En authentique bourgeois bohème, le journaliste Uri Elon participait à l’embourgeoisement accéléré de Jaffa, la ville arabe jumelle de Tel-Aviv. Son appartement était un condo moderne, ouvert sur l’animation du souk Hapishpeshim, le marché aux puces duquel émanaient les odeurs de friture de falafels et la musique arabe crachée par de mauvais haut-parleurs.
Il travaillait sur un Mac posé sur la table de la salle à manger. Le décor minimaliste était dominé par une grande toile montrant un Benyamin Netanyahou travesti.
On sonna. Il n’attendait personne.
Il alla à l’interphone pour demander qui était là.
— C’est Rachel Mendelsohn.
Son sang ne fit qu’un tour.
— Je vous ouvre. Montez. C’est au numéro 5.
Il se précipita à travers la pièce, ramassa en vitesse des magazines qui traînaient par terre et replaça les coussins du canapé.
Trois petits coups contre la porte.
Il alla lui ouvrir.
— Rachel ! Quelle surprise de vous voir ici ! Mais quel bonheur aussi…
Rachel passa la porte. Elle paraissait songeuse lorsqu’elle se retourna vers lui.
— Je dois vous dire quelque chose…
— Vous me semblez bien triste.
— Je vais annuler l’exposition. Je voulais vous l’annoncer directement, car vous avez fait beaucoup pour moi. Mais je crois que vous devez l’écrire dans le journal de demain.
— Mais voyons, Rachel, ce n’est pas possible ! Pourquoi ?
— Parce que j’ai… des obligations familiales.
Uri lui servit un café pendant qu’elle lui expliquait en rafale les événements bouleversants qui s’étaient déroulés autour de Paul depuis la visite mystérieuse de ce Canadien, un soir, il y avait déjà plus de deux semaines. Et elle avait fait ce lien, que personne n’avait encore établi, entre le meurtre de Pierre Boileau, celui de Sarah Steinberg et les attaques qui visaient Paul.
Uri écoutait très attentivement. Mais il avait de la difficulté à s’y retrouver dans l’écheveau d’intrigues que Rachel tentait de démêler pour lui.
— Je ne suis que critique d’art, Rachel. Pas journaliste d’enquête. Je voudrais vous aider, mais je ne suis sans doute pas la bonne personne pour ça. Je peux essayer de vous mettre en contact avec des collègues, si vous voulez.
Pas vraiment, songea Rachel en se prenant la tête dans les mains, les coudes appuyés sur la table. Je n’ai pas envie de me tourner en ce moment vers des gens en qui je n’ai pas confiance.
Uri se leva. Il passa derrière elle et, de la main, lui caressa tendrement les cheveux. Rachel accepta cette marque d’affection sans bouger. Elle laissa les doigts s’inviter dans sa chevelure épaisse et lui masser doucement la tête. Cela lui faisait du bien.
Les caresses atteignirent son cou et lui arrachèrent un léger frisson. Puis la main d’Uri descendit sur son dos et elle ressentit son passage sur l’attache de son soutien-gorge. Son autre main se trouvait maintenant sur son menton et il fit pivoter doucement son visage vers le sien.
Il est beau et il est si tendre, se dit-elle. Et lorsqu’il se pencha vers elle pour l’embrasser, elle le laissa faire. Puis elle s’accrocha à lui et l’embrassa avec plus d’ardeur.
Un téléphone sonna.
Tous deux se ressaisirent.
Nouvelle sonnerie.
C’était celui du journaliste.
— Je suis désolé…
— Allez. Répondez.
Il attrapa l’appareil posé sur le comptoir de la cuisine.
— Oui ? Oui… C’est moi… Tout à fait, je la connais…
L’air surpris, le journaliste agita un doigt vers Rachel pour lui indiquer que c’était d’elle que l’on parlait à l’autre bout.
Elle l’interrogea de sa main ouverte et Uri se contenta de dessiner un point d’interrogation dans l’espace.
— C’est qu’elle est occupée en ce moment… C’est à quel sujet ?
Un silence.
— … Bon. Je vous la passe. Elle est à côté de moi.
Il regarda Rachel, sceptique, et lui annonça, une main sur le micro du combiné :
— C’est une jeune femme qui insiste pour vous parler. Elle dit qu’elle est une amie de David. Elle s’appelle Lia.