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— Freine ! Câlisse !

Sophie sortit de sa torpeur et appliqua les freins. Elle prit la courbe et rata de peu le garde-fou défoncé par où s’était engouffrée leur Fiat 500 une demi-heure plus tôt.

Elle venait de frôler la mort et son esprit avait disjoncté pendant quelques secondes. Un violent tremblement agitait maintenant tout son corps, un tremblement qu’elle ne pouvait contrôler qu’en s’agrippant désespérément au volant. Elle savait que leurs attaquants ne tarderaient pas à être de nouveau dans leur dos.

Jamais encore dans sa vie elle n’avait paniqué. Mais cette fois, ça y était.

Elle aperçut les premières maisons du village. Une fois à leur hauteur, elle freina brusquement et s’immobilisa complètement.

— Que fais-tu ? ! cria Paul qui s’affolait soudain.

— Prends le volant. Je ne suis plus capable.

Ce n’était pas le temps de discuter et tous deux sautèrent en même temps de la camionnette pour changer de place.

Au moment où il s’asseyait sur le siège du conducteur, Paul entendit un cri.

— Ils arrivent !

— Monte !

Mais Sophie ne monta pas. Mue par un instinct de survie qui lui était propre, elle courut droit devant elle pour se réfugier entre deux maisons et disparut derrière.

Paul ragea. Il jeta un coup d’œil dans le rétroviseur et vit la voiture noire qui descendait la côte.

Il embraya et partit en trombe dans les dédales du village.

Une fois dans ses rues, il multiplia les changements de cap rapides aux intersections. Majdal Shams était un bourg d’assez bonne dimension et il eut vite fait de rendre sa trajectoire imprévisible pour quiconque le poursuivait.

Il déboucha sur un rond-point au centre duquel se trouvait une statue à la gloire des guerriers druzes. Il la contourna et fonça dans une ruelle. Il y abandonna son véhicule et s’en éloigna rapidement.

Lorsqu’il fut à bonne distance, il se dirigea vers la rue principale et entra dans le premier café.

Il prit place au comptoir et commanda un café turc. Il lui fallait se remettre les idées en place. Et éviter de mettre le nez dehors. Partir d’ici, oui. Mais comment ? Et devait-il retrouver Sophie ? Abandonner Sophie ? Ce choix lui paraissait déchirant.

Comment, d’ailleurs, la retrouver ? Elle se baladait avec un téléphone mort  ce qui, de toute façon, valait mieux pour sa sécurité.

Mais cet appareil contenait la vidéo. La vidéo pour laquelle ils avaient risqué si gros en venant ici. S’il se sauvait maintenant, jamais il ne pourrait la récupérer.

Par la fenêtre, il vit la voiture noire circuler lentement. Puis, peu après, la seconde voiture. Celle-ci s’arrêta tout près. Deux hommes en noir en descendirent. Ils allaient patrouiller le village et l’inspecter de fond en comble. Des renforts viendraient les aider si nécessaire.

Il était hors de question de traîner ici.

Il vit un bus un peu plus loin, de l’autre côté de la rue, flanqué du nom Golanbus. Le chauffeur en fermait la portière et se mettait en marche.

Comme mu par un ressort, Paul laissa un billet de vingt shekels sur le comptoir et bondit dehors, courant vers le bus. Celui-ci s’arrêta. La portière s’ouvrit et il monta.

Toda raba ! Merci beaucoup, lança-t-il au chauffeur en reprenant son souffle.

Il n’avait pas la moindre idée de sa destination.