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Des milliers de touristes déambulaient en rangs serrés à travers les artères étroites de la vieille ville, au milieu des vendeurs de chapelets, d’icônes et de menorahs. Les groupes suivaient docilement les guides, qui se signalaient à leurs pèlerins en brandissant au-dessus de leurs têtes des fanions de couleur.

Paul Carpentier, lunettes fumées, t-shirt, pantalons à mi-jambe et sandales aux pieds, marchait au cœur de ce capharnaüm en suivant un homme courbé sous une grande croix de bois qui progressait dans la Via Dolorosa. Il allait quitter Israël dans deux jours et faisait provision de cadeaux à rapporter au Canada.

Ses courses terminées, il s’arrêta à une terrasse pour prendre un café et profiter du soleil. Il prenait plaisir à observer la mixité fabuleuse du Jérusalem touristique. Chinois, Africains ou Américains… moines, popes ou rabbins… Les nationalités et les confessions se mélangeaient ici comme dans nul autre kilomètre carré du monde. Ceux qui ne priaient pas en chœur étaient occupés à prendre des photos et brandissaient leurs téléphones portables devant eux en avançant.

Il sirotait tranquillement son café quand il vit un homme se diriger vers lui. Visiblement, il venait à sa rencontre. Il portait une longue barbe grisonnante, non taillée, dans le style rabbinique.

— Ne seriez-vous pas le Canadien ? Monsieur Carpentier ?

Paul fut aussitôt sur la défensive. On trouvait en effet en Israël beaucoup de gens zélés en matière de sécurité. Des gens qui se sentaient la responsabilité de veiller personnellement à la lutte antiterroriste et qui surveillaient d’office tout ce qui se passait autour d’eux. Son passage à la télévision pendant l’hiver l’avait rendu susceptible d’éveiller des soupçons. Depuis, il lui était arrivé à deux reprises d’être reconnu par des citoyens pour ensuite se retrouver face à la police et devoir s’expliquer. Heureusement, ces tracas avaient vite été dissipés.

Mais l’homme se tenant devant lui, attendant sa réponse, ne semblait pas s’inquiéter de lui. Paul avait le sentiment de l’avoir déjà vu mais ne pouvait se rappeler en quelle circonstance.

— Je suis le père Ambrosio, dit l’homme au bout d’un moment.

Paul comprit alors qu’il s’agissait de ce prêtre qu’il avait rencontré à une résidence de jésuites, quelques mois auparavant. Celui qui lui avait permis d’ouvrir la valise de Pierre Boileau et d’en examiner le contenu.

Paul l’invita à s’asseoir. Le prêtre prit place en face de lui. Il s’enquit des recherches poursuivies par Paul, mais celui-ci demeura évasif. Il n’avait guère envie de revenir sur les événements, et se contenta de dire que l’identité et les raisons précises de ceux qui avaient fait tuer Pierre Boileau restaient encore à découvrir.

Le père Ambrosio lui fit alors cette déclaration :

— Quand je vous ai vu, accusé d’antisémitisme et de terrorisme, sur cette chaîne d’informations qui n’est qu’un instrument de la propagande israélienne, j’ai su tout de suite que l’on vous calomniait. Lorsque vous êtes venu dans notre chapelle, votre sensibilité et votre indignation devant le tableau de Ponce Pilate livrant le Christ aux Juifs ne pouvait pas venir d’un antisémite.

Paul se contenta d’acquiescer sans un mot.

Le père Ambrosio lui dit qu’il était content de le revoir.

— Par la suite, j’ai souvent repensé à notre rencontre et j’ai regretté de ne pas vous avoir aidé davantage. Il faut dire que lorsque vous êtes venu ce soir-là à notre résidence, je me méfiais. Je ne vous connaissais pas. Ce n’est que plus tard, lors de ces reportages sur vous, que j’ai senti que l’on cherchait à vous démolir. Or, ce que ces reportages ne disaient pas, c’est que vous tentiez d’élucider la mort d’un ami. Et cet ami, moi, j’en étais conscient, dérangeait le pouvoir en place…

— Il vous avait donc parlé de ses problèmes plus que vous n’aviez voulu me le dire.

— En effet. Si vous vouliez me suivre, je pourrais vous en dire davantage et peut-être vous aider… cette fois.

Paul accepta sa proposition. Ils prirent le chemin de la rue Antonia, à rebours du flot des pèlerins en train de parcourir le chemin de croix.

Ils se retrouvèrent bientôt à la résidence et Paul y entra à la suite du prêtre. Ensemble, ils reprirent le dédale de couloirs qu’ils avaient emprunté lors de sa première visite et parvinrent à l’intérieur de la chapelle. L’endroit était plongé dans une demi-obscurité, et il y flottait toujours cette odeur de cierges en train de brûler. Sa fraîcheur était bienvenue après la chaleur du dehors, et le père Ambrosio invita Paul à s’asseoir sur un banc avant de prendre place à côté de lui.

— Lorsque je vous ai permis d’inspecter la valise de Pierre Boileau, commença-t-il, je savais qu’elle ne contenait pas grand-chose d’intéressant. Je l’avais bien sûr moi-même fouillée avant, c’est-à-dire peu après avoir appris l’assassinat de Pierre. La veille de son départ pour Gaza, il s’était confié à moi. Nous avions discuté de ce qui se passe dans votre pays. Il m’avait raconté la persécution dont il faisait l’objet de la part des autorités canadiennes à cause des pressions du lobby pro-Israël. Venez avec moi.

Le père Ambrosio se leva. Paul à sa suite, le prêtre se dirigea vers l’arrière de l’autel en fouillant dans ses poches pour en sortir son trousseau de clefs. Il s’y trouvait une petite porte en bois, et il en fit tourner le loquet. Il alluma et une ampoule nue qui pendait au bout d’un fil éclaira un antique escalier de pierre en colimaçon qui descendait.

Paul l’y suivit.

Parvenus dans la cave, ils se retrouvèrent sous une voûte de pierres, dans un corridor ouvert sur des anfractuosités de chaque côté.

— C’est la crypte, dit le père Ambrosio.

L’espace d’une fraction de seconde, Paul se retrouva dans les tunnels de Gaza et sentit monter en lui un vent de panique. Mais il se domina. L’expectative de la découverte prit le dessus et, en compagnie de cet homme d’Église, il ne se sentait nullement menacé. L’escalier n’était que trois pas derrière lui, il pourrait en tout temps s’échapper de cette cave.

— J’ai rendu la valise aux autorités canadiennes, dit le prêtre. Mais je n’ai pas pu me résoudre à tout leur donner, car je craignais que cela tombe aux mains de ceux-là même qui avaient persécuté Pierre Boileau. J’avais peut-être tort, mais je ne faisais pas confiance à votre gouvernement dans cette histoire  vous savez, cette alliance inconditionnelle avec la droite israélienne la plus dure ne passe pas inaperçue ici, au Moyen-Orient.

Il s’avança vers une des anfractuosités rocheuses. Il s’agissait d’une alcôve dans laquelle se trouvait un catafalque de pierre surmonté de ce qui avait toutes les apparences d’une tombe.

— Un croisé, dit Ambrosio en guise d’explication avant de se pencher sur la tombe.

De la main, il tâta l’espace de l’autre côté et en ressortit une pochette de tissu noir de forme rectangulaire. Il la tendit à Paul.

Celui-ci la prit délicatement, l’ouvrit et en tira un petit ordinateur à peine plus gros qu’une tablette numérique.

— Cet objet lui appartenait. Je n’ai pas réussi à l’ouvrir, car je n’en connais pas le mot de passe. Je vous le confie. Peut-être réussirez-vous.