par François Gautier
De nombreuses études médicales démontrent que la méditation – si elle est pratiquée sérieusement – est salutaire pour le corps : elle ralentit le rythme cardiaque, stabilise la respiration et régule la circulation du sang. En Inde, la plus vieille technique de méditation s’appelle la vipassana. D’origine hindoue, elle a été également adoptée par le bouddhisme.
Dehradun est une ancienne base militaire britannique située au pied des Himalayas, à l’extrême nord de l’Inde. À sept kilomètres de la ville, au bord d’une petite rivière qui va se jeter dans le Gange, il y a une pancarte : Vipassana Meditation Centre. C’est ici que se pratique une ancienne technique de méditation bouddhiste.
Pendant dix jours, vous allez être totalement coupé du monde : pas de journaux, de radio, de coups de téléphone même. Silence absolu pendant toute la durée du cours : vous ne pouvez communiquer qu’avec les instructeurs, car il n’y a pas de maître ou de guru ici.
Lever le matin à 4:00 heures (dur, les deux premiers jours, mais on s’y habitue rapidement) ; dix heures de méditation par jour (entrecoupées de pauses, rassurez-vous !) ; un petit déjeuner copieux, un déjeuner d’excellente nourriture végétarienne (non épicée) et une collation à 17:00 heures. Pas de dîner le soir ; on dort et médite mieux sur un estomac vide, paraît-il !
À 4:00 heures du matin donc, le deuxième jour, vous êtes réveillés par douze coups de gong, qui résonnent longtemps dans le silence de la nuit. Une fois installés dans le grand hall de méditation, la première leçon commence.
Les cours sont enregistrés sur cassette, un peu comme une méthode Assimil de la méditation : « Concentrez votre attention sur le triangle nez-lèvre supérieure, entonne une voix ; observez votre respiration, ressentez-la sur les parois intérieures des narines ; remarquez que l’air est plus frais en rentrant, plus chaud en sortant, et qu’il pénètre tantôt par une narine, tantôt par l’autre, tantôt par les deux... »
Facile, pensez-vous ! Mais, hop, au bout de trois secondes, une pensée vous arrive d’on ne sait où et vous partez à la dérive. De nouveau, vous ramenez votre attention sur la respiration ; mais presque immédiatement, sans même que vous vous en rendiez compte, une autre pensée vous a détourné de l’objet de votre concentration.
Dix fois, vingt fois, cinquante fois, vous vous reprenez ; mais peine perdue : votre tête n’en fait qu’à sa tête et vous emmène dans des histoires qui n’ont absolument rien à voir avec votre volonté du moment.
Et la voix off de confirmer votre déconfiture : « Vous pensiez avoir le contrôle de votre mental, mais en réalité c’est lui qui vous contrôle. Ne vous identifiez donc pas avec vos pensées et concentrez-vous sur le moment présent, c’est-à-dire votre respiration. »
Et au bout de quelques heures (ou de quelques jours), vous réalisez qu’à chaque fois que vous essayez de vous concentrer sur le moment présent, deux catégories de pensées vous viennent à l’esprit. La première se rapporte au passé : soit vous vous remémorez, soit vous tentez de revivre le passé au gré de votre fantaisie. La deuxième catégorie se tourne bien sûr vers le futur – et là l’imagination bat son plein !
Mais où est l’instant présent dans tout cela ? Vous comprenez alors que même dans le quotidien, au lieu d’être ramassés sur nous-mêmes pour vivre pleinement l’instantané, nos sens sont constamment dispersés en avant ou en arrière.
Puis une autre révélation est censée vous surprendre, ces pensées qui ont trait soit au passé, soit au futur, sont de deux sortes : de peur ou de désir ; de regret ou d’anticipation ; agréables ou désagréables.
On vous demande alors de ne pas vous identifier avec ces pensées et de continuer à les observer... Et au bout du quatrième jour, vous percevez subitement que votre respiration est devenue posée et tranquille : vous êtes devenus votre respiration. Et immédiatement, votre tête se calme ; aucune pensée, qu’elle ait trait au passé ou au futur, ne vient troubler votre esprit.
Ça y est, vous êtes enfin dans le moment présent... même si cela ne dure que quelques minutes. Car bien sûr, vous chutez et vous rechutez encore et vous apprenez donc par la force des choses le deuxième principe de cette technique de méditation (le premier étant d’observer et de toujours observer) : l’égalité d’âme, c’est-à-dire la faculté de ne pas être affecté par le type de pensées qui vous viennent à l’esprit, qu’elles aient trait au passé ou au futur, qu’elles soient agréables ou désagréables, qu’elles reflètent la peur ou le désir.
Vous êtes alors prêts pour la deuxième partie de votre cours et qui en constitue l’essentiel : la technique vipassana.
Le cinquième jour donc, la voix off vous demande « d’observer dorénavant les sensations physiques de votre corps, qui, comme les pensées, sont de deux sortes : agréables et désagréables. Dans la catégorie agréable, continue l’enregistrement, vous trouverez par exemple les picotements, la chair de poule, une fraîcheur, une chaleur douce dans le ventre, ou tout simplement un contentement sensuel ; dans la catégorie désagréable rentrent toutes les douleurs, les vieilles blessures, ou bien les diverses tensions physiques : mal de dos, à la tête, au genou, etc. »
Vous commencez donc par le sommet du crâne et descendez lentement vers les pieds en vous arrêtant quelques minutes sur chaque partie du corps.
« Vous allez remarquer, conclut la voix, qu’aucune sensation n’est permanente : elles apparaissent, s’attardent, puis disparaissent ; et même la douleur a ses rythmes. Nous vous demandons une parfaite égalité d’âme : ne vous fixez pas sur les sensations agréables et ne rejetez pas celles qui sont désagréables. Observez, observez seulement. »
Au bout de quelques allées et venues, vous vous rendez compte qu’il est relativement facile de vous identifier avec certaines parties de votre corps (généralement celles du haut) avec lesquelles vous êtes plus en affinité : pour certains ce sera le sommet du crâne, où se situe un important centre nerveux ; pour d’autres ce sera le fameux troisième œil, lieu – prétendent les Indiens – de l’intelligence intuitive ; ou alors la gorge, siège de la parole et de l’imagination.
Vous remarquez alors qu’il vous vient simultanément à l’esprit des pensées agréables, des souvenirs plaisants, ou des anticipations. Par contre, vous butez obstinément sur d’autres parties « aveugles » (c’est-à-dire que vous n’arrivez pas à y rentrer), ou même douloureuses : le ventre par exemple, si vous êtes souvent sujet à des maux d’estomac ; ou le dos, si vous avez là des problèmes chroniques.
Et bizarrement, il vous vient simultanément des pensés désagréables, des moments de découragement (que diable suis-je en train de faire dans cette galère ?) des souvenirs pénibles, des pans douloureux de votre vie que vous aviez oubliés et qui refont surface.
« Le physique et le mental sont étroitement associés, reprend la voix. Une sensation physique agréable dans votre corps, donne immédiatement naissance à des pensées agréables ; et inversement, des pensées mauvaises, haineuses, désagréables, dépressives, génèrent instantanément sur telle ou telle autre partie de notre corps des sensations désagréables, mauvaises, nuisibles, dangereuses. Ces tensions qui s’accumulent souvent en un seul point, donnent à la longue des ulcères, cancers, ou crises cardiaques, dont la médecine moderne attribue la cause à des phénomènes purement physiques. »
Alors l’exercice consiste à ne pas être affecté par le type de sensations qui vous viennent sur le corps : vous les observez seulement. Et à partir du huitième jour, les pensées qui sont associées à ces sensations physiques, perdent peu à peu de leur emprise sur vous et vous réalisez combien la matière et l’esprit ne font qu’un.
Le onzième jour donc, vous retournez au monde, étrangement silencieux au-dedans de vous-même et quelque peu hébété par les bruits de la ville. Et vous vous rappelez des derniers mots de la “voix” : « Vous possédez maintenant la clé du contrôle de vos pensées et de vos sentiments. »
http://www.himazen.com/fr/meditation/meditation-et-etudes-scientifiques_03_06.html
www.infiressources.ca/fer/depotdocuments/Mal_de_vivre_depression_meditation.pdf
Satya Narayan Goenka, fondateur de la méditation Vipassana
dans la tradition de Sayagyi U Ba Khin, de Birmanie,
est mort le 29 septembre 2013 à Mumbai.
Nous lui rendons ici hommage.