Archie et Pepe poursuivirent leur tournée. Après leur départ, j’allai voir comment se portait Ve (encore fiévreuse, elle essayait de minimiser la gravité de sa maladie). Je laçai ensuite mes chaussures de course et j’amenai Missy pour notre course du matin. La place du village commençait tout juste à se réveiller. Les propriétaires de boutique nettoyaient les fenêtres, arrosaient les fleurs et déployaient les auvents. Les gens de la place faisaient leur promenade matinale ou s’arrêtaient à L’infusion de la sorcière pour leur café et leur scone chaud du matin.
Je me souvins alors que Starla avait son rendez-vous pour prendre un café ce matin. Je jetai un coup d’œil aux tentes des Pierres vagabondes et aux gens qui fourmillaient tout autour, et je me demandai lequel des vendeurs elle devait rencontrer. Starla méritait un peu d’amour dans sa vie, alors j’espérais vraiment que tout se passe bien. Mais je me posais quand même des questions. Qu’arriverait-il lorsque la foire se déplacerait vers la prochaine ville ?
C’était une belle matinée avec à peine un nuage dans le ciel. Les oiseaux gazouillaient très haut dans les arbres, et la rosée scintillait sur les superbes fleurs plantées sur la place. Je me dirigeai vers le banc de Mme P, sous le bouleau, pour étirer mes muscles, et je ne fus pas du tout surprise de la trouver assise là à profiter du soleil du matin. Un journal roulé était glissé sous sa jambe, et un café dans un gobelet en papier était posé à côté d’elle. Le rebord du gobelet était généreusement coloré de rouge à lèvres foncé. Mme P adorait ses produits de maquillage.
— Bonjour, Darcy ! Comment se porte Ve ce matin ? Ça va mieux ?
Après avoir été mêlées à une affaire de meurtre, Mme P et moi étions rapidement devenues amies. Elle avait au moins 80 ans, et elle était l’une des personnes les plus énergiques que j’avais rencontrées. Rarement portait-elle autre chose qu’un survêtement de velours rose vif, et aujourd’hui ne faisait pas exception. Lorsque je l’avais rencontrée pour la première fois, elle me rappelait Phyllis Diller, et cette impression ne s’était pas modifiée. Ses cheveux pointaient de tous côtés, comme une explosion, elle portait trop de maquillage, et son rire était presque identique à celui de la célèbre comédienne. Mais ce qui caractérisait particulièrement Mme P, c’était qu’elle était une artisane volatile — elle avait le pouvoir de se volatiliser. C’était un don très impressionnant.
— Aucune amélioration. Je commence à être vraiment inquiète.
Je posai mon pied sur le banc et j’étirai mon mollet. Missy était en mission pour renifler chaque brin d’herbe autour de nous.
L’inquiétude tendit les rides autour des yeux de Mme P.
— Cherise ne devait-elle pas passer la voir hier ?
— Elle est venue, mais jusqu’à maintenant rien n’a changé. Ma tante fait toujours de la fièvre, elle ne mange pas, et elle persiste à dire qu’elle va bien. J’ai l’intention d’appeler Cherise plus tard ; elle sera peut-être en mesure de m’expliquer ce qui se passe.
— Devrais-je lui apporter un peu de soupe ? Je fais la meilleure soupe à la dinde et au riz sauvage. Demandez à n’importe qui.
Je souris.
— Ce serait merveilleux. Jouez la carte de la culpabilité, dites-lui à quel point vous avez travaillé pour la préparer. Assurez-vous qu’elle la mange.
Mme P éclata de son rire démentiel. Quelques vendeurs de Pierres vagabondes jetèrent un coup d’œil de notre côté.
Cet échange sur la nourriture me rappela que je devais prendre ma première leçon de cuisine ce soir. Il me fallait aussi passer voir Evan au Pain d’épices pour m’assurer que le gâteau de mariage de Ve était en bonne voie, et faire un saut avec Harper à la Boutique enchanteresse pour les derniers essayages de nos robes de demoiselle d’honneur.
Mais je pris soudainement conscience qu’une grande partie de ma journée était en suspens. J’étais censée commencer le nettoyage de la maison de Patrice Keaton. À ce stade, personne ne savait ce qui allait se passer. Je ne pouvais vraiment pas appeler Elodie et lui poser la question. Il me faudrait attendre qu’elle me contacte.
— C’est ce que je ferai, disait Mme P. Je peux éveiller de la culpabilité comme personne d’autre. Tout est dans le frémissement de la voix.
Elle me fit une démonstration.
— Je suis juste une pauvre petite vieille dame…
— C’est bon, dis-je, impressionnée. Vraiment bon. J’achèterais ce que vous vendez.
Elle me fit un clin d’œil.
— Je m’en souviendrai.
Sa voix devint plus sérieuse.
— J’ai entendu dire que vous avez passé toute une journée hier, avec la découverte de cette momie et tout le reste.
Je jetai un coup d’œil vers toutes les boutiques qui bordaient la place.
— Tout le monde est au courant ?
— J’en ai bien l’impression, dit-elle. Au moins trois personnes m’en ont parlé. C’est une honte, ce qui est arrivé à cette femme.
— Connaissiez-vous Patrice ?
— Une connaissance, dit Mme P. C’était une femme plutôt réservée. Elle adorait vraiment sa fille.
Elle leva les yeux vers moi.
— J’ai entendu des rumeurs qui voulaient que sa mort ait quelque chose à voir avec l’Anicula. Que Patrice en avait abusé et qu’elle en avait subi les conséquences.
Je penchai la tête.
— À moins que l’amulette ait le pouvoir de faire rentrer une femme adulte dans une valise pour ensuite la couvrir de tonnes de fouillis, je dirais que cette théorie est un peu exagérée.
Mme P hocha la tête d’un air absent.
— La magie est parfois dangereuse.
— Pas à ce point-là. Il y a quelqu’un derrière sa mort. Peut-être quelqu’un qui voulait mettre la main sur l’Anicula.
— A-t-elle disparu ?
Elle écarquilla les yeux.
— Si cette amulette tombe en de mauvaises mains…
— Bonne question. Elodie dit que l’Anicula a été volée six mois avant la mort de Patrice. Personne ne semble savoir où elle se trouve, ou à quoi elle ressemble. En avez-vous une idée ?
Elle hocha la tête.
— Quelqu’un doit savoir de quoi elle a l’air, dis-je, en étirant mon autre jambe.
— Elodie, je croirais.
Vraiment la seule personne que je ne pouvais harceler maintenant. Je me mordis la lèvre.
— Croyez-vous que la bibliothèque ait des renseignements sur le sujet ?
La bibliothèque du village disposait d’une importante section sur la sorcellerie. Les historiens du monde entier venaient ici pour faire des recherches.
— Probablement pas.
Elle se tapota le menton, puis fit claquer ses doigts.
— L’Ancienne, peut-être.
Je pensai au dernier voyage que j’avais fait pour rencontrer l’Ancienne. La fois où elle avait révoqué mes pouvoirs pour une journée parce que j’avais enfreint une loi des artisans de souhaits. La revoir ne figurait pas très haut sur ma liste de priorités.
— Quelqu’un d’autre ? demandai-je faiblement.
Mme P se mit à rire ; il était évident qu’elle comprenait ma réticence.
— Il y a quelqu’un d’autre qui pourrait le savoir.
— Qui ?
N’importe qui serait mieux que de retourner voir l’Ancienne.
Mme P fit un signe vers les tentes.
— Andreus Woodshall. L’Anicula vient de sa famille.
— Ah oui ?
— Il y a quelques siècles.
— Comment a-t-elle abouti entre les mains de Patrice ?
— Aucune idée, dit Mme P en prenant une gorgée de son café.
Elle tapota ses cheveux hérissés pour s’assurer qu’ils étaient encore en place (ils se déplaçaient rarement).
— Mais je parie qu’il y a là une bonne histoire, ajouta-t-elle.
Yvonne avait mentionné que M. Macabre était sorti avec Patrice seulement parce qu’il voulait l’Anicula… Si elle avait à juste titre appartenu à sa famille, il essayait probablement de la récupérer.
— Est-il aussi effrayant que le disent les gens ?
Elle se remit à ricaner.
— Pire.
Fantastique. Absolument fantastique. Après tout, l’Ancienne n’était peut-être pas un si mauvais choix.
— Travaillez-vous aujourd’hui ? demandai-je.
— Bien sûr. Quelqu’un doit surveiller Vincent Paxton. Mieux vaut garder ses ennemis près de soi, n’est-ce pas, Darcy ?
Mme P me fit un clin d’œil.
Vrai. Tellement vrai. À cause de sa défunte petite-fille, Mme P avait conservé des liens étroits avec Lotions et potions et elle s’était elle-même attribué le travail à temps partiel de tenir à l’œil Vince, le nouveau propriétaire de la boutique. Non seulement elle voulait s’assurer qu’il mélange ses lotions et ses potions correctement (ce qui avait constitué un problème avec l’ancienne direction), mais elle voulait aussi surveiller les intentions de Vince. Comme prospecteur, il voulait désespérément apprendre tout ce qui concernait l’art de la magie, et il avait clairement fait savoir qu’il ne reculerait devant rien pour obtenir des réponses afin de savoir si le village était vraiment magique.
Je soupçonnais fortement qu’il puisse être le voyeur du village. Ne serait-ce que par désespoir. Il s’était convaincu que de la sorcellerie se tramait au village — et il était déterminé à le prouver. Il était facile de l’imaginer en train d’entrer par effraction dans les maisons du village à la recherche de preuves de l’art de la magie. Ce qui expliquerait également pourquoi rien n’avait été volé lors de ces cambriolages. Il s’agissait simplement de missions d’enquête.
Mais avant de diffuser ouvertement mes soupçons (au cas où je me tromperais), je voulais d’abord effectuer une petite recherche à son sujet.
— Très bien, dis-je. Et si vous le pouvez, essayez de savoir si Vince fait de la sculpture.
— De la sculpture ? Sur bois ?
Je fis signe que oui.
— Pourquoi ?
— Simple curiosité.
— Qu’est-ce qui se passe dans votre jolie tête, Darcy Merriweather ?
— Beaucoup trop de choses, dis-je en riant.
Missy tira sur sa laisse. Elle était prête à courir.
— Il faut que nous partions. Je vous parlerai plus tard, Mme P.
— Je vous ferai savoir comment ça se passe avec Ve, dit-elle en nous saluant.
— N’oubliez pas la culpabilité, criai-je par-dessus mon épaule alors que je commençais à m’éloigner en joggant.
— C’est ma spécialité, cria-t-elle à son tour.
Alors que Missy et moi faisions le tour de la place du village, je sentais une paire d’yeux qui observait chacun de mes mouvements. Pourtant, chaque fois que je regardais, je ne voyais personne qui me fixait de façon évidente.
Je me mis à courir plus rapidement, et je songeai à l’Anicula. J’allais devoir rencontrer Andreus Woodshall pour en savoir plus sur l’amulette et ses pouvoirs… ou l’Ancienne.
Aucune de ces options ne me semblait particulièrement invitante, mais je pensai qu’Andreus était le moindre des deux maux.
Alors que je laissais cette pensée se déposer comme un morceau de gruau froid dans mon estomac, je m’aperçus que je commençais à douter de l’existence de l’Anicula.
Était-elle légendaire, comme l’avait dit Pepe ?
Ou mythique ?
Pendant une demi-heure, je fis du jogging à travers les quartiers du village, en restant à l’écart du Sentier enchanté qui se ramifiait dans les bois. Il me fallait admettre que je me sentais un peu dégoûtée à l’idée que quelqu’un m’observe. Et j’avais beau y penser, mais je ne comprenais pas non plus pourquoi quelqu’un le ferait. Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Les mobiles de la personne étaient-ils en quelque sorte liés au fait que j’avais retrouvé le corps de Patrice ? Trop de questions pour lesquelles je n’avais absolument aucune réponse.
Mais l’allure des quartiers suffit à me distraire de la question. Chaque maison du village était dotée d’un incomparable charme suranné. Pour la plupart, elles étaient de style historique — habituellement victorien. Il y avait toute une rue remplie de maisons colorées de style pain d’épices, une autre avec des maisons pittoresques. Les grands chênes remplis de branches feuillues en cette période de l’année étaient abondants. À l’automne, les glands seraient ramassés, pas seulement par les écureuils, mais aussi par les artisans, pour être utilisés dans les sorts, façonnés en talismans, ou installés aux fenêtres de leurs maisons pour conjurer le mal et apporter la chance.
Je courus un peu plus longtemps, en faisant tout mon possible pour me concentrer sur mon rythme, qui, après deux mois de course, serait simplement décrit comme « nonchalant ».
Missy bondissait à mes côtés. Sa petite langue pendait hors de sa gueule alors que je ralentissais pour m’arrêter en face de la librairie d’Harper. L’auvent coloré rayé de tons pastel offrait du soulagement contre le soleil. Du lierre tombait en cascade des bords d’une longue boîte de fenêtre rectangulaire en fer forgé qui contenait aussi une abondance de plantes annuelles communes. Des pétunias roses, de la sauge pourpre, et de la verveine blanche étaient en pleine floraison, de même qu’une plante très piquante qui offrait hauteur et texture.
Alors que je me tournais pour entrer dans la boutique, je remarquai que Marcus Debrowski arrivait vers moi sur le trottoir avec une tasse à emporter qui provenait de L’infusion de la sorcière.
Lorsqu’il m’aperçut, il s’arrêta brusquement.
— Ai-je l’air si effrayante ? demandai-je, en passant une main sur mes cheveux humides.
Il recula d’un pas.
— Je commence à penser que vous portez malheur, Darcy. D’abord Alexandra Shively, il y a quelques mois, et maintenant cette histoire ?
— Ah. Vous avez entendu la nouvelle au sujet de Patrice.
— Tout le monde en a entendu parler.
Il se rapprocha. Missy remua la queue, et il se pencha et lui tapota la tête.
— Je vous avais dit de ne pas accepter ce travail.
Son costume était impeccablement pressé. Ses cheveux étaient soigneusement peignés sur le côté et maintenus en place avec du gel. Sa ceinture était assortie à ses chaussures, et je parierais les économies de ma vie que ses chaussettes étaient aussi appariées avec la couleur de ses chaussures. Il avait probablement mangé des céréales riches en fibres pour le petit-déjeuner. C’était tout simplement son genre.
— Je sais, dis-je. Alors, vous n’aimerez vraiment pas la faveur que je vais vous demander.
Il croisa les bras.
— Non, probablement pas. Mais posez-moi quand même la question.
— J’ai comme en quelque sorte besoin d’un permis de détective privé.
Il écarquilla les yeux.
— Pourquoi ?
— J’ai comme en quelque sorte été embauchée par Elodie pour trouver l’assassin de sa mère.
L’idée ne sembla pas le surprendre autant que je le craignais.
— Et elle ne croit pas que la police en soit capable ? demanda-t-il.
Je songeai à Nick.
— Ce n’est pas ce qu’elle a dit. Elle croit que l’assassin voulait se procurer l’Anicula, et que je pourrais être en mesure d’espionner d’une manière différente de la police.
— Entre artisans, dit-il, comme s’il comprenait.
— En grande partie.
— Vous devez savoir qu’il n’est pas facile d’obtenir un permis de détective privé. Il vous faut notamment obtenir toutes sortes de formations, incluant — puisque vous n’avez aucune expérience — de travailler comme apprentie sous l’égide d’un autre détective privé pendant des années.
— Je sais. Du moins, c’est ce qui se passe pour les mortels.
Je clignai des yeux d’un air penaud. Comme artisan du domaine des lois, il pouvait m’obtenir magiquement un permis, sans poser de questions. Pour un mortel, il semblerait que j’avais respecté toutes les exigences.
Mon clignement d’yeux ne semblait avoir eu aucun effet sur lui. Il hocha la tête.
— Non.
— S’il vous plaît.
— Non.
Un mouvement rapide à l’intérieur de la librairie attira notre attention. Harper se déplaçait, époussetait des livres et des étagères. Marcus ne pouvait s’en détacher les yeux. Il se frotta le menton.
— Nous pourrions peut-être conclure un marché.
— Quel genre de marché ? demandai-je à contrecœur.
Je n’étais pas certaine d’aimer l’évolution de cette affaire.
Ses yeux pétillèrent.
— Je vous fais obtenir le permis, et vous m’obtenez un rendez-vous avec Harper.
J’étais bouche bée.
— C’est de la corruption !
— Non, Darcy, c’est de la négociation. Nous, les avocats, c’est notre force.
Je jetai un coup d’œil vers Harper.
— Et, ajouta Marcus, vous devez me promettre que vous allez vraiment étudier comment être une bonne détective privée. Apprendre les règles, pratiquer dans un champ de tir. Si vous agissez en tant que détective privée, il faut que vous sachiez comment en être une. C’est à prendre ou à laisser.
— Eh bien, puisque nous sommes en négociation, si j’accepte ce marché, vous devrez aussi faire certaines concessions.
J’aimais bien Marcus, et je pensais qu’Harper aussi l’aimerait bien s’ils se connaissaient un peu mieux. C’était la seule raison pour laquelle je considérais son offre.
— Comme quoi ?
Je le lui expliquai.
Il écarquilla les yeux.
— Vous pensez que ça pourrait aider ?
— Certainement. Très bien, alors. Marché conclu ?
Nous nous serrâmes la main, et il s’éloigna à grandes enjambées, avec un peu plus de tonus dans ses chaussures avec embouts. Si Harper découvrait ce que je venais de faire, elle me tuerait. Je devais m’organiser pour qu’elle ne le sache jamais — ce qui était plus facile à dire qu’à faire. Je ne connaissais personne de plus intelligent qu’elle — ou qui me connaissait mieux. Je tapai sur la fenêtre et elle sourit en me voyant, et je me sentis un tout petit peu coupable.
Après avoir déverrouillé la porte et nous avoir laissé entrer, Missy et moi, elle croisa les bras.
— Pour l’amour du ciel, Darcy. Je deviens vraiment jalouse.
Dans la petite cuisine à l’arrière de la boutique, je remplis un bol avec de l’eau et je le posai devant Missy qui lapa l’eau avec enthousiasme.
— Pourquoi ?
Harper leva les mains, et sortit un doigt à la fois, alors qu’elle comptait les raisons.
— Tout d’abord, deux semaines après avoir déménagé ici, tu trouves un cadavre. Deuxièmement, hier, tu trouves un autre cadavre. Troisièmement, y’a un homme des bois dingue qui te surveille dans ta cour arrière. Quatrièmement, Nick Sawyer, c’est une prise sérieuse. Et cinquièmement — elle leva le pouce –, donne-moi une seconde et je t’en trouverai une cinquième.
— Tu es folle, dis-je avec un sourire. Tu le sais, n’est-ce pas ? Y’a seulement toi pour penser que les trois premières raisons peuvent être des sources d’envie.
Je ne voulais pas parler de Nick et du fait que c’était vraiment une bonne prise. Car il y avait un problème flagrant avec ce commentaire. Nick ne s’était nullement fait attraper — du moins, pas par moi.
Ses yeux bruns étaient écarquillés d’excitation alors qu’elle me pressait de lui donner des détails sans patience.
— Tu as une idée de qui pouvait être dans les bois ?
— Non.
— C’est vrai que l’individu avait un couteau et qu’il taillait quelque chose ?
— Probablement.
Un peu de l’excitation quitta ses yeux, et un filet de peur les envahit.
— Taillait quoi ?
— Du bois.
— Oh, Dieu merci. Je craignais que ce soit un petit animal ou quelque chose de semblable.
J’eus des nausées à cette pensée.
— Toute une manière de me réconforter, dis-je, et toute la culpabilité que j’avais ressentie s’éclipsa.
— Désolée, marmonna-t-elle, pas vraiment désolée du tout.
Son visage se pinça.
— Pourquoi du bois ?
Ses sourcils étaient froncés sous la concentration, alors qu’elle essayait de comprendre la situation. Elle aimait avoir toutes les réponses, même quand il n’y en avait pas.
— Et quel genre de bois ?
Était-elle sérieuse ?
— Je n’en ai aucune idée. Du bois brun.
— Tu as besoin d’un cours intensif en médecine légale, Darcy.
Je n’étais pas d’accord. J’étais prête à lui laisser les trucs de médecine légale.
Elle sortit un biscuit pour chien d’une boîte qu’elle gardait sous le comptoir et elle le donna à Missy.
— Penses-tu que c’était un message quelconque ?
J’ignorais quelle sorte de message on pouvait tirer de copeaux de bois.
— Encore une fois, Harper, je n’en ai aucune idée.
— Ne fais pas la grognonne avec moi. Quelqu’un doit comprendre ce qui se passe.
Missy croquait son biscuit de bon cœur.
J’aurais souhaité avoir un biscuit aussi. Un gros.
— La police s’en occupe.
— En tout cas, je ferai une recherche sur les tueurs en série qui taillent du bois. Voir s’il y a une possibilité qu’il en ait un dans la région. Tailler du bois. Tellement bizarre.
Je retins un sourire devant son enthousiasme renouvelé.
— Allez, tu t’en occupes.
— Tu te moques de moi, mais tu ne sais jamais ce qui pourrait en sortir.
— La personne dans les bois, c’est peut-être quelqu’un qui aime se promener dans les bois au hasard la nuit et sculpter. Pour le plaisir.
Elle leva les yeux.
Je ne pouvais lui en vouloir. Personne n’allait se promener dans les bois pour sculpter dans l’obscurité. J’essayais simplement de trouver quelque chose pour me sentir mieux.
— Ou ça pourrait être le voyeur, ce qui est plutôt effrayant, mais qui n’est pas dangereux.
— C’est vrai. Tailler des copeaux, c’est plutôt effrayant.
Je me mis à rire.
— Quoi ?
— Tailler des copeaux, ce n’est pas effrayant. C’est une forme d’art.
— Bien, c’est effrayant quand celui qui taille les copeaux te surveille.
Elle avait raison.
— Ce serait bien si nous pouvions trouver qui était le voyeur et l’exclure de la liste des personnes qui pouvaient se trouver dans ta cour arrière, dit-elle.
— En fait…
— Tu as une idée ? Qui ? Qui ?
Elle sautillait comme une écolière étourdie.
— As-tu envie de faire une petite enquête ?
La question était inutile. Harper était toujours prenante pour une petite enquête.
— Est-ce que je respire ? Sur qui faisons-nous enquête ?
— Vincent Paxton.
Elle haleta.
— Tu crois…
— Je soupçonne. Je ne suis sûre de rien. Voilà pourquoi il nous faut faire enquête.
— Je suis preneuse, dit Harper.
Nous dressâmes des plans d’espionnage pour plus tard, j’attachai la laisse de Missy et je me dirigeai vers la porte.
— Tu n’oublies pas notre essayage de cet après-midi.
— Comment pourrais-je ?
Elle se pencha pour donner un peu d’amour et d’affection à Missy.
Harper n’était pas exactement la fille à porter des robes chic, et ce n’était que par amour pour Ve qu’elle acceptait d’enfiler une des confections de chiffon de Pepe pour le mariage.
Comme elle ouvrait la porte pour nous laisser sortir, elle leva son pouce.
— Numéro cinq. Tu as Missy. Elle me manque.
Il avait été difficile pour Harper de laisser Missy derrière au moment de son déménagement, mais nous avions toutes pensé qu’il valait mieux que Missy reste avec moi et Ve, étant donné que nous travaillions à partir de la maison et que nous avions plus de temps pour elle.
Je penchai la tête.
— Comment t’arranges-tu toute seule ? Tu sais que tu peux toujours revenir habiter chez Ve et louer ton appartement à l’étage.
Harper écarta la suggestion.
— Je vais bien. Mais ça m’arrive quelquefois de me sentir un peu seule, sans Missy avec qui jouer.
Missy se mit à tourner en rond, jappa, remua la queue.
Harper n’avait pas dit que sa grande sœur lui manquait, mais je pouvais assez bien lire entre les lignes. Je me fis une note mentale de passer autant de temps avec elle que je le pouvais. Mais quand ? Puis, j’eus une idée. Une qui m’aiderait à deux égards.
— Que penses-tu au sujet de préparer la nourriture ? demandai-je.
— Si tu veux parler de la cuisine au four à micro-ondes, je suis une pro.
Ça, je le savais.
— Le Grill du sorcier offre des cours de cuisine. Le premier commence ce soir. J’y serai. Tu devrais t’inscrire.
Comme si elle était d’accord, Missy se mit à aboyer.
— Je ne crois pas, dit Harper. La cuisine et moi, nous n’allons pas bien ensemble. Tu te souviens quand j’ai essayé de te préparer un gâteau d’anniversaire et que j’ai failli mettre le feu à la maison ?
— Tu avais six ans.
— Mes compétences culinaires n’ont pas beaucoup changé.
Elle était si têtue. J’allais devoir lui faire un coup bas. Je voulais qu’elle y soit, non seulement pour la faire sortir de son appartement, mais aussi parce que Marcus y serait. Je devais lui soutirer un rendez-vous. Les emmener en même temps au même endroit, c’était la moitié de la bataille.
Je pris mon visage le plus innocent et je posai l’appât.
— C’est dommage, surtout que Jonathan Wilkens y sera probablement. Peut-être dira-t-il quelque chose à propos du fait qu’il était sorti avec Patrice Keaton. Ou bien il pourrait révéler pourquoi Roger Merrick lui reproche la mort de Patrice. Je suppose que je devrai te donner tous les détails demain. Si je m’en souviens. À moins que tu ne changes d’avis au sujet de ces cours…
Harper plissa les yeux.
— Tu me connais trop bien.
— Alors ?
Elle sourit.
— J’embarque !