Les notices de ce répertoire s'attachent tout particulièrement aux années allant de l'écriture de l'Album zutique (1871-1872) à la parution des Dixains réalistes (1876).
Bourget, Paul (1852-1935). Né à Amiens, fils d'un professeur de mathématiques. Il vit à Clermont-Ferrand jusqu'en 1867, puis devient pensionnaire au collège Sainte-Barbe. Républicain, il est marqué par l'épisode de la Commune. Ses débuts dans le milieu littéraire sont modestes : il fait la connaissance du groupe des Vivants (Bouchor, Richepin, Ponchon), et participe discrètement aux dîners des Vilains Bonshommes. Son premier recueil de vers, La Vie inquiète (1875), ne laisse pas présager la carrière florissante de romancier qu'il entamera dans la décennie suivante (Cruelle Énigme, 1885). Il se révélera comme la figure de proue du roman psychologique (Le Démon de midi, 1914).
Cabaner, Ernest (1833-1881). Né Joachim Jean Philippe Martre, fils de Marthe Martre, âgée de vingt-six ans. Reconnu à l'âge de dix-neuf ans par son père Joachim Barthélemy Cabaner, il reçoit le droit de porter son nom le 20 novembre 1852. Il lui faut encore attendre 1859 pour être légitimé par le mariage tardif de ses parents. Pianiste de talent (il a suivi, au Conservatoire, les cours de Marmontel), il vit des leçons qu'il donne et de prestations dans les cafés. En 1869, il était le colocataire de Jean Keck, avec lequel il avait composé une chanson patriotique, Les lauriers sont coupés, inspirée par la Commune de Paris. Il mettra en musique « L'Archet » et « Le Hareng saur » de Charles Cros, et livrera un texte comique intitulé « Le Pâté », qui connaîtra un succès d'estime. Souvent sans le sou, il fréquente assidûment les lieux de sociabilité artistiques et littéraires comme le salon de Nina de Villard ou les dîners des Vilains Bonshommes. À l'Hôtel des Étrangers, il est, à trente-huit ans, le doyen zutique : ses compères se moquent fréquemment de lui dans leur Album et lui imposent un rôle de barman. Il compte « parmi les plus fervents adeptes de la “Rosette” » (référence à la pédérastie), selon un rapport de police daté du 18 août 1878 figurant dans le dossier Verlaine aux archives de la préfecture de Police de Paris. Il meurt en 1881 de la tuberculose, responsable de la fragilité dont se moquaient ses amis.
Châtillon, Auguste de (1813-1881). D'une trentaine d'années plus âgé que la plupart des amis de Charles Cros, il les connaît par ses relations avec des artistes comme André Gill ou Henry Cros. Sculpteur et peintre de compositions religieuses, de portraits et de tableaux « de genre » (Le Petit Ramoneur, musée des Beaux-Arts de Rouen), il est également poète et a collaboré au premier Parnasse contemporain (1869). Son recueil À la Grand'pinte (1860 et 1864 pour l'édition augmentée) a été préfacé par Théophile Gautier : « Jamais nature ne fut plus artiste, […] chaque objet est à sa place comme dans un tableau. »
Cros, Antoine (1833-1899). Né à Lagrasse (Aude), il est le frère aîné de Henry et de Charles. Il fait ses études de médecine à Paris et ouvre un salon rue de Rome, que fréquentent notamment François Coppée et Verlaine. Par la suite, il demeure le compagnon fidèle des amis de son frère. Dessinateur doué, il illustre par des « monstres » inspirés de Jérôme Bosch la page-titre de l'Album zutique. Il a publié des ouvrages de médecine (Les Discoordinations organiques, 1866 ; La Fonction supérieure du système nerveux, 1874) mais aussi des essais philosophiques ou politiques « pour la rénovation de la France » (1872), une tragédie d'après Eschyle (Prométhée, 1887), ainsi que de nombreux poèmes qu'il réunit dans Les Belles Heures, 1867-1882 (Ollendorff), dédiées à Théodore de Banville, où il ne reproduit pas ses deux pièces des Dixains réalistes. Le premier vers du premier poème « Prélude » s'adresse « Aux vaillants chercheurs de mondes inconnus ».
Cros, Charles (1842-1888). La caricature de L'Hydropathe (20 mai 1879) le représente juché sur un hareng-saur, pourchassant les points d'interrogation avec un filet à papillons, pour les serrer dans sa musette d'« inventions ». Le portrait que dresse de lui Alphonse Allais dans ce numéro met en scène « un fantaisiste échevelé en littérature et en sciences ». Né à Fabrezan (Aude) dans une famille lettrée, il manifeste des aptitudes dans tous les domaines. Nommé « aspirant-répétiteur » à l'Institut des sourds-muets, il s'interroge sur les modes d'échanges langagiers. Ami de Manet, il fréquente le salon de Nina de Villard dont il devient l'amant. Il fait alors la connaissance de Mendès, Coppée, Verlaine, Villiers de l'Isle-Adam, parmi bien d'autres. Dans le même temps, il rédige des plaquettes scientifiques sur la communication avec les planètes ou sur la photographie des couleurs (1869). Il publie des poèmes dans L'Artiste et dans La Parodie, collabore au deuxième recueil du Parnasse contemporain (1869) et travaille sur la synthèse des pierres précieuses. Brancardier pendant la Commune, il est, avec Verlaine, l'un des premiers à accueillir Rimbaud à Paris. En septembre 1871, ces poètes se retrouvent à l'Hôtel des Étrangers avec quelques comparses. Ils emplissent de leurs strophes et de dessins souvent obscènes les pages d'un Album zutique. En 1873, Charles Cros publie chez J. Gay, à Nice, son premier recueil, Le Coffret de santal. L'année suivante, il fait paraître Le Fleuve, qu'illustrent huit eaux-fortes de Manet, et il fonde la Revue du Monde nouveau (trois numéros), qui attire des collaborateurs de renom, parmi lesquels Émile Zola, Germain Nouveau, Stéphane Mallarmé (« Le Démon de l'analogie »). Quelque temps plus tard, il est évincé du troisième Parnasse contemporain. Avec quelques comparses, il concerte Dixains réalistes par représailles mais aussi pour explorer de nouvelles voies. La deuxième édition augmentée du Coffret de santal (1879) en reproduit les quinze pièces signées de son nom. Déçu d'être doublé par Edison pour l'invention du « paléophone » – le futur phonographe –, mais rendu célèbre par son poème à dire « Le Hareng-saur », il participe aux soirées des Hydropathes puis du Chat noir, où il joue le rôle d'amuseur, auteur de nombreux monologues (1879-1885) dont l'acteur Coquelin cadet tire le principal profit. En 1883, il tente en vain de créer un groupe zutiste. Dans les dernières années de sa vie, il poursuit ses recherches scientifiques et son activité poétique (Le Collier de griffes ne paraît qu'après sa disparition, en 1908). Poète et inventeur « maudit » à sa manière, il a été le principal acteur et agent de liaison entre les divers milieux bohèmes, de Nina de Villard au Chat noir en passant par les Vilains Bonshommes, les Hydropathes et autres Zutiques. Marginal de vocation, il passe des salons aux cabarets, des poèmes, poèmes en prose ou chansons aux écrits destinés autant à la scène qu'à la science. Sur ces terrains divers, il n'a cessé de s'engager dans toutes les sortes d'expériences.
Cros, Henry (1840-1907). Né à Narbonne, il suit à Paris les cours de l'École des beaux-arts. Sculpteur, il expose dès 1861 au Salon un buste de son frère Charles et participe deux ans plus tard au Salon des refusés. On lui doit de très nombreux médaillons en plâtre ou en bronze. Par la suite, il s'inspire d'artistes de la Renaissance italienne et se spécialise dans les bas-reliefs en cire polychrome : d'après les frères Goncourt, il est un « cirier », un « sculpteur […] qui a retrouvé les procédés anciens » (Journal, 10 décembre 1872). Avec Charles Henry, il consigne ses découvertes dans L'Encaustique chez les Anciens, histoire et technique (1884). Accaparé par ses travaux et ses recherches, il n'a été qu'un compagnon occasionnel de ses deux frères, Antoine et Charles. Un nombre important de ses œuvres est conservé au Petit Palais de Paris.
Frémine, Charles (1841-1906). Né dans la Manche, fils d'un employé aux contributions, farouchement républicain. D'abord employé lui-même, il engage bientôt une carrière littéraire à Paris. Avec deux amis, il fonde Le Voyageur de commerce, journal littéraire, satirique et anecdotique (1868), dans lequel il publie régulièrement des poèmes en quatrains sentimentaux. En 1868 il fait paraître un recueil poétique, Les Joies du collège, et, deux ans plus tard, Floréal, chez Alphonse Lemerre, qui éditera également Vieux Airs et jeunes chansons (1881) puis Bouquet d'automne (1890). Il collabore à de nombreuses revues dont L'Artiste, La Renaissance littéraire et artistique, la Revue du Monde nouveau (1874) de Charles Cros, ainsi qu'à divers journaux comme Le Siècle et Le Rappel où il est chargé de la critique d'art. Il a fréquenté le salon de Nina de Villard et a participé aux réunions des Hydropathes qui lui consacrent leur numéro du 27 juillet 1879 : « Nous nous chauffons tous deux à l'Art, ce soleil d'or », y écrit Maurice Rollinat qui oppose sa propre veine morbide à celle, toute champêtre, de Frémine.
Gill, André (Gosset de Guines, Louis Alexandre, dit ; 1840-1885). Né à Paris, fils d'une couturière et du comte de Guines qui ne le reconnaît pas, il est élevé par son grand-père maternel et sa tante. Dessinateur, peintre, poète, dramaturge et surtout caricaturiste de premier ordre, il a formé des illustrateurs comme Sapeck et Émile Cohl, lequel lui restera fidèle jusqu'à la fin. André Gill est l'une des personnalités marquantes de son temps. Il fréquente les milieux bohèmes, les Vilains Bonshommes, les Hydropathes dont le magazine lui consacre son deuxième numéro (5 février 1879), puis le Chat noir. Il est notamment l'auteur d'un recueil poétique, La Muse à Bibi (1879, deuxième édition augmentée en 1881), où s'entremêlent chansons, sonnets, longs poèmes épiques, et d'un recueil de souvenirs publié à la fin de sa vie (préfacé par Alphonse Daudet), Vingt Années de Paris (1883). Ayant préparé sans succès le prix de Rome à l'École des beaux-arts, il fréquente Nadar sur le conseil de qui il adopte le pseudonyme « Gill », en hommage au Pierrot blanc de Watteau. À l'âge de dix-neuf ans, il publie un dessin dans Le Journal amusant de Philipon, puis ses premières caricatures dans La Lune. Pour Le Hanneton, journal des toqués, il entreprend une série de « binettes rimées », un type de charges qu'il exploitera durablement. À partir d'août 1866, il dessine régulièrement la couverture de La Lune. Il publie des bouffonneries (« Les Chansons des grues et des boas », « La Dernière Mort de Rocambole ») et collabore régulièrement au Charivari ainsi qu'à La Rue de Jules Vallès (juin 1867-janvier 1868). Après la disparition de La Lune sous les coups de la censure, il fonde L'Éclipse puis, avec Eugène Vermersch et Richard Lesclide, une gazette illustrée, La Parodie, qui compte notamment Jules Vallès, Nina de Villard, Cabaner et Charles Cros parmi ses collaborateurs. La Fédération des artistes de la Commune de Paris, que dirige Gustave Courbet, le nomme administrateur du musée du Luxembourg. Pendant la Semaine sanglante, il se cache dans la cave du théâtre de Cluny puis est recueilli par des amis. Bien qu'il ait publié une lettre dans Le Figaro pour se défendre « de toute participation aux agissements de la Commune » (7 juin 1871), il conserve la confiance de Jules Vallès, exilé à Londres. Dans les dernières années de sa vie, il expose au Salon, se rapproche des poètes, écrit La Passante, un essai dramatique en vers, puis L'Étoile avec Jean Richepin. Il fonde successivement La Petite Lune et La Lune rousse (1876), puis, avec Félicien Champsaur, la série des Hommes d'aujourd'hui (septembre 1878). Alors qu'il projette de réaliser un « Panorama-Gill », il est victime d'hallucinations sur la route d'Anvers, en Belgique. Rapatrié en France, il connaît une rémission puis une grave rechute. Il meurt à l'hospice Saint-Maurice de Charenton. L'enseigne qu'il a peinte pour le cabaret « À ma campagne » peut être admirée au musée de Montmartre ou rue des Saules, au cabaret du « Père Frédé », Le Lapin agile (Là peint A. Gill).
Keck, Jean (?). On sait peu de choses à son sujet : l'histoire n'a retenu ni son talent de sculpteur ni ses vers. Colocataire de Cabaner en 1869, il était tout aussi impécunieux que lui. La chanson patriotique qu'il a composée avec ce dernier, intitulée « Les lauriers sont coupés », et ses contributions à l'Album zutique constituent les seules traces que nous conservons de sa personne.
L'Estraz, Hector (Rivet, Gustave dit ; 1848-1936). Né à Domène (Isère), il obtient à la Sorbonne une licence de lettres. Il publie des plaquettes de poésies, Les Joies de collège (1868), Mots d'amour et 1870-1871, puis chez Lemerre Voix perdues (1874), recueil patriotique où il s'en prend « Aux Impassibles ». Professeur de rhétorique, il est révoqué en raison de ses prises de position républicaines. Après avoir été refusé pour le troisième Parnasse contemporain, il participe aux Hydropathes qui le consacrent dans leur numéro du 15 janvier 1880, le présentant en héritier de Victor Hugo : « c'est toi qu'il prit dans ses bras de grand-père » (Cabriol). Il a écrit plusieurs pièces dont Le Cimetière Saint-Joseph (1874), un « à propos » de quelques pages qui deviendra poème dramatique en dix tableaux. Auteur de Victor Hugo chez lui (1879) qui a connu le succès, il met sa plume au service de journaux radicaux comme L'Homme libre, Le National, Les Droits de l'homme. Relégué par le gouvernement conservateur, il entreprend une carrière politique de longue durée dès le début de la IIIe République. Elle le conduira à l'Assemblée nationale (1883) puis au Sénat.
Mercier, Henri (1848- ?). Fils d'un fournier qui, ayant prospéré, abandonnera son commerce pour diriger une agence assurant la vente des fonds de boulangerie. Profitant sans doute de la réussite financière de son père, il voyage en Angleterre, en Suisse et en Belgique. Musicien, collaborateur occasionnel du Tintamarre, il avait, à la mi-octobre 1871, proposé à Rimbaud de le présenter au rédacteur en chef du Figaro. Signataire de l'Album zutique, ami des Vivants, puis de Debussy, il est, plus qu'un écrivain, un animateur de la vie littéraire. Il est l'un des fondateurs en mars 1874 de l'éphémère mais ambitieuse Revue du Monde nouveau (trois numéros seulement), où il publie Banville, Leconte de Lisle, Heredia, Germain Nouveau, Daudet, Valade, Charles Cros et Mallarmé, ainsi que des nouvelles de Cladel, Zola et Villiers de l'Isle-Adam. Charles Cros lui dédie le poème « Lendemain », dans la deuxième édition du Coffret de santal (1879) et Villiers « L'Étonnant couple Moutonnet » (Chez les Passants, 1890).
Nouveau, Germain (1851-1920). Né à Pourrières (Var), non loin de la montagne Sainte-Victoire, dans une famille bourgeoise désargentée. Ayant perdu sa mère puis, successivement, sa sœur et son père, il est interne au petit séminaire Saint-Stanislas avant d'exercer l'emploi de maître d'études à Marseille. Il manifeste des dons, qu'il conservera, dans les lettres et la peinture. En 1872, il vient à Paris où il rencontre Jean Richepin qui l'introduit dans le groupe des Vivants et dans plusieurs revues : La Renaissance littéraire et artistique, la Revue du Monde nouveau, L'Artiste. En dépit d'une abondante collaboration, Germain Nouveau ne se soucie pas de réunir ses textes qu'il prend l'habitude de signer de divers pseudonymes (P. Néouvielle, Jean de Noves, Humilis). En mars 1874, il accompagne Rimbaud à Londres où il recopie quelques-uns des poèmes des Illuminations. Revenu en France, il fréquente le salon de Nina de Villard en compagnie de laquelle il écrit (avec Maurice Rollinat et Charles Cros) Le Moine bleu, une parodie burlesque de Hugo. Hostile au Parnasse, qu'il juge un « milieu détestable » (correspondance, 20 octobre 1875), il participe activement à la composition des Dixains réalistes. Verlaine lui ayant fait connaître près d'Arras la maison de l'ascète saint Benoît Labre, Germain Nouveau le prend pour modèle et renoue avec la religion de son enfance. Il mène une existence instable, tour à tour fonctionnaire, enseignant, professeur de français et de dessin au Liban. De retour à Paris, il fréquente assidûment la bohème au Chat noir. En 1891, à la suite d'une crise, il doit être interné à Bicêtre. Il envisage de publier un recueil de Chansons retrouvées. Ses poèmes exploitent des veines diverses : provocatrice, amusée, religieuse ou encore amoureuse (Poèmes d'Humilis, La Doctrine de l'amour, Valentines, Savoir aimer). Après avoir mené une vie errante de mendiant mystique, il meurt dans le dénuement à Pourrières, son village natal. Son « non-conformisme absolu » lui vaut de figurer dans l'Anthologie de l'humour noir d'André Breton.
Pelletan, Camille (1846-1915). Né à Paris, il suit les traces de son père, Eugène Pelletan, qui s'implique dans la politique et est élu député de la Seine, avant d'intégrer le gouvernement de la Défense nationale en 1870. Diplômé de l'École des chartes, il devient collaborateur à La Tribune (que dirige son père), puis au Rappel. En mars 1870, il est condamné à deux mois de prison et mille francs d'amende en raison d'un article consacré au procès du prince Pierre Bonaparte, qui avait assassiné le journaliste Victor Noir. Habitué du salon de Nina de Villard et des Vilains Bonshommes, il officie comme sous-lieutenant de la garde nationale pendant la Commune. Présent sur le Coin de table peint par Fantin-Latour, il prendra ses distances avec la littérature et se concentrera sur l'action politique. Il sera rédacteur en chef de La Justice, député des Bouches-du-Rhône et, brièvement, ministre de la Marine.
Ponchon, Raoul (Pouchon, Raoul, dit ; 1848-1937). Né à La Roche-sur-Yon (Vendée). Ce fils de militaire fait ses études à Angoulême et à Poitiers, avant de s'installer définitivement dans le Quartier latin, à Paris. Toute sa vie il y loge à l'hôtel, fréquentant la bohème dans les ateliers et les tavernes. Après avoir rencontré Jean Richepin avec qui il entretiendra des relations familiales, il fonde le groupe des Vivants en compagnie de Maurice Bouchor. Il publie dans La République des lettres une « Chanson vineuse » (3 décembre 1876), qui traite le thème de la bonne bouteille et de la bonne chère, auquel il restera fidèle. Collaborant à plusieurs journaux et revues, il se fait une spécialité des « gazettes rimées » qui commentent l'actualité. Par la suite, il collabore au Courrier français, à La Presse, au Journal. Se considérant – à juste raison – comme un rimailleur de « troisième ordre », il ne publiera que très tardivement un recueil de vers, La Muse au cabaret (1920).
Richepin, Jean (1849-1926). Bien qu'il ait été durant plus d'une année élève à l'École normale supérieure, il a connu l'errance et a exécuté des métiers divers. Il participe aux rencontres des Vilains Bonshommes puis fonde (avec Raoul Ponchon, Maurice Bouchor, Henri Mercier et Paul Bourget) le groupe des Vivants qui aspire à rapprocher l'art de la vie. Au lendemain de la Commune de Paris, il publie une étude sur Jules Vallès, qu'il dédie « Aux réfractaires et à leurs amis » (1872). Sa dénonciation de la suprématie du Parnasse dans un article intitulé « Les Vieux Ratés » (La Renaissance littéraire et artistique, 5 avril 1874), retentit comme une déclaration de guerre. La Chanson des gueux (1876) lui vaut une poursuite pour outrages aux bonnes mœurs, un séjour d'un mois à la prison de Sainte-Pélagie, l'interdiction de six pièces du recueil, mais aussi l'admiration de la jeunesse du temps. Une deuxième édition augmentée (1881) consacre l'entrée de l'argot et de la plèbe en poésie : « Ma muse est une gaillarde fille, qui parle gras », déclarera-t-il plus tard. Auteur de nombreux volumes de poésies, de romans et de pièces de théâtre, il séduit le public bourgeois par sa verve et sa fécondité. En 1908, il est reçu à l'Académie française par Maurice Barrès.
Rimbaud, Arthur (1854-1891). Né à Charleville, fils d'un capitaine d'infanterie peu présent, qui finit par déserter le foyer familial. Élève brillant, il devient en 1870 le protégé de son professeur, Georges Izambard, qui lui conseille différentes lectures et lit ses premiers poèmes. Le 24 mai 1870, Rimbaud envoie à Théodore de Banville une lettre comprenant « Sensation » (sans titre), « Ophélie » et « Credo in unam » (qui deviendra « Soleil et chair »), en le priant de « faire faire à [cette dernière pièce] une petite place entre les Parnassiens ». Le 29 août de la même année, il fugue vers Paris, où il est arrêté pour ne pas avoir payé son billet de train. Écroué, il écrit le 5 septembre à Izambard pour lui demander de le tirer de ce mauvais pas : trouvant refuge dans la famille de son professeur à Douai, il y rencontre le poète et éditeur Paul Demeny, auquel il confie un recueil manuscrit comprenant vingt-deux textes, parmi lesquels « Ma Bohème », « Le Dormeur du val » et « À la musique ». Revenu à Charleville, d'où il tente par tous les moyens de s'extirper, il envoie à la mi-mai 1871 les lettres dites « du voyant » à Izambard et Demeny, où il expose un art poétique visant une quête de « l'inconnu ». Cherchant toujours à investir le milieu littéraire parisien, il multiplie les contacts, envoyant « Les Effarés » à Jean Aicard, relançant Banville (en joignant le satirique « Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs ») et sollicitant Verlaine. Ce dernier l'invite à Paris, où il débarque en septembre 1871. Il se mêle aux rassemblements de l'Hôtel des Étrangers et participe à l'élaboration de l'Album zutique. Son comportement turbulent dérange rapidement ses pairs et, à l'issue du dîner des Vilains Bonshommes du 2 mars 1872, Verlaine est sommé de le tenir à l'écart. Effrayé par une assignation l'accusant de sévices et d'injures graves sur la personne de son épouse, ce dernier l'encourage à rentrer à Charleville. Le 7 juillet, Rimbaud est toutefois de retour à Paris, où il convainc Verlaine de l'accompagner sur les routes de Belgique, puis à Londres. Leur périple durera un an et connaîtra un dénouement tragique : le 10 juillet 1873, à Bruxelles, Verlaine blesse Rimbaud à l'avant-bras d'un coup de revolver. Seul après l'incarcération de son ami (condamné à deux ans de prison), le jeune homme retourne dans sa famille. Il y compose Une saison en enfer, qu'il fait paraître à compte d'auteur en octobre, à l'Alliance typographique de Bruxelles. Incapable de payer l'imprimeur, il ne peut mettre le recueil en circulation. L'année suivante, il retourne à Londres, avec Germain Nouveau, qui l'aide à recopier les Illuminations. En février 1875, à Stuttgart, où il officie en tant que précepteur, il retrouve Verlaine, auquel il confie les feuillets des Illuminations, et dit adieu à la littérature. Le recueil ne paraîtra qu'en 1886, le texte étant établi par Félix Fénéon.
Rollinat, Maurice (1846-1903). Né à Châteauroux, dans le Berry, fils d'un avocat représentant du peuple en 1848 et ami de George Sand, il trouve un emploi à la mairie du VIIe arrondissement de Paris. Il publie des poèmes dans diverses revues dont La Renaissance littéraire et artistique (« Le Vieux Cormoran », « Chopin », respectivement en septembre et novembre 1873) puis dans le troisième Parnasse contemporain (1876). Cherchant sa voie, il s'essaie à un comique parfois appuyé. Une veine plus farouche ne vaut guère de succès à son recueil Dans les brandes (1877). Après son mariage et un séjour à Lyon, au cours duquel il prépare une étude sur le chansonnier Pierre Dupont, il revient à Paris et fréquente les Hydropathes qui lui consacrent un numéro spécial : sur la couverture, la caricature le représente en train d'interpréter l'une de ses œuvres au piano. Léo Goudeau, frère d'Émile, fait l'éloge de ses harmonies, notant qu'il vise les intervalles « les plus vibrants et les plus inattendus ». Ses interprétations chantées ont impressionné le public du Chat noir (voir Léon Bloy, « Les artistes mystérieux », Propos d'un entrepreneur de démolitions, 1884, ainsi que Barbey d'Aurevilly, Alphonse Daudet, Oscar Wilde). Rendu célèbre par Sarah Bernhardt dont il fut l'amant, il s'inspire de la veine la plus sombre de Baudelaire. Il exploite des thèmes frénétiques qui sont alors perçus comme « décadents », ce qui vaut consécration à son recueil le plus connu, Les Névroses (1883). Ayant quitté Paris pour la Creuse, il publie plusieurs ouvrages avant de se laisser peu à peu oublier.
Sivry, Charles de (1848-1900). Fils de Louis de Sivry et d'Antoinette Flore Chariat, veuve à l'âge de vingt-six ans, qui épouse en secondes noces Théodore Mauté, dit « de Fleurville » (auquel elle donnera une fille, la future Mathilde Verlaine). Si Mauté s'est montré présomptueux en achetant une particule tendant à occulter ses origines modestes (son père était épicier), Louis de Sivry se targuait d'être marquis pour tenter de masquer son statut de fils de chapelier. Après avoir étudié au lycée Chaptal, Charles de Sivry fréquente le centre pour délinquants de la colonie de Mettray. Il se consacrera ensuite à la musique, devenant professeur de piano et chef d'orchestre au bal des Folies-Robert. Au printemps 1868, il fait la connaissance de Paul Verlaine grâce à un ami commun, Edmond Lepelletier : deux ans plus tard, le poète épousera la demi-sœur du musicien. Signalant au verso du neuvième feuillet du manuscrit de l'Album zutique qu'il « sor[t] de Satory », il n'a pu se mêler au Cercle avant le 18 octobre 1871, date à laquelle il est libéré du camp qui tenait lieu de prison, où il croupissait depuis juillet, après avoir été dénoncé comme communard.
Valade, Léon (1841-1884). Né à Bordeaux, il termine ses études au lycée Louis-le-Grand. Après avoir été répétiteur au lycée Rollin, il devient le secrétaire de Victor Cousin puis rédacteur aux bureaux de l'Hôtel de Ville. Là, il se lie d'amitié avec Albert Mérat et Paul Verlaine qui l'introduisent dans leurs groupes. Dès l'origine, il participe aux dîners des Vilains Bonshommes, dont il assure le secrétariat. Toute sa vie il exercera le même emploi grâce auquel il peut se consacrer à la littérature. Il participe aux trois publications du Parnasse contemporain puis collabore à diverses revues dont La Renaissance littéraire et artistique (1872-1873). Il y signe de son nom ses poèmes mais du pseudonyme Atta Troll des chroniques et une série d'études sur « Les poètes morts jeunes », que Verlaine jugea « désopilante ». Il a écrit, en collaboration avec Albert Mérat, un recueil poétique, Avril, mai, juin (1863), puis une traduction d'Intermezzo (1869) de Heine. L'Hydropathe lui consacre son numéro du 26 février 1880 (« Sylvius triolétique/ Atta-Troll charivarique », Cabriol). Le recueil qu'il publie par la suite chez Alphonse Lemerre, À mi-côte (1874), compte trois parties dans lesquelles prédominent les sonnets et les quatrains d'octosyllabes : « Paysages et fantaisies », « Les Matins », « Le Soir ». À la fin de sa vie, il écrit plusieurs comédies appréciées du public, dont Molière à Auteuil (1876) et Le Barbier de Pézenas (1877). Souvent mordant dans des chroniques satiriques (qu'il signe Silvius), il a été un poète discret, un peu mièvre. Il doit sa meilleure veine au groupe des Zutiques, qui l'ont dévergondé. Fantin-Latour l'a placé à côté de Rimbaud dans son Coin de table (1872).
Verlaine, Paul (1844-1896). Né à Metz, fils de Nicolas Auguste Verlaine, militaire de carrière, qui démissionne en 1851 pour déménager à Paris. Il effectue des études honnêtes (institution Landry et lycée Bonaparte) jusqu'en classe de quatrième, où il se désintéresse de l'école et se réfugie dans la composition de vers. Le 12 décembre 1858, il envoie à Victor Hugo, alors en exil, la pièce « La Mort ». Entré en classe de rhétorique (octobre 1861), il obtient le baccalauréat ès lettres en août 1862 et s'inscrit à l'École de droit, qu'il ne fréquente pas. Un certain Darcet, ami de son père, le tire de l'oisiveté en lui faisant intégrer, en mai 1863, le bureau d'assurances L'Aigle et le Soleil réunis. En 1864, il devient expéditionnaire à la mairie du IXe arrondissement, avant d'être attaché au bureau des budgets et comptes de l'Hôtel de Ville. Auparavant, en août 1863, il a publié « Monsieur Prudhomme » dans la Revue du progrès de Louis Xavier de Ricard. Il contribue ensuite à la revue L'Art, rencontre Leconte de Lisle, Théodore de Banville, José Maria de Heredia et François Coppée. Celui-ci deviendra son ami et le présentera aux frères Cros. En 1866, il publie son premier recueil, Poëmes saturniens, qui flirte avec le romantisme, et il offre huit textes au Parnasse contemporain, revue-anthologie imaginée par l'éditeur Alphonse Lemerre et dont la première livraison est dirigée par Catulle Mendès et Ricard. Après Les Amies (1867), plaquette saphique publiée sous le pseudonyme de Pablo de Herlagnez, il fait paraître Fêtes galantes (1869), recueil construit comme le pendant littéraire fantaisiste des peintures de Watteau. En 1870, il épouse Mathilde Mauté, demi-sœur de son ami Charles de Sivry à laquelle sont adressés les poèmes de La Bonne Chanson, composés entre 1869 et 1870 mais publiés en 1872. La chute du régime impérial et, surtout, l'épisode de la Commune suscitent son opposition à plusieurs membres du Parnasse, parmi lesquels Leconte de Lisle, dont on apprend qu'il bénéficiait d'une pension impériale. Il sera toutefois au sommaire de la deuxième série du Parnasse contemporain, prête en 1869 mais qui, en raison des événements politiques, ne sera terminée qu'en 1871. Après la Commune, craignant la répression, il trouve refuge dans sa famille, du côté de Fampoux (Pas-de-Calais). En septembre 1871, il accueille chez ses beaux-parents Arthur Rimbaud qui lui a envoyé certaines de ses compositions. Les frasques du jeune homme le contraignent rapidement à lui trouver un autre domicile, mais il demeure son parrain au sein du milieu littéraire. Devenu son amant, il abandonne sa femme pour l'accompagner, de juillet 1872 à juillet 1873, sur les routes de Belgique puis à Londres. L'épilogue est bien connu : le 10 juillet 1873, à Bruxelles, il blesse son compagnon d'un coup de revolver, et sera incarcéré deux années à la prison de Mons. Durant sa captivité, Lepelletier publie Romances sans paroles (1874), recueil divisé en quatre parties qui avait été composé pendant la période bohème avec Rimbaud. À sa libération, Verlaine retrouve ce dernier à Stuttgart et hérite des feuillets des Illuminations. La même année, il est exclu de la troisième livraison du Parnasse contemporain. Commence alors une vie livrée à l'errance, à l'alcool et à la déréliction : il publiera encore, parmi d'autres œuvres, Sagesse (1880), Jadis et Naguère (1884) et Parallèlement (1889). Des disciples fidèles l'entoureront, même lors de ses séjours à l'hôpital, jusqu'à sa mort, en incarnant une malédiction littéraire qu'il a lui-même décrite (Les Poètes maudits, 1884 et 1888).
Villard, Nina de (Gaillard, Nina, épouse Callias ; 1843-1884). Fille d'un riche avocat de Lyon, elle se marie à vingt et un ans avec Hector Callias, homme de lettres et journaliste. Trois ans plus tard, le couple se sépare ; Nina conserve son titre de comtesse, mais remplace le nom de son mari par celui de sa mère, Ursule Émilie Villard. Éprise de vie mondaine, elle ouvre en 1866 son salon à de nombreux artistes et écrivains hostiles à l'Empire, dans sa maison, 17, rue Chaptal. Elle y rencontre Charles Cros qui devient son amant. Après la Commune, pour laquelle elle ne cache pas ses sympathies, elle séjourne à Genève puis revient à Paris où elle ouvre un nouveau salon, tout aussi brillant, dans un petit hôtel particulier, 82, rue des Moines, quartier excentré que dessert la ligne d'omnibus Odéon-Clichy-Batignolles. Charles Cros lui dédie Le Coffret de santal (1873) où il inscrit en dédicace : « Sauf quelques fleurs sèches, il n'a/ Rien qui ne soit à toi, Nina. » À l'instigation de Cros, elle participe à la rédaction des Dixains réalistes (1876), avant de rompre l'année suivante avec lui. Tenant, en compagnie de sa mère, une table ouverte à tous, excellente pianiste, passionnée de fêtes et de spectacles, elle n'a cessé durant une vingtaine d'années de réunir une bohème à laquelle ont notamment participé Verlaine, Catulle Mendès, Villiers de l'Isle-Adam, François Coppée, Anatole France, Stéphane Mallarmé, Maurice Rollinat. Son personnage a inspiré plusieurs romanciers dont Catulle Mendès (La Maison de la vieille, 1894), ainsi que les médisances : elle a été accusée de « toutes les débauches de la pensée, […] toutes les clowneries de la parole » et de remuer « les paradoxes les plus crânes et les esthétiques les plus subversives » (Goncourt, Journal, 18 mars 1886). Immortalisée par le portrait japonisant qu'a brossé d'elle Édouard Manet, La Dame aux éventails, elle a été une Muse inspiratrice mais aussi un auteur. Poète, elle a collaboré au deuxième Parnasse contemporain (« La Jalousie du jeune dieu », « Tristan et Iseult ») ; femme de théâtre, elle a publié plusieurs pochades destinées à la scène : « L'Accordeur », « Les Adieux de la petite diva », « Le Clown », « Le Gommeux devant un conseil de famille » (Saynètes et monologues, Tresse, à partir de 1877). Au lendemain de sa disparition, ses écrits sont réunis dans Feuillets parisiens, qui comptent notamment douze dixains dont neuf proviennent des Dixains réalistes. Avec panache, elle a signé son « Testament » :
Je ne veux pas que l'on m'enterre,
Dans un cimetière triste ;
Je veux être dans une serre,
Et qu'il y vienne des artistes.