UN MAÎTRE SPIRITUEL
DE L’INDE D’AUJOURD’HUI
par Marc Avérous
Marc Avérous, passionné d’Inde et de spiritualité, auteur de plusieurs ouvrages, a notamment publié en 2002 une biographie faisant autorité sur l’un des sages les plus marquants du XXe siècle : Sri Ramdas – Un maître spirituel de l’Inde d’aujourd’hui, aux éditions Terre du Ciel.
L’exemple de Swami Ramdas est précieux : il révèle ce que peut devenir un homme d’aujourd’hui, s’il a le courage de plonger au plus profond de lui-même.
Vittal Rao est né à Hosdurg dans le Kerala, en Inde du Sud. Sans vouloir trouver en cette naissance des circonstances extraordinaires, on doit bien y voir des signes précurseurs d’une destinée singulière. Le 10 avril 1884 est jour de pleine lune. Vittal naît à midi. Que de lumière ! Sous les tropiques, en avril, à Hosdurg. Allez-y : le soleil est alors au meilleur de sa force ! Et ce jour-là est la fête de Hanuman Jayanti, qui célèbre la naissance de Hanuman. Or Hanuman est, d’après la tradition, le meilleur et le plus fidèle serviteur du roi Ramachandra, autrement dit Rama, ou Ram.24 Troublante coïncidence pour la naissance de Vittal, qui deviendra Ramdas, nom religieux qui veut dire serviteur (das) de Ram.
Vittal possède de naissance une solide constitution. Il deviendra un garçon espiègle, grimpant dans les grands arbres autour de chez lui, un étudiant dans un cours secondaire occidental – allemand et chrétien –, curieux de littérature et de philosophie, un artisan consciencieux dans l’industrie du tissage, un adulte marié – sans vocation, pour honorer l’engagement de sa famille – puis, renonçant à la vie familiale, un pèlerin solitaire sur les routes indiennes. Finalement, l’être illuminé et maître spirituel que nous connaissons.25
Le message
Je suis tombé sur un être adorable, fait tout entier de sourire et de tendresse. J’ai lu ses livres, je suis allé visiter en Inde du Sud l’ashram qu’il a créé de son vivant à Ramnagar, à côté de Kanhangad, dans le nord du Kerala. J’ai appris à le connaître, et le connaissant, j’ai écrit sa biographie. Je me sens redevable de ce qu’il m’a donné, un cadeau formidable : son enseignement, et son être même.
Le message de Ramdas peut se comprendre ainsi :
• Suivre ses consignes, données aux chercheurs spirituels (sâdhana). Il insiste sur la répétition du mantra Om Sri Ram Jai Ram Jai Jai Ram, invocation à la gloire de Ram (de Dieu), ou de toute autre invocation suivant sa religion, afin de purifier le mental et de vivre en souvenir du divin. Il insiste aussi sur fréquenter la compagnie des saintes personnes et considérer tout être humain comme une incarnation de Dieu, et la servir comme telle.
• Vivre dans l’abandon à la volonté divine. Il faut voir en toute chose et toute situation la volonté divine ; vivre dans cette acceptation et cet abandon, sans jugement, comme un enfant. Comme un enfant de Dieu. Comme Dieu Lui-même. « Confiance, vous êtes divins. Même si vous ne le savez pas. Même si vous ne voulez pas le savoir » dit-il.
La religion universelle
Ramdas ne juge pas les religions : « Fois et religions, dit-il, sont des chemins qui mènent au même but. Tous les grands maîtres du monde viennent d’un même Dieu – la première cause éternelle de toute existence. Qu’elle soit dans la Gîtâ, la Bible, le Coran ou le Zen Avesta, nous trouvons jouée avec insistance la même note : la soumission de soi est la voie suprême vers la libération ou le salut. »
Il ne s’attaque pas aux dogmes, bien que sa sagesse l’empêche de s’y empièger ; il ne juge pas les clergés, que le goût du pouvoir conduit souvent à pervertir et à amenuiser l’enseignement des maîtres. Il console les croyants en donnant à chacun d’eux une image positive du chemin qui est le leur. Il sait qu’au sommet, tous les chemins disparaissent. Il ne voit ni impureté ni mal dans le monde qu’il considère comme l’expression divine, en une même et seule vision lumineuse.
Avec les hindous, il discute du Brahman suprême et de la réalisation de Dieu par l’expérience. Aux musulmans, il parle d’Allah et de Mohammed, mettant l’accent sur la soumission à la volonté d’Allah. Aux chrétiens il veut faire prendre conscience qu’avoir foi en le Christ signifie prendre comme idéal cette personnification de l’Amour qui doit envahir leur âme et pénétrer leur vie dans toutes leurs activités.
Il rappelle cette parole qu’il met au centre de l’enseignement du Christ : « Le royaume de Dieu est en vous. » Et il précise : « Votre vie doit donc avoir pour guide le Christ qui est amour, il vous emmènera alors dans le royaume du Père, la paix absolue. Mais ne pensez pas que le Christ soit le seul chemin du salut. Longtemps avant lui ont existé de grandes âmes qui ont tenu haut la torche de la connaissance divine pour illuminer ce monde. »
On ne peut que rappeler les paroles du grand Vivekananda, qui précéda et inspira tant Swami Ramdas. Quand il emporta l’enthousiasme au Parlement mondial des religions en 1893 à Chicago, il dit :
« Sœurs et frères d’Amérique,
« Il est réservé à l’Amérique de proclamer au monde entier que le Divin est dans toutes les religions. Puisse vous inspirer Celui qui est le Brahman des hindous, le Ahura Mazda des zoroastriens, le Bouddha des bouddhistes, le Jéhovah des juifs, le Père Céleste des chrétiens !...
« Le chrétien n’a pas à devenir hindouiste ou bouddhiste. Ni l’hindouiste ou le bouddhiste, chrétien. Mais chacun doit s’assimiler l’esprit des autres, sans cesser de maintenir son individualisme et de croître selon ses lois propres…
« Le Parlement des religions a prouvé que la sainteté, la pureté, la charité, ne sont la possession exclusive d’aucune église du monde, et que chaque foi a produit des hommes et des femmes qui sont de sublimes exemplaires de l’humanité… Sur la bannière de chaque religion, il sera bientôt écrit : « Entraide et non combat. Pénétration mutuelle, et non destruction. Harmonie et paix, et non stériles discussions. »
Délégué pour l’hindouisme, il le présente comme mère des religions, dont il veut souligner l’unité. Il cite ces deux passages de la Bhagavad Gîtâ, où Dieu rappelle, par la voix de Krishna, que : « Qui vient à Moi, sous quelque forme que ce soit, Je viens à lui. » Et : « Tous les hommes peinent par des voies qui, à la fin, mènent à Moi. » Cette opinion est celle de la religion universelle. Magnifique de cœur, de hauteur, de compréhension. C’est bien celle de Swami Ramdas.
24 Rama est, pour les hindous, un avatar, ou incarnation divine très populaire en Inde.
25 On lira le détail de sa biographie dans son Carnet de pèlerinage (chez Albin Michel, « Spiritualités vivantes ») et dans Ramdas, sa biographie par Marc Avérous (chez Terre du Ciel).