Deux de ses geôliers égyptiens entrèrent dans la cellule où on le retenait, seul, depuis son arrestation de la nuit précédente.
On avait eu la délicatesse de lui préciser qu’il se trouvait à Ismaliya, sur une base militaire à proximité du Caire. Sinon, rien n’avait filtré.
Après les photos d’usage, une brève procédure d’interrogatoire lui avait fait comprendre que l’avis de recherche antiterroriste lancé contre lui par le Canada s’était rendu jusqu’à l’Égypte. Il ne voulut pas demander d’assistance consulaire, compte tenu des circonstances.
Il avait cru percevoir que les Égyptiens n’étaient pas tellement intéressés par son cas.
On l’avait renvoyé en cellule.
Cette fois, on revenait le chercher, visiblement pour le transférer. Un des gardes lui remit un paquet de vêtements pliés et lui fit signe de les enfiler.
Il déplia l’ensemble pour s’apercevoir qu’il s’agissait d’une combinaison orangée.
— Ça alors ! On joue à Guantanamo ? !
Les geôliers comprirent et s’esclaffèrent.
— Guantanamo ! No. No Guantanamo !
Et ils riaient encore, comme on rit parfois de blagues qui n’en sont pas simplement pour le plaisir communicatif de partager un mot par-delà le mur d’une langue étrangère.
Ils mimèrent de nouveau et lui firent comprendre qu’il devait se déshabiller et enfiler ce nouveau vêtement.
Ils le laissèrent seul quelques minutes puis revinrent le chercher, ramassant du même coup son pantalon et son t-shirt qu’ils placèrent dans un sac. On lui passa des menottes aux poignets et on lui entrava les chevilles. Une troisième chaîne reliait les deux premières par leur milieu.
On le fit sortir de cellule, et il s’avança en émettant un bruit métallique.
— Où va-t-on ?
Personne ne lui répondit.
• • •
Gallagher n’en pouvait plus. Ils étaient finalement arrivés à la base militaire d’Ismaliya après une longue journée de procédures et d’attentes dans des salons ministériels. Thibault et lui détenaient une demi-douzaine de formulaires dûment signés et estampillés.
On les pria d’entrer dans un nouveau salon.
L’effigie du président déchu, Hosni Moubarak, n’avait pas encore été décrochée du mur derrière une estrade. Il s’agissait d’une murale sur laquelle le général apparaissait triomphant à la suite de la victoire – du moins, selon la rhétorique nationale égyptienne – contre Israël dans la guerre de 1973.
Une fois de plus, un officier leur demanda de patienter.
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Paul Carpentier arriva près d’une porte blindée devant laquelle on le fit s’arrêter.
Un militaire se posta devant lui, déroula une étoffe que Paul identifia bientôt comme une cagoule. Il se rebiffa et constata qu’il ne pouvait pas lever les bras au-dessus du torse. On lui passa la cagoule noire sur la tête et il fut pris d’une vive sensation d’étouffement.
De nouveau, il était replongé dans le tunnel. Il paniquait et se mit à se contorsionner dans tous les sens pour tenter d’arracher cette cagoule. Mais il lui était impossible de l’atteindre.
Plusieurs mains s’emparèrent de lui et il se retrouva immobilisé, cherchant son souffle avec angoisse.
Il entendit la porte s’ouvrir et comprit, par la bouffée d’air brûlant qu’il reçut, qu’on l’emmenait à l’extérieur. On le força à monter à l’arrière d’un camion et à s’asseoir sur un banc latéral. Puis ils roulèrent, traversant un air chargé d’odeurs de mazout.
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À l’intérieur, les deux Canadiens attendaient, la veste tombée, la cravate défaite et l’air abruti.
Un soldat ouvrit et vint vers eux.
Enfin, on allait pouvoir procéder.
Le soldat tendit plutôt la main vers la porte du fond et cria un ordre. Un petit homme grisonnant, vêtu d’une veste de cuisine, entra dans la pièce chargé d’un plateau de boissons et de sandwiches.
Thibault vit alors Gallagher faire ce qui, pour lui, ne pouvait se décrire que par une seule expression : « péter une coche ». Gallagher se mit à hurler. Cela n’avait aucun sens, disait-il. C’était un manque de respect, une insulte envers la collaboration entre les deux pays.
Thibault tenta de le calmer, mais l’agent de renseignement n’en avaitpas fini. Il voulait voir le commandant de la base ! Immédiatement !
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Paul descendit du camion. L’odeur du kérosène était omniprésente et il en déduisit qu’il se trouvait sur le tarmac d’un aéroport, à une heure indéterminée de la nuit.
Cette observation lui fut confirmée quelques minutes plus tard lorsqu’on le fit monter à bord d’un aéronef. On le sangla dans un siège. Un brouhaha avait lieu autour de lui mais il ne saisissait rien des conversations.
Le moteur fut mis en marche.
Il entendit le démarrage lent du rotor au-dessus de sa tête et comprit qu’il se trouvait à bord d’un hélicoptère. Les pales accéléraient leur rotation. Bientôt, il ressentit le vrombissement qui ébranlait toute la carlingue.
Il s’était calmé.
Curieusement, sa suffocation l’avait quitté. Il ne savait pas pourquoi, mais il se trouvait au-delà de la peur des événements à venir. Une curiosité l’emportait sur toute autre émotion. Quoi qu’il advienne, les choses étaient en train de bouger.
Il en était là de ses pensées lorsqu’il sentit l’hélicoptère s’élever et l’emporter vers une destination inconnue.
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La porte s’ouvrit de nouveau sur le salon où les Canadiens attendaient toujours.
Gallagher avait apparemment eu raison de perdre patience… L’officier qui entra dans la pièce portait un uniforme bardé de couleurs et de galons témoignant de lourds états de service. Il émanait de sa personne une quiétude et une noblesse que Thibault aurait assimilées à un sphinx si cela n’avait pas paru excessivement cliché.
Il se présenta en leur serrant la main : général Cherif Ahmed, commandant de la base.
Gallagher, redevenu poli, tendit au général la liasse des autorisations qu’ils avaient récoltées.
L’officier chaussa des lunettes de lecture et examina tranquillement cette documentation. Quand il eut terminé sa lecture, il baissa les feuilles, enleva ses lunettes et les remit dans un étui placé dans la poche de poitrine de son veston.
— Messieurs, j’ai le regret de vous informer que monsieur Paul Carpentier a déjà quitté l’Égypte, laissa tomber le général.
La mâchoire de Gallagher sembla se détacher alors qu’il réalisait qu’on l’avait fait marcher.
— Comment est-ce possible ? demanda Thibault. Où est-il donc, alors ?
Le général s’efforça de conserver un air placide et avenant :
— Même si je voulais vous le dire, messieurs, je ne le pourrais pas. Il s’agit d’un secret militaire.