Le désordre qu’avait fait Elodie à l’extérieur n’était rien en comparaison de ce que je découvris dans la maison. Je n’aurais pas cru que ce pouvait être pire que la veille, mais Nick et son équipe avaient fouillé chaque boîte — sans se préoccuper d’organiser ce qu’ils sortaient.
L’équipe de Nick avait confisqué la valise dans laquelle on avait retrouvé Patrice, mais à cause du temps qui s’était écoulé entre sa disparition et la découverte de son corps, il y avait peu d’espoir qu’on puisse encore trouver des preuves.
— Ve semblait se sentir un peu mieux quand je l’ai quittée plus tôt, dit Mme P. Ma présence lui a peut-être remonté le moral.
— Ou vous avez tellement fait peur au virus qu’il est sorti de son corps, plaisanta Evan.
Il était venu aider au nettoyage. Contrairement à Harper et Starla, il avait des employés pour garder sa boutique en son absence.
Mme P ricana et lui donna une solide poussée.
— Oh, vous. C’était probablement la soupe. Elle a des pouvoirs de guérison.
— Vraiment ?
J’espérai ne pas paraître naïve. C’était difficile de savoir ce qui était magique dans ce village et ce qui ne l’était pas.
Elle cligna des yeux.
— Ou peut-être était-ce la bouteille de vodka que j’ai aussi apportée.
Je poussai une boîte de côté pour faire place à une autre.
— Vous avez soûlé Ve ? lui dis-je, indignée.
— Juste un peu pompette.
Elle triait une pile de vêtements.
— Juste assez pour lui faire oublier à quel point elle se sentait mal.
— Jusqu’au lendemain, quand elle se réveillera avec la gueule de bois, dit Evan.
Il aurait été mortifié de savoir que sa chevelure blond-roux chatoyait de poussière.
Il me faudrait bourrer Ve d’autant d’ibuprofène qu’elle pourrait en prendre.
— Jusque-là, dit Mme P, il y a aujourd’hui. Au moment où je l’ai quittée, on aurait dit que l’ancienne Ve était de retour.
— En pleine forme, dis-je, en pensant à Sylar et Dorothy dans leur étreinte torride.
Mme P fit claquer ses doigts.
— Exactement.
Le mariage de Ve et de Sylar devait avoir lieu dimanche après-midi. La cérémonie devait avoir lieu sur la place du village (les Pierres vagabondes seraient alors parties), devant tous les amis et membres de la famille de Sylar et de Ve.
Simplement à y penser, j’avais mal à l’estomac. Serait-ce une grosse erreur pour Ve de dire « Je le veux » ?
Je devais concéder que je n’éprouvais pas beaucoup d’affection pour Sylar. C’était un homme gentil, mais je n’étais pas certaine qu’il convienne à Ve. D’après ce que j’avais vu au cours des derniers mois, elle avait beaucoup plus investi que lui dans cette relation. Il prenait beaucoup, mais donnait peu.
J’avais connu une relation similaire qui avait mal tourné.
Mais je devais garder mes sentiments pour moi-même. Ve était heureuse, et c’était tout ce qui comptait.
Elle était heureuse, n’est-ce pas ?
Alors que je faisais un autre voyage à l’extérieur pour ramasser une brassée de bric-à-brac, je songeai à ce que Cherise avait dit la veille. La maladie de Ve était-elle une manifestation psychologique de ses doutes sur son éventuel mariage avec Sylar ? Si la vodka pouvait guérir ses maux, même temporairement, ça semblait probable.
À ce stade, je voulais y croire.
Les autres choix n’étaient pas tellement extraordinaires.
Soit le sort d’adjuration d’un autre artisan avait contrecarré le sort de guérison de Cherise, soit quelque chose de maléfique était à l’œuvre.
Les problèmes d’ordre mental n’avaient jamais paru si simples.
Peu importe, j’étais heureuse que Ve se sente un peu mieux. Elle aurait besoin d’être forte lorsqu’elle découvrirait ce qui se passait avec Dorothy.
Et je devais lui en parler. N’est-ce pas ?
J’étais en train de débattre la question lorsque je captai un éclair orange dans les buissons. En me penchant, je fis des bruits de baisers vers le chat tigré et je m’approchai à pas de canard. Les yeux dorés du chat me regardaient avec méfiance. Il ne portait pas de collier et me fixait intensément. Tout à coup, il partit comme un éclair et disparut derrière la maison. S’il s’agissait d’un animal errant, il vivait évidemment dans les parages. Et si c’était un esprit familier, il voulait qu’on le laisse tranquille.
Alors que j’apportais une autre boîte à l’intérieur, je songeai à nouveau à Ve et je décidai d’aller chercher des conseils auprès de mes amis.
— Hypothétiquement, si vous connaissiez un secret qui pourrait blesser quelqu’un, mais que vous aviez l’impression que cette personne devrait savoir ce qui se passe si elle est touchée, lui en parleriez-vous ?
— Oui, dit Evan.
— Non.
Les cheveux fous de Mme P ne remuèrent pas lorsqu’elle hocha la tête.
Je regardai de l’un à l’autre.
— Quel genre de secret ? demanda Evan, remuant ses sourcils. Que sais-tu à propos de qui ? Raconte !
— Hypothétiquement, dis-je.
— Ouais, bien sûr.
Il jeta un paquet de vieux journaux dans un sac à poubelle noir.
— Je dis qu’il vaut mieux ne pas s’en mêler, dit Mme P. Les chances d’être coincée entre les feux croisés sont trop grandes. Laissez les gens impliqués régler eux-mêmes le problème.
Je me mordis la lèvre.
— Et si je disais que j’ai vu une certaine assistante d’optométriste embrasser un certain optométriste derrière sa boutique juste quelques jours avant son mariage ?
— Oh mon Dieu, cria Mme P. Vous devez le dire à Ve !
— Attends, attends.
Evan leva les mains.
— Sommes-nous toujours dans les hypothèses ?
Je lui lançai un regard foudroyant.
Il sourit, ravi de ce brin de commérage.
— Es-tu en train de dire que Dorothy Hansel a embrassé Sylar ?
Je hochai la tête, souhaitant pouvoir bannir l’image de mon esprit.
— Est-ce Sylar qui a pris l’initiative ? demanda Evan.
— Pas vraiment. Mais il ne l’a pas exactement repoussée.
Mme P se mit à ricaner. Elle avait une tache de rouge à lèvres rouge vif sur sa dent.
— Oh, ma chérie, c’est un homme, après tout.
Evan fronça les sourcils.
— Alors, je ne crois pas que tu devrais en parler à Ve. Du moins, pas encore. Il me semble que Dorothy essaie seulement de semer le trouble. Elle a le béguin pour Sylar depuis des années. Elle souhaite probablement désespérément empêcher le mariage.
— Pensez-vous que Sylar a un faible pour elle ? demandai-je en ramassant un mouton de poussière sur l’épaule d’Evan.
Les deux hochèrent la tête.
— Si c’était le cas, dit Mme P, il aurait eu amplement le temps d’agir avant. Je crois qu’il la considère simplement comme une bonne amie.
— Alors, il ne faut pas en parler à Ve ? demandai-je.
— Attendez une journée ou deux, conseilla Mme P. Vous pourriez être surprise de découvrir que la situation s’arrange d’elle-même. Ve et Sylar seront mariés dimanche, comme prévu.
Evan me regarda en plissant les yeux.
— Ça ne semble pas te rendre heureuse.
— C’est juste que…
Je soupesai la boîte dans le but de la placer au sommet d’une pile qui continuait de s’élever. Mon téléphone portable se mit à sonner, ce qui m’interrompit. C’était Ve — en parlant du diable.
— Ma chérie, dit-elle. Sylar vient de me téléphoner. Il a trouvé un sac avec une agate ronde juste derrière sa boutique et il croit qu’elle pourrait t’appartenir. Je pense qu’il a peut-être raison.
Je fis la grimace. J’avais dû accidentellement laisser mon sac Upala derrière les poubelles. Sylar avait-il compris que je l’avais espionné ?
— Je ne m’étais même pas rendu compte que je l’avais égaré. J’ai presque terminé mon travail chez Patrice pour aujourd’hui. Je vais plier bagage et me rendre à sa boutique pour le prendre ; et je serai bientôt à la maison.
— Je serai ici, dit Ve d’un ton arrogant, comme si elle n’avait aucun souci au monde.
Quelle quantité de vodka avait-elle consommée ?
Je raccrochai.
— Je crois que nous devrions nous arrêter pour la journée.
Le désordre sur la pelouse avait été nettoyé, maintenant transféré à l’intérieur de la maison, où il se mêlait au reste de l’encombrement. Elodie m’avait donné entière liberté pour aller et venir à ma guise. Même après tout ce qui s’était passé, elle voulait toujours que la maison soit nettoyée le plus tôt possible. Je poussai quelques boîtes de côté.
— Je dois aller chercher mon agate sphérique que j’ai accidentellement laissée derrière la boutique de Sylar. Apparemment, il l’a trouvée.
— Tu vas retourner là-bas ? demanda Evan.
— Il le faut. J’ai besoin de la sphère pour un sort de protection pour Ve.
— Contre le voyeur ? demanda Mme P.
Je leur avais raconté ce qui était arrivé ce matin.
— Hé bien, dit Evan avec un sourire. Tu pourrais la prêter à Dorothy.
— Pourquoi ? demandai-je.
— Parce que, dit-il, en levant un sourcil amusé, quand Ve découvrira ce qu’a fait Dorothy, elle aura besoin de toute la protection possible.