par Paramahansa Yogananda
Il existe en Inde toutes sortes de pratiques spirituelles accompagnées de méditations spécifiques. Celle du kriya yoga de Paramahansa Yogananda est sans doute l’une des plus connues. Nous vous offrons ici un témoignage du maître lui-même. Considéré souvent comme le « père du yoga en Occident », Paramahansa Yogananda a introduit des millions de chercheurs sincères à la philosophie et science du yoga à travers sa célèbre Autobiographie d’un yogi, ce grand classique de la littérature spirituelle (www.yogananda-srf.org).
La science du kriya yoga
La science du kriya yoga, si souvent mentionnée dans les pages de ce livre, se répandit largement dans l’Inde moderne grâce à Lahiri Mahasaya, le guru de mon guru.
La racine sanskrite de kriya est kri : faire, agir et réagir ; on trouve la même racine dans le mot karma, le principe de cause à effet inhérent à la création. Ainsi, le kriya yoga signifie : « union (yoga) avec l’Infini par la pratique d’une certaine action ou d’un certain rite (kriya) ».
Une pratique fidèle de la technique libère graduellement le yogi de la loi du karma ou enchaînement équitable des causes et des effets.
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Le kriya yoga est une méthode simple, psycho-physiologique, grâce à laquelle le sang humain est débarrassé du dioxyde de carbone, puis rechargé en oxygène. Les atomes de cet oxygène supplémentaire se transmuent en un courant vital qui régénère le cerveau et les centres spinaux.
En arrêtant l’accumulation de sang veineux, le yogi a le pouvoir de diminuer ou de prévenir le dépérissement de ses tissus. Le yogi avancé peut transmuer ses cellules en pure énergie. Élie, Jésus, Kabir et d’autres prophètes étaient passés maîtres dans l’utilisation du kriya ou d’une technique similaire grâce à laquelle ils pouvaient, à leur gré, matérialiser ou dématérialiser leur corps physique.
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Le seigneur Krishna, le plus grand prophète de l’Inde, mentionne par deux fois le kriya yoga dans la Bhagavad Gîtâ. Un des versets se lit ainsi : « Offrant le souffle inspiré dans le souffle expiré et offrant le souffle expiré dans le souffle inspiré, le yogi neutralise les deux souffles ; ainsi, il libère le prâna du cœur et il prend le contrôle de la force vitale. »
L’interprétation en est la suivante : « En calmant l’activité des poumons et du cœur, le yogi arrête le dépérissement du corps grâce à un apport supplémentaire de prâna (force vitale) en provenance du cœur et des poumons ; il arrête également les mutations de croissance dans le corps par le contrôle de l’apana (courant d’élimination). En neutralisant ainsi dépérissement et croissance, le yogi apprend à contrôler la force vitale. »
Un autre verset de la Gîtâ affirme : « L’expert en méditation (muni), qui cherche à atteindre le but suprême, devient à jamais libre quand il peut se soustraire aux phénomènes extérieurs en fixant son regard à l’intérieur de l’espace situé entre les sourcils et en neutralisant les deux courants du prâna et de l’apana [qui circulent] à l’intérieur des narines et des poumons ; de même lorsqu’il peut contrôler son esprit au niveau des sensations comme au niveau de l’intellect, et finalement, bannir le désir, la peur et la colère. »
Krishna raconte également que, dans une précédente incarnation, ce fut lui qui communiqua l’indestructible yoga à Vivasvat, un mystique visionnaire de l’antiquité, qui le légua ensuite à Manu, le grand législateur. Celui-ci, en retour, initia Ikshwaku, fondateur en Inde de la dynastie solaire des guerriers.
En passant ainsi de l’un à l’autre, le yoga royal fut conservé par les rishis jusqu’à la venue de l’âge matérialiste. Par la suite, à cause du secret sacerdotal et de l’indifférence humaine, cette science sacrée devint peu à peu inaccessible.
À deux reprises, le kriya yoga est mentionné par Patanjali, un sage de l’antiquité et le meilleur des commentateurs du yoga, qui écrivit : « Le kriya yoga consiste en une discipline corporelle, le contrôle des facultés mentales et la méditation sur l’Aum. »
Patanjali parle de Dieu en tant que véritable Son cosmique de l’Aum entendu dans la méditation. L’Aum est le Verbe créateur, le vrombissement du Moteur vibratoire, le témoin de la Divine Présence. Même le débutant en yoga peut entendre assez vite le prodigieux son de l’Aum. Encouragé par la félicité spirituelle qu’il expérimente alors, il est convaincu d’être en communion avec les sphères suprasensibles.
Patanjali se réfère une deuxième fois à la technique du kriya ou contrôle de la force vitale par ces mots : « On peut atteindre la libération par ce prânâyâma, lequel se réalise en dissociant le processus de l’inspiration et de l’expiration. »
Saint Paul connaissait le kriya yoga ou une technique similaire par laquelle il pouvait couper et rétablir les courants vitaux venant des sens et y retournant. Il pouvait donc dire : « Je l’atteste, par notre joie incomparable que je trouve en Christ, je meurs chaque jour. »
Grâce à une méthode recentrant intérieurement toute la force vitale du corps (laquelle est ordinairement dirigée uniquement vers l’extérieur, vers le monde sensoriel, lui conférant ainsi une apparente validité), Saint Paul faisait quotidiennement l’expérience d’une véritable union yoguique avec la « joie incomparable » (béatitude) de la Conscience Christique. Dans cet état béatifique, il avait conscience de « mourir » aux illusions sensorielles, le monde de Maya, ou encore de s’en libérer.
Dans l’état initial de communion avec Dieu (sabikalpa samâdhi), la conscience du fidèle se fond dans l’Esprit cosmique ; sa force vitale se retire du corps, lequel semble « mort » ou inerte et rigide. Le yogi est alors pleinement conscient de sa condition physique d’animation suspendue.
Cependant, à mesure qu’il progresse vers des états spirituels plus élevés (nirbikalpa samâdhi), il communie avec Dieu sans que pour cela son corps soit inerte ; il demeure dans cet état de conscience éveillée même lorsqu’il accomplit ses tâches quotidiennes.
« Grâce au kriya yoga, l’homme peut accélérer son évolution, expliquait Sri Yukteswar à ses disciples. Les anciens yogis découvrirent que le secret de la conscience cosmique se trouve dans la maîtrise de la respiration. C’est là l’impérissable et unique contribution de l’Inde au trésor mondial des connaissances humaines. La force vitale, ordinairement absorbée dans le maintien de l’activité cardiaque, doit être libérée en vue d’activités supérieures par une méthode permettant de calmer et d’apaiser la demande incessante du souffle. »
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Le kriya yoga n’a rien de commun avec les exercices de respiration non scientifiques enseignés par un certain nombre de fanatiques mal renseignés. Les tentatives pour retenir de force le souffle dans les poumons sont contre nature et résolument désagréables.
Au contraire, la pratique du kriya s’accompagne, dès les premiers instants, d’un sentiment de paix ainsi que de sensations apaisantes ayant un effet régénérateur sur la colonne vertébrale. L’ancestrale technique yoguique convertit le souffle en substance mentale. Grâce à son avancement spirituel, le yogi devient capable de percevoir le souffle comme un concept mental, un acte de l’esprit : un souffle onirique.
On pourrait donner beaucoup d’exemples de la relation mathématique existant entre la fréquence respiratoire de l’homme et ses états de conscience. Une personne dont l’attention est totalement absorbée dans une discussion particulièrement intense, ou dans quelque tâche matérielle difficile ou délicate à exécuter, respire automatiquement très lentement. La fixité de l’attention dépend de la lenteur de la respiration.
Une respiration rapide et inégale est inévitablement accompagnée d’états émotionnels nuisibles : peur, convoitise, colère. Le singe toujours en mouvement respire à une fréquence de trente-deux fois par minute contrairement à la moyenne humaine de dix-huit fois. L’éléphant, la tortue, le serpent et les autres créatures reconnues pour leur longévité ont une fréquence respiratoire moindre que celle de l’homme. Par exemple, la tortue géante, laquelle peut atteindre l’âge de trois cents ans, respire seulement quatre fois par minute.
Les effets régénérateurs du sommeil sont dus au fait que l’homme perd temporairement conscience de son corps et de sa respiration. L’être humain endormi devient un yogi ; chaque nuit, il accomplit inconsciemment le rite yoguique qui le libère de toute identification avec le corps et qui unit sa force vitale aux courants curatifs importants de la région du cerveau et à ceux, moins importants, des six dynamos secondaires de ses centres spinaux. Sans le savoir, la personne qui dort est ainsi rechargée par l’énergie cosmique qui soutient toute forme de vie.
Contrairement au dormeur dont la lenteur des rythmes vitaux est inconsciente, le yogi accomplit consciemment et de plein gré un processus similaire, mais de façon simple et naturelle. Le kriya yogi utilise sa technique pour nourrir et saturer de lumière impérissable toutes les cellules de son corps et pour, ainsi, les maintenir dans un état de magnétisation spirituelle. De façon scientifique, il rend la respiration non nécessaire, sans toutefois entrer (durant ses heures de pratique) dans les états négatifs de sommeil, d’inconscience ou de mort.
Chez les humains sous l’emprise de Maya ou loi de la Nature, la force vitale est orientée vers le monde extérieur ; ses courants sont alors mal utilisés et se perdent dans les sens. La pratique du kriya en inverse le flux : la force vitale est dirigée mentalement vers le cosmos intérieur et s’unit de nouveau aux énergies subtiles de l’axe cérébro-spinal. La force vitale ainsi renforcée devient un véritable élixir spirituel permettant de renouveler les cellules du corps et les cellules cérébrales du yogi.
Grâce à une nourriture appropriée, les rayons solaires et des pensées harmonieuses, les hommes influencés uniquement par la nature et son plan divin atteindront la réalisation du Soi en un million d’années.
Douze ans de vie normale et saine sont requis pour apporter un perfectionnement, même minime, dans la structure du cerveau ; et un million d’années sont requises pour purifier suffisamment le siège du cerveau afin qu’il manifeste la conscience cosmique. Cependant, par l’utilisation d’une science spirituelle, le kriya yogi se soustrait à la nécessité d’observer rigoureusement les lois de la nature pendant une longue période.
En dénouant la corde du souffle reliant l’âme au corps, le kriya sert à prolonger la vie et à étendre la conscience à l’infini. Cette technique du yoga sort victorieuse de la lutte acharnée entre l’esprit et les sens empêtrés dans la matière et libère le fidèle pour que, de nouveau, il hérite de son royaume éternel.
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Le véritable yogi, en empêchant ses pensées, sa volonté et ses sentiments de s’identifier faussement avec ses désirs corporels et en unissant son esprit aux forces supraconscientes présentes dans les sanctuaires spinaux, vit dans le monde selon les desseins de Dieu. Il n’obéit plus alors à ses impulsions issues du passé, ni aux nouvelles inventions de ses faiblesses humaines. Trouvant la plénitude dans son Désir suprême, il est en sécurité dans le havre ultime de l’Esprit divin, rempli d’inépuisable béatitude.
Se référant à l’efficacité certaine et méthodique du yoga, Krishna fait l’éloge du yogi qui en possède la technique dans les mots suivants : « Le yogi est plus grand que les ascètes qui disciplinent leur corps, plus grand même que les adeptes de la voie de la sagesse (jnana yoga) ou de la voie de l’action (karma yoga) ; sois donc un yogi, ô disciple Arjuna ! »
Le kriya yoga est le véritable « rite du feu » maintes fois exalté dans la Gîtâ. Le yogi jette ses désirs humains dans le feu de joie monothéiste consacré au Dieu sans égal. C’est, en effet, la véritable cérémonie yoguique du feu dans laquelle tous les désirs présents et passés représentent le combustible consumé par l’amour divin. La Flamme suprême reçoit l’offrande de toute la folie humaine et le yogi est débarrassé de toute impureté.
De manière métaphorique, ses os dépouillés de toute chair de désir, son squelette karmique blanchi par le soleil antiseptique de la sagesse, et ne présentant ainsi plus rien d’offensant devant l’homme et le Créateur, le yogi est enfin pur.
En visite à Wardha, à l’ashram de Gandhi, Yogananda lit une note
du Mahatma (ce dernier avait fait vœu de silence pour la journée) – 26 août 1935