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Une Visite avec Grand-Père
Une vérité simple est découverte

Je me considère comme chanceux parce que j’ai été abreuvé, dans mon éducation, du lait d’une ancienne tradition, celle des Toltèques. Ma mère était une grande guérisseuse, et être témoin de miracles n’avait rien d’extraordinaire, parce que je ne connaissais rien d’autre. Je grandis, croyant que tout était possible, mais ce que j’apprenais au sujet des Toltèques était plein de superstition et de mythologie. Je me souviens d’avoir vu partout des superstitions, et, adolescent, je me rebellai contre tous les mensonges qui viennent de la tradition. J’appris à défier toute chose, jusqu’à ce que certaines expériences m’ouvrissent les yeux à la vérité. Puis je sus que ce que j’avais appris des anciens Toltèques n’était pas une théorie. Je savais, mais je ne pouvais pas l’expliquer avec des mots.

Dans ce livre, je veux vous parler de certaines expériences qui ont changé complètement mon point de vue. Avec chaque expérience, j’ai réalisé quelque chose qui était toujours évident, mais que je n’avais jamais vu auparavant. Peut-être ne vais-je pas vous raconter ces histoires exactement comme elles sont arrivées, mais c’est la façon dont je les ai perçues, et dont j’ai essayé de les conter à moi-même. Peut-être avez-vous eu des moments semblables, où vous avez réalisé, comme je le fis, que ce que l’on croit n’est pas la vérité. Des occasions de percevoir la vérité nous viennent toujours, et ma vie avait été remplie de ces occasions. J’en ai laissé échapper beaucoup, mais d’autres ont ouvert mes yeux spirituels et ont rendu possible la transformation dans ma vie.

L’une de ces occasions me fut donnée lors d’une visite à mon grand-père quand j’étais collégien. Mon grand-père était ce que l’on appelle un vieux nagual, la même chose qu’un chaman. Il avait près de quatre-vingt-dix ans, et les gens lui rendaient visite pour apprendre, pour être près de lui. Grand-père m’avait enseigné depuis que j’étais enfant, et j’avais travaillé dur pendant toute mon enfance, afin d’être assez bon pour gagner son respect.

Bon, c’était une époque où je prétendais être un intellectuel, et je voulais impressionner mon grand-père avec mes opinions au sujet de tout ce que j’apprenais à l’école. J’étais prêt à montrer à celui qui avait eu l’influence la plus importante sur ma vie, combien j’étais intelligent et habile. Je me rendis à la maison de mon grand-père, et il me reçut comme il le faisait toujours – avec un grand sourire, un amour immense. Je me mis à lui parler de mon point de vue au sujet de l’injustice dans le monde, de la pauvreté, de la violence, du conflit entre le bien et ce que j’appelais le mal.

Mon grand-père était très patient, et il écouta attentivement tout ce que je disais. Cela m’encouragea à parler encore plus, juste pour l’impressionner. À un certain moment, je vis se dessiner un petit sourire sur son visage. Ooh! Je sus que quelque chose allait se produire. Je ne l’impressionnais pas du tout. Je pensai : “Oh! Il se moque de moi.” Il remarqua ma réaction, et me regarda droit dans les yeux. “Bon, Miguel, ce sont de bonnes théories que tu as apprises, dit-il. Mais ce ne sont que des théories. Tout ce que tu m’as dit n’est qu’une histoire. Cela ne signifie pas que ce soit vrai.”

Bien sûr, je le pris plutôt mal. J’en fis une affaire personnelle, et j’essayai de défendre mon point de vue. Mais c’était trop tard, parce que mon grand-père commença à parler. Il me regarda, avec un grand sourire, et dit : “Tu sais, la plupart des gens dans le monde entier croient qu’il y a un grand conflit dans l’univers, un conflit entre le bien et le mal. Eh bien! ce n’est pas vrai. C’est vrai qu’il y a un conflit, mais il n’existe que dans le mental humain, pas dans l’univers. Ce n’est pas vrai pour les plantes ou les animaux. Ce n’est pas vrai pour les étoiles ou les arbres, ou pour le reste de la nature. C’est seulement vrai pour les humains. Et le conflit dans le mental humain n’est pas réellement entre le bien et le mal. Le conflit réel, dans notre mental, est entre la vérité et ce qui n’est pas vrai, entre la vérité et les mensonges. Le bien et le mal sont juste la conséquence de ce conflit. Le fruit de la foi en la vérité est bonté, amour, bonheur. Quand tu vis dans la vérité, tu te sens bien, et ta vie est merveilleuse. Croire aux mensonges, et défendre ces mensonges, crée ce que tu appelles le mal; cela crée le fanatisme. La croyance aux mensonges est ce qui crée l’injustice, la violence et les sévices, la souffrance, pas seulement dans la société, mais aussi dans l’individu. L’univers est aussi simple que c’est ou ce n’est pas, mais les humains compliquent tout.”

Hmm… Ce que mon grand-père m’avait dit était logique, et je le comprenais, mais je ne le croyais pas. Comment tous les conflits dans le monde, la guerre, la violence et l’injustice, pouvaient-ils être le résultat de quelque chose de si simple? Ce devait être plus compliqué que cela.

Grand-père continua : “Miguel, tout le drame que tu subis dans ta vie personnelle, est le résultat de la croyance à des mensonges, surtout à ton sujet. Et le premier mensonge auquel tu crois est tu n’es pas : tu n’es pas ce que tu devrais être, tu n’es pas assez bon, tu n’es pas parfait. Nous naissons parfaits, nous grandissons parfaits, et nous mourrons parfaits, parce que seule la perfection existe. Mais le gros mensonge, c’est que tu n’es pas parfait, que personne n’est parfait. Aussi, tu te mets à la recherche d’une image de perfection que tu ne peux jamais devenir. Tu n’obtiendras jamais la perfection de cette façon, parce que cette image est fausse. C’est un mensonge, mais tu ajoutes foi à ce mensonge, et tu édifies ensuite toute une structure de mensonge pour le soutenir.”

À ce moment, je n’ai pas réalisé que mon grand-père m’avait donné une occasion formidable – quelque chose d’aussi simple que d’avoir la conscience que tout le drame de ma vie, toute la souffrance de ma vie, n’existait que parce que je croyais à des mensonges. Je voulais croire ce que mon grand-père disait, mais je fis seulement semblant de le croire. Et c’était si logique que je dis : “Oh oui! Grand-père, tu as raison. Je suis d’accord avec toi.” Mais je mentais. Il y avait trop de mensonges dans ma tête pour accepter quelque chose d’aussi simple que la vérité.

Alors mon grand-père me regarda avec beaucoup de gentillesse et dit : “Miguel, je peux voir que tu essaies de m’impressionner, de prouver que tu es assez bon pour moi. Et tu as besoin de faire cela, parce que tu n’es pas assez bon pour toi-même.” Ouch! Il m’avait épinglé. Je ne savais pas pourquoi, mais j’avais l’impression qu’il m’avait pris en flagrant délit de mensonge. Je n’avais jamais réalisé que mon grand-père connaissait parfaitement mon manque d’assurance, savait parfaitement que je me critiquais et me rejetais moi-même, voyait parfaitement mes sentiments de culpabilité et de honte. Comment savait-il que je prétendais être ce que je n’étais pas?

Grand-père sourit encore et me dit : “Miguel, tout ce que tu as appris à l’école, tout ce que tu sais au sujet de la vie, n’est que connaissance. Comment peux-tu savoir si ce que tu as appris est la vérité ou non? Comment peux-tu savoir si ce que tu crois à ton sujet est la vérité?” À ce moment, je réagis et dis : “Bien sûr que je connais la vérité à mon sujet. Je vis avec moi chaque jour. Je sais ce que je suis!” Grand-père rit franchement et dit : “La vérité, c’est que tu n’as aucune idée de ce que tu es vraiment, mais tu sais ce que tu n’es pas. Cela fait si longtemps que tu pratiques ce que tu n’es pas, que tu crois vraiment que ton image est ce que tu crois. Tu as investi ta confiance dans tous ces mensonges à ton sujet. C’est une histoire, mais ce n’est pas la vérité.

“Miguel, ce qui te rend fort, c’est ta foi. La foi est le pouvoir de création qu’ont tous les humains, et elle n’a rien à voir avec la religion. La foi est le résultat d’un accord. Quand tu acceptes de croire en quelque chose sans doute aucun, tu investis ta foi. Si tu n’as aucun doute au sujet de ce que tu crois, alors pour toi c’est la vérité, même si en réalité c’est un mensonge. Ta foi est si puissante que si tu crois que tu n’es pas assez bon, tu n’es pas assez bon! Si tu crois que tu échoueras, tu échoueras, parce que c’est le pouvoir et la magie de ta foi. Comme je te l’ai dit, tu souffres parce que tu crois en des mensonges. C’est aussi simple. L’humanité est comme elle est parce que, collectivement, nous croyons en tant de mensonges. Cela fait des milliers d’années que les humains véhiculent des mensonges, et nous réagissons aux mensonges avec haine, avec colère, avec violence. Mais ce ne sont que des mensonges.”

Je me demandai : “Alors comment pouvons-nous connaître la vérité?” Avant que j’aie pu poser cette question à haute voix, mon grand-père y répondit : “La vérité, on doit en faire l’expérience. Les humains ont besoin de décrire, d’expliquer, d’exprimer ce qu’ils perçoivent, mais quand nous faisons l’expérience de la vérité, il n’y a pas de mots pour la décrire. Celui qui proclame : ‘ C’est la vérité ’, ment sans même le savoir. Nous pouvons percevoir la vérité avec nos sentiments, mais dès que nous essayons de la décrire avec des mots, nous la déformons, et ce n’est plus la vérité. C’est notre histoire! C’est une projection fondée sur la réalité qui n’est vraie que pour nous, mais nous essayons encore de mettre notre expérience en paroles, et c’est quelque chose de réellement merveilleux. C’est le plus grand art de tout être humain.”

Grand-Père pouvait voir que ce qu’il venait de dire n’était pas clair pour moi. “Miguel, si tu es un artiste, un peintre, tu essaies d’exprimer ce que tu perçois avec ton art. Ce que tu peins peut n’être pas exactement ce que tu perçois, mais en est assez proche pour l’évoquer. Bon, imagine que tu aies la chance d’être un ami de Pablo Picasso. Et parce que Picasso t’aime, il décide de faire un portrait de toi. Tu poses pour Picasso, et, au bout de plusieurs jours, il te montre finalement ton portrait. Tu diras : ‘ Ce n’est pas moi ’, et Picasso dira : ‘ Mais si, c’est toi. C’est comme ça que je te vois. ’ Pour Picasso, c’est vrai; il exprime ce qu’il perçoit. Mais tu diras : ‘ Je ne ressemble pas à cela. ’

“Chaque humain est comme Picasso. Chaque humain est un conteur, ce qui veut dire que chaque humain est un artiste. Ce que Picasso fait avec les couleurs, nous le faisons avec les mots. Les humains sont témoins de la vie qui se produit en nous et autour de nous, et nous utilisons des mots pour faire un portrait de ce dont nous témoignons. Les humains fabriquent des histoires au sujet de tout ce qu’ils perçoivent, et, comme Picasso, nous déformons la vérité; mais pour nous, c’est la vérité. Bien sûr, la façon dont nous exprimons notre déformation peut être quelque chose que les autres aiment. L’art de Picasso est très estimé par beaucoup de gens.

“Tous les humains créent leur histoire avec leur point de vue unique. Pourquoi essayer d’imposer ton histoire aux autres alors que pour eux elle n’est pas vraie? Quand tu comprends cela, tu n’as plus besoin de défendre ce que tu crois. Il n’est pas important d’avoir raison ou de donner tort aux autres. Tu vois au contraire chacun comme un artiste, un conteur. Tu sais que ce qu’il croit est juste son point de vue. Cela n’a rien à voir avec toi.”

Eh bien! J’avais voulu impressionner mon grand-père, mais c’est lui qui, à nouveau, m’avait impressionné. J’avais le plus grand respect pour mes aînés. Ce n’est que plus tard que je compris le sens du sourire qui s’était dessiné sur le visage de mon grand-père. Il ne s’était pas moqué de moi. Le sourire, c’était parce que je lui rappelais une époque où, tout comme moi, il avait essayé d’impressionner ses aînés.

Après cette conversation avec mon grand-père, je ressentis le besoin de comprendre. Je voulais comprendre ma vie personnelle, et découvrir le moment où j'avais commencé à ajouter foi aux mensonges. Ce n’était pas facile. Il me fallut un an pour digérer cette conversation. Me voir au moment présent, voir ce que je croyais, n’était pas évident, et pas facile du tout à abandonner. Mais je voulais des réponses parce que c’est ma nature. J’avais besoin de savoir, et le seul point de référence était mes souvenirs.

 

 

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Points à Méditer
• Il y a un conflit dans le mental humain entre la vérité et ce qui n’est pas la vérité, entre la vérité et les mensonges. Le résultat de la foi en la vérité est la bonté, l’amour, le bonheur. En revanche, ajouter foi aux mensonges et les défendre, ne fait naître qu’injustices et souffrances – dans la société comme dans l’individu.
• Le drame dont souffrent les humains est le résultat de la croyance en les mensonges, surtout au sujet de soi-même. Le premier mensonge auquel nous croyons est je ne suis pas. Je ne suis pas ce que je devrais être, je ne suis pas parfait. La vérité, c’est que chaque humain est né parfait parce que seule la perfection existe.
• Nous, humains, n’avons aucune idée de ce que nous sommes véritablement, mais nous savons ce que nous ne sommes pas. Nous créons une image de perfection, une histoire au sujet de ce que nous devons être, et nous nous mettons en quête d’une fausse image. L’image est un mensonge, mais nous investissons notre foi dans ce mensonge. Puis nous édifions toute une structure de mensonges pour la soutenir.
• La foi est une force puissante chez les humains. Si nous ajoutons foi à un mensonge, ce mensonge devient pour nous vérité. Si nous croyons que nous ne sommes pas assez bons, alors, c’est ce qui arrivera, et nous ne serons pas assez bons. Si nous croyons que nous échouerons, nous échouerons, parce que tel est le pouvoir, telle est la magie, de notre foi.
• Les humains peuvent percevoir la vérité avec leurs sentiments, mais quand nous essayons de décrire la vérité, nous ne pouvons que raconter une histoire que nous déformons avec nos mots. L’histoire est peut-être vraie pour nous, mais ça ne signifie pas qu’elle soit vraie pour quelqu’un d’autre.
• Tous les humains sont des conteurs avec leur point de vue unique. Quand nous avons compris cela, nous ne ressentons plus le besoin d’imposer notre histoire aux autres, ou de défendre ce que nous croyons. Nous nous voyons au contraire comme des artistes, avec le droit de créer notre propre art.

 

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