DES CENTAINES

DE SACS A BANDOULIÈRE

 

Le Rinpotché leur avait donné le nom et l’adresse d’un moine ladakhi à Delhi. Tsomo put se reposer sur son mari pour s’occuper de tout pendant le voyage. En voyageur expérimenté et avec l’assurance qui le caractérisait, il les amena à Ladakh Vihar dans le vieux Delhi. Tsomo était fascinée par le fait que son mari était un autre homme dès lors qu’il se trouvait en public. Il souriait, se montrait entreprenant et si disert qu’elle se sentait toujours fière d’être avec lui en présence d’autres personnes. Le monastère qui se trouvait au centre du quartier était entouré de deux bâtiments à deux étages de chaque côté. A leur entrée, des petites têtes curieuses apparurent aux fenêtres, un chien jaune les accueillit par un aboiement sans conviction. Une jeune femme vêtue à la tibétaine, assise sur les marches, s’éventait, s’évertuant à atténuer l’inconfort d’une étouffante chaleur. C’était l’heure la plus chaude du jour et tout le monde, ou presque, devait être en train de faire la sieste, car un grand silence régnait. Tsomo resta à l’ombre d’un arbre chétif pendant que son mari alla s’enquérir de Gélong Tsewang Dorji auprès de la femme, laquelle continua de s’éventer vigoureusement tout en lui montrant une porte verte.

Un vieux moine apparut sur le pas de la porte. Il avait dû entendre son nom. Ce petit homme au grand sourire et au cœur manifestement plus grand encore les accueillit comme de vieux amis quand il sut que c’était Rinpotché de Dehradun qui les avait adressés à lui. “Kuencho1, nous sommes disciples du même maître. Entrez, je vous en prie.”

L’endroit était petit, mais bien aménagé. Les lattes du plancher brillaient de propreté. Il leur donna une chambre voisine et absolument identique à la sienne. Ensuite il leur offrit du thé et du riz concassé, s’excusant sans cesse de ne pas avoir de farine d’orge grillée à leur proposer. Après qu’ils eurent longuement bavardé et vidé un grand nombre de tasses de thé, Lhatu demanda :

“Croyez-vous que je puisse trouver du travail par ici ?”

Tsomo retint son souffle. Le moine leva les yeux, l’air surpris. “Ici, dans le monastère ? Non, non, pas ici.

— Non, non, pas dans le monastère, dit Lhatu, je veux dire à Delhi. On m’a dit qu’il y avait du travail pour les copistes, pour transcrire des manuscrits.”

L’homme parut réfléchir un moment, puis : “Oui, oui, je connais quelqu’un qui cherche des copistes. Je vous emmènerai le voir.”

Ouf ! se dit Tsomo, son mari aurait du travail, tout au moins y avait-il un espoir.

Pendant que les hommes allèrent s’enquérir d’un éventuel travail pour Lhatu, Tsomo erra un moment sans but dans l’enceinte du monastère, jusqu’à un temple où elle se décida à entrer. C’était un temple rectangulaire, tout en longueur, où trônait un immense Bouddha. Sur l’autel, il y avait des lampes à beurre dont les mèches, vacillantes, éclairaient plus ou moins les lieux selon la position du ventilateur qui tournait au plafond. Assis sur son trône en béton, l’air serein, le Bouddha semblait vous suivre des yeux. Des bouquets de fleurs artificielles orange vif et roses, agrémentées de feuilles d’un vert qui ne faisait pas naturel, étaient disposés tout autour, formant un contraste saisissant avec l’or clair dont le Bouddha était recouvert. Tsomo fit les trois prosternations rituelles, paumes et front à plat sur le sol. Puis elle ouvrit sa bourse, fit une offrande et pria. “Mon destin m’a amenée à Delhi. Je ne sais ce qui m’arrivera, mais je me prosterne à vos pieds.” Elle ne sut que dire de plus. Mais le fait de s’être jetée aux pieds du Bouddha lui donna le sentiment réconfortant d’appartenir à un lieu, de s’y ancrer, de ne plus être la vagabonde errant au gré des circonstances qu’elle avait été jusque-là.

Dehors il faisait encore chaud, le soleil brillait, blanc, impitoyable, pas une feuille ne tremblait sur les arbres. Elle retourna à l’intérieur pour profiter de la fraîcheur du temple, alla s’asseoir dans un coin et, sortant son chapelet, se mit à psalmodier doucement des mantras. “Om Ah Hung Benza Guru Padma Siddhi Hung.” Ani Decho et tout ce qu’elle lui avait dit lui revinrent aussitôt en mémoire. Elle s’efforça de visualiser Guru Rinpotché, mais c’est l’image d’Ani Decho qui lui vint à l’esprit, et avec elle son amie “l’excellente nonne” Ani Choni Lhayant, à qui avait appartenu le chapelet qu’elle tenait entre ses mains. Elle l’imagina : une nonne pâle et maigre, disparaissant sous une épaisse couche de couvertures, la tête sur ses oreillers, psalmodiant, les lèvres constamment en mouvement, les yeux clos, en prière, aussi paisible et sereine que le Bouddha qui se trouvait présentement face à elle. Tout en psalmodiant, Tsomo laissa vagabonder ses pensées, comme une rivière qui suit son cours. Elle éprouva une grande paix intérieure. La paix, c’est ce qui lui avait manqué dans sa vie, toujours agitée, tourmentée qu’elle avait été jusque-là, que ce soit par ses problèmes physiques ou ses difficultés matérielles. Ce fervent désir qu’elle avait eu, jadis, de pratiquer la religion lui semblait bien loin, aujourd’hui.

Elle n’eut aucune conscience du temps qu’elle resta ainsi assise dans le temple. Le soleil se coucha, un peu de fraîcheur tomba. Tsomo se leva et quitta les lieux. Son mari était déjà dans la chambre du moine Tsewang quand elle entra. Il était en sueur, mais apparemment ravi et détendu. Il lui annonça qu’il commencerait à travailler chez l’éditeur dès le lendemain. Il y avait rencontré deux autres copistes bhoutanais qu’il avait connus des années auparavant. A son haleine, qui sentait l’alcool, Tsomo sut qu’ils avaient bien fêté leurs retrouvailles. Mais Tsomo était toute contente à l’idée de rencontrer d’autres Bhoutanais à Delhi.

“Nous allons rester quelque temps à Delhi, alors défais nos affaires et fais-nous quelque chose d’habitable de cette pièce, ordonna son mari le lendemain matin, se levant exceptionnellement tôt et réclamant son thé, qu’il prenait au lit, quelle que fût l’heure.

— As-tu parlé à Gélong Tsewang Dorji ? Est-ce qu’on reste ici ? Vous avez pris une décision ?

— Tout est en ordre. J’ai tout arrangé, comme toujours”, dit-il, accompagnant ses paroles d’un geste impatient signifiant à Tsomo qu’elle n’avait pas à s’en mêler.

Tsomo espérait qu’il disait vrai. La promesse d’un emploi avec des honoraires était encore vague, abstraite. Il avait du travail, disait-il, mais il ne rapportait jamais rien à la maison. Partant de l’hypothèse qu’il serait bien payé, il s’acheta des vêtements, des chaussettes, des chaussures, et même une radio – “Il faut s’informer, être au courant de ce qui se passe dans le monde” – avec une bonne partie des économies réalisées sur la vente des tissus.

Quoique se faisant la réflexion qu’il dépensait beaucoup, Tsomo prit le parti de ne pas lui en tenir rigueur. Après toutes les privations qu’ils avaient connues, c’était une bonne chose qu’il se fît plaisir. Il avait plus belle allure que jamais et, même, l’expression de dédain sur son visage n’était pas aussi marquée qu’avant. Il était devenu plus doux, plus gentil avec elle, et leur vie intime était plus détendue, de temps à autre même agrémentée d’un petit élan de passion. Seule leur situation financière ne s’arrangeait pas. Car rien de ce qu’il gagnait n’arrivait à la maison, et c’était Tsomo, une fois de plus, qui devait acheter de quoi les nourrir. Mais elle préférait ne pas s’en plaindre, ne voulant pas gâcher cette embellie dans leur relation, et elle se tourna une fois de plus vers le tissage. Elle sortit tout son matériel et se mit au travail dès qu’elle sut où trouver du fil. Elle dut tisser des centaines de sacs pour leur assurer à tous deux des moyens d’existence à Delhi.

Plusieurs semaines passèrent sans qu’ils fissent la connaissance de qui que ce fût. Un jour, après être allée au temple, Tsomo tenta de retrouver la femme qui lui avait montré où habitait Gélong Tsewang Dorji le jour de leur arrivée. Elle était là, sur les marches, qui s’éventait. “Vous vivez ici ?” lui demanda Tsomo, voyant que la femme ne la reconnaissait pas.

Elle lança à Tsomo un regard las. “Oui, je vis ici, dit-elle.

— Je suis nouvelle, ici, et je ne connais pas très bien le coin.

— Ça, j’avais remarqué.

— Pensez-vous que vous pourriez me guider un peu si vous en avez le temps ? s’aventura Tsomo.

— Pourquoi ? Qu’est-ce que vous cherchez ? demanda-t-elle sur un ton brusque.

— Je voudrais acheter de quoi tisser.

— Vous voulez dire tricoter ?” demanda-t-elle. Tsomo savait qu’elle ne parlait pas très bien le tibétain, mais elle faisait la différence entre les mots “tisser” et “tricoter”. “Non, je suis tisserande. Je tisse.”

A ces mots les yeux de la femme s’allumèrent. “Ici, tout le monde tricote, mais je n’ai jamais vu personne tisser. Ma mère tissait, au Ladakh, mais je ne me souviens pas très bien d’elle. Elle est morte quand j’étais petite.

— Vous venez du Ladakh, alors ?

— Oui, la plupart des gens d’ici viennent du Ladakh. Mais il y a aussi des Tibétains et des Indiens. Mon oncle est moine. Il s’occupe du monastère, et moi je m’occupe de lui, dit-elle avec un vague sourire. Je serais heureuse de vous emmener au marché. Je m’appelle Sonam Dolma. Je m’ennuie, ici, à n’avoir rien d’autre à faire que la cuisine, le nettoyage et le ménage”, ajouta-t-elle.

Sonam Dolma emmena Tsomo dans un quartier appelé Chandini Chowk, où l’on pouvait trouver de tout si on réussissait à ne pas se perdre dans le dédale de ruelles commerçantes que fréquentait une foule bigarrée de marchands aux éclats de voix aussi bruyants que ceux de leurs clients. Alors qu’elle se frayait un chemin dans cette foule, Tsomo se revit, petite fille, allant ramasser des champignons dans la jungle du Bhoutan. Les gens étaient comme ces buissons épineux et rétifs où elle devait se faufiler pour trouver les grappes de champignons. Des hommes maigres en lungi, qui tiraient ou poussaient des voitures à bras chargées de marchandises en criant : “Tuut, tuut”, ajoutaient à tout ce tohubohu. “Nous y sommes”, dit enfin Sonam Dolma.

Tsomo fut abasourdie par la quantité d’échoppes qu’il y avait là, alignées les unes à côté des autres, pleines de balles de fils de toutes les textures et de toutes les teintes. Prenant son temps, elle commença par examiner les produits, puis choisit une boutique au hasard. Elle ne voulait pas paraître perdue. C’était “une question de dignité”, comme disait son mari. Mettant bien de côté ce dont elle aurait besoin pour la nourriture, elle dépensa ce qui lui restait pour acheter du fil. Un coolie surgi de nulle part insista pour porter son bagage, qui était assez lourd. Dans un moment de légèreté inconsidérée, elle s’offrit ce luxe, de se faire porter son bagage par un coolie, ce qui se révéla au demeurant une excellente idée, car l’homme connaissait tous les raccourcis à travers les ruelles et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire elles se retrouvèrent dans la rue principale. Il demanda une roupie, que Tsomo lui donna sans hésiter sur l’argent prévu pour la nourriture.

Sonam Dolma prit l’habitude de venir chaque jour passer un moment dans la chambre de Tsomo. Elle la regardait travailler avec beaucoup d’attention, parlant peu, la plupart du temps par monosyllabes. Mais le tissage l’intéressait vraiment ; Tsomo s’en rendit très vite compte. Au début, elle aida Tsomo à amidonner le fil, et aussi à le mettre en pelotes. Mais au bout d’un certain temps, elle demanda à Tsomo de lui apprendre à tisser. Tsomo appréciait les visites de Sonam Dolma et, bien qu’elle fût obligée de prendre sur son temps pour lui apprendre, elle l’encouragea. Sonam Dolma apprenait vite et elle aimait ça.

“C’est quand même incroyable que ce soit une Bhoutanaise qui m’apprenne à tisser à Delhi. Mes amis et ma famille au Ladakh ne vont pas le croire.”

Le mari de Tsomo n’invita jamais aucun des Bhoutanais avec qui il travaillait chez eux, ne fit aucun effort non plus pour présenter Tsomo à ses collègues. Si bien qu’en dehors des visites de Sonam Dolma, Tsomo passait le plus clair de son temps seule. Elle avait tellement soif d’échanges qu’elle se surprenait parfois à parler toute seule.

Tous les après-midi, à l’heure de la sieste, un silence de plomb s’abattait sur le monastère. C’était le moment le plus chaud de la journée. La chaleur était si pénible que la moindre activité mettait Tsomo en nage, ses mains devenaient moites. Aussi allait-elle au temple où elle s’asseyait pour psalmodier des prières jusqu’au moment où, la température baissant, elle rentrait se remettre à son métier. Un jour, elle s’apprêtait tout juste à y aller quand un homme, qu’elle crut être tibétain, vint vers elle et lui demanda où se trouvait la chambre de Lhatu. Il parlait tibétain, mais avec un accent particulier, un peu forcé, et Tsomo se demanda de quelle nationalité il était.

“Lhatu est à son travail, il va bientôt rentrer. Vous pouvez venir l’attendre chez nous, si vous voulez.”

L’homme lui lança un regard interrogateur mais ne dit mot et la suivit chez eux. La pièce était étouffante et elle alluma le ventilateur qui se mit à ronronner bruyamment, brassant un peu d’air dans la pièce. Pour une fois qu’un ami de son mari leur rendait visite, elle pouvait faire une folie. D’habitude, pour ne pas avoir trop d’électricité à payer, elle ne mettait jamais le ventilateur en route, même par grande chaleur. Elle s’efforçait de limiter ses dépenses au strict minimum. Elle était encore en train de s’extasier devant le ventilateur électrique quand l’homme se remit à parler, mais en bhoutanais cette fois.

“Vous devez être bhoutanaise ! Etes-vous la mère de Lhatu ?”

Tsomo avait quelques années de plus que son mari mais pouvait-on vraiment la prendre pour sa mère ? Ainsi son mari n’avait jamais parlé d’elle à ses amis. Elle avait toujours eu l’impression qu’il avait honte d’elle. Cette fois, elle en avait la preuve, se dit-elle avec tristesse. Elle se sentit rougir, tout à coup, et, l’air gênée, put à peine marmonner : “Je suis sa femme, je suis plus âgée que lui.”

Un silence gêné s’installa entre eux. Quel besoin avait-elle eu de préciser qu’elle était plus âgée que son mari ? Du coup, c’était au visiteur, à présent, d’être embarrassé.

“J’ai su que vous étiez bhoutanaise dès que j’ai vu le métier à tisser, dit-il pour alléger l’atmosphère. Les Bhoutanaises emportent leur métier partout où elles vont.”

Sherab était un homme assez corpulent avec de petits yeux, un nez épaté et un sourire timide. Il devait avoir l’âge de Tsomo, ou quelques années de plus. Il avait une voix agréable et continua de parler pendant que Tsomo préparait le thé. Elle était heureuse de rencontrer enfin un autre Bhoutanais. Parler bhoutanais lui manquait beaucoup. Entre elle et son mari, les conversations était rares. Sonam Dolma parlait par monosyllabes et seulement pour répondre à ce que lui disait Tsomo. Quant à Gélong Tsewang Dorji, il aurait volontiers bavardé avec elle, mais il était tout le temps occupé et Tsomo n’avait personne d’autre à qui parler parce qu’elle ne connaissait pas le hindi. Si bien qu’elle restait la plupart du temps enfermée dans le silence. Elle réalisait pour la première fois à quel point parler et entendre sa langue lui avait manqué. Il fallait même qu’elle se réfrène pour laisser parler Sherab, mais ses paroles étaient musique à ses oreilles, apaisantes, réconfortantes. C’était un des copistes qui travaillaient avec son mari. Il était de Kheng, gomchen également quoique n’en portant pas l’habit, s’excusa-t-il, car un pantalon et une chemise en coton étaient plus agréables quand il faisait très chaud. Elle aussi avait temporairement abandonné sa kira, trop lourde, trop épaisse, pour un lungi, plus frais et plus pratique. Les gens devaient s’adapter et s’habiller en fonction de la température. Sherab n’avait pas besoin de s’en défendre, elle comprenait parfaitement qu’il eût fait ce choix.

Ils burent du thé et échangèrent des informations concernant l’un et l’autre. Il faisait presque nuit, à présent, et son mari n’était toujours pas rentré.

“Je vais préparer le dîner. Restez dîner avec nous. Je suis sûre que mon mari ne va pas tarder. Il a dû avoir un surcroît de travail.

— Cela fait plusieurs jours que Lhatu n’est pas venu travailler. C’est justement pour ça que notre employeur m’a envoyé, pour voir s’il n’était pas malade ou s’il avait un problème quelconque.”

Des tas de pensées affluèrent aussitôt à l’esprit de Tsomo qui resta un moment sans rien dire.

“Mais comment est-ce possible ? Il part travailler tous les jours et ne rentre que très tard parce qu’il a un surcroît de travail”, dit-elle tout haut.

Sherab était de nouveau très embarrassé. “Lhatu doit certainement avoir ses raisons”, dit-il, préférant ne pas s’étendre sur le sujet.

Tsomo essaya de se convaincre qu’il devait y avoir un malentendu. Elle sortit son sac de riz, en mesura trois bols et commença de le laver. Mais Sherab insista pour que Tsomo ne se donne pas cette peine, arguant que faire la cuisine par cette chaleur était trop fatigant. Et il lui proposa d’aller manger au restaurant. Tsomo accepta d’emblée, sans réfléchir. Sur quoi Sherab sortit de la pièce et lui demanda de le suivre. Tsomo eut la surprise de découvrir qu’il y avait un restaurant dans l’enceinte du monastère, alors qu’elle avait cru en avoir exploré toutes les ressources. Une sorte de toile de tente était attachée à une petite hutte qui faisait office de cuisine. Sous la toile, on avait placé des tables et des chaises. Deux personnes y étaient déjà en train de manger. Sherab la guida vers une table qui donnait sur une petite pelouse bordée de plates-bandes. Elle s’assit face à lui, mais se sentit mal à l’aise, pas à sa place. La chaise était dure, trop haute, ses pieds touchaient à peine le sol. Il lui demanda ce qu’elle désirait manger. Elle était tellement intimidée qu’elle répondit : “N’importe.

— Je vais lui dire de nous apporter ce que je prends d’habitude.

— Vous venez souvent ?

— Je n’aime pas beaucoup faire la cuisine et ma chambre devient étouffante dès que j’utilise le poêle ; alors oui, je viens souvent.”

Une vieille femme qui toussa dans ses mains et regarda Tsomo avec un peu trop d’insistance les servit. Elle leur apporta un bol de thukpa et une assiette de momos à chacun. Ce dîner fit un immense plaisir à Tsomo, même si, n’osant pas manger les six boulettes, elle en donna deux à Sherab. Il les prit sans faire de manières. Après le dîner, ils passèrent devant le temple. Comme il n’y avait pas de lumière dans sa chambre, ce qui signifiait que son mari n’était toujours pas rentré, elle suggéra qu’ils entrent dans le temple. Ils firent ensemble, côte à côte, les prosternations et les offrandes rituelles, prièrent en silence, puis s’en retournèrent chez elle. Son mari n’était toujours pas rentré. Sherab la quitta en disant qu’il reviendrait.


1 Expression signifiant “mon Dieu”.