INTERVIEW
par Ekta Bouderlique
Kiran Vyas, pionnier de l’ayurvéda en France, dirige deux centres ayurvédiques, l’un rue Furstenberg, dans le xve à Paris, l’autre en Haute-Normandie.
Comment êtes-vous arrivé ici ? Quels étaient vos débuts en France et pourquoi la France ?
Tout d’abord je me suis principalement intéressé à la pédagogie, comme mon père d’ailleurs qui était un enseignant et qui travaillait beaucoup avec le Mahatma Gandhi. J’avais fondé, avec lui, trois écoles primaires et secondaires expérimentales. Dans ces écoles, nous avions établi une base des principes de Tagore, de Gandhi, de Sri Aurobindo et de la Mère.
L’éducation me passionnait et c’est grâce à elle que je suis venu en France. Le gouvernement français m’avait invité à l’époque lors d’un colloque sur les innovations pédagogiques. En 1976 j’ai commencé à travailler à l’UNESCO.
Tout en travaillant à l’UNESCO sur la créativité dans l’éducation, j’ai observé en parallèle des cours de yoga collectif, que j’ai nommé « la gymnastique indienne ». Puis j’ai décidé de faire un travail authentique sur la santé par le yoga.
Ce qui intéresse l’Occident c’est tout d’abord la santé physique, la beauté et l’épanouissement du corps. Ensuite l’esprit. Personnellement, l’ayurvéda répondait plus à ce besoin que le yoga. J’ai été choqué de voir ces grands « professeurs » de yoga, de « postures » qui pendant les poses de travail allaient fumer quelques cigarettes, boire du café et faire de nouveau des postures. Tout cela, en se prétendant des érudits du yoga ! Je comprenais bien que chaque individu est libre de boire, manger, réfléchir et vivre sa vie selon ses choix individuels. Mais je me suis trouvé étonné par leur attitude personnelle.
J’étais convaincu alors que les réponses correctes venaient de l’ayurvéda qui dit par exemple que vous pouvez manger de la viande mais si vous le faites avec excès vous risquez d’avoir de l’arthrose. Tout est une question d’équilibre dans l’ayurvéda. J’ai commencé par l’école de yoga car le yoga était connu. Dans le domaine du yoga, j’ai voulu faire comprendre ce qu’était le respect du corps. Il y a beaucoup de gens ici qui pratique le yoga à deux heures de l’après-midi ou juste après le déjeuner et se mettent à faire des postures à plat ventre ou sur la tête.
Alors, au départ le réel défi était d’évoquer une réelle attention portée sur le corps par les cours de yoga et les massages ayurvédiques, ensuite par une étude en profondeur de l’ayurvéda.
C’est ainsi qu’est né Tapovan, en 1982, avec l’aide et le soutien de beaucoup de personnes notamment Pierre Norat, académicien français, qui pratiquait déjà le yoga. Nous avons démarré des stages, des cours de yoga, la librairie et la publication des livres.
À cette époque, le mot ayurvéda était tellement peu connu que je l’ai introduit comme une science qui faisait partie du yoga. J’en parlais pendant mes stages, à travers les cours de cuisine et en commençant des massages ayurvédiques. Depuis, les activités ont bien évolué et aujourd’hui nous publions 35 000 brochures et comptons 1 200 curistes par an dans nos centres, ici à Paris et en Normandie. Les personnes qui viennent participer à nos stages sont aussi nombreuses.
Quel changement d’attitude à propos du yoga et de l’ayurvéda avez-vous pu constater lors de ces dernières années en France ?
Il y a une grande peur des sectes en France. Nous devons bien préciser que le yoga et l’ayurvéda n’en font pas partie. L’ayurvéda est une médecine naturelle, alternative qui peut effectivement représenter une menace pour la médecine classique. C’est une science et un art de vivre plus que toute autre chose dont seulement une partie est réservée à la guérison.
Mon intérêt s’est toujours concentré sur la santé, la beauté et le bien-être. Durant toute notre vie humaine, nous sommes malades pendant 2, 3, voire 5 ans et cela vers 60, 70 ans. Il est nécessaire de se soigner, lorsque nous sommes malades, avec la médecine de notre choix, allopathique ou alternative. Mais pendant le reste du temps, il est impératif de pratiquer des méthodes de bien-être et c’est sur cette période que portait mon intérêt premier.
La première question abordée par l’ayurvéda est comment vivre la vie : selon les saisons, notre constitution individuelle, l’environnement, nos aspirations profondes et les aspirations collectives de la société où l’on se trouve. Pour tout cela l’ayurvéda a de très bons conseils à donner, bien entendu, selon notre envie d’accepter ses conseils.
J’aimerais vous donner l’exemple d’une personne qui est venue me consulter. Elle buvait une trentaine de tasse de café et fumait cinq paquets de cigarettes par jour. Un cas extrême.
J’ai écouté ses propos et je ne lui ai interdit ni le café ni les cigarettes. Elle était surprise. Je lui ai recommandé de manger mieux, d’avoir des massages et lui ai appris des techniques de respiration, entre autres. Cela la rendait heureuse et elle souffrait moins de sa dépression. Elle a même naturellement commencé à réduire le café et les cigarettes. Je souriais quand elle m’a demandé pourquoi je ne lui interdisais pas ces excitants.
L’été suivant, en vacances, elle a rencontré un thérapeute qui lui a demandé d’arrêter tout immédiatement en lui indiquant les méfaits et dangers imminents à sa santé liée au tabac et à la caféine. Dans les quinze jours qui ont suivi elle s’est suicidée !
Vous voyez là l’importance sous-jacente des conseils et comment les donner. L’ayurvéda fait très attention à l’être humain en tant qu’entité qui comprend son corps mais aussi ses émotions, ses envies, son esprit. Tant que la personne n’a pas envie de se séparer de sa maladie nous ne pouvons qu’attendre. C’est ensuite, une fois sa décision prise, qu’il faut l’accompagner avec soin et respect.
C’est tout simplement du bon sens et cela ne requiert pas de raisonnement scientifique profond.
J’ai rencontré une femme qui m’a parlé de son problème à ne pas pouvoir concevoir d’enfant. Elle n’avait aucun problème gynécologique ou hormonal, son mari n’avait pas de problème non plus. Mais, malgré les consultations des meilleurs médecins, ils étaient toujours déçus.
Je me suis rendu compte qu’elle s’habillait toujours en noir comme beaucoup de femme ici en Occident. Elle étais directrice adjointe, diplômée d’une grande école et dirigeait une équipe constituée essentiellement d’hommes dans un univers très compétitif.
Il lui manquait de l’énergie féminine. Et l’attitude de réceptivité qui va avec. L’ayurvéda explique que ce socle d’énergie autour d’elle produisait un excès de chaleur et le sperme ne pouvait survivre dans cet environnement. Je lui ai donc demandé de changer certaines habitudes, comme sa façon de s’habiller, de manger et même de porter plus de bijoux ! Et d’éviter les excès comme le tabac, l’alcool, la viande, etc. Au bout de trois mois sans traitement ni médicaments, elle s’est trouvée enceinte !
Avant d’aller chercher la maladie, on propose de rétablir l’harmonie et l’équilibre dans la vie et c’est pourquoi nos cures aident vraiment les gens qui les font.
J’ai foi dans la force fondamentale de l’ayurvéda qui dit : « Sarve santu nirmayaha », ce qui veut dire : « Le bonheur et la santé pour tous et que personne ne souffre sur cette terre. » C’était l’objectif que les premiers fondateurs de ces traditions s’étaient fixé, il y a quelques milliers d’années pour toute l’humanité et cela comprenait tous les êtres vivants, les arbres, les animaux tous inclus. Cela représente un travail colossal au niveau social, économique et humanitaire. Mais c’est possible.
Pour atteindre ces objectifs les premiers grands maîtres d’ayurvéda ont fait en sorte que l’ayurvéda soit transmis dans les familles par les femmes. La fameuse médecine de « grand-mère » ! Des concoctions, tisanes, herbes, cataplasmes, etc. Ils ont tout fait pour répandre autant que possible cette connaissance. Comme, par exemple, enseigner aux gitans les traditions des herbes et de l’ostéopathie.
Et aujourd’hui quelles sont les actions prises dans cette direction ici en Occident, si loin du pays d’origine de l’ayurvéda ?
J’ai très peur que l’ayurvéda ne soit victime de certaines dérives (comme le yoga l’a été) avec des gens qui en profitent et qui prennent l’appellation ayurvéda, histoire de créer un peu d’exotisme pour vendre mieux leurs massages.
J’essaye donc, avec l’Union Européenne, de réunir les praticiens authentiques de l’ayurvéda dans des pays comme l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique, la République tchèque et de constituer un Conseil de l’ayurvéda européen en donnant la priorité à l’éducation, la pédagogie et la qualité des soins dispensés.
Et qu’en est-il du statut de l’ayurvéda en France et en Europe en tant que médecine alternative officielle ? 99
Il est un peu tôt pour l’aborder sous cet angle. Il y a bien sûr des médecins allopathes qui ont commencé des formations ayurvédiques, comme à la faculté de l’université de Londres. Il y a aussi des personnes qui font un travail considérable comme le Dr Athik en Allemagne et en Autriche, et le Dr Bhagwan Das en Italie. Les médecins s’intéressent de plus en plus à l’ayurvéda.
Il y a certainement un grand avenir pour l’ayurvéda en Europe en tant que médicine mais aussi comme une philosophie et un art de vivre. Ce qui est important est de maintenir un niveau de qualité très haut.