Chapitre 23

Compte tenu de l’incendie, nous emballâmes tous les éléments indispensables (le rouge à lèvres de Ve, la nourriture de chat et de chien, ma réserve de Peppermint Patties) et nous quittâmes la maison.

J’aurais prévenu Harper de notre arrivée, mais elle ne répondait pas à son téléphone cellulaire. Elle était probablement encore en train de surveiller Vince — ce qui devait l’avoir emmenée hors du village, car entre les forces de police et le service d’incendie à notre porte, il n’était pas possible de ne pas remarquer qu’il était arrivé quelque chose d’important à Comme vous le souhaitez. On aurait dit que chaque villageois avait élu domicile sur le trottoir devant la maison.

À présent, une heure après l’extinction de l’incendie, tout le monde s’était dispersé à l’exception de Nick et du chef des pompiers. Ve, Mimi, Higgins, Missy, Tilda et moi traversions la place du village vers la Librairie envoûtée en traînant deux valises à roulettes derrière notre petit groupe découragé.

Nick, pauvre Nick, avait dit qu’il passerait nous voir après son enquête préliminaire, mais il avait convenu qu’il était préférable que nous ne couchions pas à la maison ce soir.

— Tu aurais pu m’avertir, dis-je à Ve.

— Comment exactement ?

Elle essuya son nez avec un mouchoir blanc.

— Ce n’est pas exactement quelque chose dont on peut prévenir quelqu’un. Tu dois en faire toi-même l’expérience.

— Un simple « Terry Goodwin est le portrait craché d’Elvis » aurait suffi.

Et merde s’il ne l’était pas. D’accord, oui, un Elvis qui avait vieilli gracieusement (pas la version potelée des années 1970), mais néanmoins un Elvis, jusqu’au rictus de sa lèvre supérieure.

Je comprenais maintenant pourquoi c’était un solitaire. Avec son apparence, il serait assailli par les chasseurs de curiosités partout où il irait.

— Qui est Elvis ? demanda Mimi.

Nous nous arrêtâmes toutes les deux et nous la regardâmes fixement.

— Tu n’es pas sérieuse, dis-je.

Ses yeux écarquillés montraient qu’elle ne comprenait pas.

— Oh, cher Seigneur, dit Ve. Je me sens vieille. Ancienne. Y a-t-il de la mousse qui pousse sur moi ?

Les rabats des tentes des Pierres vagabondes faisaient à nouveau des bruits étranges qui me donnaient la chair de poule.

— Non, et continue de faire bouger ces vieux os.

Plus tôt nous serions installées dans l’appartement d’Harper au-dessus de la librairie, mieux je me sentirais.

— Il nous faudra inscrire Mimi au fan-club d’Elvis, voilà tout, dis-je, dès que notre petite caravane se mit de nouveau à avancer.

Jamais entendu parler d’Elvis… C’était antiaméricain, même pour une fillette de 12 ans.

— Devrions-nous commencer par les films ou par la musique ?

Ve sourit.

— Je me paierais bien un petit Sous le ciel bleu d’Hawaï, en ce moment.

C’était une façon parfaite de nous distraire du fait que quelqu’un avait essayé d’incendier notre maison.

Pendant que nous étions à l’intérieur.

Non, pas quelqu’un.

Dorothy.

Ce devait être elle. Après tout, elle était connue comme pyromane. Godfrey pourrait en témoigner. De plus, elle était sérieusement en colère contre moi. Ce petit incendie était probablement un autre avertissement pour moi, d’autant plus que le chef des pompiers avait expliqué qu’il avait été allumé de façon à rester dans le jardin sans se propager à la maison.

Intérieurement, je bouillonnais. Je ne me sentais pas mieux après les explications du chef. Mimi était à l’intérieur de la maison. Si le vent avait tourné ou qu’une étincelle avait sauté…, qui sait comment ça aurait pu tourner.

La maman ourse en moi voulait secouer Dorothy jusqu’à ce que les dents lui sortent de la bouche.

À force de serrer les dents, j’avais mal à la mâchoire, et je m’efforçai de lâcher prise alors que nous traversions la rue et que nous déambulions dans la ruelle derrière les boutiques.

Mes pensées se bousculaient dans ma tête, concoctaient des scénarios. Ce geste de Dorothy ne demeurerait pas impuni.

Son avertissement enflammé se retournait contre elle. Il ne m’effrayait pas. Il me provoquait.

Avec un bruit de ferraille, nous arrivâmes à la porte arrière de l’appartement d’Harper. Heureusement, j’avais une clé de rechange. Comme je glissais sa clé dans la serrure, je fus surprise d’entendre des voix au sommet des marches.

— Lentement, lentement ! Doucement, disait Harper assez fort pour être entendue par-dessus la musique qui jouait (les Beatles).

J’ouvris la porte et Higgins bondit devant moi, montant les marches au galop, avec sa queue qui remuait à plein régime. Soudain, j’eus le cœur brisé pour lui alors que je me souvins que c’était l’endroit où il habitait autrefois. Lui et son ancienne propriétaire résidaient dans cet appartement avant qu’une affaire de meurtre ne bouleverse leur univers. Nick et Mimi avaient adopté Higgins et lui avaient donné une nouvelle demeure, mais il était évident qu’il se souvenait encore de son ancienne maison.

— Que dia…, cria un homme.

Puis, il y eut un grand fracas et un cri d’Harper.

Je me précipitai dans les escaliers étroits pour trouver Marcus à plat sur le dos sous une étagère.

Pzzt ! Pzzt ! criait Harper à Higgins, qui dévalait à travers l’appartement.

Sa queue renversa une lampe et la bouteille de vin sur la table. Harper laissa échapper un petit cri alors que du rouge suintait sur le tapis.

Missy bondit dans la pièce et commença à japper. Mimi apparut à côté de moi, en transportant une Tilda qui sifflait à l’intérieur d’une caisse de transport pour chat. Ve arriva derrière elle, sa respiration sifflante.

— Chérie, dis-je, nous sommes à la maison !

Harper serra ses petits poings.

— Qu’est-ce qui se passe ? cria-t-elle.

Elle passa par-dessus la station d’accueil de son iPod et éteignit la musique.

Soudain, à part le halètement de Ve, celui de Higgins et le sifflement de Tilda, tout devint mortellement silencieux. Je me penchai à côté de Marcus.

— Ça va ?

— Croyez-vous que vous pouvez enlever cette étagère d’au-dessus de moi ? demanda-t-il, le teint pâle.

Mimi m’aida à soulever la lourde étagère de chêne, qui ne paraissait pas trop mal en point ; mais je ne pouvais pas dire la même chose de Marcus.

— Ça va laisser des marques, dit Mimi d’un air sérieux.

Il se redressa et examina les dégâts. Des ecchymoses commençaient déjà à se former sur sa mâchoire et sur sa joue.

— Ça va, dit-il.

Harper se laissa tomber à côté de lui et prit son visage entre ses mains pour l’examiner de près.

Ce qui ne semblait nullement le déranger.

En fait, lorsqu’elle se leva précipitamment pour aller lui chercher un sac de glace, il agita ses sourcils vers moi.

— Bien synchronisé, murmura-t-il.

Ouais. Il allait bien.

Harper revint avec quelques glaçons enveloppés dans un gant de toilette. Doucement, elle appliqua la compresse sur sa joue.

— Regardez ce que vous avez tous fait. Pourquoi êtes-vous ici ? Vous n’avez jamais entendu parler du téléphone ?

J’ouvris la porte de la cage de Tilda pour la libérer et elle refusa de sortir.

— J’ai téléphoné. Tu n’as pas répondu.

Harper fronça les sourcils et jeta un coup d’œil vers son téléphone cellulaire sur la table à café. Près de deux verres à vin.

Je levai un sourcil et je lui fis un sourire en coin.

Elle me lança un regard meurtrier.

— Marcus m’a très gentiment offert de venir m’aider à déplacer des objets lourds.

— Je vois ça, dis-je.

Ve se mit à rire alors qu’elle roulait sa valise dans l’appartement et se laissait tomber sur le canapé. Missy sauta à côté d’elle et Mimi s’assit de l’autre côté.

Marcus jeta un coup d’œil sur les valises.

— Vous restez ?

Son ton montrait assez clairement que nous avions interrompu ses plans pour la nuit.

— Nous emménageons, dit Mimi.

— Vous quoi ? cria Harper.

— Seulement temporairement, jusqu’à ce que nous puissions jeter ce sort de protection, dit Ve.

— Et que l’inspecteur d’incendie criminel termine son rapport, ajoutai-je.

Je me dirigeai vers la cuisine pour chercher quelque chose qui enlèverait les taches de vin rouge sur le tapis.

— Incendie criminel ? demanda Harper, la voix aiguë.

— Quelqu’un a essayé de mettre le feu à Comme vous le souhaitez, dit nonchalamment Mimi alors qu’elle vérifiait son téléphone cellulaire pour ses messages texte. Tu n’as pas entendu les sirènes ?

Harper perdit toutes ses couleurs et semblait vraiment au bord d’une crise de nerfs ; alors j’eus pitié d’elle et je lui expliquai tout.

— Le temps que je sorte à l’extérieur, dis-je pour terminer, Terry Goodwin avait déjà éteint les flammes.

— Tu as finalement rencontré Terry ? Comment est-il ? demanda Harper.

— Très genre Jailhouse Rock.

Marcus se mit à rire, puis s’arrêta brusquement et pressa de la glace plus près de sa joue.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda Harper.

— Il faut que tu le voies par toi-même, dis-je.

— Ha ! s’exclama Ve. Je te l’avais dit.

Je tamponnai le tapis avec un chiffon humide et je me mis à rire. Elle avait raison.

Harper hocha la tête.

— Je suis tellement confuse.

La tache ne disparaissait pas.

— Ce n’est pas important. Je croyais que tu devais suivre Vince ?

— Vince ? demanda Marcus. Pourquoi ?

— Longue histoire, dis-je.

Je fus sauvée des explications par un coup ferme à la porte en bas. Higgins et Missy commencèrent à aboyer et faillirent culbuter l’un sur l’autre en descendant les marches.

Tilda recommença à siffler, et Harper lança les mains en l’air.

— Qui maintenant ?

Ve frotta ses tempes et dit assez fort pour être entendue par-dessus les aboiements :

— Avez-vous encore du vin ?

C’était Nick qui avait frappé. Et il avait facilement accepté de parler à l’extérieur, loin du chaos de l’appartement d’Harper.

Nous marchions en ce moment autour de la place, les chiens devant nous. Il était tard — presque minuit —, et l’endroit était dégagé de tous les badauds et du personnel d’urgence.

La chemise polo de Nick était à moitié rentrée, son pantalon froissé, et les poches sous ses yeux commençaient à ressembler à la valise que j’avais transportée chez Harper.

— Vous avez l’air fatigué, dis-je, une évidence.

Il traîna une main sur son visage.

— Une soirée infernale. Quatre introductions par effraction, l’appel pour l’incendie. La première nuit où je n’avais pas l’œil sur Mimi…

Je me sentis soudainement coupable. C’était de ma faute si Mimi avait été en danger. En quelque sorte. Mais surtout, c’était à cause de Dorothy, la psychopathe. Je lui avais tout raconté à propos des menaces — incluant celle qui le concernait — et il avait promis de s’en occuper.

— Vous savez que je ferais tout pour la protéger, non ?

Comme il me regardait, le clair de lune se refléta dans ses yeux sombres.

— Je sais.

Il se tut un instant ou deux.

— Qu’est-ce que voulait dire Harper, quand elle disait que vous feriez une détective privée moche ?

Je n’aimais pas avoir des secrets pour lui, mais il n’avait vraiment pas besoin de connaître toute la vérité.

— Elodie m’a embauchée pour me pencher sur la mort de sa mère.

Il jura dans sa barbe.

— Vous avez refusé, n’est-ce pas ?

Je me mordis la lèvre.

— N’est-ce pas ?

Il ralentit et s’arrêta.

— Darcy.

Je clignai des yeux d’un air innocent.

— Nick.

Il n’était pas dupe.

— Vous avez besoin d’un permis, d’une formation.

— Je travaille là-dessus.

— Je n’arriverai pas à vous convaincre d’abandonner, n’est-ce pas ?

— Je ne pense pas. Non.

Nous continuâmes à marcher. Missy et Higgins reniflaient joyeusement.

— Avez-vous appris quelque chose ? dit-il enfin.

Je touchai son épaule avec la mienne.

— Je vous dirai ce que j’ai si vous me dites ce que vous avez.

Ses yeux brillèrent dans l’obscurité.

— Ce dicton n’est-il pas : « Je vous montrerai ce que j’ai… » ?

Oh. Bien. Il y avait ça aussi. Ma bouche devint sèche.

— Essayez de coopérer un peu.

Il me donna un petit coup d’épaule à son tour.

— Que diriez-vous de partager vos renseignements, et ensuite je vous communiquerai ce que je peux.

Je lui étais reconnaissante de me faire suffisamment confiance pour partager ce qu’il pouvait.

— Marché conclu.

— Alors ?

— Je n’ai pas vraiment appris grand-chose jusqu’ici.

Il se mit à rire, et son rire résonna à travers la place.

— Juste des bribes ici et là, lui dis-je en souriant. En grande partie, vous devez déjà être au courant. Mais cet après-midi, j’ai eu une conversation avec Andreus Woodshall qui jette un peu de lumière sur l’Anicula.

Je lui fis un résumé de ce que m’avait dit M. Macabre, du vol qui avait eu lieu plusieurs années auparavant, à son affirmation selon laquelle Elodie m’aurait menti.

Nous marchions lentement. Malgré une douce brise, les feuilles qui bruissaient et les étoiles scintillantes, les rabats des tentes résonnaient toujours contre leurs poteaux, avec un bruit de prisonniers qui traînaient leur tasse d’étain contre les barreaux. C’était troublant.

— Ça me dérange d’entendre parler aussi souvent de cette Anicula, dit-il. Elle apparaît un peu partout, de l’affaire du voyeur jusqu’à l’assassinat de Patrice.

— Croyez-vous que les deux cas sont connectés ?

— Peut-être.

Je me penchai vers lui pour regarder son visage.

— Vous vous rappelez cette histoire de partage des trucs ?

— J’ai fait un peu de recherche, dit-il (un peu à contrecœur, pensai-je).

— Toutes les maisons où il y a eu introduction par effraction ?

Pour essayer de l’encourager, je hochai la tête.

— Ils ont tous été clients du Porte-bonheur. J’ai contacté Elodie cet après-midi, et elle m’a envoyé par courriel sa liste de clients et d’achats par carte de crédit au cours des deux dernières années. C’est une liste abondante, mais une courte recherche a révélé que chaque personne qui a subi une introduction par effraction avait utilisé une carte de crédit au Porte-bonheur au cours des 18 derniers mois. Je soupçonne qu’il y a eu plusieurs introductions par effraction que nous ne connaissons pas.

— Ce qui voudrait dire que notre voyeur a d’une manière ou d’une autre mis la main sur cette liste.

— Oui. Probablement qu’il a forcé l’entrée et qu’il l’a copiée à partir de l’ordinateur d’Elodie.

— Dix-huit mois, vous dites ?

— Oui.

— L’époque de la disparition de Patrice.

Il ne dit rien. C’était inutile.

Mon pouls accéléra. Notre voyeur ne cherchait pas des éléments reliés aux arts de la magie. Le voyeur cherchait quelque chose qui appartenait à Patrice.

— Notre voyeur cherche l’Anicula.

Il me jeta un coup d’œil.

— Je crois que oui.

Je supposai que ça éliminait Vince Paxton comme voyeur. Je lui envoyai silencieusement mes excuses.

— Pourquoi le voyeur a-t-il soudainement commencé à être plus négligent ? demandai-je. À laisser derrière des preuves d’effraction, et comme ce soir — pourquoi autant d’effractions en une nuit ?

— Je ne vois qu’une seule raison, Darcy.

— Qui est ?

— Quelqu’un est devenu désespéré.

Il n’était pas nécessaire de demander ce qui rendrait cette personne si désespérée. Il n’y avait absolument aucun moyen de le savoir.

— Que souhaiteriez-vous ? lui demandai-je. Si vous pouviez souhaiter absolument n’importe quoi ?

— Ça semble tellement surréaliste de croire qu’une telle chose soit possible, non ?

— Surréaliste et un peu effrayant.

Je me souvins de ce qu’avait dit Archie sur la façon dont l’Anicula transformait les gens.

Elle peut transformer un timide en fanfaron ; un humble en égoïste ; un serviteur en dieu.

— Je souhaiterais probablement que Mimi ait une vie longue, heureuse et en bonne santé. Vous ?

Je n’étais pas le moindrement surprise que son souhait vise quelqu’un d’autre.

— Il est étrange d’être une artisane de souhaits. Tellement de fois, je me dis que j’aimerais pouvoir exaucer mes propres souhaits, plus récemment parce que je voulais faire en sorte que Ve se sente mieux. Mais avoir vraiment ce pouvoir ? Je ne sais pas si je le voudrais. C’est une chose d’exaucer les souhaits des autres à leur insu — c’est un peu comme être une fée marraine ; mais au moins, ces pouvoirs sont limités. Avec l’Anicula, on peut changer le cours de la vie de quelqu’un. Perturber des questions d’amour, de vie, de mort. Je ne crois pas que je veux ce pouvoir ou cette responsabilité.

Des grillons gazouillaient une symphonie, alors que nous nous dirigions vers la Librairie.

— Mais il est évident que quelqu’un la veut, dit-il.

— Il nous faut simplement comprendre qui la veut le plus, et nous trouverons notre voyeur.

— Et peut-être aussi un assassin.

Il avait probablement raison. Chaque aspect négatif de la vie de Patrice avait tourné autour de cette Anicula. Il fallait que je sache si elle avait abusé de son pouvoir. Elodie avait nié les rumeurs, mais j’ignorais si elle l’avait fait simplement pour couvrir sa mère.

Je ne voyais qu’une seule autre personne qui pourrait connaître la vérité : Yvonne. Je devais faire en sorte qu’elle se confie à moi.

— Dans l’intérêt du partage, dit Nick, je vous dirai que le rapport d’autopsie de Patrice est arrivé.

— Et ?

— Non concluant, dit-il. Le médecin légiste croit qu’il s’agit probablement d’asphyxie.

— Elle était vivante quand quelqu’un l’a placée dans cette valise ?

Des phares nous balayèrent alors qu’une voiture nous dépassait.

— C’est ce qui semble s’être passé. Elle a probablement été assommée ou droguée au préalable. Je ne suis pas certain que nous puissions un jour connaître la vérité.

Au creux de ma poitrine, une douleur comprimait mes poumons, et j’avais de la difficulté à respirer. Pauvre Patrice. Pauvre Elodie.

— C’est horrible.

— Oui, dit-il doucement.

Nous marchâmes en silence pour le reste du chemin.

— Eh bien ! Dans l’ensemble, il a été agréable de travailler avec vous, dis-je alors que nous approchions de la ruelle qui menait à la porte de l’appartement d’Harper.

— Vous savez ce qu’on dit à propos de trop de travail et pas de jeu, dit-il avec un soupçon de malice dans la voix.

Dans l’ombre du bâtiment, nous ralentîmes pour nous arrêter à nouveau, et les deux chiens se retournèrent vers nous, manifestement agacés. Nick et moi nous regardâmes, et j’aimais les sensations qui se bousculaient en moi, peut-être trop.

— Jouer ? demandai-je sans conviction.

Il leva sa main et caressa ma joue. Il se pencha lentement, et mon cœur se mit à danser joyeusement, à donner des coups de pied dans ma poitrine comme un lutin ivre. Il allait m’embrasser ! Et à ce moment précis, je ne voulais rien d’autre au monde.

Je résistai à l’envie de me jeter dans ses bras et je me permis de profiter des fourmillements sur ma peau, du contact de sa paume rugueuse sur ma joue, de son odeur, de l’air de la nuit. De l’attente.

Mais comme je me penchais lentement pour croiser ses lèvres, il recula soudainement, son regard dur vers une voiture qui descendait la rue.

Je me raidis. C’était une voiture rose de la police du village, et ses feux stroboscopiques clignotaient.

Glinda.

Je jurai contre le moment qu’elle avait choisi pour arriver alors que la voiture ralentissait et s’arrêtait et que la fenêtre s’abaissait.

— Quelque chose ne va pas ? Agente Hansel ?

— Un autre rapport d’introduction par effraction, chef. Je m’y rends maintenant.

Sous le réverbère, je pouvais voir clairement son regard calculateur. Un frisson parcourut mon dos.

— Alors, vous devriez y aller, dit-il d’une voix ferme.

Elle hocha la tête.

— Oui, monsieur, dit-elle. Mais les propriétaires ont insisté pour vous parler.

— Qui ? demanda-t-il.

— Les Merrick. Roger et Yvonne.

Je haletai. Le voyeur était entré de force dans leur maison ?

— Je serai là dans cinq minutes, dit Nick.

— Oui, monsieur.

Alors que la voiture s’éloignait, Glinda me lança un regard noir. Je la regardai fixement.

— Je peux vous accompagner ?

— Pourquoi ?

Au moins, il n’avait pas dit non tout de suite.

— Je veux parler à Yvonne, et ça pourrait être le moment idéal. Si elle est secouée, elle pourrait peut-être se confier à moi.

Il hocha la tête.

— Je ne peux pas. Protocole.

Je me mordis la lèvre.

— Quelque chose pourrait-il m’empêcher de faire rentrer les chiens pour ensuite aller voir ce qui se passait dans la maison de Patrice ? Après tout, la maison qui est de l’autre côté de la rue peut aussi avoir été atteinte. S’il arrive que je tombe sur Yvonne en même temps…

— Atteinte, dit-il avec un sourire en coin.

— Hé, si je veux être détective privée, je dois apprendre le jargon, non ?

Il leva les yeux au ciel.

— Vous, détective privée, ce n’est pas une bonne idée.

Je levai le sourcil et je plissai les yeux, prête à en découdre.

Rapidement, il leva la main en signe de reddition.

— Il faut que j’y aille. Je vous vois là-bas.

Je hochai la tête. J’espérais seulement ne pas tomber sur le voyeur en chemin.