait à revenir chez moi. Je pleurais la folie dont m’avait accablée Aphrodite, qui m’avait fait quitter ma patrie, ma fille et mon mari.
— J’ai connu les conseils et l’esprit de bien des héros, renchérit Ménélas, j’ai vu bien des pays, mais je n’ai jamais vu, de mes yeux vu, un cœur comparable à celui du patient Ulysse. Nous étions cachés dans le cheval de bois, nous les chefs des Achéens, pour porter la mort aux Troyens. Un dieu de leur parti vint te conduire là, Hélène. Trois fois tu fis le tour du cheval creux en appelant par son nom chacun des héros, en imitant la voix de son épouse. Diomède et moi nous allions répondre, quand Ulysse nous arrêta et nous retint.
Télémaque en garçon avisé lui dit en face :
— Atride Ménélas, issu de Zeus, c’est encore plus triste ; cela ne lui a pas permis d’échapper à sa propre mort.
Sur ces mots, Hélène l’Argienne fit dresser les lits dans l’entrée pour les hôtes, placer de jolis draps de pourpre, dérouler des tapis et des couvertures de haute laine par-dessus. L’Atride s’en alla dormir auprès d’Hélène à la robe traînante, belle entre toutes les femmes.
Quand parut, fraîche éclose, l’Aurore aux doigts de rose, Ménélas au bon cri de guerre bondit de son lit, s’habilla, plaça son épée dans son baudrier d’épaule, noua ses bonnes sandales à ses pieds et vint s’asseoir auprès de Télémaque :
— Est-ce une affaire publique ou une affaire privée qui t’a mené ici, héros Télémaque ?
— Atride Ménélas, issu de Zeus, je suis venu chercher des nouvelles de mon père. Ma maison est remplie d’ennemis qui sans cesse égorgent mes moutons en troupeaux, mes bœufs cornus au sabot qui tourne. Ce sont les prétendants de ma mère.
Le blond Ménélas se mit en colère et s’écria :
— Quand une biche vient cacher ses faons dans l’antre du lion, puis s’en va brouter dans un vallon, le lion revient et leur inflige un sort affreux. Si seulement Ulysse pouvait revenir, les prétendants auraient destin rapide et noces amères ! J’étais bloqué depuis vingt jours dans l’îlot de Pharos, à une journée de l’Égypte, attendant les vents favorables. Nos vivres s’épuisaient. Mon équipage était occupé à pêcher sur le rivage, je me promenais seul. Alors Idothée, la fille du puissant Protée, le Vieux de la mer, vint me trouver et je l’interrogeai :
« Dis-moi, déesse dont j’ignore le nom, envers quel dieu je suis fautif, quel Immortel m’enchaîne, m’interdit le départ et le retour par la mer poissonneuse.
— Je vais te parler franchement, étranger ; mon père, l’infaillible Protée, le Vieux de la mer, vient souvent ici. Si tu pouvais le surprendre et le saisir, il te dirait la route et les escales. Il te dirait aussi les malheurs et les joies survenus dans ta maison. Quand le soleil atteint le milieu du ciel, l’infaillible Vieux de la mer sort des vagues, roulé dans un noir friselis d’eau, et vient se coucher au fond d’une caverne. Autour de lui viennent s’étendre ses phoques, en troupeau, sortant du fond de la mer blanche d’écume, répandant l’odeur des abîmes marins. C’est là que je te conduirai dès l’aurore. Quand il aura compté tous ses phoques, le Vieux se couchera au milieu d’eux, comme un berger au milieu des moutons. Dès que vous l’aurez vu s’endormir, utilisez la force. Il tentera de se métamorphoser en tout animal de terre, en eau, en feu ; vous, tenez-le d’autant plus solidement ! Mais quand il redeviendra lui-même et vous parlera, laissez la violence, déliez le Vieux, demandez-lui quel dieu vous en veut. »
Sur ces mots elle plonge dans les vagues de la mer, moi je reviens aux bateaux échoués sur la plage. Mais quand paraît, fraîche éclose, l’Aurore aux doigts de rose, j’emmène avec moi trois compagnons de confiance. La déesse, plongeant dans le vaste creux de la mer, en avait rapporté quatre peaux de phoque fraîchement écorchées et avait creusé nos lits dans le sable de la plage. Elle nous fait coucher et jette sur nous les peaux de phoque. L’odeur de phoque était épouvantable ; qui coucherait auprès d’un animal marin ? Mais la déesse nous avait placé sous le nez à chacun un tampon d’ambroisie au parfum suave qui fit disparaître l’odeur. Voici midi, les phoques sortent de la mer et viennent se ranger sur la plage où la mer se brise. Le Vieux les compte, nous avec, puis se couche. Nous nous précipitons sur lui, il se change en lion à forte crinière puis en serpent, en panthère, en sanglier géant, en ruisseau, en arbre ; nous, nous le tenons ferme. À la fin, il parle :
« Que veux-tu, fils d’Atrée ?
— Dis-moi, Vieux de la mer, quel Immortel m’enchaîne, m’interdit le départ et le retour par la mer poissonneuse.
— C’est Zeus, auquel tu aurais dû offrir un sacrifice pour rentrer au plus court ; tu ne reverras ton haut palais qu’après être retourné en Égypte et avoir offert aux Immortels, Maîtres du vaste ciel, de saintes hécatombes.
— J’accomplirai tout cela, Vieux de la mer ; mais dis-moi, tous les Achéens que nous avons laissés, Nestor et moi, quand nous avons quitté la Troade, ont-ils survécu, sont-ils morts sur leur bateau ou au sein de leur famille ?
— Il vaudrait mieux, Atride, ne pas m’interroger sur ce point ; tu vas pleurer dès que tu sauras tout. Deux chefs des Achéens à la tunique de bronze sont morts au cours du retour, un troisième vit encore, prisonnier sur la vaste mer. Le premier, Ajax le Petit, a disparu avec sa flotte aux longues rames. Poséidon l’avait jeté contre des écueils mais sauvé de la mer ; il aurait évité la colère d’Athéna, s’il n’avait crié qu’il échappait au gouffre de la mer malgré les dieux. Poséidon fendit d’un coup de trident le rocher sur lequel il avait trouvé refuge, et la mer l’emporta. Le second, c’est ton frère Agamemnon. Il venait d’arriver dans sa patrie, avec quelle joie ! Il en embrassait le sol, pleurant à chaudes larmes. Mais un guetteur posté par Égisthe l’avait aperçu et courut porter la nouvelle au palais. Égisthe prépara aussitôt son piège. Il mit en embuscade vingt complices et ordonna un grand banquet. Puis il alla inviter Agamemnon, avec un cortège de chevaux et de chars. Il le fit entrer et l’égorgea par surprise, comme on tue un bœuf près de sa mangeoire. »
Mon cœur éclata ; je m’assis sur le sable pour pleurer, je n’avais plus envie de vivre ni de voir la lumière du soleil.
« Ne perds plus de temps à pleurer, continua le Vieux de la mer, reviens au plus vite dans ta patrie. Ou bien tu trouveras Égisthe encore vivant, ou bien Oreste l’aura tué le premier et tu participeras au repas funèbre.
— Mais le troisième, celui qui est prisonnier sur la vaste mer ?
— C’est le fils de Laerte, celui qui habite Ithaque. Je l’ai vu dans une île, pleurant à chaudes larmes, dans le palais de la Nymphe Calypso qui le retient de force. Quant à toi, Ménélas issu de Zeus, ton destin n’est pas de mourir en Argolide aux bons prés à chevaux. Les Immortels t’enverront aux Champs Élysées, au bout du monde, où t’attend une vie merveilleuse, sans neige, sans hiver, sans pluie. »
Il dit et replonge dans les vagues de la mer. Je reviens aux bateaux, tout songeur. Dès que paraît, fraîche éclose, l’Aurore aux doigts de rose, nous tirons nos bateaux à la mer divine, nous plaçons mâts et voiles dans nos coques équilibrées ; l’équipage s’installe aux bancs de nage, les rames frappent la mer écumante. Une fois l’hécatombe offerte aux dieux en Égypte, un vent portant me ramène dans ma patrie. Toi, Télémaque, reste dans mon palais dix ou onze jours. Je te renverrai ensuite avec de beaux cadeaux, trois chevaux, un char à la caisse polie, mon gobelet précieux, afin que tu te souviennes de moi en faisant libation aux dieux.
— Atride, répondit sagement Télémaque, ne me retiens pas aussi longtemps. Je resterais bien ici un an à écouter tes merveilleux récits. Mais pendant ce temps, mes hommes s’ennuient dans la sainte Pylos. Que ton cadeau soit le gobelet précieux ; je ne peux emmener les chevaux en Ithaque. Tu règnes sur de vastes herbages ; en Ithaque, nous n’avons ni larges pistes ni plaines. Notre île ne nourrit que des chèvres, mais elle me plaît plus qu’un pâturage à chevaux.
Ménélas sourit :
— Mon enfant, à t’entendre, on sait que tu es de bonne race. Je vais changer mes cadeaux. J’ai de quoi faire. Je vais te donner le plus beau de mes trésors, le plus précieux, mon cratère ciselé, en argent massif, le rebord est en or. C’est l’œuvre d’Héphaïstos ; le roi des Phéniciens me l’a donné en cadeau d’hospitalité.
Tandis qu’ils parlaient entre eux, en Ithaque les prétendants jouaient comme à l’accoutumée devant la maison d’Ulysse au lancer de disques et de javelots. Antinoos était assis à côté d’Eurymaque ; c’étaient les deux chefs des prétendants. Alors survint Noémon, le fils de Phronios qui, s’approchant d’eux, leur dit :
— Antinoos, sais-tu quand Télémaque doit revenir de Pylos au milieu des sables ? Il est parti avec mon bateau, mais j’en ai besoin maintenant pour aller dans la vaste Élide où j’ai douze juments avec leurs mulets. Je voudrais aller en dresser un.
L’étonnement saisit leur cœur. Ils ne pensaient pas que Télémaque était allé à Pylos ; ils le croyaient aux champs ou près des moutons, ou chez le porcher.
Antinoos s’écria :
— Dis-moi la vérité, où est-il parti ? Avec quel équipage ? T’a-t-il pris ton bateau à coque noire de force ou le lui as-tu prêté de bon gré ?
— Je le lui ai prêté de bon cœur ; que faire quand un grand, dans le souci, vous en fait la demande ? Comment refuser ? Son équipage, c’était l’élite de la jeunesse d’Ithaque. J’ai vu avec eux s’embarquer pour le diriger, Mentor, tout pareil à un dieu. Mais une chose m’étonne, c’est que j’ai revu Mentor ici même hier matin, alors qu’il était parti pour Pylos.
Antinoos, à cette nouvelle, les yeux noirs étincelant de colère, interrompit les jeux :
— Malheur, ce grand exploit est accompli ! Quelle arrogance que ce voyage, nous ne l’imaginions pas. Malgré notre nombre, il s’en est allé, ce petit garçon, malgré nous ! Eh bien, tirons un bateau à la mer, choisissons un équipage, vingt hommes, pour que je le guette à son retour dans le détroit entre Ithaque et les falaises de Samé. Il va payer son amour des voyages !
Mais Pénélope apprit aussitôt leur complot. Ce fut Médon le héraut qui la prévint. Il les avait entendus, comme il se trouvait à l’extérieur. Pénélope lui dit, comme il passait le seuil :
— Héraut, pourquoi les nobles prétendants t’ont-ils envoyé ? Est-ce pour dire aux servantes du divin Ulysse d’arrêter leur ouvrage pour leur préparer le festin ? Si seulement c’était leur dernier repas chez nous ! Est-ce que vos pères ne vous ont pas dit, quand vous étiez petits, ce que représentait Ulysse pour vos parents, qu’il n’avait jamais rien ordonné ni rien fait d’arbitraire dans le pays, comme le font d’ordinaire les rois ? Mais il n’est plus de reconnaissance pour les bienfaits !
— Reine, si seulement c’était le pire ! Mais voici le plus horrible de tout : les prétendants veulent tuer Télémaque sur le chemin du retour, car il est allé chercher des nouvelles de son père à Pylos et à Sparte.
Pénélope sentit son cœur s’arrêter et ses genoux se dérober sous elle ; elle ne pouvait plus parler ; ses yeux se remplirent de larmes. Elle vint s’asseoir au milieu de ses suivantes :
— Amies, écoutez-moi. L’Olympien m’a accablée de malheurs plus qu’aucune autre mortelle. J’ai perdu mon époux, le meilleur des Achéens, et voici que l’ouragan m’a arraché mon fils chéri. Et pas une pour me le dire, malheureuses !
— Ma petite fille, s’exclama la nourrice Euryclée, tue-moi avec le bronze sans pitié ou laisse-moi vivre à la maison ! C’est moi qui ai préparé les provisions, pain et vin doux. Il m’avait fait promettre de ne rien te dire. Mais va te baigner, passe des vêtements propres, regagne ta chambre à l’étage, prie Athéna, la fille de Zeus Maître de l’égide.
Pénélope suivit ses conseils et pria Athéna, avec les formules rituelles.
Cependant les prétendants préparaient la mort de Télémaque. Antinoos choisit vingt braves et se dirigea vers le bateau rapide, au rivage de la mer. Ils tirèrent le bateau dans un creux d’eau, chargèrent mât et voiles dans la coque noire, ajustèrent les rames aux anneaux de cuir, bien en place, déployèrent les voiles blanches et s’en allèrent mouiller en eau profonde. Puis, après le repas du soir, ils se mirent en route. Il est un îlot rocheux au milieu de la mer, entre Ithaque et les falaises de Samé, un petit îlot. Il y a là deux ports jumeaux. C’est là que les prétendants s’embusquèrent.