Chapitre 22

— Est-ce que je suis dans le pétrin ? demanda Mimi pendant qu’Higgins me traînait à travers la place du village.

Nous étions maintenant en route vers Comme vous le souhaitez après être passées chez elle pour lui préparer un sac de voyage.

— Es-tu fâchée contre moi ?

Les tentes des Pierres vagabondes paraissaient sinistres dans le crépuscule. Je tirai sur Higgins pour l’immobiliser et je m’arrêtai pour examiner le visage de Mimi.

— Pourquoi serais-je en colère contre toi ?

Elle haussa délicatement une épaule.

— Tu m’avais avertie à propos du journal.

C’était vrai, mais ce n’était pas le moment pour lui servir un « Je te l’avais dit ». Il était parfois nécessaire d’apprendre par soi-même les leçons les plus difficiles. Nous recommençâmes à marcher.

— Non, je ne suis pas fâchée.

Préoccupée était plus près de la vérité.

— S’il a lu quoi que ce soit, je ne crois pas que ce soit beaucoup.

Pendant les quelques secondes où il avait feuilleté le journal, il n’avait pu voir grand-chose. Mais quand même. S’il avait vu n’importe quel renseignement sur l’art des sortilèges, c’était trop. Mais Mimi n’avait pas besoin d’entendre mes inquiétudes en ce moment.

Missy trottait entre nous. Le ciel s’était assombri, mais la nuit était claire et les étoiles étincelaient. Harper et Mme P avaient relevé le défi de surveiller Vince. Mme P avait été plus qu’enthousiaste au sujet de la surveillance. Allant même à l’extrême, elle courut (de la marche rapide, en fait) jusqu’à la Chaumière des lutins, où elle habitait, afin de changer son survêtement rose pour un noir.

Elle et Harper étaient deux petits pois dans une cosse.

— Mais maintenant plus que jamais, prévins-je Mimi, tu dois particulièrement garder un œil sur ce journal. Trouver un endroit pour le cacher.

— Mais si le voyeur entre par effraction et le trouve ?

Elle marquait un point avec cette question. Si Vince était le voyeur et qu’il venait de jeter un coup d’œil à ce journal, il n’allait pas reculer jusqu’à ce qu’il réussisse à mettre à nouveau la main sur lui.

— Nous devons nous assurer de trouver une très bonne cachette.

— Mais où ? demanda-t-elle.

Je poussai la porte arrière de la clôture et je vis qu’Archie n’était pas dans sa cage. Je jetai un coup d’œil sur la maison de Terry, et je remarquai qu’un rideau venait de bouger. Quelqu’un — Terry ? — était en train de surveiller.

— Mettons ça de côté pour ce soir, et nous prendrons une décision demain.

— D’accord.

Missy et Higgins entrèrent en bondissant dans la maison, et j’entendis un cri qui provenait de la salle familiale.

— Oh, l’indignité ! Éloignez-le de moi. Éloignez. Le. De. Moi !

Les boucles de Mimi rebondissaient pendant qu’elle pourchassait Higgins. Je me précipitai dans la mêlée. Dans la salle familiale, je découvris Survivor à la télévision, Tilda au sommet d’une étagère, Ve qui riait, Mimi qui tirait sur le collier d’Higgins, Missy qui tournait en cercles, et des plumes rouges qui sortaient d’en dessous de la fourrure d’Higgins.

— Dites-moi que ce n’est pas de la bave ! brailla Archie d’une voix aiguë d’en dessous du chien.

Je tirai Higgins en arrière, lui lançai un regard sévère et un pzzt ! Il abandonna son nouveau jouet criard et se dirigea vers Ve. Il monta sur le canapé à côté d’elle et posa sa tête sur ses genoux.

Harper avait peut-être découvert une bonne technique avec le pzzt.

Ve s’essuyait les yeux en même temps qu’elle se mouchait.

— Ce n’est pas amusant, Velma, reprocha Archie.

— De mon point de vue, ce l’était, répliqua Ve, qui paraissait complètement congestionnée.

Son nez, la zone autour de ses yeux et ses joues montraient différentes nuances de rouge qui contrastaient fortement avec ses cheveux cuivrés.

Malgré sa bonne humeur évidente, elle avait l’air « mal en point », comme dirait Harper. Rien à voir avec son apparence habituellement présentable. J’aurais voulu pouvoir faire quelque chose pour améliorer son état ; je détestais la voir souffrir ainsi.

Si seulement je pouvais exaucer mes propres souhaits. Ou si j’avais trouvé l’Anicula…

Étendu sur le dos, ses ailes déployées, ses petites pattes en l’air, Archie me regardait d’un air triste.

— Dites-le-moi, dit-il d’un ton dramatique.

— C’est de la bave, répondis-je, alors que je la voyais suinter de ses plumes et glisser sur le plancher.

Il gémit.

— Ayez pitié de ma souffrance.

— Mimi, dis-je, va me chercher des serviettes en papier dans la cuisine, s’il te plaît.

— Laissez-moi mourir, dit Archie. Je me sens violé.

En un clin d’œil, Mimi fut de retour. Je me servis des serviettes de papier pour essuyer les plumes d’Archie.

Il se mit à rire.

— Pas là. Ça chatouille.

Je levai les yeux au ciel.

— Tout est terminé.

De manière très disgracieuse, il se releva du sol et examina les dommages causés à son plumage.

— Il faut que je prenne un bain. Immédiatement. Je rentre à la maison.

Il se pencha et fit un salut.

— Adieu, Mesdames.

Il vola jusqu’au vestiaire, se percha sur un crochet de manteau et attendit que je le rattrape.

Je m’assurai de garder la porte arrière fermée, de sorte que si quelqu’un se cachait à l’extérieur, il ne pourrait pas nous voir parler.

— Merci d’avoir gardé un œil sur Ve.

— Je devrais obtenir une prime de risque, dit-il. De la bave. Je ne m’en remettrai jamais.

Je m’appuyai contre le mur.

— Nommez votre prix, dis-je.

Habituellement, ses marchés étaient assez abordables.

— Il n’y a pas de prix pour compenser le coût de mon orgueil blessé.

— Un marathon James Bond ? tentai-je.

Il se crispa.

— Vous pensez vraiment que je vaux si peu ?

— Plus un spectacle de karaoké d’une pièce de Broadway. Voilà mon offre finale.

Il réfléchit un instant.

— Marché conclu.

— Juste pour que vous le sachiez, j’aurais accepté le marathon James Bond. Ce Sean Connery me fait frémir jusqu’à la moelle des os.

Il fit gonfler ses ailes.

J’ouvris la porte arrière.

— Vous êtes un drôle d’oiseau.

— Darcy chérie, vous n’avez aucune idée. Velma, faites-moi savoir si ce voyou trouve l’idole d’immunité ! cria-t-il.

— Je le ferai, cria-t-elle à son tour, mais sa voix était rauque.

— Avez-vous regardé Survivor toute la journée ?

— Non, dit-il. Pendant un certain temps, nous avons regardé un marathon de Real Housewives of New York City. Ces femmes sont fantastiques. Oh !

— Ouais ?

— Ve a eu un visiteur.

— Ah oui ? Qui ?

— Sylar.

Archie se pencha et baissa la voix.

— Entre nous, elle ne paraissait pas trop contente de ce qu’il lui disait.

— Avez-vous entendu ce qu’ils disaient ?

— M’accusez-vous d’être indiscret ? Je suis offensé.

— Archie.

— Quelque chose à propos de Dorothy Hansel.

Il cligna des yeux.

— Quelle gribiche !

À qui le dites-vous !

— Mais je n’ai pas entendu toute la conversation, parce que j’étais caché sous le canapé.

Il aurait été difficile pour Ve d’expliquer à Sylar, un mortel, pourquoi l’ara macao de son voisin regardait un marathon de Survivor en sa compagnie.

— Compréhensible.

— Vous feriez bien de lui poser des questions là-dessus.

Il salua de nouveau.

— Appelez-moi si vous avez besoin de quoi que ce soit.

Sur ces mots, il s’envola dans la nuit.

Je fermai et verrouillai la porte derrière lui.

Lorsque j’entrai dans la salle familiale, le son de la télévision était coupé et Mimi était en train d’expliquer ce qui s’était passé avec le journal.

Je m’assis dans la causeuse et je bâillai. La journée avait été longue. Et elle n’était pas encore terminée, car il nous fallait jeter le sort de protection à minuit. L’agate sphérique était posée sur la table basse, et en la voyant, je pensai à Andreus Woodshall et à ce qu’il m’avait dit à propos d’Elodie.

Je ne savais plus à qui faire confiance.

Pour une raison quelconque, mon instinct me suggérait de le croire. Mais dans ce cas, cela signifiait qu’Elodie me mentait. Et si elle me mentait, est-ce que ça voulait dire qu’elle en savait plus qu’elle ne voulait le laisser voir au sujet du meurtre de sa mère ? Je n’aimais pas y penser, mais je ne pus empêcher mes idées de vagabonder en songeant à la dispute avec sa mère peu de temps avant sa mort.

Mais… mais si Elodie avait quelque chose à voir avec le meurtre de Patrice, pourquoi m’aurait-elle embauchée pour que je cherche à savoir ce qui était arrivé à sa mère ?

Cette partie n’avait aucun sens, à moins qu’elle soit innocente.

Ou qu’elle soit en train de m’utiliser.

Je n’aimais pas non plus cette idée.

— On dirait qu’une rencontre avec l’Ancienne s‘impose, disait Ve. Elle saura ce qu’il faut faire avec quelqu’un comme Vincent Paxton.

Tilda sauta en bas de l’étagère en angle puis sur le dos du canapé. Elle regarda Higgins comme si elle essayait d’imaginer un moyen de le déplacer de sa place habituelle à côté de Ve.

Bonne chance ! Higgins ronflait.

Assise, Mimi serrait le journal de sa mère.

— À quoi ressemble l’Ancienne ?

— Elle est très gentille, dit Ve en même temps que je disais :

— Elle est effrayante.

Mimi écarquilla les yeux, et Ve me lança un regard cinglant.

— Quoi ? dis-je. Elle l’est. De manière bienveillante, bien sûr. Elle est gentille et sage et elle me fout les jetons.

— À quoi ressemble-t-elle ?

Mimi bâilla en ouvrant sa bouche si grande que sa petite main ne put la couvrir. Je me demandai à quelle heure elle se couchait normalement. Il n’était maintenant que 21 h.

— En fait, je ne l’ai jamais vue. Je l’ai seulement entendue. Elle se cache dans un arbre.

Je lui expliquai mes rencontres avec l’Ancienne.

— Tu l’as vue ? demandai-je à Ve.

— Bien sûr.

Elle bâilla et caressa la tête d’Higgins.

Mimi et moi la regardâmes fixement, priant silencieusement pour obtenir plus de renseignements.

Ve sourit.

— Elle est très belle.

Ce qui ne me disait rien. Ve croyait que toutes les femmes étaient belles.

— Tu ne vas pas nous dire quoi que ce soit à son sujet, n’est-ce pas ? demandai-je.

— Absolument rien. Ce n’est pas à moi d’en parler. Vous apprendrez ce qu’il faut quand le moment sera venu.

— Oh, gémit Mimi.

— Oh, répétai-je.

Ve serra son châle autour de ses épaules.

Tilda s’avança le long du bord du canapé, ses oreilles étaient baissées vers l’arrière alors qu’elle regardait fixement le mammouth de chien sur son canapé. Je sentais que ses griffes feraient bientôt leur apparition.

— Nous devrions t’installer à l’étage, dis-je, après que Mimi ait bâillé à nouveau.

Après, je poserais des questions à Ve sur la visite de Sylar et sur ce qu’il avait dit au sujet de Dorothy.

Lorsque je me levai, je captai une odeur bizarre.

— Sentez-vous ça ? dis-je en reniflant.

Ve sourit faiblement.

— Je ne peux pas sentir quoi que ce soit.

Missy avait bougé de sa place sur la causeuse. Sa fourrure se dressa et elle grogna faiblement.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Mimi, reniflant l’air comme un limier.

Je me précipitai dans la cuisine. L’odeur était plus forte ici et beaucoup plus identifiable.

De la fumée.

Je me dirigeai vers l’évier de la cuisine, soulevai le store, et jetai un coup d’œil à l’extérieur.

— Au feu ! criai-je, en même temps que je sentais la panique monter en moi.

Je ne voyais pas les flammes — seulement la lueur orange. Elle vacillait autour de la fondation de la maison. Je retournai dans le salon pour constater que Ve était debout et qu’elle tenait une Tilda inhabituellement calme. Mimi tenait Higgins et Missy en laisse.

— Sortez par la porte avant et appelez le 911, dis-je. Je vais prendre l’extincteur et voir si je peux arrêter la propagation du feu.

Aucune d’elles ne discuta avec moi. Pendant qu’elles se hâtaient de sortir, je repérai le journal de Melina Sawyer déposé sur la table basse. Je hochai la tête et je le pris et le glissai dans ma ceinture. Pas question que je le laisse sans surveillance.

Dans le garde-manger de la cuisine, j’attrapai l’extincteur que nous gardions en cas d’urgence et je sortis précipitamment par la porte arrière.

L’air était âcre et enfumé, et je toussai en tournant le coin, prête à lutter contre les flammes, mais je me heurtai à quelqu’un qui était déjà en train d’éteindre le feu.

Des sirènes hurlèrent au loin alors que l’homme de grande taille se retournait et agitait une main devant son visage pour assainir l’air.

Je clignai les yeux de surprise, certaine d’être en train d’imaginer des choses.

Lorsque je me frottai les yeux, l’apparition n’avait pas disparu.

— C’est agréable d’enfin vous rencontrer, Darcy, dit-il avec un accent que je ne pouvais pas tout à fait replacer. « Malgré que — il sourit — les circonstances auraient pu être meilleures. Je me suis précipité dès que j’ai aperçu les flammes. »

Peut-être avais-je respiré trop de fumée. Je reculai, je respirai profondément, et je me frottai à nouveau les yeux.

L’image ne changea pas.

Elvis était dans ma cour, vêtu d’une veste de soirée sophistiquée, agrémentée d’un carré de poche, de pantalons de satin ajustés, et de pantoufles, et il tenait un extincteur.