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Jérusalem, cinq mois plus tard

David attendait impatiemment l’arrivée du bus en provenance de Haïfa. Assis sur un banc dans le terminus de Jérusalem, il était penché sur son téléphone, absorbé par les messages textes amoureux qu’il relisait sans cesse. Il ne voyait même pas les deux étudiantes qui, sur le banc opposé au sien, faisaient pourtant tout pour être remarquées de lui.

Les derniers mois l’avaient changé. Son visage et ses avant-bras étaient bronzés, sa musculature paraissait plus développée et les traits de son visage se faisaient plus anguleux, sa mâchoire plus carrée et son arcade sourcilière plus prononcée. La kippa sur sa tête avait aussi été remplacée : il ne portait plus celle, distinctive, des mouvements de colons, crochetée, mais un modèle en denim.

Cling !

Un nouveau message texte venait d’arriver.

« Traversons Begin Road ! Suis là dans cinq minutes ! M’attendras-tu ? Je t’aime ! Xxxxxxxxxxxxxxxxx »

David pianota à son tour avec vigueur sur son clavier pour répondre. Sa dépendance  leur dépendance  à la drogue du SMS était absolue. Chaque seconde de sa vie était consacrée à attendre, à espérer ou à lire un nouveau message émis par Lia. La privation, quand elle survenait pendant quelques heures, lui paraissait insupportable.

L’autobus de Haïfa arrivait. La portière s’ouvrit pour dégorger le flot des passagers. Parmi eux, une bande de jeunes en uniforme, soldats et soldates, déboulaient les marches et se précipitaient vers la soute pour en retirer d’immenses sacs à dos.

Puis enfin, parmi les militaires, elle émergea, le cherchant de ses petits yeux noirs. Lia, elle aussi vêtue de l’uniforme, leva la main avec vigueur en l’apercevant et courut vers lui pour se jeter dans ses bras. Ils s’embrassèrent sur le quai et restèrent longtemps enlacés, indifférents à la cohue autour d’eux.

• • •

Ils se dirigèrent vers le tramway, David portant son sac et enlaçant l’improbable soldate qu’était désormais Lia Lévy… Celle-ci avait tenu à faire son service militaire, une obligation contournée par plusieurs jeunes mais devant laquelle elle avait choisi de ne pas se défiler, car elle condamnait vivement l’exemption accordée aux ultrareligieux. Elle avait demandé et obtenu son affectation à une unité chargée de l’absorption des immigrés, et elle leur donnait des cours d’hébreu. Elle ne risquait pas ainsi de servir dans les territoires occupés.

Dans quelques mois, ce serait à David de faire ses propres choix.

Mais sous le soleil radieux du mois de mai, aucune de ces questions ne semblait avoir de l’importance à leurs yeux. La permission de Lia était comme le miel de ce printemps.

Ils montèrent dans le tramway et, debout, se tenant toujours par la main, se laissèrent transporter vers le centre-ville en suivant la rue de Jaffa.

— Ton père va bien ?

— Beaucoup mieux. Ç’a été dur, mais il remonte la pente.

— C’est gentil de sa part de vouloir me voir avant de partir.

— Il t’aime beaucoup. Il me l’a dit. Je pense qu’il te considère comme celle qui m’a sauvé !

— Il a raison ! Je suis ta rédemptrice !

Il se pencha pour l’embrasser, sachant à quel point cela était vrai.

Bientôt, ils vivraient ensemble. Malgré le coût de la vie, ils prendraient un appartement à Tel-Aviv, là où tous les deux, en septembre, entreraient à l’université. Paul avait promis de les aider financièrement, une perspective grandement facilitée par la somme rondelette recueillie par la vente des œuvres de Rachel. Le marché de l’art était ainsi fait que sa mort avait poussé les propriétaires de la galerie à en monter les prix. Paul voulait que cet argent serve aux études de David.

— Quand prend-il l’avion ? demanda Lia.

— Après-demain. Il va se réinstaller à Montréal. Je m’inquiète tout de même un peu pour lui. Il a toujours rebondi. Mais cette fois…

— Tu sais à quel point le monde est petit. Nous serons toujours là s’il a besoin de nous.

Cette pensée provoqua une onde de bonheur chez David. Car une fois de plus, il constatait combien Lia envisageait leur vie commune à long terme. Il la serra contre lui.

Le tramway traversait la rue Shlomtsiyon HaMalka et ils se préparèrent à descendre. Paul viendrait les rejoindre bientôt.