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— Je vais te présenter ma mère, Lia.

Assis sur le lit de ses premières amours, David, encore nu, s’était enroulé dans un drap. Lia avait enfilé un large t-shirt et, la tête sur l’épaule de son nouvel amant, elle regardait l’ordinateur posé sur ses genoux.

Ils étaient tous les deux épuisés par l’amour, mais ils ne voulaient pas dormir, unis par le besoin impossible à réprimer de se toucher, de se blottir l’un contre l’autre, de tout partager.

Lia lui avait fait voir le prémontage de son documentaire, celui dans lequel elle avait inséré ces images, prises à son insu, d’Amos en train de pousser des jeunes à incendier les oliviers des Palestiniens et à les battre comme des hooligans déchaînés. Elle lui avait raconté comment, après avoir surpris une conversation sur la planification de ce raid, elle les avait devancés et avait alerté un complice palestinien qui avait tout filmé.

Son film avait la maladresse d’une première œuvre, mais David restait aveugle à ses défauts. Il était heurté de plein fouet par la contradiction que Lia mettait au jour entre les propos des colons, empreints de désirs de paix, et la violence sous-jacente de leurs gestes : la fébrilité des milices armées qui défiaient les manifestants palestiniens, l’arrogance des jeunes qui chassaient les « Arabes »  jamais appelés « Palestiniens » par les colons  à coups de pierre lorsqu’ils venaient récolter les olives près de l’enceinte… Et surtout, le mépris et le racisme qui transpiraient des propos enregistrés.

Lia s’exprimait à la première personne. « J’ai quitté la Ville lumière pour émigrer à Karmé Tsour… »

Il y avait dans son récit l’amertume de la contrainte. Celle d’avoir suivi ses parents depuis Paris jusque dans ce trou perdu lorsque ceux-ci avaient décidé de faire leur aliya.

David fut surpris d’y trouver des extraits d’une entrevue d’Amos, faite alors qu’il adressait encore la parole à Lia. « Dieu a donné cette terre aux Juifs qui ont pour obligation de la défendre mais doivent agir aussi, et surtout, dans le but d’y apporter la paix… »

Sans subtilité, mais de manière efficace aux yeux de David, les images d’Amos dans le champ d’oliviers succédaient à ces propos.

Sur l’ordinateur, David finit par trouver le reportage qu’il cherchait et il lança le visionnement. Il s’agissait d’un extrait des actualités de l’avant-veille, où l’on voyait Rachel s’avancer face à la foule survoltée des ultrareligieux et cracher à leurs pieds, déclenchant une vague de hurlements.

— Wow !

Lia était en pâmoison.

— Je veux la rencontrer ! Ta mère est vraiment cool !

David n’était pas si sûr de vouloir voir sa mère en ce moment. La regarder ainsi, les yeux en feu, lui rappelait le dernier appel qu’elle lui avait fait, si furieuse contre lui après son déballage télévisé.

N’empêche qu’il serait fier de lui présenter Lia. Jamais de sa vie encore n’avait-il été aussi fier qu’en cet instant. Toutes les perturbations qu’il vivait lui semblaient insignifiantes en comparaison du bonheur qu’il ressentait.

Et surtout, en disant qu’elle voulait connaître Rachel, Lia insinuait qu’entre elle et lui, elle croyait que les choses n’allaient pas s’arrêter après cette nuit…

Il était amoureux.

• • •

En voyant de la lumière à l’étage de la maison des Lévy, Amos n’eut pas besoin qu’on lui fasse un dessin pour comprendre que son neveu s’était réfugié chez la jeune passionaria pro-palestinienne.

Le jour allait se lever sur la colonie. Il s’approchait de la maison accompagné de trois hommes armés, membres de la milice du yeshouv. Lui-même portait un pistolet passé dans un holster sanglé sur sa cuisse.

Amos voulait régler cette affaire avant le lever du soleil. Il bénéficiait certes dans la colonie du respect de la majorité et il avait un ascendant sur la milice armée. Mais il voulait éviter de créer un incident perturbateur à l’heure où la communauté se réveille, quand les enfants se mettent en route pour l’école. Tous ici n’auraient pas approuvé ses méthodes.

Il lui fallait d’abord séparer les tourtereaux…

• • •

Lia et David étaient de nouveau enlacés, émus de ce qui était en train de leur arriver.

— Ça ne te gêne pas que…

— Quoi ?

— Que je… je ne sois pas circoncis.

Lia éclata de rire. D’un rire si joyeux et si communicatif que David fut gagné par l’hilarité à son tour. Elle en avait les larmes aux yeux.

— Mais tu es fou, David ! Que voudrais-tu que ça me fasse ? !

— Je ne sais pas. Ça me gêne. Mes parents m’ont dit que c’est une décision qui me reviendra quand j’aurai dix-huit ans. J’avais demandé à mon oncle d’entreprendre des démarches. Avant le service militaire…

— Tes parents sont sages de t’avoir laissé ce choix, si tu veux mon avis. Plusieurs, en Israël, font ça désormais et je ferai la même chose avec mes enfants, si jamais j’en ai un jour. Ils décideront de leur religion à leur majorité. Dis-moi : tu seras encore ici l’an prochain ? Je veux dire, pour le service militaire ?

— J’y compte bien.

Un fracas retentit au rez-de-chaussée et coupa court à leur échange.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Merde ! cria Lia en se redressant. J’ai oublié de fermer à clef quand tu es entré hier soir. Aaah !

Elle hurla en se jetant dans les bras de David.

Un homme entrait dans la chambre. C’était un colosse barbu en chemise blanche, les franges de son châle de prière se balançant sur ses hanches. Il portait un fusil automatique en bandoulière et ouvrit la bouche de surprise en voyant les deux jeunes au lit.

— Sors d’ici, Israël ! cria Lia, qui avait reconnu un des hommes de la sécurité de la colonie.

Israël était un simple d’esprit, un juif yéménite qu’elle aimait bien.

Mais d’autres hommes surgirent derrière lui, suivis d’Amos.

Les deux adolescents étaient rivés l’un à l’autre, effarés par la brutalité de l’intrusion.

— Séparez-les ! ordonna Amos.

Et ses sbires se jetèrent sur les deux jeunes qui criaient et se débattaient mais n’avaient pas la force de s’opposer à ces hommes.