PRÉSENTATION

L'Album zutique a circulé entre les mains des participants pour un usage interne, tout au plus destiné à être éventuellement imprimé un jour « sous le manteau ». De là une audience réduite encore aujourd'hui, même si quelques noms devenus célèbres ont pu inciter les éditeurs à des publications partielles dans des volumes d'Œuvres complètes : ce fut le cas pour Charles Cros, Germain Nouveau, Arthur Rimbaud et Paul Verlaine. Il en va tout autrement pour les Dixains réalistes qui ont été écrits en vue d'une publication (juillet 1876), et qui ont été aussitôt signalés ici et là dans la presse du temps. Cette plaquette est cependant passée à peu près inaperçue jusqu'à nos jours, ne donnant lieu qu'à des éditions qui se sont limitées aux pièces de Charles Cros et Germain Nouveau1. Est-ce en raison d'un tirage réduit de cent cinquante exemplaires, d'une production de groupe qu'aucune célébrité ne mettait en valeur pour en assurer la promotion, d'une esthétique imprécise, peut-être mal comprise, ou encore d'un usage du dizain qui a paru galvaudé ? Toujours est-il que, faute d'avoir été prise au sérieux, la tentative d'émancipation d'une douzaine de poètes se qualifiant de « réalistes » est tombée dans l'oubli, bientôt éclipsée par les éclats de ceux qu'on dira tour à tour « maudits », « décadents », « symbolistes ».

Alors que le recueil zutique affiche la belle effervescence d'insurgés en goguette, la plaquette réaliste se présente sous un jour assagi. Sa typographie, son ordonnance, les sujets qu'elle traite aménagent une unité d'ensemble immédiatement perceptible. Même si le format à l'italienne, l'exploitation continue des strophes de dix vers, les signatures de Charles Cros, d'Antoine Cros, de Germain Nouveau et de Jean Richepin signalent aux initiés une parenté avec l'Album zutique, les Dixains réalistes se détournent du dévergondage au profit d'une expression régulée. Sans renoncer aux attaques contre les poètes du Parnasse qui occupent le haut du pavé ni aux moqueries à l'égard du style bonasse de François Coppée, ils ne s'en tiennent pas à la belligérance mais se chargent d'une ambition proprement poétique. Pour les amis qu'assemble Charles Cros, il ne s'agit pas seulement de s'en prendre au « haut langage » du Parnasse contemporain en même temps qu'à une poésie « bourgeoise », mais d'explorer un nouveau champ : inscrire la poésie dans les présents de l'actualité, la renouveler en consacrant ce que Baudelaire a appelé, à propos du peintre Constantin Guys, sa « modernité ».

Les circonstances de la publication

La postérité a retenu quelques noms de poètes des années 1870, notamment ceux d'Arthur Rimbaud et de Paul Verlaine. Leurs relations font l'objet d'innombrables biographies et leurs œuvres, étudiées dans les classes, sont publiées dans les collections de poche. Leur notoriété éclipse le nom de Charles Cros, animateur-inventeur de premier ordre qui a permis à l'Album zutique d'être préservé et aux Dixains réalistes d'être édités. Passionné de langues anciennes, savant éminent dont l'œuvre est composée en grande partie par des écrits scientifiques, il a accompli des recherches dans toutes sortes de domaines, notamment la phonographie, la photographie des couleurs, la fabrication des pierres précieuses, la communication interstellaire. Écrivain abondant, il a été auteur de chansons, de monologues et de contes, poète de qualité, fondateur et collaborateur de revues. Il a participé tour à tour aux soirées de Nina de Villard, dont il a été l'amant, aux réunions des Vilains Bonshommes, des Hydropathes et du Chat noir, avant de fonder en août 1883 le groupe zutiste (deuxième époque) resté sans lendemain. Passant des cafés et des cabarets du Quartier latin à ceux de la butte Montmartre, il a contribué à entretenir dans la durée un esprit de fronde, d'inventivité et de fantaisie qu'on appelait alors « fumiste ».

La convivialité, qui s'étend des salons privés aux lieux publics de réunion, est propre aux dernières décennies du XIXsiècle. Elle favorise les échanges, stimule les projets et les amalgames. Véritable bouillon de culture, elle donne audace aux « barbus » et aux « chevelus », désireux d'ouvrir des voies nouvelles tant dans la vie politique que dans celle des lettres et des arts. En dépit des fractures que provoquent la Commune de Paris et des rivalités littéraires ou parfois sentimentales, la plupart des amitiés perdurent. Il en va de la sorte pour les cercles qu'animent les frères Cros : Antoine, Charles et Henry, où se sont noués des liens de la vingtième année qui résisteront aux épreuves. C'est ainsi que Paul Verlaine, qui a publié un compte rendu des Intimités dans Le Hanneton en 1868, rend hommage un quart de siècle plus tard, à l'occasion d'une conférence, à son « cher vieux camarade François Coppée » ; ou que Charles Cros ne manque pas de remercier celui-ci de son appui, à la toute fin de sa vie, lorsqu'il sollicite un prix de l'Académie française, pour son poème La Vision du grand canal royal des Deux Mers (1888)2.

Alors que le roman conquiert un public toujours plus large, les poètes compensent leur reflux d'audience en quêtant un surplus de prestige. D'où l'importance que revêt à leurs yeux leur participation à l'anthologie du Parnasse contemporain qu'édite Alphonse Lemerre, d'abord sous la direction de Louis Xavier de Ricard et de Catulle Mendès. Dès la parution des premiers fascicules, en 1866, les noms des nouveaux venus sont mis en valeur par la présence de célébrités. Il en va ainsi pour Villiers de l'Isle-Adam, Stéphane Mallarmé, Paul Verlaine, Sully-Prudhomme, José Maria de Heredia, François Coppée, Léon Dierx, encore peu connus, qui figurent aux côtés de Charles Baudelaire (15 poèmes), Leconte de Lisle (9), Théophile Gautier (5), Théodore de Banville, Catulle Mendès. Le deuxième Parnasse contemporain (1869) donne lieu d'abord à une série de « livraisons », c'est-à-dire de fascicules séparés. En raison de la guerre franco-prussienne et de la Commune de Paris, il est tardivement publié en volume (1871). Cette fois, Charles Cros (2 poèmes) et son amie Nina de Villard (2 poèmes)3 figurent au nombre des élus. Alphonse Lemerre s'impose alors comme le principal éditeur des poètes.

Le comité de lecture qui choisit les textes du troisième Parnasse contemporain est composé par Théodore de Banville, auteur célèbre et personnalité débonnaire, François Coppée, dont les écrits depuis quelques années connaissent les plus grands succès, et Anatole France, lecteur ordinaire aux éditions Lemerre. Pour des raisons diverses, les membres de ce comité se plient à un conformisme qu'encourage l'Ordre moral prôné par le maréchal Mac-Mahon. Celui-ci, bien que président de la République, aspire à une Restauration de type monarchique. Aussi le comité rejette-t-il d'un commun accord les poètes qui ont manifesté leur sympathie pour la Commune (Paul Verlaine, Charles Cros) et celui dont ils jugent l'expression « anarchiste ». Destinés à être détruits, leurs attendus, inscrits sur des feuillets confidentiels, ont été retrouvés. François Coppée écrit, au sujet de Charles Cros : « Non. Tous les ridicules du genre. Rien de personnel. » Et Anatole France, à propos du même : « Je serais contraint de retirer mon envoi si le sien était admis. » Alors que les poèmes de versificateurs sans éclat ont été retenus (Amédée Pigeon, Paul Marrot, entre autres), ceux de Mallarmé (« Improvisation d'un faune ») ou de Verlaine (« Beauté des femmes »), outre ceux de Charles Cros, sont impitoyablement écartés.

À la rivalité des talents et des doctrines, se mêlent donc des animosités politiques. Au lendemain de la Commune de Paris, deux milieux antagonistes se trouvent en conflit : d'une part, des bohèmes qui ont hanté le salon de Nina de Villard puis l'Hôtel des Étrangers ; d'autre part, des auteurs en voie ou en mal de promotion, qui se réunissent passage Choiseul, dans la boutique d'Alphonse Lemerre. De fait, la plupart des ninistes – comme Germain Nouveau appelait les amis de Nina – sont écartés du troisième Parnasse contemporain (mars 1876). Bien entendu, Charles Cros et les autres « recalés » ne connaissent pas le secret des délibérations. Ils sont toutefois au fait, par la force des choses, de la réaction qui sévit dans le pays. À titre d'exemples, l'Assemblée nationale décide que la colonne Vendôme sera remise sur pied (le peintre Gustave Courbet, qui avait approuvé son démontage, étant condamné aux réparations) et que sera édifiée sur la butte Montmartre une basilique dite du « Sacré-Cœur de Jésus-Christ », afin que le pays expie ses péchés, causes de la défaite devant la Prusse et de la guerre civile. Ce vent contraire renforce l'hostilité de Lemerre à l'égard des inspirations non conformistes, comme le montrent son refus d'éditer Le Coffret de santal que Charles Cros lui a proposé, et sa recommandation à Verlaine de ne plus se mêler de politique4.

Exclu du « cénacle » parnassien, Charles Cros s'est senti trahi. Peu concerné par les questions politiques, il a pu attribuer sa déconvenue à l'intervention d'Anatole France qu'il avait naguère pris à partie, alors que celui-ci courtisait Nina de Villard. Quoi qu'il en soit, il sollicite un certain nombre de comparses pour répliquer à l'offense par un recueil de groupe. Cette parole collective est censée faire front aux principes du Parnasse, à ses maîtres et à ses adeptes. Deux contributions de Charles Cros proviennent des dizains « privés » qui avaient figuré naguère dans l'Album zutique (Dixains réalistes XXVI et XXXIII). Parmi les participants, on distingue des collaborateurs occasionnels qui ont écrit par amitié : Antoine Cros (2 dizains), Hector L'Estraz, pseudonyme de Gustave Rivet (2), Charles Frémine (1), Jean Richepin (1), Auguste de Châtillon (1) ; et des collaborateurs fortement impliqués : Charles Cros lui-même (15 pièces), Maurice Rollinat (10), Nina de Villard (9) et Germain Nouveau (9).

Conçu dans les derniers mois de 1875, le projet est bientôt annoncé par l'éditeur Richard Lesclide dans sa revue Paris à l'Eau-forte. Actualité, Curiosité, Fantaisie, comme « une édition de combat ». Et de préciser, pour pacifier les relations avec Le Parnasse contemporain : « Il serait absurde de supposer qu'en ouvrant à la poésie des voies nouvelles, nous sommes guidés par un autre sentiment qu'un pur amour de l'art » (7 novembre 1875). Un peu plus tard, il fait paraître dans sa revue une information qu'illustre un dizain dont les composantes descriptives sont dignes des romans naturalistes (signé par Charles Cros, il paraîtra en treizième position du recueil) :

M. Charles Cros, l'auteur du Coffret de santal, du Hareng saur, et d'autres poésies capables de donner le mal de mer aux plus solides estomacs bourgeois, prépare une édition pharamineuse de DIXAINS RÉALISTES, dus à des plumes de différents sexes. Il nous a été donné de feuilleter son manuscrit, qui est un parterre de fleurs vivaces et odorantes. Nous en cueillons une à l'intention des lecteurs qui n'ont peur de rien.

Paris à l'Eau-forte (23 janvier 1876).

Les moyens de l'imprimeur auquel s'adresse Lesclide, sont limités. Il peine à trouver un nombre suffisant de caractères pour composer tous les dizains en italique, comme il lui est expressément demandé. Par ailleurs, certains amis de Charles Cros tardent à apporter leur copie. Il est lui-même accaparé par sa communication à l'Académie des sciences sur la photographie des couleurs. Pour toutes ces raisons, le recueil ne paraît qu'en juillet. Il donne alors lieu à un seul compte rendu dans une revue amie. Signé Jean Prouvaire, il est dû à Catulle Mendès qui loue le « joli cahier long, sur papier jaune », où sont rangés « de petits flacons ingénieusement ciselés qui contiennent chacun une liqueur différente ». Mais il regrette que les pastiches d'« une forme inventée par François Coppée » dépassent, notamment sous la plume de Maurice Rollinat, « les limites de la parodie courtoise1  ».

« Voie nouvelle », « pastiche », « parodie », ces diverses expressions signalent une difficulté à caractériser le recueil. Les titres d'abord évoqués l'associent au Parnassiculet contemporain2  : Le Montparnasse contemporain ou encore Petit Parnasse forain3. Mais celui qui sera en fin de compte retenu, Dixains réalistes, abandonne la moquerie au profit d'une poésie en rupture avec les conventions, comme le furent en leur temps les peintres et les romanciers du réalisme. Il reste donc à comprendre quel a été le projet de Charles Cros et de ses amis, lorsqu'ils ont rédigé d'un commun accord leurs « dixains », et pour ce faire, à considérer l'apport de François Coppée qui a mis au goût du jour cette forme poétique.

François Coppée et la promotion
du dizain

La table des matières du premier Parnasse contemporain hiérarchise les différents collaborateurs en plaçant les « maîtres » dans sa première partie, et les nouveaux venus, qui parfois s'efforcent de leur complaire, dans la seconde, comme le fait Verlaine lorsqu'il clame sans vergogne son impassibilité : « L'art ne veut point de pleurs et ne transige pas » (« Vers dorés »)4. Bien qu'aucun principe d'école ne soit clairement exposé, les poètes de référence donnent le ton à un ensemble qui marque sa prédilection pour les sujets « philosophiques » : le Nirvâna, la Mort, la Rédemption, le Gouffre. Les fables provenues de l'Ancien et du Nouveau Testament, des mythologies de la Grèce et de l'Orient, occupent le gros du terrain. Au fil des pages se succèdent des noms de divinités : Prométhée, Artémis, Prisni, Yama et Yamî, Kriçhna, Kamédéva, Hialmar, Ekhidna… Tout en imposant une conception « élevée » de la poésie, ce répertoire l'enferme dans le huis clos du Haut Langage. De plus, la récurrence des quatrains d'alexandrins à rimes croisées ou embrassées tend à éclipser les autres formes, ainsi qu'à rendre interchangeables les différentes pièces. Vite fait bien fait, les jeunes insolents du Parnassiculet contemporain se sont moqués de cette poésie compassée. Encore faut-il observer que, par ses amphigouris, elle s'est elle-même parodiée à son corps défendant :

Ta colère triomphe, ô Kala ! nul refuge.

Bleue encor des poisons de l'océan lacté,

Ta sombre gorge avait amassé le déluge.

Telle qu'un grand ravin par Marût habité,

Ta narine profonde a soufflé la tourmente

Sur l'incendie issu de ton œil irrité.

Catulle Mendès, « Le Mystère du lotus ».

Moins convenu que le premier Parnasse contemporain, le deuxième s'ouvre sur un long poème archaïsant de Leconte de Lisle (« Kaïn »), puis sur un autre de Théodore de Banville, où s'entrecroisent les divinités de l'Olympe (« La Cithare »). Cet hommage à l'antique est aussitôt modulé par dix ballades du même auteur. Fait cependant événement dans le recueil une série de dix-huit dizains, Promenades et Intérieurs, que signe François Coppée1. Il adopte une forme fixe ordinairement charpentée par le jeu des rimes (aba/bb/cc/dcd), mais il la simplifie considérablement par l'usage de rimes plates (aa/bb/cc). Suivant l'exemple, à vrai dire rare, de Baudelaire (Les Fleurs du mal, « Tableaux parisiens », XCIX : « Je n'ai pas oublié, voisine de la ville,/ Notre blanche maison… »)2, il sacrifie l'unité de la construction au profit d'une libre suite de cinq distiques. Ainsi parvient-il à énoncer avec simplicité, à la première personne du singulier, les expériences d'un citadin qui goûte son chez soi (« Le soir, au coin du feu… », V) ou qui rapporte ses observations de flâneur (Promenades et Intérieurs, IV) :

J'adore la banlieue avec ses champs en friche

Et ses vieux murs lépreux, où quelque ancienne affiche

Me parle de quartiers dès longtemps démolis.

Ô vanité ! Le nom du marchand que j'y lis

Doit orner un tombeau dans le Père-Lachaise.

Je m'attarde. Il n'est rien ici qui ne me plaise,

Même les pissenlits frissonnant dans un coin.

Et puis, pour regagner les maisons déjà loin,

Dont le couchant vermeil fait flamboyer les vitres,

Je prends un chemin noir semé d'écailles d'huîtres.

La banalité voulue des sujets traités, renforcée par une prosodie placide et par des rimes « plates » dans tous les sens du terme, a le mérite de mettre en évidence l'académisme des poètes du Parnasse1.

François Coppée (1842-1908) n'a pas encore trente ans. Il fait paraître régulièrement chez Lemerre des recueils poétiques : Le Reliquaire (1866), Intimités (1868, où il s'essaie une première fois au dizain), Poèmes modernes (1869) puis Les Humbles (1872)2, deux recueils dont une section reprend chaque fois Promenades et Intérieurs. Jusqu'à la fin de sa vie, il demeurera un auteur prolifique. En attendant, sa précocité force l'admiration du petit groupe avec lequel il entretient des liens étroits, d'autant que ses recueils bénéficient du triomphe qu'il a obtenu au théâtre de l'Odéon, avec un acte en vers, Le Passant (14 janvier 1869). Cette comédie sentimentale met en relation, dans une Florence de convention, Silvia, riche courtisane qui s'ennuie, et un baladin menant une vie de bohème, Zanetto. En dépit des avances de celui-ci, la jeune femme se dérobe. La fascination que chacun exerce sur l'autre tourne court, ce qui provoque le mot de la fin dans la bouche de Silvia, en larmes :

Que l'amour soit béni ! Je puis pleurer encore !

Silvia est interprétée par Mlle Agar, de la Comédie-Française, en pleine gloire ; Zanetto, par Sarah Bernhardt qui fait alors ses débuts. Le triomphe de Coppée est amplifié par la claque de ses amis1. Ainsi « lancé », Coppée poursuivra une carrière qui le mènera, comme d'autres auteurs d'Alphonse Lemerre, à l'Académie française (1884), après Sully Prudhomme (1881)2 mais avant Leconte de Lisle (1886), et bien avant Paul Bourget (1894) et José Maria de Heredia (1895). Les graves dissensions que suscite la Commune de Paris n'effaceront pas le souvenir de la première du Passant. En témoigne l'émotion dont André Gill fait part, dix ans plus tard : « C'était notre drapeau à tous que le camarade allait dresser dans la bataille3. » Et de se rappeler qu'il a rêvé, comme nombre d'autres jeunes auteurs, d'écrire lui aussi une pièce en un acte qui lui ouvrirait le chemin de la gloire !

Au regard de la postérité, François Coppée a mauvaise réputation. Il cumule en effet les attributs disqualifiants : poète populaire quasi officiel de la bonne bourgeoise, académicien récité dans les classes de l'enseignement primaire sous la IIIe République, il a été un antidreyfusard convaincu et il a présidé, dans les dernières années de sa vie, la Ligue de la Patrie française de Paul Déroulède, auteur revanchard qu'ont rendu célèbre Les Chants du soldat (1872). Située aux antipodes de l'image du poète que le romantisme a jusqu'à nos jours diffusée – phare, mage, voyant ou voleur de feu –, il a voué une compassion benoîte aux petites gens – l'épicier de Montrouge, la marchande de fleurs, la servante, la nourrice, la jeune recrue. Toutes les facettes de ce conformisme mâtiné de religiosité ne doivent pas faire oublier ce que ses Promenades et Intérieurs ont apporté aux poètes en quête de renouveau.

Paul Verlaine a apprécié l'« extrême raffinement » des « petits chefs-d'œuvre voluptueux » de François Coppée « que raille par instants une légère note d'ironie triste »4. Dans la notice des Hommes d'aujourd'hui (no 243, 1885) qu'il lui a consacrée, il rend de nouveau hommage à ses « belles idylles, chaudes et si mièvres, pas si mièvres que ça ». D'emblée, il a perçu que ses dizains ouvraient une porte de sortie à tous les jeunes qu'étouffait l'air confiné du Parnasse. Ses propres dizains de La Bonne Chanson exploitent cette conquête, dans les petits tableaux où s'exprime un locuteur ici réfugié dans sa chambre, là exposé au tohu-bohu de la rue :

Le foyer, la lueur étroite de la lampe ;

La rêverie avec le doigt contre la tempe

Et les yeux se perdant parmi les yeux aimés…

Le bruit des cabarets, la fange du trottoir,

Les platanes déchus s'effeuillant dans l'air noir,

L'omnibus, ouragan de ferraille et de boues…1.

Les dizains à rimes plates apparaissent régulièrement dans les dernières années du Second Empire, comme la série de ceux que Charles Coligny adresse « À la grande Muse », en souhaitant que l'inspiration renoue avec un Âge d'or classique2  ; ou ceux de Léon Dierx dans Les Lèvres closes (« Le Rêve de la mort »)3  ; ou encore ceux d'Albert Mérat, qui évoquent des scènes des champs ou du foyer (« Fleurs de Bohême », III et XX)4. Mais si les dizains doivent un regain d'éclat à François Coppée, ils lui devront aussi un discrédit. À l'origine de celui-ci, l'attitude de Coppée lors de l'affrontement entre partisans et opposants de la Commune. Après le triomphe du Passant, Théophile Gautier a présenté l'auteur à la princesse Mathilde. Par la suite, Coppée s'est laissé entraîner dans un cursus honorum qu'il n'avait osé espérer. En brave bourgeois pacifique, sensible aux destinées des petites gens, il a opté pour la bienveillance et la charité, là où la plupart de ses compagnons prônaient la révolte.

Le triomphe des Versaillais, en mai 1871, et la violente répression qui s'ensuit obligent chacun à choisir son camp. François Coppée est alors accueilli à bras ouverts par Le Monde illustré, magazine grand public passionnément hostile aux communards. Il y publie une version des Promenades et Intérieurs augmentée de cinq dizains, ce qui le consacre auprès des lecteurs les plus hostiles à la République. Le premier de ces poèmes fait référence aux événements récents :

Avant les Prussiens et la guerre civile,

Lorsque j'avais flâné deux heures dans la ville,

Le soir, ma porte close et les rideaux fermés,

J'accommodais ma glane en dizains bien rimés :

Rêves que j'avais faits, choses que j'avais vues.

Or, quoique de présent intérêt dépourvues,

Ces rimes les voici, lecteur, si tu veux bien.

Ne dis pas qu'il faut être avant tout citoyen,

Et que la question politique est urgente :

Car cela ne fait pas de mal qu'un oiseau chante1  !

Ces vers irritent Verlaine au point qu'il rédige aussitôt deux pastiches virulents par lui nommés « vieux coppées ». Suivant son exemple, Charles Cros, André Gill, Arthur Rimbaud et quelques autres, se livrent également à de savoureuses émulations dans l'Album zutique.

Cela dit, les dissensions politiques n'empêcheront pas les activités littéraires de se poursuivre. C'est ainsi que Banville, Charles Cros, Anatole France, G. Rivet et Léon Valade collaborent au Tombeau de Théophile Gautier (Alphonse Lemerre, 1873) ; ou que La Renaissance littéraire et artistique, fondée par Lesclide, accueille d'anciens Zutiques et de futurs collaborateurs des Dixains réalistes. Elle félicite un quotidien de publier un dizain de François Coppée (« Je pris le bateau-mouche au bas de Pont-Royal… »), à un moment où la presse « se réduit à des annonces et des informations » (22 mars 1873).

On comprendrait mal l'écriture parodique si on la réduisait à un simple exercice de moquerie2. Outre le fait qu'elle rend hommage à un modèle réputé3 – « À côté de toute grande œuvre, il y a une parodie », écrivait Victor Hugo, qui savait de quoi il parlait –, elle joue un rôle à la fois composite et ambivalent : tour à tour ou simultanément imitation (pastiche), dérision (satire) mais aussi invention, car la récréation pose une re-création. La parodie rend hommage, elle simule, elle dénature par la caricature, mais elle propose également une production « originale » qu'on peut goûter pour elle-même, dans l'oubli ou l'ignorance de son modèle. Le « parodiant » existe alors de manière autonome, indépendamment du « parodié ». Il en va ainsi pour les « faux coppées » de l'Album zutique. Et plus encore, quelque cinq années plus tard, pour les Dixains réalistes qui, à partir d'une « petite forme », visent à se constituer à la manière de la peinture « de genre » consacrée aux œuvres ne relevant ni des sujets ni du style « élevés ».

Les Dixains réalistes et la poésie du présent

Charles Cros a de bonnes raisons d'en vouloir au comité de lecture du troisième Parnasse contemporain. Non seulement celui-ci l'a exclu ainsi que ses amis, mais il a accordé la part royale à une poésie qu'ils jugent désuète, comme celle de Théodore de Banville (22 rondels) ou de José Maria de Heredia (25 sonnets). Bien que Charles Cros ignore le jugement de Coppée à son égard, leur âge identique – ils sont nés l'un et l'autre en 1842 – et leurs ambitions littéraires les mettent en compétition. Au moment où les revues publient des « poèmes en prose », la poésie « prosaïque » a fait entendre une note nouvelle. Il revient donc aux collaborateurs des Dixains réalistes de se démarquer des Promenades et Intérieurs en montrant que la poésie de Coppée appartient, autant que celle du Parnasse, à une époque révolue. Tout en les tournant en dérision, ils engagent une aventure poétique qui, à la différence du Parnasse, sera effectivement contemporaine.

Entrepris dans les derniers mois de 1875, les Dixains réalistes,par divers auteurs paraissent en juillet de l'année suivante. Alors que Charles Cros envisageait un tirage de cinq cents exemplaires, l'éditeur s'en tient prudemment à cent cinquante. Les poèmes y sont disposés à raison d'un par page, numérotés et signés. Ils sont imprimés sur des feuillets de 13,5 cm sur 21,5 cm, un format à l'italienne d'ordinaire réservé à des livrets illustrés ou mondains (album amicorum)4. Divers regroupements par auteurs y sont effectués jusqu'au quarante-et-unième poème5. L'ordonnance de l'ensemble met en valeur Nina de Villard, en ouverture et en clôture, comme pour un ultime cadeau (les amants rompront l'année suivante). Ouvrage collectif, le recueil recourt, comme on l'a vu, à des collaborateurs occasionnels, parfois peu impliqués6. D'où le souci du maître d'œuvre de renforcer son unité par sa mise en page, l'italique, une typographie qui ne pose des majuscules au début des vers qu'après une fin de phrase7, par l'absence d'une table des matières, enfin par un titre dont l'orthographe pointe sa différence : les DIXAINS prennent leur distance avec les « dizains » dont Coppée s'est fait, et continue de se faire, une spécialité8.

En choisissant de qualifier son recueil de réaliste, Charles Cros ne renoue pas avec un mouvement qui a depuis longtemps remporté des victoires9. Il ne se rallie pas non plus à ses contemporains « naturalistes » qui, sous la bannière d'Émile Zola, mènent leurs combats dans la presse et l'édition. Plus simplement, sans vouloir se poser en « chef d'école », il a voulu interpeller ses pairs. Déjà dans sa Revue du Monde nouveau, il les invitait à « changer de millésime » en s'accordant à « l'époque présente » qui sera « de mouvement ou d'un arrêt, […] progressiste ou rétrograde ». La chronique en forme de manifeste qu'il a placée à la fin de ce premier numéro se réclame de l'« esprit moderne » et prend le parti de l'« actuel » : « C'est bien nous, qui croyons toujours à l'art, à la royauté de l'esprit, après que de si grands désastres nous isolent et nous distinguent d'autrefois »10. Cependant, sous sa plume, l'actuel, comme le moderne ou le contemporain, demeure une pétition de principe. Pas plus que les Parnassiens ou que François Coppée, Charles Cros ne se préoccupe de théorie, il appartient lui aussi au clan des « Pas-de-Préface11  ». En revanche, il est familier des salons et des cafés que hante la bohème. Par sa collaboration aux revues littéraires et à l'Album zutique, il a fait l'expérience d'une écriture de groupe. Tout en appréciant la variété des apports, il veut préserver l'unité des Dixains réalistes. D'où la présentation qu'il adopte, polyphonique, parfois discordante, mais organisée en une suite homogène de paroles, récits, tableaux, scènes ou épisodes.

La flânerie dans la ville, propice aux découvertes, inspire les artistes. Baudelaire avait songé intituler ses Petits Poèmes en prose « Le Promeneur solitaire » ou « Le Flâneur parisien ». Les Promenades et Intérieurs de Coppée ont renouvelé le genre par leurs incursions dans l'intimité bourgeoise et le pittoresque de la banlieue. Pour s'en différencier, les Dixains réalistes multiplient les croquis, choses vues, petits tableaux, afin de composer le panorama aux cent actes divers d'une ville qui renaît des désastres de la guerre. La diversité des scènes, la pluralité des propos et des points de vue rompent de manière abrupte avec la poétique du poète solitaire12.

De poème en poème, le recueil évoque la mosaïque des quartiers de Paris, leurs décors et leurs habitants. Le lecteur passe d'une rive de la Seine à l'autre (la Morgue, les quais, les Halles, la rue aux Ours, Montmartre), il assiste à un théâtre dont les décors changeants donnent à voir boutiques, kiosques, colonnes-affiches, fontaines Wallace, amas de choux. La foule se compose de toutes les sortes de professions représentatives du Paris populaire : employés, coiffeurs et savetiers, petits marchands des rues, allumeurs de réverbères, portiers, femmes galantes. Ou encore dans ce personnel innombrable : un client en conversation avec un marchand de canapés-lits (XX), le chef de gare et sa famille dans sa petite maison de fonction (XXVII), l'employé qui profite de l'absence de son chef, au bureau (XLIII).

En dépit de son grouillement, la grande ville n'est pas un espace indistinct, on y erre, on s'y amuse, on y fait des rencontres. Elle s'incarne en individualités pour lesquelles, sans cesse, quelque chose advient : au petit matin, des fêtards croisent sur leur chemin des femmes en peignoir qui vont chercher le lait chez le crémier, puis un prêtre qu'ils narguent mais qui les absout (XVII) ; un provincial rêve de porter de beaux habits pour pouvoir solliciter un emploi paisible (XXV) ; une vendeuse d'écrevisses, passant de table en table dans un café, éveille la concupiscence des carabins (XXXVII).

Dans cet espace ouvert aux quatre vents, se déploient les fantasmes que réactivent les échanges, qu'ils soient concertés ou imprévus : amours secrètes dans un fiacre aux rideaux tirés (X), émerveillement que provoquent une passante aux formes voluptueuses (XXXV), ou la fillette (une « trottin ») installée dans un omnibus (XLV). Se superposent ainsi la routine du travail et les aléas du désir, lequel emprunte toutes les voies imaginables, de la promesse galante aux échanges platoniques ou monnayés, en passant par la quête aventureuse de quelque protecteur (VII). La succession des témoignages vaut reportage à épisodes, elle esquisse une étude des mœurs qu'accompagnent diverses informations sur les usages alimentaires. À tour de rôle, les auteurs donnent à humer quelques-uns de leurs plats favoris : ici les pommes de terre rissolées (V), l'omelette et la soupe à l'oignon (XXXIV), là une matelote – qui est un bouillon de poissons accommodé tantôt au vin rouge, tantôt au cidre (IX) –, ou encore, à la toute fin du recueil, comme en apothéose, le « bouilli » dans son jus avec ses légumes de rigueur, navet, céleri, carotte (L).

À quelques exceptions près13, les « divers auteurs » des Dixains réalistes collaborent au projet d'un auteur, pour ainsi dire pluriel. Le kaléidoscope qu'ils aménagent donne à voir des saynètes semblables à celles de « la petite école de la vie parisienne » qu'observe la critique des Salons de peinture et de photographie. Après les paysans de Jean-François Millet, les « Voyageurs de troisième classe » ou la « Laveuse du quai d'Anjou » d'Honoré Daumier, les « Ramoneurs » sur papier albuminé de Charles Nègre ou les scènes urbaines de Claude Monet14, des poètes croquent à leur tour les gens ordinaires dans leur cadre de vie. Autant de représentations par l'image dont les « dixains » simulent le format rectangulaire. Mais les auteurs outrepassent le reportage documentaire par l'assemblage des points de vue et par une fantaisie qui force le sourire.

Leur succession multiplie le nombre des narrateurs et des locuteurs. Ils entremêlent les relations d'événements qui se déroulent au présent (VIII) et les souvenirs d'époques révolues, comme celle où « Les Parnassiens charmés rêvaient la rime neuve », « où Chose15 inventait le mot “Zut !” » (XL). Un gamin de quinze ans fait part de ses frasques au collège (XXXII) ; une catin exilée « toute argot et dentelle », relate la bonne surprise qu'elle éprouva, lorsqu'elle retrouva dans sa « profonde » un cigare de France (XXI) ; un fidèle du quotidien conservateur La Patrie feint de déplorer le suicide d'un Anglais (XLVI). Dans le recueil s'organise une circulation de paroles venues de toutes parts : un quatrain de réclame pour un orthopédiste (IV), des airs qu'on fredonne (XV, XLVIII), une petite annonce de « Bureau » (XXV). Y interviennent également, au style direct, un douanier des Portes de Paris : « N'avez-vous rien à déclarer ? » (X) ; un vendeur de bazar : « Tout est à treize, et là, tout à vingt-neuf ! » (XII) ; le voyageur d'un train et sa voisine de compartiment (XXXVIII) ; ou encore une femme folâtre qui, au petit matin, impose ses caprices : « Je veux/ des fraises ! Nous irons les cueillir par les halles !/ […] Entrons donc à la Morgue, en passant » (XLIX).

L'apport le plus remarquable provient d'une effronterie qui apparente les comparses des Dixainsréalistes aux Vilains Bonshommes, Zutiques, Vivants et autres groupes éphémères. Elle embrouille à plaisir les normes d'écriture et de ton. Même s'il n'est pas un praticien, l'amateur de poèmes s'amuse de voir « waterproof » rimer avec « pouf » (XXIV) ou « esbrouff » (XLV) ; « omnibus » avec « bocks bus » (XXIV) ; « Zut » avec « luth » (XL) ; « savon de Thridace » avec « … que ça lui fasse » (XLI). Il s'enchante autant de la scansion boiteuse de « ce grand niais d'alexandrin », qui advient régulièrement, comme au début du septième « dixain » :

On allume les becs de gaz ; dans la nuit bleue

les étoiles aussi s'enflamment ; l'on fait queue

devant les guichets des théâtres à succès…

De toutes parts circule un petit air de fantaisie blagueuse ou salace. La « fumisterie », qui a longtemps servi de mot d'ordre à la bohème, y est tantôt explicitement désignée par ses « chefs-d'œuvre » de tuyauterie (XXVIII), tantôt implicitement, comme dans le vers final d'un badinage champêtre (XI). Elle ne cesse d'inviter à une lecture distancée. Non sans malice, au cours de leurs errances buissonnières, les auteurs suivent les pas de François Coppée. En accumulant les citations et allusions, ils inscrivent ses dizains dans le filigrane des dixains. Ils le font par moquerie, sans aucun doute, mais surtout dans le but de rompre, une fois pour toutes, avec leur accent monocorde.

Dès le premier poème, un tableau parisien dénature la mélancolie des Promenades et Intérieurs (v. 7-9). Y retentissent des chansons de lavandières, tandis que chatoient sur les eaux de la Seine le blanc, l'indigo, l'opale et « des dessins de moire ». Par la suite, le recueil illustre toutes les variétés d'une poésie narrative, descriptive, intimiste ou lyrique, souvent formulées mi-figue mi-raisin. Le poème XXVI provient de l'Album zutique (il sera repris par Charles Cros dans Le Coffret de santal sous le titre « Cœur simple »). S'il lance en son dernier vers un clin d'œil appuyé à une clausule emphatique de François Coppée (« Ma mère, sois bénie… »), il n'en témoigne pas moins d'une attention sensible portée sur un « intérieur » jusqu'alors ignoré des poètes : une chambre d'hôpital réservée aux accouchées, ses bruits et ses couleurs, son demi-jour, son atmosphère de gynécée :

Les couches, où s'étend l'or des déjections,

qui sèchent en fumant devant les clairs tisons…

L'hommage souriant rendu à l'allumeur de réverbères qui peu à peu éclaire la cité ne relève pas non plus du régime parodique (XXX). L'auteur y invente une poésie roturière à laquelle il donne ses lettres de noblesse en alternant les notations prosaïques (« Il a chaud et n'a pas le sou pour prendre un bock ») et les métaphores séduisantes : « l'eau, couleur plume de coq », « il a diamanté […] la grande ville ». Avec des réussites inégales, les « dixains » explorent de nouveaux territoires. Ils s'essaient également à la variété des tons. Si bien que le lecteur, une fois parvenu au dernier d'entre eux (L), ne sait trop s'il doit prendre à la lettre la référence au « saint rayonnement » qui éclaire le bouilli dans « son jus », concocté par une bonne ménagère, épouse et mère. Dans ces vers comme dans bien d'autres du recueil, s'amalgament des composantes ordinairement distinctes.

Pour Charles Cros et ses compagnons, être « contemporain » signifie emprunter les voies de la diversité et d'une fantaisie dont les « grains de sel » donnent saveur au langage1. Il ne leur a pas suffi de déloger la poésie de son piédestal. François Coppée a joué pour eux un rôle de marquage et de démarquage. Ils ont multiplié les références2 à ses poèmes pour mieux s'engager dans une tout autre voie où se rencontrent les figures des métiers et des classes sociales, souvent subalternes ou marginales. Ils se sont approprié leurs préoccupations, leurs manières de penser et de dire. Inspirés par le va-et-vient des activités quotidiennes, écrits dans le tohu-bohu de la ville, pimentés par une inspiration blagueuse, les Dixains réalistes déroulent la succession des moments qu'accorde le présent3  : poésie piétonne qui mêle à plaisir les genres et les tons, le poétique et le parodique, avec une dose d'indécidable parfois déroutante, mais combien savoureuse.

Daniel GROJNOWSKI.