Après m’être assurée que Mimi était rentrée chez elle en toute sécurité, je retournai à Comme vous le souhaitez. Missy et Tilda étaient toutes les deux assises aux côtés opposés des marches arrière, comme des gargouilles qui protègent un château.
Mais de qui le protégeaient-elles ?
Y avait-il plus d’un voyeur ?
La réponse vague de l’Ancienne me disait que oui, mais cette considération provoquait encore plus de questions : qui ? pourquoi ?
Missy dévala les marches pour m’accueillir, tandis que Tilda se retourna et rentra dans la maison par la chatière.
— Elle a un sale caractère, dis-je à Missy.
Missy jappa.
Je lui caressai la tête et j’entrai par la porte du vestiaire.
— Ve ?
Pas de réponse. Je vérifiai dans toute la maison, mais elle était vide. Plus d’une heure s’était écoulée depuis que Mimi et moi étions parties pour rencontrer l’Ancienne.
Mon estomac se tordit en un gros nœud, et j’essayai de me dire de ne pas m’inquiéter. Ve m’avait assurée qu’elle pouvait gérer seule sa visite à Dorothy. Une heure passa. Deux. Ve ne répondait pas non plus à son téléphone cellulaire ; j’avais laissé plus d’une douzaine de messages.
Je pris une profonde inspiration, et je compris ce que je devais faire.
Il fallait que j’aille voir Dorothy.
Je m’assurai que Missy était confortable, et je sortis par la porte arrière. De l’autre côté de la clôture, dans la cour de Terry Goodwin, Archie était à l’intérieur de sa cage et je me dirigeai vers lui.
— Je ne trouve pas Ve. Elle est sortie il y a quelques heures pour voir Dorothy, et j’ai peur qu’il lui soit arrivé quelque chose.
Il se gonfla les plumes et regarda nerveusement autour de lui.
— Donnez-lui quelques minutes de plus ? Je suis certain qu’elle va revenir.
Résolument, je hochai la tête.
— Il faut que j’aille la chercher. J’ai peur que cette folle de Dorothy lui ait fait quelque chose.
— Je suis certain que non, dit-il. Elle n’est pas si bête.
— Archie, elle a essayé de mettre le feu à la maison.
— Vous n’en êtes pas certaine.
Je lui lançai un regard noir.
Il céda.
— Je vous aiderai à trouver Ve. En un rien de temps. J’en suis sûr.
Archie déverrouilla la porte de sa cage avec son aile et prit son envol. Avant de partir, je m’assurai que l’agate sphérique était bien dans mon sac fourre-tout. J’apportai aussi le journal de Melina Sawyer — j’ignorais toujours ce que j’en ferais, même si l’Ancienne m’avait dit de chercher en moi. J’avais cherché. Mais je n’avais toujours pas d’indice.
Les touristes s’affairaient autour des tentes des Pierres vagabondes, et je repérai Starla qui prenait des photos. Elle me vit et agita la main. Je lui retournai son salut et je me dirigeai rapidement vers Le troisième œil.
Tout à coup, j’eus de nouveau cette sensation bizarre d’être épiée par quelque chose — ou quelqu’un — de malveillant. Des poils se dressèrent sur mes bras, et je me retournai, mais personne ne se démarquait.
Lorsque je me retournai à nouveau, je vis Zoey Wilkens qui agitait frénétiquement la main vers moi.
— Dieu merci, je suis tombée sur vous, dit-elle en s’approchant. J’ai appelé Ve tout l’après-midi, et j’ai pensé que je ferais mieux de me rendre tout simplement à Comme vous le souhaitez pour voir si elle était là.
Des rides d’inquiétudes creusaient son front.
— Est-elle là ? Je sais qu’elle a été malade…
— Elle se sent enfin mieux, ce qui explique son absence.
Mon inquiétude s’accrut. Ve avait mentionné qu’elle irait au Gril pour le déjeuner — apparemment, elle ne s’y était jamais rendue.
— En fait, je ne sais pas où elle est.
Elle hocha la tête et se tordit les mains.
— Quelque chose ne va pas ? demandai-je.
— C’est à propos du menu de mariage, dit-elle nerveusement. Il y a eu… un problème.
— Quel genre de problème ?
L’impression d’être épiée s’estompa et fut remplacée par une soudaine panique à l’idée que j’allais recevoir des nouvelles que je n’avais pas envie d’entendre.
Zoey repoussa une mèche de ses cheveux blonds derrière son oreille et soudainement, elle parut son âge. La chef débordante de confiance avait disparu, et j’avais maintenant devant moi une jeune femme nerveuse.
— Quelqu’un a laissé le réfrigérateur et le congélateur ouverts, la nuit dernière. Toute la nourriture est gâtée. Tout ce que nous avions à notre disposition pour le mariage de Ve est pourri.
Je me donnai un moment pour digérer la nouvelle.
— Le réfrigérateur et le congélateur ont été laissés ouverts ?
— C’est très étrange. L’alarme sur les portes n’a pas fonctionné non plus. Un accident bizarre, je suppose, dit-elle.
À mes yeux, ça ressemblait beaucoup plus à du sabotage.
— Allez-vous être en mesure de commander d’autre nourriture avant le mariage ?
— Pour certains plats, oui, mais malheureusement pas pour tous. Logiquement, je suppose qu’en ce moment nous pourrions préparer la moitié du menu original. Voulez-vous que l’on continue dans ce sens ? Ou préférez-vous plutôt changer de fournisseur ? Je comprendrais.
Je songeai à ces invitations jetées aux poubelles — et à toutes les personnes qui ne les avaient pas reçues. Les frasques de Dorothy finiraient peut-être par aboutir à un résultat positif, quoique quelque peu loufoque.
— Allez-y avec ce que vous avez sous la main.
Zoey pressa sa main sur son cœur.
— Oh, Dieu merci. Je craignais tellement que vous annuliez la commande.
Ses lèvres tremblotèrent.
— Honnêtement, nous avons besoin du contrat en ce moment pour rester à flot.
— En raison des intoxications alimentaires ?
— Vous en avez entendu parler ?
Je hochai la tête.
— C’est horrible, Darcy. Tout simplement horrible.
Elle laissa échapper un soupir.
— Je dois retourner au restaurant, dit-elle. Je vous vois ce soir ?
— Nous continuons les cours ?
Elle hocha la tête.
— Le plat que nous préparons est composé en majeure partie d’ingrédients secs. Il a été facile de remplacer le reste.
— À la lumière de tout ce qui se passe, vous devriez peut-être simplement annuler le cours ? dis-je.
— Je le souhaite. Mais ce n’est pas possible. Nous ne pourrions jamais rembourser les frais de cours. À plus tard ?
Je sentis mes nerfs picoter, mais son souhait n’avait pas été formulé de manière à être exaucé. Je me demandai si elle était oui ou non une artisane, ou si elle et Jonathan étaient tous les deux des demi-artisans. Avec ses talents, j’avais supposé qu’elle était artisane cuisinière, mais je n’en étais pas certaine. Et si elle était une mortelle mariée à un artisan cuisinier, il était possible qu’ils soient maintenant tous les deux demi-artisans. Si Jonathan ne lui avait pas parlé de ses pouvoirs à lui, elle n’en saurait rien.
— Je serai là.
Je la regardai qui se dirigeait à nouveau vers le Gril du sorcier. La colère mijotait en moi et je serrai les dents.
D’abord les invitations au mariage. Puis l’incendie. Et la robe de Ve. Maintenant, la nourriture de la réception ? Assez, c’est assez. Je marchai d’un pas lourd jusqu’au Troisième œil dans le but d’en découdre avec Dorothy, et mon énergie se dégonfla lorsque j’aperçus l’affiche « fermé » qui pendait de nouveau à la porte.
D’accord. Très bien. J’irais la voir chez elle.
Mais rapidement, je soupirai et je gémis. J’ignorais où elle habitait. Je me creusai les méninges pour trouver une solution rapide, et mon regard s’arrêta à l’endroit où Starla se tenait plus tôt sur la place.
Sauf que maintenant il semblait impossible de la trouver.
Qui d’autre le saurait ? Je repris du poil de la bête. J’en connaissais deux qui pourraient me pointer dans la bonne direction. Godfrey et Pepe. L’un ou l’autre le saurait.
Je me retournai, je traversai la place, et je me dirigeai vers la Boutique enchanteresse. À mon arrivée, Godfrey était en train d’aider un client. Je me faufilai dans la pièce arrière pour voir si Pepe était dans les parages.
Il n’était pas dans l’atelier, alors je frappai à la porte de Pepe dans la plinthe, mais il ne répondit pas. Je pensai qu’il était probablement en patrouille avec Archie. Avec un peu de chance, ils avaient déjà trouvé Ve, saine et sauve.
De l’autre côté de la pièce, je vis la robe de mariage de Ve qui pendait d’un portemanteau autoportant. Je me sentis tout attendrie en la voyant. Elle était vraiment magnifique, et Ve allait paraître incroyable dans cette robe. J’espérais vraiment qu’elle ait pris la bonne décision en épousant Sylar.
Un instant plus tard, Godfrey entra, très agité, et m’embrassa sur les joues.
— À quoi dois-je la surprise de votre compagnie ?
— J’ai besoin de votre aide. Il faut que je parle à Dorothy, mais j’ignore où elle habite. Je suppose que vous le savez ?
— Pourquoi avez-vous besoin de lui parler ? demanda-t-il, horrifié.
— Eh bien, ce n’est pas tant pour lui parler que pour voir si elle n’aurait pas mutilé Ve de quelque façon que ce soit.
Je lui expliquai que Ve était allée voir Dorothy et n’était pas revenue.
Il pâlit.
— Il faut immédiatement appeler la police !
Je posai ma main sur son bras.
— Je ne pense pas que ce soit aussi drastique.
Pour le moment.
— Laissez-moi d’abord passer chez elle pour voir ce que je peux voir. Ensuite, si nous le devons, nous appellerons la police. Où habite-t-elle ?
— Elle a déménagé, depuis l’époque où nous sortions ensemble. Je crois…
Il se gratta la tempe.
— Je crois qu’elle a déménagé sur le chemin du Chaudron. Non, sur le chemin du Sous-bois.
Il lança les mains en l’air.
— Ma mémoire n’est plus très bonne.
Il frappa deux fois dans ses mains et un petit livre noir apparut.
Il faisait un truc similaire pour vérifier les dossiers de ses clients, et il me surprenait chaque fois. Son doigt glissa sur la page.
— Aha ! C’est ici. Le chemin de l’Ancienne forêt. Vous connaissez ?
Je connaissais très bien l’endroit.
C’était la rue où habitaient Nick et Mimi.