L’avant-midi était déjà bien avancé quand Rachel se réveilla. Les somnifères lui avaient laissé des paupières gonflées. Elle se redressa dans son lit, les cheveux emmêlés comme au lendemain d’une nuit voluptueuse. Mais elle était seule dans cette chambre d’hôtel.
Elle se leva lentement et tira les rideaux devant le spectacle vertigineux de la mer. À ses pieds, la Méditerranée avait retrouvé son bleu joyeux des beaux jours, les joggeurs couraient sur la plage et les planchistes filaient sur les vagues.
La journée qu’elle attendait depuis longtemps était arrivée. Une journée qui s’annonçait radieuse même si, dans sa tête, le brouillard ne semblait pas vouloir se dissiper.
Elle était malheureuse.
Un si long chemin… pour se retrouver toute seule.
Quelle sera ta nouvelle vie ? Y aura-t-il un Paul Carpentier dedans ? Où est-il ?
Je ne sais même pas s’il réapparaîtra. Et s’il le fait, ce sera mort ou vivant ?
Que signifie Uri pour toi ? se demanda-t-elle encore.
Il sera là, ce soir, en cette journée qui ressemble à une croisée des chemins.
Elle s’étira dans un effort suprême pour sortir de sa torpeur et se dirigea vers la salle de bain, laissant sa robe de nuit glisser sur la moquette.
Regarde-toi.
Tu as trente-huit ans. Bientôt trente-neuf. Une femme déjà seule et délaissée.
Elle était consciente de jouir encore d’une grande beauté, même si de petites pattes d’oie avaient fait leur apparition… Elle avait dû prendre l’habitude de se maquiller. Son ventre était strié de vergetures et n’était plus ferme comme avant. Ses seins, devenus plus lourds. Paul les aimait ainsi, et les prenait toujours avec la même voracité. Il aimait son corps un peu plus arrondi, souple, « plus charnel », disait-il. Même si cela la gênait toujours, il voulait la voir en pleine lumière, le chevauchant et ondulant sur lui alors que ses cheveux caressaient la pointe de ses seins.
Je pense encore à toi au présent…
Pourquoi nous sommes-nous constamment déchirés ? Combien de fois nous sommes-nous séparés ?
J’ai mauvais caractère, je le sais. « Soupe au lait », dis-tu souvent de moi.
C’est parce que j’ai peur. Si peur d’être prise en défaut, en délit d’incompétence sociale dans ce monde pour lequel je n’avais pas été préparée à vivre.
C’est cette peur qui me rend parfois cassante. Quand je crains de perdre la face ou d’avoir honte devant toi. Alors, je me braque et je te parais dure.
Moi, dure ? C’est si paradoxal quand toi et moi savons à quel point je suis fragile et moelleuse. Oui, moelleuse. Tu le sais. Quand mes chairs et mon âme ramollissent et fondent pour toi. Quand mon corps devient souple et élastique pour tes muscles bandés et ton corps si fort.
Rachel fit couler la douche. Elle avait besoin d’eau très chaude et de sensations brûlantes sur sa peau.
• • •
Sortie de la douche, elle avait passé un peignoir et se maquillait lorsque le téléphone sonna.
C’était Uri.
La nouvelle venait de tomber, lui annonça-t-il : après un attentat déjoué contre un ministre canadien hier, certains avaient parlé d’un lien entre ce complot et Paul Carpentier. On avait même perquisitionné leur maison.
Rachel était renversée et révoltée.
— C’est impossible ! C’est impensable !
Encore une fois, elle dit qu’il fallait tout annuler pour ce soir. Uri, de nouveau, la persuada de n’en rien faire.
— Au fait, ce n’est pas ce ministre qui doit aller à votre vernissage ?
— Je présume qu’il ne viendra pas. Plus maintenant. Mais… je dois communiquer avec la police. Savoir ce qui se passe chez moi.
— Envoyez quelqu’un de confiance. Songez que c’est à presque deux heures de route. Aller-retour, aujourd’hui, ce n’est pas le moment. Peut-être puis-je aller vérifier pour vous l’état des lieux ?
— C’est gentil de l’offrir. Mais je vais demander à une amie. Macha ira, j’en suis certaine.
« Il n’y a pas si longtemps, tu aurais demandé à Amos », songea-t-elle, amère.
Uri, à l’autre bout, se racla la gorge. Il hésita, puis sauta :
— Rachel, je sais que c’est difficile à envisager pour vous. Mais les apparences sont contre Paul. Depuis ce saccage de la maquette du Second Temple, son comportement est… comment dire, erratique…
— Non, Uri. Je sais à quel point les apparences sont contre lui, mais Paul ne ferait jamais une telle chose que de vouloir assassiner un ministre canadien.
— J’espère que vous dites vrai, Rachel. Oh ! Que je suis triste que ces choses vous arrivent en ce jour qui devrait être un jour de joie !