Tsomo est seule à la maison avec Mère. Dans la cuisine, en train de ranger les plats et les casseroles sur les étagères. Elles sont rarement seules toutes les deux ; c’est un moment privilégié. Un vent vespéral siffle à travers les arbres nus, qui vient heurter les nattes de bambou, les faisant claquer sous le toit. C’est un vent tiède, qui annonce le printemps. Tsomo a vu les bourgeons tout près d’éclater sur les saules.
Encore un moment et la maison sera de nouveau remplie. Les adultes rentreront des champs l’estomac vide, fatigués, les enfants sales, exténués. Mère regarde par la fenêtre, vers l’ouest. Le soleil est juste au-dessus du sommet de la montagne. Elle allumera le feu pour le repas du soir dès que le soleil se couchera. Rien ne presse. Dans cette atmosphère de douce tranquillité, Mère continue de parler à Tsomo tout en rangeant les derniers ustensiles. Elle a toujours dit que Tsomo était un bébé si petit et si faible qu’elle était étonnée qu’il eût survécu. Accompagnant ses paroles d’un geste pour montrer la taille et penchant un peu la tête de côté pour vérifier que la mesure indiquée est la bonne : “Tu n’étais pas plus grande que ça, une petite chose toute fripée qui pouvait à peine ouvrir les yeux. J’ai eu si peur de te perdre.”
Tsomo est la première fille, mais le troisième des douze enfants que Mère a mis au monde. Tsomo n’arrive pas à s’imaginer bébé, petite chose toute fripée. Elle est née l’année du Singe. Tsomo adore écouter sa mère lui parler de l’époque où elle était bébé ; c’est émouvant, et rassurant.
“L’année du Singe n’est pas une très bonne année pour naître. Si bien que j’étais inquiète et très attentive à ce que m’a dit l’astrologue quand il a dressé ton horoscope. La marque de ta roue de naissance, kye tag khorlo, se trouve sur ton genou.
— Et ça veut dire quoi ?
— C’est précisément ce que je lui ai demandé. Ça veut dire que tu ne tiendras pas en place, que tu auras sans cesse envie de voyager, voilà ce que m’a expliqué l’astrologue. Il était étonné que je lui pose la question. Il a dit que tout le monde savait ça.”
“Où donc pourrait bien voyager une fille, même une fille qui ne tient pas en place ?” avait pensé Mère. Ce qui se dit dans un horoscope n’est pas toujours forcément vrai, mais elle avait gardé ses pensées pour elle et écouté l’astrologue ajouter que si le bébé vivait au-delà de trois, puis de quatorze jours, c’est qu’il vivrait très vieux.
“Jusqu’où pourrais-je voyager, Mère ? demande Tsomo songeuse.
— Jusqu’où ? Je ne sais pas. Quand on est une fille, tu sais…” La question de l’enfant remue de vieilles pensées. Puis, doucement, sur le ton de la plaisanterie : “Au nord, peut-être, jusqu’au Tibet, ou au sud jusqu’en Inde.” Il y a dans cette prédiction une pointe d’ironie qui fait sourire Mère : voyage-t-on quand on est une fille ?
Elle explique ensuite que toute nouvelle vie vous est donnée par un khandro ou dakini1 particulier. Tsomo lui a été donnée par Pema Khandro, si bien que son nom d’horoscope est Pema Tsomo. Mais comme l’un de ses frères aînés a été prénommé Pema Namgyel, on l’a appelée Tsomo tout court, et c’est le nom que presque tout le monde emploie. Dans l’horoscope, il est écrit qu’elle n’a pas accumulé suffisamment de mérites dans ses vies antérieures. Tsomo ignore ce que signifie “accumuler des mérites”, mais elle sourit intérieurement : et si on appelait “garçon et fille Pema” son frère et elle, comme le couple qui vit près du grand poirier ? L’homme et son épouse s’appellent tous deux Pema, et les gens les appellent “l’homme Pema” et “la femme Pema”.
“Ma pauvre chérie, tu ne seras pas riche. Ton horoscope dit que la prospérité matérielle ne te sera pas accordée, mais que si tu pratiques la religion, tu renaîtras homme dans ta prochaine vie.” Ce que ne lui a pas dit sa mère, c’est qu’il est également écrit qu’elle serait tourmentée, et qu’elle souffrirait beaucoup tout au long de sa vie. Tsomo aura eu très tôt sa part de souffrance. A quinze ans, elle n’avait déjà plus que sept frères et sœurs. Cinq étaient morts en bas âge, le dernier était mort-né. Même si ces morts s’étaient pour la plupart produites alors qu’elle était encore trop petite pour les pleurer, elle avait déjà connu un peu de cette souffrance dont parlait son horoscope.
La maison de Tsomo est très grande. La plus grande du village, une construction imposante en bois et en terre, à deux étages. Entièrement construit en terre, le rez-de-chaussée n’a que des fentes pour fenêtres, si bien qu’il y fait toujours sombre. Il est réservé aux animaux, la famille occupant le premier et le deuxième étage. Dans le silence de la nuit, Tsomo entend les vaches ruminer. Le bruit sourd que font les animaux en se donnant des coups de corne la réveille parfois. Aujourd’hui encore, quand elle se réveille la nuit, pensant tout d’abord être dans son ancienne maison, elle s’attend à entendre les vaches. Bien que leur maison soit grande, on ne peut pas la voir de loin, surtout en été, parce qu’elle est entourée d’arbres. Des pêchers, des poiriers et des noyers gigantesques, et très vieux. Le printemps les a tous réveillés. Le rose des fleurs de pêcher perce déjà sous la croûte vert foncé des bourgeons. Les bourgeons des noyers sont noirs, gonflés de sève. Tsomo aime le printemps. Elle adore se promener dans les champs, cueillir des fleurs, mais plus encore ne pas être obligée de rester accroupie près du foyer, à disputer aux autres le meilleur emplacement pour avoir chaud.
Mère est toute fière de dire à ses enfants que son arrière-grand-père a construit la maison de ses mains. “Regardez-moi ces énormes poutres. Il les a portées lui-même. Il était si fort que les anciens disent qu’il aurait pu combattre un taureau et avoir le dessus. Mais il avait aussi un côté très doux. Il aimait la nature et c’est lui qui a planté tous ces arbres.” Mère devenait nostalgique. Il y a quelques générations, leurs ancêtres étaient considérés comme les “Wangleng chukpo”, autrement dit les riches de Wangleng. La première fois que Tsomo a entendu cette expression, elle a innocemment demandé : “Pourquoi est-ce qu’on ne nous appelle plus comme ça ?” Aussi loin que Tsomo peut s’en souvenir, on les a toujours appelés les “Wangleng mai chedpo”, autrement dit ceux de la grande maison de Wangleng. Maintenant qu’elle a grandi, elle comprend que ce nom-là est juste, car la grande maison est tout ce qui leur reste. La plupart des pièces sont vides. Une grande partie de leur richesse a été perdue ou dilapidée au cours des années.
Il y a huit autres maisons, bâties en grappe les unes à côté des autres. Tsomo a très tôt appris que les villageois sont tous plus ou moins parents. Quand on est en bons termes, on parle de “notre ancêtre commun”, mais dans le cas contraire on s’accuse les uns les autres d’appartenir à une classe sociale inférieure. Tante Dechen est experte dans l’art d’expliquer la généalogie de chaque famille. Avec une moue de dédain elle déclare : “Ces gens de la maison de Choden Lhamo se conduisent comme des esclaves parce qu’ils ont toujours eu une mentalité d’esclave.” Un jour Tsomo a commis l’erreur de lui demander ce que “mentalité d’esclave” signifiait. Tante Dechen l’a regardée avec une surprise non feinte. “Tu ne sais pas ? Ce n’est pas possible ! Es-tu vraiment si stupide ? Tu devrais le savoir ; tout le monde sait ça.”
Même les enfants ont conscience d’appartenir à un groupe. Tsomo a l’assurance d’une fille dont les parents payent des impôts. Mère est très fière de pouvoir dire qu’ils ont toujours été de bons contribuables. Ce sont des gens bien, pas des serfs. Les serfs sont des descendants des gens de la plaine amenés là comme esclaves. D’une classe sociale inférieure, ils vivent dans des maisons qui appartiennent à leurs patrons et ne possèdent pas de terres à eux. Les métayers, qui travaillent sur des terres dont ils ont la jouissance, appartiennent à la classe juste au-dessus. Ni les serfs ni les métayers ne payent d’impôts au gouvernement central. Ils travaillent pour des familles ayant de la terre et vivant un peu plus haut dans la vallée.
Les passions se déchaînaient, les nerfs étaient mis à rude épreuve chaque fois qu’il était question des autres et de savoir qui, d’un tel ou d’un tel, était mieux que l’autre. Le jour où le fils d’Aum Chomo fut rejeté par la famille de sa fiancée au motif qu’ils étaient issus de serfs, elle vint sur la place du village demander à rencontrer la mère de la fille. Les volets s’ouvrirent à grand bruit, des têtes apparurent aux fenêtres, les enfants interrompirent leurs jeux pour voir ce qui allait se passer. Tsomo, qui avait rejoint ses amis, lesquels faisaient cercle autour d’Aum Chomo, observait la scène. Bien campée sur ses pieds, les mains sur les hanches qu’elle avait minces, Aum Chomo cria bien fort pour que tout le monde l’entende. “Et d’où est-ce que tu sors, toi ? Si tu viens du paradis où règnent les dieux, montre-moi donc l’échelle que tu as empruntée pour descendre, et si tu viens des profondeurs de la terre, montre-moi donc l’escalier que tu as emprunté pour monter. Je croyais que nous étions tous venus travailler à la demande de notre maître, que nous mangions dans les mêmes plats, la même quantité de nourriture qu’on nous accorde pareillement à tous. Qu’est-ce qui te fait croire que tu es meilleure que n’importe lequel d’entre nous ?”
Tsomo aurait bien voulu entendre la suite et savoir à quoi ressemblaient l’échelle du paradis et l’escalier du monde souterrain, mais elle n’entendit que la voix de Mère qui lui disait de rentrer. Elle partit à contrecœur et trouva sa mère quelque peu agitée. “Qu’est-ce que tu perds ton temps à regarder ça ? Viens donc plutôt m’aider à éplucher les légumes pour le dîner.”
Mais Tsomo, indécise, ne bougea pas. “Il y a des navets dans le panier sous l’escalier du grenier”, insista Mère.
Tsomo plongea la main dans le panier et en sortit six navets blancs cerclés d’une bande de mauve sur le dessus. Comme les navets se gardaient plusieurs mois, on les cuisinait tout l’hiver. Tsomo aurait bien aimé autre chose. Les sanves seraient les premiers légumes frais de la saison. Il serait bientôt temps de retourner la terre du potager, à propos. Assise près du feu à peler les navets pendant que Mère s’affairait à la préparation du dîner, Tsomo se demanda comment la mère de la fille avait décrit l’échelle du paradis et l’escalier du monde souterrain. Elle se promit de le demander à ses amies.
Tante Dechen affirmait qu’on pouvait reconnaître un serf à ses traits. Tsomo essayait souvent de voir si l’une de ses amies avait le “nez un peu plus fort, les yeux plus enfoncés dans leurs orbites, une peau plus foncée”, mais elles se ressemblaient toutes : la peau aussi noire que la suie et la fumée de leurs cuisines. Tout le monde avait un nez différent, et elle ne savait pas très bien ce que c’était que des yeux enfoncés dans les orbites. Chaque fois que tante Dechen soulignait ces différences, Tsomo hochait la tête d’un air entendu et disait : “Oui, oui, je vois la différence”, sur un ton aussi adulte que possible, sur quoi sa tante la félicitait pour son sens de l’observation.
Tsomo savait que Père était originaire du village voisin. Lui aussi venait d’une famille payant des impôts. Il était beaucoup plus âgé que Mère et n’avait jamais été marié avant. Déjà très engagé dans une carrière de religieux laïque, il s’était tout à coup mis en tête de prendre femme et avait demandé la main de Mère à ses parents. Légèrement troublée, Mère avait simplement répondu : “S’il pense que je suis assez bien pour lui, qu’est-ce que je peux dire ?”
Ses parents avaient pris sa réponse pour un oui, et ils s’étaient mariés. Père était un gomchen2. Mère avait accepté ce mariage parce qu’elle-même était très croyante et que l’idée d’être l’épouse d’un gomchen lui plaisait. Elle admirait le gomchen en secret depuis des années. Ce qu’elle n’avait pas réalisé, cependant, c’est que les occupations religieuses de son mari ne lui laisseraient aucun répit et que, par conséquent, tout le poids du travail de la ferme reposerait sur ses épaules à elle.
Tsomo n’a jamais entendu sa mère se plaindre. Cette femme forte et courageuse ne s’apitoyait jamais sur son sort. Tsomo lui voyait parfois une drôle d’expression, comme si elle fixait un point dans le vide, un vague sourire aux lèvres. Comme s’il lui manquait quelque chose, et Tsomo se disait qu’elle se serait plainte si elle avait pu. Père avait raison quand il disait : “Votre mère ne se plaint jamais. Elle ne sait pas ce que c’est que se plaindre.” Peut-être ne savait-elle pas, en effet. Elle était grande, avait de larges épaules et des cheveux ondulés qu’elle coupait toujours très court. Elle portait des boucles d’oreilles en argent incrustées de petites turquoises. Les fibules en argent doré, qui servaient à attacher ses kira, étaient si énormes qu’on ne voyait qu’elles sur ses épaules. Une grosse chaîne en argent reliée aux fibules pendait à son cou et cliquetait au contact du collier de perles de toutes tailles qu’elle portait en permanence et dont Tsomo connaissait chaque perle.
Quand Tsomo était petite et que Mère avait un moment de répit, elle la laissait monter sur ses genoux. S’abandonnant à la douceur de ce contact physique, elle renversait la tête en arrière pour regarder sa fille s’amuser avec son sautoir. “Et celle-là, tu l’as eue comment ?” demandait Tsomo en tripotant les perles. D’une voix douce et chantante, Mère approchait sa fille de son cou. Ses grandes mains s’emparaient de celles de Tsomo et les guidaient, lui faisant toucher une perle après l’autre. “Ces deux plus grosses, en corail, m’ont été données par mon père. Il me les a rapportées du Tibet. Ma grand-mère, ton arrière-grand-mère, m’a donné les plus petites en corail. Et cette pierre-là est un zi3. Elle est très précieuse. Elle m’a été donnée par mon arrière-grand-mère, ton arrière-arrière-grand-mère, avant de mourir. Elle était aveugle et c’est moi qui me suis occupée d’elle jusqu’à sa mort. J’ai échangé un beau petit veau contre ces deux paires de petites turquoises. Regarde, elles sont si pures, si bleues. Sens comme elles sont douces.”
Jamais Tsomo n’a oublié ce bleu, et aujourd’hui encore, rien que d’y penser, elle sent leur rondeur lisse sous ses doigts.
“Les autres perles me viennent de la famille, sauf celle-là, et elle lui fit toucher une grosse perle jaune. C’est ton père qui me l’a donnée, de son propre chapelet de prière. Elle lui vient de son maître tibétain. Je ne sais pas ce que c’est. C’est une sorte de talisman pour ma santé, un porte-bonheur, parce que plusieurs grands lamas l’ont touchée et bénie.”
Tsomo adorait entendre le cliquetis des perles contre la chaîne en argent. C’était un son familier, qui la rassurait, qui lui disait que sa mère était là, pas loin, quelque part. Un son pour elle à jamais associé à sa mère. Tsomo se souvient de la façon que Mère avait d’agiter ses perles et sa chaîne pour distraire un bébé qui pleurait. Le cliquetis faisait merveille, le bébé s’arrêtait aussitôt. Mère était quelqu’un qu’on entendait beaucoup, du reste. Elle parlait et riait fort, de tout et de rien, comme une adolescente, et elle riait beaucoup.
Une fois les oncles et tantes maternels de Tsomo mariés et partis de la maison, il fallut que Mère fasse tout elle-même. C’est à cette époque que Tsomo dut aider au ménage, et en faire beaucoup plus qu’avant. “Tsomo, fais ci, fais ça, Tsomo, va me chercher ceci, ou cela.”
La désobéissance était passible de représailles. “Tu es l’aînée, tu dois apprendre à t’occuper d’une maison.”
Père lui demandait rarement de faire quelque chose. En fait, il ne parlait guère à aucun de ses enfants. Tsomo ne le vit même que très rarement parler à Mère. Ils dormaient ensemble dans la chambre qui servait aussi de chapelle privée et il lui semblait de temps à autre entendre des chuchotements dans la nuit. Ils devaient donc bien se parler. Père passait le plus clair de son temps à pratiquer des rituels dans le village ou aux alentours, ou bien, tranquillement assis devant l’autel, à lire toutes sortes de manuscrits et à écrire. C’était un homme assez gros, presque chauve. Du plus loin que Tsomo se souvienne, elle ne vit jamais son père qu’avec très peu de cheveux. Ses vêtements étaient toujours couleur safran ou lie de vin. Il portait son go à mi-mollet. Il avait de grands yeux noirs, perçants, et quand il parlait à quelqu’un il le regardait bien en face, avec une intensité qui en mettait plus d’un mal à l’aise. Père parlait peu, mais toujours avec une grande fermeté. Il avait une voix ronde et grave, très mélodieuse, et quand il psalmodiait ses prières, on aurait dit le ton le plus grave obtenu en soufflant dans une corne de temple. Tsomo se réveillait chaque matin au son de sa voix priant dans la chapelle privée et la dernière chose qu’elle entendait avant de s’endormir chaque soir était encore sa voix, disant les prières du soir. Si le bruit de Mère vaquant à son ménage le jour la rassurait, le bruit de son père priant dans la nuit l’aidait à s’endormir.
Bien qu’en permanence présent, Père était absent de leurs vies, détaché, distant, ignorant presque tout des faits et gestes du reste de la famille. Ils l’entendaient psalmodier mais ne le voyaient qu’au moment des repas. Tsomo avait le sentiment que sa seule présence faisait régner l’ordre dans la maison, où qu’il se trouvât. Il s’asseyait sur la natte à la tête du demi-cercle formé par les membres de la famille et Mère le servait en premier. Père faisait toutes sortes d’offrandes de nourriture aux divinités et à ses lamas, vivants ou morts. Les membres de la famille ne pouvaient commencer à manger que lorsqu’il avait lancé un petit peu de nourriture en l’air, signe que ses offrandes étaient terminées. Tsomo avait pris des repas chez des amies où l’ambiance était plus détendue, où l’on riait et bavardait tout en mangeant. Chez elle, le repas était un rituel sérieux. On parlait peu et on riait encore moins. Père était craint. C’était comme si la famille était un groupe de moines convers face à un grand lama.
Mère était toujours pleine d’attentions et de respect pour son mari, farouchement loyale envers lui. “Jamais vous ne devez dire quoi que ce soit contre votre père”, disait-elle, lorsqu’elle détectait un signe de rébellion chez l’un de ses enfants.
“Tous les enfants doivent le respect à leur père” était pour elle une règle indiscutable qu’elle faisait appliquer avec la plus grande vigilance.
En tant que gomchen, Père jouissait d’un grand prestige dans le village. Pour la plupart des gens, Tsomo, ses frères et ses sœurs étaient avant tout les enfants du gomchen Lopon, ce qui leur donnait un statut à part. Les services de Père étaient très demandés et Tsomo savait qu’il était très occupé lui aussi à sa façon. Il officiait dans sa propre maison mais aussi dans les autres maisons du village. On le consultait surtout pour ses divinations. Si quelqu’un tombait malade, il se rendait à son chevet, ses gros livres de divination sous le bras, pour tenter de trouver les causes de la maladie. Une fois celles-ci déterminées, il s’occupait des remèdes.
Tsomo se souvient que les divinités étaient partout. Père leur disait que les êtres humains devaient partager le monde avec elles, que c’était dans l’ordre des choses, mais qu’elles ne devaient pas empiéter sur leurs territoires respectifs. Ayant entendu une effrayante histoire de divinités malfaisantes tapies quelque part, les enfants se serraient les uns contre les autres dans la nuit noire. Dans ces moments-là, le bruit du vent dans le grenier, une porte grinçant sur ses gonds ou une latte de plancher qui craquait suffisait à les faire trembler.
“Que se passe-t-il si nous empiétons sur leur territoire ? demanda le frère aîné de Tsomo.
— C’est ce qui se produit quand nous tombons malades. On ne peut pas le voir, mais nos actions peuvent aussi faire du mal aux divinités”, répondit Père.
Il arrivait que les maladies fussent causées par des divinités qu’il était urgent d’identifier et d’apaiser. Tsomo avait entendu dire qu’on pouvait sentir la présence d’une divinité malfaisante entrée dans une maison. Elle-même la sentait souvent. C’était indéfinissable, une sensation, comme une petite tape sur l’épaule, un tiraillement dans l’orteil. Elle savait aussi qu’il ne fallait jamais regarder en arrière quand on les sentait autour de soi. A certains moments, pourtant, elle avait beaucoup de mal à résister. Ayant à aller chercher quelque chose dans une autre pièce ou dehors la nuit, il lui arrivait de se mettre à courir jusqu’à la cuisine, comme si on la pourchassait. Mère la grondait. “Eh bien, Tsomo ! On dirait une folle ! Allez, un peu de courage !”
Chaque fois qu’il fallait apaiser une divinité courroucée, Mère envoyait l’un de ses enfants chercher sa sœur, tante Dechen, pour la nourrir et s’en débarrasser. Il y avait des divinités tapies partout. Les gens étaient terrifiés, comme si ces divinités étaient sans cesse en quête de nouvelles proies. Esprits des morts ou esprits des vivants, elles étaient toutes malfaisantes et leur présence se manifestait à travers divers symptômes chez le malade. Elles étaient parfois d’une grande impudence, au point de laisser de grosses griffures ou des marques de crocs sur le corps d’un patient, lesquelles ne devenaient visibles qu’après que les parties du corps infectées avaient été frottées avec un extrait d’une plante grimpante bien particulière.
“Regardez ! Regardez-moi ça ! Les voilà qui apparaissent”, disait tante Dechen tout en frottant vigoureusement le jus sur le corps d’un patient. Elle montrait fièrement les longues égratignures et les taches rouges tuméfiées qui étaient apparues sur le corps malade. Tsomo en avait la chair de poule mais ne pouvait s’empêcher de regarder. Terrifiée, elle suivait des yeux le doigt de tante Dechen qui montrait chaque lésion sur la peau. “Celles-là, les profondes, ce sont des marques de crocs. Celles-ci, comme des épingles, sont des coups de griffes.” Tsomo savait que les divinités avaient des ongles pointus. Tante Dechen le lui avait dit.
Tante Dechen était considérée par tous comme l’intercesseur le plus à même de traiter avec les divinités malfaisantes. C’était à elle qu’on faisait appel quand quelqu’un tombait malade dans le village. Elle cuisinait elle-même pour l’occasion, car à chaque divinité correspondaient une nourriture et une boisson sacrificielles, lesquelles devaient être servies d’une certaine manière dans des récipients et des plats bien particuliers. Puis elle servait la nourriture et parlait aux divinités comme si elles étaient visibles. Tante Dechen n’était ni médium, ni devin, mais quand bien même d’autres personnes pouvaient accomplir ces rituels, on disait que sa cuisine était la seule à pouvoir rassasier les divinités affamées. Si bien que tout le monde comptait sur elle.
Tsomo ayant beaucoup observé tante Dechen, on lui demandait parfois de servir elle-même la nourriture. Elle prenait un air très sérieux, remplissait les tasses et entassait la viande cuite dans les paniers de riz. Tsomo éprouvait une certaine appréhension à l’idée de s’adresser à des invités invisibles et de les servir mais, fascinée, elle ne manquait jamais d’assister sa tante lors de ces rituels. Tante Dechen accueillait les divinités, s’excusait auprès d’elles, leur demandait de s’en aller par des mots doux et de belles paroles, puis laissait le malade.
“Nous ne nous étions pas rendu compte que vous étiez là, pardonnez-nous. Nous avons préparé ces plats pour vous. Voici du bon riz des plaines subtropicales, avec de la bonne viande de yack des hauts plateaux. Voici du thé fait avec le meilleur thé rouge du Tibet, et de l’ara fraîchement distillé pour vous. Mangez, vous devez avoir faim. Buvez, vous devez avoir soif. Quand vous aurez bu et mangé, partez tranquillement, je vous en prie.”
Malgré toute la crainte que ces divinités lui inspiraient, Tsomo se disait qu’elles devaient être bien bêtes. Car tante Dechen racontait des histoires. Le riz était un riz tout à fait ordinaire, la prétendue viande de choix n’était qu’un morceau de viande filandreux et rassis, et le siège soi-disant confortable sur lequel elle les invitait à s’asseoir, qu’un vieux morceau de bois ou un bout de tissu qui ne servait plus à rien, voire parfois un vieux sac. N’empêche, les divinités coopéraient, les patients allaient mieux. Il arrivait cependant qu’elles refusent de s’en aller, auquel cas tante Dechen était obligée de les réprimander et même de les menacer. “Nous vous avons offert vos aliments et votre boisson préférés. Alors maintenant partez, et cessez de nous tourmenter.”
Et si, malgré toute la nourriture qu’avaient reçue les divinités, le patient n’allait pas mieux, tante Dechen se mettait très en colère : “Je vous connais, vous, espèces de pauvres grisons (une appellation peu flatteuse). Si vous ne laissez pas mon patient, je déverserai toute cette nourriture dans votre récipient d’eau, et alors honte à vous. Partez donc avant que je ne brûle du poivron et du piment pour vous chasser, auquel cas vous serez couverts de honte.” Au village, tout le monde savait à quelle maison appartenait telle ou telle divinité. Si bien que si ces menaces n’obtenaient pas l’effet escompté, on en déduisait que plusieurs divinités étaient concernées et qu’on avait dû les confondre. Le problème pouvait résulter de ce que, dans cette confusion, on avait négligé les principales divinités. Quand, encore bébés, les frères et les sœurs de Tsomo tombèrent malades, que Père eut fait tout ce qui était en son pouvoir, que tante Dechen eut nourri toutes les divinités alentour, et qu’ils moururent cependant, Père déclara que c’était leur karma ou le résultat de leurs actions dans des vies antérieures.
Les anciens mettaient beaucoup de choses sur le compte du karma. Père se plaisait à expliquer chaque phénomène d’un point de vue religieux. Pour faire passer un message aux enfants, il racontait des histoires religieuses qu’ils adoraient écouter, lesquelles avaient souvent pour but d’illustrer la notion de karma. Tous les êtres étaient ce qu’ils étaient en raison de la façon dont ils avaient vécu au cours de leurs existences passées, disait-il. Aum Choizom, par exemple, qui restait assise jour après jour devant chez elle à se chauffer au soleil dans l’espoir que celui-ci la guérirait de l’horrible toux qui l’épuisait et lui faisait cracher du sang, souffrait d’une maladie karmique. Aum Chomo et sa famille n’avaient quasiment rien à manger chez eux. Elle mendiait ou empruntait ici et là. Les villageois lui donnaient toujours quelque chose, parce qu’elle ne pouvait rien à sa condition. Tel était son karma. Des années plus tard, ses enfants ayant grandi, les choses changèrent. Leur famille devint prospère. Le karma, là encore. Tsomo fut rassurée d’apprendre que le karma d’un individu n’était pas obligatoirement mauvais tout au long de sa vie. Comme dans la vie d’Aum Chomo, les choses pouvaient changer.
Père disait que les conséquences de nos actes s’accumulent, qu’on en voit les effets sur plusieurs vies, mais parfois aussi déjà dès la vie présente. Et à l’appui de ses dires, il donnait souvent l’exemple de Goempola. Goempola était un gomchen âgé qui vivait au village et dont le travail consistait à aller de maison en maison lire les textes sacrés. Il avait perdu presque toutes ses dents et il articulait si mal que personne ne pouvait comprendre ce qu’il lisait. Tsomo l’avait souvent vu allumer une lampe à beurre sur l’autel et remplir un bol de riz pour y planter un bâton d’encens à brûler. Après quoi il posait le texte sur une petite table devant lui et, psalmodiant d’interminables prières, étalait le rouleau de manuscrits et se mettait à lire. Il y avait dans ses gestes une certaine magie, quelque chose d’harmonieux, de méthodique, qui évoquait un sens du sacré, et qu’il prononçât bien ou non chaque mot revêtait peu d’importance aux yeux de Tsomo. Quand l’un ou l’autre de ses amis critiquait sa façon de lire, elle le défendait toujours. A l’instar des anciens du village, elle le respectait en tant que religieux. Ce qui lui donnait le sentiment d’être très sage et très adulte.
Elle avait entendu dire qu’il profitait des avantages que lui conférait son statut et qu’il marmonnait au lieu de véritablement lire les écritures. Ce qui n’empêchait pas les villageois de continuer à l’inviter à lire chez eux. Tsomo devait avoir six ou sept ans, c’était la fin de l’automne, un vent froid et incessant faisait trembler les feuilles du poirier jaunies, presque brunes, quand on apprit sa mort. Une rumeur sur les circonstances de ce décès circula bientôt dans le village. Deux jours auparavant, Goempola, qui gémissait beaucoup, suppliait quiconque l’approchait de le libérer des lourds textes sacrés qui lui écrasaient la poitrine, l’empêchant de respirer. Bien entendu, il était le seul à voir les textes en question, si bien que personne ne put l’aider. Il mourut en criant de douleur, dans un dernier effort pour se libérer de ce fardeau. Il avait profané les écritures et trompé les gens qui avaient cru en lui, l’avaient nourri et payé pour lire les textes. Tsomo eut cette vision horrible : le Kanjur, les canons tibétains, pas moins de cent huit volumes, chacun pesant environ cinq kilos, empilés sur la poitrine de Goempola. N’importe qui en serait mort écrasé ! Dans les périodes difficiles, les villageois se rassemblaient, laissant de côté leurs différends, surtout quand un décès survenait au village. Qu’un membre de la famille de Tsomo ne fît pas acte de présence lors d’un événement de ce genre, on le remarquait aussitôt, et les gens disaient : “Tiens, personne n’est venu de la grande maison !” Etre de la grande maison, c’était avoir des obligations, et il convenait de ne pas l’oublier.
Tout en répétant constamment : “Pauvre Goempola, il est parti, je me demande bien où il est à présent”, Mère se préparait à frire de quoi remplir un panier de tsog, un pain spécial. Tsomo devait l’aider. Comme lors de chaque décès, tout le village était en deuil. Les enfants eux-mêmes ne jouaient pas comme d’habitude. Ils restaient autour de chez eux, observaient les adultes qui vaquaient à leurs occupations, accomplissant les rituels funèbres. Les camarades de Tsomo ne lui manquaient pas dans ces moments-là, pas plus que leurs jeux. Elle restait à la maison à regarder officier sa mère, ou à l’aider.
Dans un énorme bol en bois que Tsomo avait du mal à soulever, Mère prépara la pâte. Puis, les manches relevées jusqu’aux coudes, elle la pétrit, la battant jusqu’à lui donner la bonne consistance. Tsomo étala la pâte sur une planche de bois et Mère la coupa en bandes fines dont elle se servit pour sculpter toutes sortes de motifs. Quand les biscuits furent prêts, tressés, tordus ou modelés en forme de roues, de fleurs ou d’ananas, elle les plongea dans la friture. Les “pattes d’ours” étaient les préférés de Tsomo. Elle savait même les faire toute seule, désormais. Mère s’assit près du poêle, une grande écumoire à la main, et retourna les biscuits qui grésillaient dans l’huile jusqu’à ce qu’ils fussent parfaitement frits.
“Comment sais-tu quand ils sont prêts ? demanda Tsomo.
— S’ils sont d’un jaune pâle comme ceux-là, c’est qu’ils ne sont pas prêts. Il faut qu’ils soient légèrement brunis, c’est alors qu’ils deviennent croustillants, délicieux.”
Mère distilla une grande quantité d’ara. Comme à son habitude elle s’en versa un peu dans une tasse et le but pour le goûter. Tsomo ne put s’empêcher de rire en la voyant se pourlécher et hocher la tête d’un air satisfait. L’ara devait être bon. Tsomo portant le panier de biscuits et Mère l’ara ainsi que d’autres choses à manger, toutes deux se dirigèrent vers la maison de Goempola. C’était khabsang, l’hommage des villageois à la famille endeuillée. Tsomo étant l’aînée, Mère voulait l’avoir à ses côtés lors d’une occasion comme celle-là, de sorte qu’elle apprît à respecter les bienséances. La coutume voulait aussi qu’un membre masculin de chaque famille vînt apporter son aide ou réciter les prières.
Père menait la prière. Il veillait aussi à ce que la crémation se fît selon les règles, mais chacun avait un rôle à jouer. Les religieux lisaient les textes sacrés et accomplissaient les gestes rituels. Les hommes, les femmes et les enfants aidaient à la préparation et au service des repas. Pour Tsomo, la mort et la crémation étaient toujours associées à toutes sortes d’activités, chacun donnant ses instructions à chacun sur ce qu’il fallait faire. Les grosses marmites fumant dans les cuisines improvisées sentaient bon ces plats qui mitonnent des heures durant. L’odeur la suivait où qu’elle fût. Le son des prières mêlé à celui des cloches, des cymbales et des trompes aux polyphonies rauques résonnait à ses oreilles, son cœur battait au même rythme que les tambours ou se serrait en entendant le timbre poignant des voix adultes qui psalmodiaient le mantra de l’Om Mani Padme Hung, détachant chaque syllabe. Un ancien commençait la prière, puis tous les autres se joignaient à lui. Cela s’appelait partager un mantra. Ce jour-là, ce fut Ap Lhamola qui entonna la prière et tout le monde suivit. C’était un chœur triste, funèbre. Certains souriaient, pourtant, ou riaient sous cape, parce que Pem Lhazom chantait faux et à contretemps. Tsomo remarqua que Pem Lhazom, honteux, se contenta de prononcer les mots, sans les chanter tout le temps que dura la prière. Elle rougit et regarda timidement autour d’elle. La tristesse du chant lui donnait la chair de poule, car elle n’était pas sans savoir que quelqu’un était mort, mais le fait que les vivants priaient pour les morts la rassurait.
Tashi Doma, la femme de Goempola, était une amie proche de Mère, d’autant plus qu’elles avaient le même âge. Assise dans un coin de la cuisine, effondrée, Tashi Doma se frappait la poitrine à gestes lents quand elles entrèrent. Elle avait les yeux rouges, tout gonflés, les cheveux en désordre, le visage pas lavé. Quand Mère entra, Tsomo sur ses talons, Tashi Doma se mit à pleurer : “Il est parti, il est parti.” Mère murmura quelques mots de consolation à l’oreille de son amie et lui prit les mains. Tsomo resta un peu à l’écart, les observant sans rien dire. C’était troublant de voir des adultes pleurer de la sorte, ouvertement. La compassion de Mère redoubla les pleurs de son amie, mais la voix de Mère n’était pas très assurée non plus, et elle avait les larmes aux yeux.
Tsomo observait la scène, les yeux secs. Goempola n’était pas de la famille, ni même un ami pour elle.
“Arrête de pleurer. Ne sais-tu pas que tes larmes vont se changer en pluie, que la vapeur sortant de ta bouche va se changer en brume et que ton frère qui est mort ne pourra pas trouver son chemin vers sa future existence ?” C’était exactement ce que lui avaient dit ces mêmes adultes pour l’empêcher de pleurer quand elle avait perdu l’un des siens. Et maintenant c’était eux qui pleuraient. Ces adultes ne suivaient décidément jamais les conseils qu’ils donnaient aux enfants. Tsomo pensa à la pluie et à la brume qui allaient brouiller la vue de Goempola, et elle eut de la peine pour lui. Tsomo demanda à Mère : “Pourquoi pleures-tu et empêches-tu ainsi Goempola de trouver son chemin vers une autre vie ?
— Veux-tu bien te taire !” la gronda Mère tout en jetant un œil autour d’elle pour voir si on l’avait entendue.
Plus tard, Mère et Tsomo allèrent, comme c’était l’usage, offrir de l’argent au mort. La dépouille se trouvait derrière le rideau. Mère tint l’argent sur son front, les yeux clos, les lèvres frémissant de paroles silencieuses, puis le posa sur la table. Tsomo fit de même, tout en ne sachant pas très bien si c’était ce qu’elle devait faire. Puis elle dit : “Bon voyage, Goempola. J’espère que tu n’auras pas trop de pluie et de brume sur ta route.”
Debout si près du corps, Tsomo ne put s’empêcher de demander : “Comment ont-ils fait pour attacher le corps ?
— Mais comme on fait d’habitude ! lui souffla Mère, un soupçon d’irritation dans la voix.
— Mais je croyais que le corps avait été écrasé sous des tonnes de textes sacrés.” Mère regarda Tsomo un long moment, intriguée. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres l’espace d’un instant, puis, prenant soudain l’air sévère, elle donna à Tsomo une petite tape sur le crâne avec ses jointures, ce qui eut pour effet de la faire pleurer aussitôt.
“Celle-là ! Tu parles trop, ma fille ! dit Mère. Allez, va-t’en jouer avec les autres.”
Comme Tsomo avait le visage inondé de larmes, les enfants la regardèrent avec insistance jusqu’au moment où Deki Lhadon, la plus gentille, s’approcha et lui mit un bras autour des épaules pour la consoler.
“Ne pleure pas, Tsomo. Tu sais ce qui arrive à la conscience d’un mort quand on pleure. Si tu aimais vraiment Goempola, il faut que tu arrêtes de pleurer. Tu ne voudrais pas que tes larmes se changent en pluie et que ton souffle se change en brume et qu’il ne puisse pas voir la route qui le mènera à sa nouvelle vie ?”
1 Khandro ou daikini signifient “habitant du ciel” ; c’est une manifestation féminine de l’énergie d’éveil.
2 Religieux laïques à la fois paysans et propriétaires de temples villageois, ils sont appelés pour présider aux rituels domestiques chez les particuliers et reçoivent des offrandes pour cette tâche.
3 Agate très prisée des Bhoutanais.