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— Le voici alors qu’il assistait aux funérailles, dit Ronit Fogel à l’homme penché par-dessus son épaule tandis qu’elle lui montrait l’écran de son ordinateur.

Le visage de Paul apparaissait en gros plan.

Moshe Ayalon, à qui Ronit montrait cette photo prise à la cathédrale d’Ottawa, n’eut pas de réaction perceptible.

— Celle-ci est plus intéressante…

Paul apparut de nouveau à l’écran, cette fois en compagnie de Céline Boissonneault, la femme au hijab.

— Cette femme est une tête de pont du Hamas au Canada. Elle est sous la loupe du SCRS canadien. Et cette mosquée d’Ottawa, où la photo a été prise, est une pépinière islamiste.

— La culpabilité par association est une de tes spécialités, murmura Ayalon en souriant. Mais ne m’as-tu pas dit que cet homme était marié à une juive en plus d’être le protégé de Sarah Steinberg ?

— Mais il n’est plus avec cette femme, non ? Il y a sans doute là une faille à creuser. Fondamentalement, nous devons partir avec l’idée qu’il s’agit d’un instable. J’ai demandé que l’on cherche du côté psychiatrique. A-t-il déjà fait une dépression ? A-t-il consommé des médicaments ? Et n’oublions pas l’amour. Si nous lui découvrons une maîtresse palestinienne, cela expliquerait aussi pas mal de choses. Ce ne serait pas le premier homme dont l’idéologie changerait sous la gouverne de ses couilles…

Ronit Fogel appuya sa dernière observation d’un sourire entendu, et Moshe Ayalon lui rendit son sourire.

— Nous avons aussi une biographie intéressante de son passé au Canada, reprit Ronit. Il a été journaliste puis, à la suite de la publication d’un canular, sa réputation a été réduite à néant et il s’est retiré du métier. Il a ensuite vécu comme pigiste au Canada avant d’être recruté par Sarah Steinberg qui, de toute façon, a la réputation de s’associer avec n’importe qui. Si nous avons un rapport accablant sur Carpentier, ce sera une façon de discréditer la fondation de cette excentrique au cœur faible.

Elle lui fit un compte-rendu détaillé de la relation de Carpentier avec Pierre Boileau et de son rôle auprès de Sarah Steinberg.

— Sarah ! J’aime bien cette femme, dit l’officier. Elle est l’ennemie jurée de Netanyahou, mais quand elle prend le téléphone pour le joindre, il répond aussitôt !

— C’est le pouvoir de l’argent, répondit Ronit. À ce sujet, je veux te signaler quelque chose de grave : Paul Carpentier se balade avec un de nos téléphones…

— Que veux-tu dire ?

— J’ai tenté de faire le suivi de ses communications à partir d’Ottawa, et jamais les Canadiens n’ont réussi à décrypter ce qui sortait de son portable. J’en ai finalement eu l’explication à Ben-Gourion quand j’ai fait analyser son appareil : il se sert d’un cryptage qui n’est nul autre que celui du Shin Beth ! Tu te rends compte : quelqu’un lui a remis un portable de nos propres services de sécurité !

L’homme fronça cette fois les sourcils.

— Cela ne peut venir que de Sarah, reprit Ronit. J’ignore comment elle a réussi à se procurer ça, mais cela ne peut signifier qu’une chose : elle a des alliés à l’intérieur. Je crois que tu devrais y voir. Je m’inquiète pour toi, Moshe.

— C’est dans ta nature, dit l’autre, affectant un air paisible.

— J’ai une sale impression. On veut ta tête, Moshe. Tu t’es toujours moqué de ces activistes, mais cette fois, ils ont mis quelque chose en marche qui risque d’être très difficile à arrêter.

— L’Allemande est toujours introuvable ?

— Elle se terre quelque part à Gaza. Mais nous ne l’avons pas encore localisée. Sans doute est-elle très prudente depuis la mort de Boileau. Nous finirons bien par la trouver, mais ce qui m’inquiète, c’est que cet homme, Carpentier, ne la trouve avant.

— Tu voudrais devenir ministre de l’Intérieur ? laissa tomber Ayalon, un petit sourire aux lèvres. Je te verrais bien remplacer Ziv dans mon cabinet !

— Quoi ? ! Cela veut dire que tu as décidé de te présenter ? !

Elle lui sauta au cou.

Depuis des mois, Ronit Fogel cherchait à convaincre Moshe Ayalon de sauter dans l’arène politique. En deux élections, elle en était convaincue, il pouvait devenir premier ministre.

Moshe et elle étaient des âmes sœurs depuis longtemps. Il avait passé sa vie dans l’armée. Elle était au renseignement militaire. Un jour, après une réunion d’information, il lui avait demandé de rester alors que les autres officiers de l’état-major quittaient la pièce. Tous deux avaient pris goût à la compagnie de l’autre. Ils avaient pris l’habitude de se rencontrer pour des briefings quasi quotidiens. Elle s’avérait une conseillère avisée, voire brillante. Ils étaient devenus alliés avant de devenir amants.

C’est vers elle qu’il s’était tourné après la mort de Samuel, son fils, lorsque sa relation avec sa femme Aviva était devenue trop lourde et que le climat de la maison lui était devenu insupportable.

Ils n’étaient plus amants. Mais leur alliance avait survécu à l’assoupissement de leur passion. Du moins, de sa passion à lui. Ronit, divorcée depuis longtemps, avait multiplié les conquêtes de manière prédatrice. Mais pour Moshe, elle avait accepté d’être la proie. Elle le suivrait.

« Nous pouvons aller très loin ensemble, songea-t-elle. Et je ne laisserai pas tout s’effondrer à cause des smolanim, des gauchistes. »