par Maria Wirth
Maria Wirth, diplômée en psychologie de l’université de Hambourg est auteur de Von Gurus, Bollywood und heiligen Kuehen (À propos des gurus, de Bollywood et des vaches sacrées) dont le sous titre est : Declaration of Love for India . Bloggeuse émérite, elle défend ici les valeurs universelles de l’hindouisme.
Je m’étais aperçue que dans les publications occidentales, l’hindouisme était toujours oublié dans la liste des religions. Le bouddhisme y figurait mais sa mère, si l’on peut dire, restait ignorée. Quelle pouvait en être la raison ?
Environ un milliard d’êtres humains sont hindous. L’hindouisme est vivant et vibrant. Il n’y a guère d’autre peuple (communauté ?) qui soit aussi « religieux » et possède une telle foi dans le Divin. Pourtant, ce qu’ils révèrent et chérissent n’est souvent considéré que comme un mode de vie, a way of life.
La discussion n’est pas close. Certains soutiennent que le mot dharma, souvent utilisé par les hindous et les bouddhistes en référence à leur relation au Divin, ne peut être traduit par religion, car il diffère trop de ce que l’on entend par ce mot en Occident. Ergo, l’hindouisme n’est pas une religion.
D’autres pensent que les religions disposent aujourd’hui d’une grande reconnaissance sociale et légale, et que ce serait une grave erreur de laisser le champ libre au christianisme et à l’islam, lesquels rempliraient triomphalement le vacuum ainsi créé en arguant que chacun ayant le droit à une religion, et les hindous n’en ayant point, ils méritent d’avoir la grâce de recevoir la « vraie ».
Il n’existe pas de définition claire du mot « religion ». Il est cependant entendu implicitement qu’il se réfère à l’origine mystérieuse de notre univers, à son créateur, à Dieu et à des principes moraux censés guider nos vies. Le mot lui-même vient du latin re-ligare, qui signifie rattacher. Présumons que cela signifie rattacher l’homme à son créateur, à Dieu.
Dans ce cas, le dharma hindou est une religion au sens plein du terme. En fait, c’est probablement la plus ancienne et la plus originelle. Il y a quelques milliers d’années, les rishis indiens ont enquêté sur la vérité du monde visible. Ils ont postulé des critères de vérité et en vinrent à conclure qu’une essence consciente invisible est la réalité qui imprègne tout cet univers apparent et au-delà.
Ils l’ont appelé le Brahman (le vaste) ou simplement Tat (Cela) et postulèrent que c’était éternel, infini, immuable, vrai, conscient, béatifique, et constituait la base réelle quoique invisible de toutes choses, nous y compris. Fondamentalement, nous sommes le Brahman ; dans l’essence de notre être nous sommes Cela. Mais nous naissons inconscients de cet état de fait et le but de la vie est de le réaliser, de le devenir. De plus, les anciennes Écritures indiennes fournissent plusieurs méthodes pour parvenir à cette réalisation, qui est réalisation de soi et de Dieu simultanément.
Lorsque les religions occidentales ont fait leur apparition, elles ont réduit ce vaste omniprésent Brahman à un Dieu personnel, mâle, séparé de sa création, qui chérit ceux qui l’adorent mais condamnent ceux qui ne le reconnaissent pas comme le seul vrai Dieu, lesquels seraient destinés à brûler éternellement dans les flammes de l’enfer, à moins qu’ils n’échappent à ce péril en se convertissant, moyennant quelques simples rituels, à la « vraie religion ».
Mais comment ces religions savent-elles ce que Dieu est et ce qu’il veut ? Parce que Dieu ou Allah a révélé la « vérité » à deux personnes, Jésus-Christ et le prophète Mohammed, dont les enseignements ont été transmis par deux livres, la Bible et le Coran. Et quelle est la preuve de leur véracité ?
Il n’y a pas de preuve en dehors de la parole rapportée de ces deux êtres, qui par ailleurs sortent de l’ordinaire : Jésus est le fils unique de Dieu et Mohammed est son dernier prophète. C’est ce que le christianisme et l’islam proclament comme la vérité, qu’ils ont répétée sans cesse au point que cela a fini par être admis et que personne n’ose le contester.
Il y a des différences significatives entre les religions abrahamiques et l’hindouisme. Les premières se présentent comme un système de croyances fixes, requérant une foi aveugle en leurs dogmes sans possibilité de vérification. Le dharma hindou, quant à lui, est fondé sur une recherche authentique de la vérité, sans nécessité d’accepter aucun dogme a priori.
La religion est aussi définie comme « système de croyances ». Dans ce cas, les religions abrahamiques se qualifient aisément. Mais il y a là une contradiction. D’un côté la religion prétend nous présenter LA vérité et de l’autre nous avons deux systèmes de croyances invérifiables, le christianisme et l’islam. Elles ne peuvent être exclusivement vraies en même temps et il est probable qu’aucune ne l’est parce que cela contredit par trop l’intelligence humaine. Il est fort peu vraisemblable en effet que la vérité finale de l’éternel et absolu se ramène à un dieu personnel qui fait preuve d’un favoritisme exclusif à l’égard d’un seul groupe humain – et d’ailleurs, lequel choisir ?
De ce point de vue, le dharma hindou est le meilleur « système de croyance » qui soit, car il n’est pas fondé sur des dogmes mais sur l’expérience personnelle directe, ouverte à la validation. Il est possible de connaître que cette multiple manifestation est imprégnée d’une seule énergie consciente, par delà la multiplicité de chemins et de formes.
La revendication hindoue que tout, y compris chaque être humain, est divin parce qu’il est essentiellement et ultimement le Brahman est la proposition la plus vraisemblable. Le « Tat tvam asi », « Tu es Cela [le Divin] », est furieusement rejeté par les religions abrahamiques. Les mystiques chrétiens et musulmans qui ont fait l’expérience de cette unité et ont osé la proclamer ont été excommuniés et parfois tués.
Se pourrait-il que ces religions résistent à la vérité ? Que le re-ligare, rattacher, doive être compris comme « entraver l’individu afin qu’il ne réalise pas son unité avec l’absolu » ? Ce n’est pas impossible, surtout lorsque l’on voit tous les efforts déployés pour dénigrer l’hindouisme. Tous les écoliers du monde apprennent que l’hindouisme est « bizarre ». Même à l’université, il y a une tentative évidente des universitaires (y compris d’Indiens occidentalisés) à mépriser l’hindouisme de manière agressive.
L’enquête Invading the Sacred : an Analysis of Hindousim Studies in America démontre amplement la façon outrageante dont l’hindouisme est présenté tandis que les religions dites « révélées » sont traitées avec mansuétude. Les Occidentaux sont-ils à ce point déficients intellectuellement qu’ils puissent croire que le dogme irrationnel du salut par l’appartenance à une Église, ait quoi que ce soit à voir avec la vérité ?
Ou bien dénigrent-ils l’hindouisme parce qu’ils savent qu’il a le pouvoir de prendre le pas sur les croyances occidentales et de miner leur autorité si jamais s’ouvrait un débat sincère sur ce que l’on peut connaître de la vérité ?
Mais ce dénigrement grossier de l’hindouisme a été trop utilisé trop longtemps, et l’on assiste maintenant à un retour de flamme. Les hindous ont réagi d’abord aux États-Unis où ils ont obtenu que les livres scolaires soient modifiés. Même en Inde, le sentiment grandit lentement que le dharma hindou peut figurer avec honneur aux côtés des autres religions.
Car si la religion se réfère à la vérité, le dharma indien, avec ses développements que sont le bouddhisme, le jaïnisme et le sikhisme, est sans doute la meilleure de toutes. En revanche, si ce mot se réfère à tout ce qui empêche un individu de réaliser la vérité, alors ce n’est pas une religion. Face au christianisme et à l’islam qui empêchent leurs croyants d’accéder par eux-mêmes au Vrai, le dharma hindou peut légitimement réclamer sa place en tête de toutes les religions.
Les deux systèmes de croyance les plus puissants, ceux qui ont dominé la scène jusqu’à présent, se targuent d’une possession exclusive de la vérité, dont la seule « universalité » est l’ambition qu’ils nourrissent d’imposer leurs dogmes au monde entier. Le dharma hindou doit se réapproprier cette notion d’universalité et lui rendre sa vraie signification, car il est naturellement universel : toutes les formes et tous les chemins sont acceptés, toute existence sans exclusion repose sur le Brahman.
De nombreux hindous vont sans doute se rebiffer devant ce conseil et le trouver inacceptable. « Nous ne sommes pas chauvins, dirontils ; même si les autres le sont, nous ne voulons pas l’être. » Pourtant ne repose-t-il pas sur une vérité ? Et le dharma hindou ne nous enjoint-il pas d’être vrai et sans peur et d’aider notre prochain ?
Nombreux sont les Occidentaux qui délaissent l’Église et ses dogmes. Ils choisissent l’athéisme parce qu’ils identifient toute religion à des systèmes dogmatiques. Certains ont découvert le bouddhisme. L’hindouisme n’est pas une option pour la plupart car il est marqué par son image de bizarrerie exotique.
Seul un petit nombre découvre sa valeur et le soutient, comme le fit Julia Roberts. Si les hindous étaient fidèles et sincères à l’égard des profondes connaissances de leurs rishis, le dharma hindou se répandrait sûrement dans le monde comme il le fit jadis en Asie. Cela suppose que les hindous connaissent les bases de leur dharma et le mettent en pratique, que cela devienne à nouveau une réalité vivante. Et si religion il doit y avoir, on s’apercevra alors que le dharma hindou est la plus grande de toutes.
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