— Qu’est-ce qui m’a trahie ? demanda Mimi, ses grands yeux sombres troublés.
Je frappai deux fois dans mes mains (le truc que Godfrey m’avait enseigné), et le journal apparut entre mes paumes.
— Regarde, dis-je.
Je laissai tomber le livre sur la table et il s’ouvrit automatiquement à la page des sorts. Celle où il y avait les instructions pour un sort d’adjuration.
Mimi poussa un soupir.
— Et en plus, Cherise a mentionné qu’un sort d’adjuration devait être jeté moins d’une heure après son sort à elle. Peu de gens étaient au courant de ses allées et venues ici.
Mimi se plissa le nez.
— Mais je n’en étais pas vraiment certaine jusqu’à ce que je te vois si désemparée hier, et que tu sortes en trombe pour aller promener le chien sur la place. Ça te dérangeait de constater que Ve allait bien. Mais ce que je veux savoir, c’est pourquoi tu l’as fait. Pourquoi as-tu jeté ces sorts d’adjuration qui gardaient Ve malade ?
— Je ne voulais pas qu’elle épouse Sylar, dit-elle avec une toute petite voix.
— Pourquoi ?
— Les as-tu déjà regardés quand ils sont ensemble ? demanda-t-elle. Vraiment regardés ?
— Je… Je pense que oui.
— Ils rient. Ils sourient. Mais ils ne se regardent pas vraiment. Pas de la façon…
— Quoi ? incitai-je.
— De la façon dont toi et mon père vous vous regardez. Ils ne se regardent pas comme s’ils étaient amoureux, ajouta-t-elle rapidement. Et je ne crois pas qu’on devrait se marier si on n’est pas amoureux.
Je soupirai lentement, ne sachant pas vraiment par où commencer. Je décidai de laisser tomber la partie qui nous concernait, Nick et moi.
— Mais ce n’est pas à toi de décider, dis-je.
Elle s’affala sur la balançoire.
— C’est ce que j’ai entendu dire.
— Ah. Donc c’était de ça que l’Ancienne parlait.
Je me rappelai ce qu’elle avait dit à Mimi dans la prairie.
Vous ne pouvez pas toujours contrôler ce qui se passe autour de vous. Et vous ne devriez pas le faire, même si vous croyez que vous faites la bonne chose.
— Elle était au courant de ce que tu faisais, ajoutai-je.
Mimi lança ses mains dans les airs.
— Comment le sait-elle ? Je ne comprends toujours pas.
Je posai mon bras autour d’elle et je l’attirai plus près de moi.
— Peut-être que ce n’est pas quelque chose que nous devons comprendre, mais que nous devons tout simplement accepter.
— Je ne suis pas obligée d’aimer ça.
Je me mis à rire.
— Non. Tu n’es pas obligée.
— Vas-tu en parler à mon père ? demanda-t-elle.
— Non, dis-je. C’est toi qui vas le faire.
Elle semblait horrifiée.
— Pourquoi le ferais-je ?
— Tu te souviens du truc au sujet des responsabilités dont nous a parlé l’Ancienne ? Assumer la responsabilité de tes actes en fait partie.
Sa lèvre inférieure s’avança.
— Je pense que je vais aller regarder Survivor avec Ve et Archie.
Elle partit en marchant d’un pas lourd, et je souris. À certains moments, elle me rappelait beaucoup Harper adolescente. Missy leva la tête, et je la caressai.
— Veux-tu aller faire une promenade ?
Elle se leva et remua la queue.
J’attrapai sa laisse dans le vestiaire et je me mis en route vers la place du village. Les tentes des Pierres vagabondes claquaient encore, mais pour une raison quelconque, elles ne paraissaient plus aussi sinistres. Je contournai la place et je saluai Mme P et Vince à l’intérieur de Lotions et potions.
Les touristes riaient et faisaient du lèche-vitrine.
Un petit chaton orange se tenait dans la fenêtre de la Librairie envoûtée. J’y jetai un coup d’œil et j’aperçus Marcus qui déplaçait une grande étagère pendant qu’Harper le supervisait. Ce qui se passerait entre eux, je n’en étais pas certaine, mais j’espérais que ça fonctionne.
Alors que je m’approchais du Porte-bonheur, je fus surprise de voir des lumières allumées, et je fus encore plus surprise de voir Elodie à la fenêtre en train de retirer les cristaux qui y étaient suspendus.
Lorsqu’elle me vit, elle me fit signe d’entrer. Missy bondit vers l’avant alors que nous entrions, et je clignai des yeux devant la transformation de la boutique. Disparu, le pays des merveilles coloré et magique, maintenant remplacé par des boîtes de carton qui me rappelaient beaucoup la maison de Patrice.
— Qu’est-ce qui se passe ? demandai-je.
Elodie déposa un cristal dans du papier de soie et l’y roula soigneusement.
— Andreus Woodshall m’a fait une offre que je ne pouvais pas refuser.
— Quel genre d’offre ?
— Il veut que Connor et moi nous joignions aux Pierres vagabondes. Nous avons accepté. Il est temps d’un changement.
— Wow, dis-je, pendant que Missy reniflait autour d’elle.
— C’est un bon moment, dit-elle. Roger est sorti de l’hôpital et il va bien. Heureusement, le coup de feu a raté tous les organes vitaux. Bien des choses ont été réglées ici, dit-elle doucement. Je vous fais confiance pour prendre soin de la maison de maman et pour organiser cette vente-débarras. Il est temps pour moi de vivre ma vie. Nos vies. La mienne et celle de Connor. Nous étions dans l’incertitude depuis si longtemps. Il est temps de passer à autre chose.
— Quand allez-vous partir ?
— Après les funérailles de ma mère la semaine prochaine, nous allons rencontrer les Pierres vagabondes à Portland, dans le Maine.
Elle enveloppa un autre cristal.
— Je pense qu’Andreus nous a demandé de nous joindre à lui seulement parce qu’il croit que j’ai l’Anicula, mais ça va. Je vais profiter de l’occasion. Connor et moi avons toujours voulu voyager.
— Ce que vous avez dit hier à propos de ne pas vouloir l’Anicula si je la trouvais… Est-ce toujours vrai ?
Je voulais simplement être sûre.
Elle fit signe que oui.
— Je ne vous demanderai même pas si vous l’avez trouvée. Je ne veux pas le savoir. Et si c’est le cas, faites-en ce que vous voulez. Mais soyez prudente.
La pierre en forme de larme était en train de brûler un trou dans ma poche.
— Y aura-t-il un mariage bientôt ? demandai-je.
— Je l’espère, Darcy. Mais je ne suis pas certaine. La malédiction…
Elle serra les lèvres, et je voyais qu’elle essayait de ne pas pleurer.
— Je ne suis pas certaine que vous soyez maudite, dis-je doucement.
— Pourquoi dites-vous ça ? Regardez tout ce qui est arrivé. Ce n’était pas seulement de la malchance.
D’accord, elle avait peut-être été un peu maudite, mais elle n’était pas responsable de la mort de sa mère, et elle avait besoin de le savoir pour vraiment pouvoir aller de l’avant.
— Les pouvoirs de Jonathan comme artisan cuisinier ne lui ont pas été retirés par l’Ancienne.
Ses mains se figèrent.
— De quoi parlez-vous ?
— C’est votre mère qui a souhaité qu’il les perde. Et qui a également souhaité que toute nourriture qu’il prépare rende les gens malades.
Elle parut perplexe.
— Qui vous a dit ça ?
— Jonathan. Apparemment, il s’agissait de représailles à cause de la rupture.
— Ce qui était de ma faute.
Je ne pouvais la contredire, mais il était probable que de toute façon, la relation de Jonathan avec sa mère n’aurait pas duré.
— Mais ne voyez-vous pas ? Votre mère aussi a mal employé l’Anicula.
Elle soutint mon regard.
— Nous étions toutes les deux maudites.
Encore une fois, je ne pouvais la contredire.
— Les malédictions sont destinées à être brisées, Elodie. Vous pouvez peut-être modifier votre destin.
Elle ferma les yeux.
— Même si je voulais bien, je ne peux pas changer le passé.
Elle redressa ses épaules et leva le menton.
— Je parie que vous regrettez d’avoir accepté ce travail.
— Je ne pourrais pas dire que vous ne m’avez pas avertie, dis-je en riant.
Elle soupira.
— Vous avez peut-être raison, Darcy, au sujet de mon sort. Je ne peux pas changer ce que j’ai fait ou ce qui est arrivé, mais je peux aller de l’avant. Essayer de tout oublier. Recommencer à zéro.
— Je crois que c’est un bon plan.
Mais j’en avais un bien à moi.
— Mais êtes-vous prête à passer aux actes ?
— Avez-vous quelque chose en tête ? demanda-t-elle.
Je souris.
— Que faites-vous dimanche ?
— Pourquoi ?
— Il y a un mariage de prévu, mais il n’y a plus de couple à marier. Je pense que c’est le jour parfait pour que vous et Connor vous vous épousiez, non ?
La nuit tombait alors que moi et Missy reprenions le chemin de la maison. J’avais beaucoup à faire avant dimanche, puisqu’Elodie avait volontiers accepté ce que j’avais en tête.
Un fort aboiement me fit me retourner. Je poussai un cri alors qu’Higgins se levait sur ses pattes arrière et posait ses pattes avant sur mes épaules. Il me lécha le visage.
— Je pense qu’il t’aime bien, dit Nick, en tirant sur le chien.
Missy se mit à caracoler autour des chevilles de Nick et il se pencha pour lui caresser la tête.
— Oh, est-ce que tu recommences à me parler ?
Elle lui lécha la main. Je n’étais pas vraiment certaine de ce qui avait causé son aversion envers Nick, mais elle semblait avoir tout oublié. J’essuyai la bave de ma joue avec ma manche.
— Yuck. De la bave de chien.
Nick se mit à rire et se rapprocha de moi.
— Il n’est pas le seul à t’aimer, tu sais.
Je remarquai soudain qu’il tenait quelque chose. C’était une marguerite. Il me la tendit. Je refermai ma main autour de la tige et j’essayai de retrouver ma voix. Impossible de la retrouver.
— Mimi m’a dit que tu aimais les marguerites, dit-il. Et les Peppermint Patties. Et les vieux films. Et les T-shirts de bande dessinée thématiques. Elle n’est pas très subtile.
— Non, finis-je par répondre, en frottant les délicats pétales du bout de mes doigts. C’est très gentil, dis-je, en levant la fleur. Merci.
Missy et Higgins se bagarraient dans l’herbe. C’est Missy qui semblait gagner.
— Mimi a insisté pour que je t’apporte la fleur, dit-il.
— Oh.
J’étais déçue. Je ne voulais pas qu’il me donne une fleur parce que Mimi avait insisté pour qu’il le fasse. J’aurais voulu qu’il veuille me la donner.
— Ce n’est pas ce que je voulais t’offrir, dit-il tranquillement.
Il toucha la pointe de mon menton, le souleva vers le haut pour que je puisse le regarder dans les yeux. Ce que j’y vis dans les mystérieuses profondeurs me coupa le souffle et envahit mon cœur.
— Oh ?
Il fit un pas vers moi. Il était tout près. Si près. Nos poitrines se touchèrent. Nos nez. Nos fronts. Mon cœur battait à un rythme fou. Ou peut-être était-ce son cœur à lui. Je ne pouvais le dire.
Ses mains frôlèrent mes bras, le long de mon cou, et s’arrêtèrent sur ma mâchoire. Son contact était léger, délicat. Il envoya tourbillonner des ondes de chaleur à travers moi.
— Je voulais te donner ceci, dit-il dans un murmure.
Comme au ralenti, il se pencha et pressa ses lèvres contre les miennes. Je me fondis en lui. Dans le baiser. Je passai mes bras autour de son cou, voulant me perdre dans ce baiser. En lui. Ne serait-ce que pour un glorieux moment.
Quelque part, plus loin le long du pâté de maisons, une voiture klaxonna. Higgins se mit à aboyer. Missy jappa et le pourchassa. Soudainement, je tombai. J’atterris sur Nick, et il laissa échapper une bouffée d’air, puis il se mit à rire.
J’ignorais ce qui était arrivé jusqu’à ce que je voie les laisses de chien emmêlées autour de nos jambes. Je regardai Nick et je me mis à rire moi aussi.
Nous passâmes les quelques prochaines minutes à nous démêler.
Une voiture qui roulait tout près attira mon attention. C’était une voiture de patrouille rose de la police du village. Glinda croisa mon regard avec une expression vide et elle poursuivit lentement son chemin.
Comme il était en train de démêler les laisses, Nick ne l’avait pas du tout remarquée.
— Darcy ? dit-il, enfin libre.
Je me concentrai sur lui.
— Ouais ?
— Que penserais-tu d’un rendez-vous ?
Mon cœur se livrait encore à ce truc de lutin ivre.
— J’aimerais bien. S’il te plaît, pas un café. Pas un café.
— Peut-être pourrais-tu venir souper ? Nous pourrions voir un film. Même un vieux, dit-il avec un sourire.
Il m’aida à me relever en même temps qu’il finissait de démêler les laisses.
Je m’imaginai blottie contre lui sur un canapé à manger du maïs soufflé.
Je ne me souciais même pas de ce que nous regarderions — pourvu que ce ne soit pas Survivor —, mais j’espérais aussi que Mimi soit là pour regarder un film d’Elvis. J’enfonçai mes mains dans mes poches et je sentis la présence de l’Anicula. Je me mordis la lèvre.
— J’adorerais vraiment, mais d’abord… peut-être pourrions-nous faire quelque chose d’autre ensemble. Quelque chose d’un peu plus sordide.
Ses yeux étincelèrent, puis se plissèrent.
— Pourquoi ai-je le sentiment que nous n’avons pas la même définition de « sordide » ?
Je ris et je lui racontai que j’avais trouvé l’Anicula.
— Je veux la retourner à la place qui lui revient.
Ses sourcils brusquement froncés semblèrent soudainement se réunir.
— Où est sa place ?
— Avec la grand-mère d’Andreus Woodshall.
— N’est-elle pas morte ?
Je hochai la tête.
— Tu devrais peut-être me dire ce que tu as en tête. Et s’il te plaît, ne me raconte pas que tu as l’intention de déterrer une tombe.
— En principe, il s’agit d’une crypte. Je crois que nous pourrions la forcer et…
Il pressa un doigt sur mes lèvres.
— Tu as l’Anicula ?
Je fis signe que oui.
— Pourquoi ne pas simplement souhaiter qu’elle retourne à l’intérieur de cette crypte ?
Je le regardai, j’écartai son doigt.
—Ce serait plus facile, en effet.
—Je ne veux vraiment pas devoir t’arrêter pour profanation de tombe.
— En principe, il ne s’agit pas de profanation, il s’agit d’un retour.
Il m’embrassa de nouveau et je crois que je cessai de respirer. Il recula.
— Fais le souhait, Darcy, dit-il.