par Caroline Trech
Caroline Trech, Prag à l’ULCO. Docteur. Thèse : « L’identité britannique dans les films British-Asians. » Spécialiste du cinéma britannique, British-Asian et indien.
La création du cinéma indien est intimement liée à l’hindouisme. En effet, il y a cent ans, lorsque Phalke importa le cinéma en Inde, il le fit d’abord parce qu’il avait été époustouflé par une production française, La passion du Christ. Phalke se dit alors que si les Occidentaux pouvaient faire des films sur la religion et sur Jésus, les hindous pouvaient faire sûrement aussi bien ou même mieux, compte tenu de la multitude des dieux hindous et la richesse de cette religion.
Ses premières productions furent basées sur le dieu Krishna ou encore le Râmayana75. De ce fait, on pourrait en conclure que le cinéma en Inde a connu son émergence grâce à l’hindouisme. Le cinéma indien est peut-être indissociable de l’hindouisme car il fait partie intégrante de la culture indienne mais aussi parce qu’il peut être considéré comme une forme de religion.
Tout le monde s’accorde à dire que le film lui-même possède une nature mythologique et est créateur de mythologies. Comme John Lyden,on peut considérer que « le cinéma est une forme de religion, car comme la religion, il examine les images, les relations, les idées, les désirs et les peurs, et crée ses propres formes comme des stars quasi divines. »76
Nous savons que les Indiens sont dévoués à leurs stars du grand écran, considérées comme des dieux vivants. Pour n’en citer qu’une, Amitabh Bachchan est la star incontestée du cinéma indien. Rappelons que l’Inde associe le cinéma et l’hindouisme à tel point qu’une déesse a été créée par le film Jai Santoshi Maa sorti en 1975. La salle de cinéma où avait été projeté le film pour la première fois a été transformée en temple dédié bien entendu à Santoshi Maa.
Il faut voir la ferveur avec laquelle les Indiens regardent ce genre de films appelés devotional movies : ils prient et ornent leurs téléviseurs de guirlandes de fleurs. Outre sa toute puissance dans les devotional films, l’hindouisme est présent dans beaucoup de films indiens grand public, par le biais d’anecdotes, de citations, de costumes ou encore de traditions hindoues.
L’hindouisme tient donc une part importante à Bollywood encore aujourd’hui. Par exemple, une grande production historique comme Jodhaa Akbar, de 2008, revient sur la volonté de l’empereur Moghol Akbar de tolérer toutes les religions en Inde et sur son union avec une hindoue rajpute. Celle-ci prie devant une statue de Krishna et demande à ce qu’un petit temple soit construit dans ses habitations.
Un film comme Lagaan, de 2001, met en avant la relation des villageois hindous qui prient et implorent Krishna afin de les aider à gagner le match de cricket contre les Britanniques.
L’industrie cinématographique indienne a toujours été un savoureux mélange de différentes communautés, de régions et de religions. On y retrouve une certaine iconographie de l’hindouisme telles que ses danses, sa musique, sa cuisine et ses célébrations. Nous ne proposerons pas d’explorer ce qu’est l’hindouisme, mais nous citerons Clifford Geertz qui définissait cette religion comme étant « une combinaison de mythes, de valeurs et de rituels ».77
C’est à partir des années 1990 que l’on a commencé à parler de valeurs familiales hindoues comme étant un nouveau phénomène au cinéma. Ces films exprimaient un retour aux traditions hindoues, ils transmettaient des pratiques religieuses qui étaient à leur tour empruntées par les spectateurs, lors de mariages par exemple.
Le film Dilwale Dulhaniya Le Jayenge, sorti en 1995, réalisé par Adita Chopra, présente des expatriés du Penjab revenant chez eux, ces British-Asians apprennent alors à leurs parents les traditions indiennes. Ce film a eu une importance particulière sur la diaspora indienne qui a repris les tenues, les musiques et les danses du film. Rachel Dwyer78 nous explique que : « Les valeurs véhiculées par ces films s’adressaient également à la diaspora comme une communauté transnationale, parce que la famille est plus importante que l’état lui même, donc l’identité indienne n’implique plus qu’on doit vivre en Inde. »
Si les films indiens contribuent à la médiatisation de l’hindouisme en Inde, nous pouvons nous demander jusqu’où va le rayonnement cinématographique de cet hindouisme. Est-ce qu’il atteint les Indiens expatriés en Grande-Bretagne par exemple ? Selon Appadurai, le cinéma agit comme un « transnational religiousscape »79. Les British-Asians, ou Britanniques d’origine indienne, sont tiraillés entre deux identités, l’identité indienne et l’identité britannique, ils doivent par ailleurs combler leurs lacunes culturelles indiennes.
Quoi de mieux pour la diaspora indienne que d’apprendre à connaître la culture de ses parents grâce au cinéma ? Par la même occasion, les dieux hindous et toute la mythologie hindoue du Râmayana et du Mahâbhârata sont transmissibles par le cinéma. La diaspora apprend bien souvent à connaître les traditions indiennes grâce au cinéma et en ce sens le cinéma agit en espace identitaire.
Les rites, célébrations et traditions hindoues sont présentes dans les films britishasians, pourtant tournés en Grande-Bretagne, comme dans Bend it Like Beckham, Bollywood Queen, Nina’s Heavenly Delights ou encore Anita and Me. À l’écran, les familles indo-britanniques célèbrent par exemple Diwali80 et bien entendu les incontournables mariages hindous.
Mais qu’est-ce que l’hindouisme pour les British-Asians ? Pour illustrer cette question, nous pouvons citer le sketch de la célèbre série britannique Goodness Gracious Me81 dans lequel un jeune homme anglais d’origine indienne s’interroge sur l’hindouisme et demande à son père ce qu’être hindou signifie vraiment. Celui-ci lui répond que c’est très compliqué mais qu’il y a une seule chose à savoir : « No beef », ne surtout pas manger de viande de bœuf. Alors que 80 % des Indiens sont hindous depuis des générations, pour la diaspora sud-asiatique l’hindouisme ne s’apprend pas en quelques minutes mais fait partie de la culture transmise par les parents et la famille.
Les signes d’hindouisme, ou l’iconographie hindoue, sont nombreux dans le film Anita and me par exemple. Dans ce film autobiographique, l’actrice et écrivain Meera Syal retrace ses années d’enfance et nous raconte son amitié avec une jeune Britannique, Anita. Se sentant totalement britannique, Meena rejette en bloc tout ce qui lui rappelle que ses parents sont Indiens, ce qui fait le désespoir de sa famille et surtout de sa tante Sheila, interprétée par Meera Syal elle même.
Cette tante ne cesse de vouloir inculquer à Meena quelques rudiments de sa culture indienne. La connaissance de son pays d’origine passe bien entendu par la pratique de l’hindouisme. Par conséquent, la famille de Meena fête Diwali. Durant cette fête des lumières, toute la famille est réunie pour la célébrer dans la plus pure tradition indienne. On explique à Meena qu’il faut qu’elle fasse un vœu et celle-ci répond : « J’aimerais m’appeler Sharon et avoir les cheveux blonds. »
Les célébrations hindoues sont perçues comme une contrainte pour la jeune fille, mais elles lui sont indispensables et forment le ciment de son identité british-asian. Elles aident les enfants nés en Grande-Bretagne à faire le lien avec leur identité indienne.
Pas très enthousiaste mais obéissante, la jeune Meena va au temple avec sa mère sans bien comprendre ce qu’elle y fait. Néanmoins, petit à petit et surtout suite à la visite de sa grand-mère indienne, Meena accepte finalement son identité indienne et hindoue autant que son identité britannique. Elle qui vénérait Anita et enviait la blondeur de ses cheveux, finira par être fière d’être une hindoue dans toute sa complexité.
Dans le film It’s a Wonderful After-Life, d’autres aspects de l’hindouisme sont mis en avant comme la réincarnation. Cette comédie, aux airs de film d’horreur, retrace les déboires d’une mère qui cherche par tous les moyens à marier sa fille, même si elle doit se transformer en tueuse en série pour cela.
Les personnages tués deviennent des fantômes en attente de réincarnation. Cependant, le personnage le plus surprenant de ce film est peut-être celui de Geetali. Cette jeune femme britannique veut devenir hindoue et pour ce faire elle s’imprègne de toutes les traditions hindoues et les copie dans les moindres détails, allant même jusqu’à prier le dieu Ganesh, porter des saris et changer son prénom Linda en Geetali.
Ce personnage déjanté témoigne néanmoins du processus d’apprentissage de l’hindouisme pour la diaspora indienne. L’influence hindoue est telle que l’Indien n’est plus un Coconut82 occidentalisé mais bel et bien le Britannique qui subit une transformation hindoue.
Outre les rites, les temples et les fêtes hindoues, ce qui représente peut-être le plus l’hindouisme à l’écran, c’est la cérémonie de mariage. Celle-ci est omniprésente dans les films indiens mais également british-asians. Le mariage hindou riche de rituels, de couleurs et musiques a une place importante dans des films comme Bend it Like Beckham, Bride and Prejudice ou Bollywood Queen.
Même si les jeunes issus de la diaspora indienne ne connaissent pas le déroulement de la cérémonie dans les moindres détails, ils reconnaissent certaines spécificités du rituel tels que les vêtements des mariés, l’échange de divers bijoux et fleurs et les sept tours du feu sacré que les mariés doivent effectuer.
Les films de la diaspora indienne sont une fenêtre sur l’Inde car ils assurent un lien vital pour la construction de l’identité britishasian. Ceux-ci redécouvrent, d’une certaine façon, l’hindouisme par le biais du cinéma. Force est de constater que l’ubiquité de l’hindouisme dans ces films témoigne de son lien immuable avec la culture indienne.
75 Le Râmayana est, comme le Mahâbhârata, l’un des écrits fondamentaux de l’hindouisme et de la mythologie hindoue.
76 Rachel Dwyer, Filming the Gods, Religion and Indian Cinema. Routledge, London, 2006, p. 4.
77 Ibid. A combination of myths, values and rituals, p. 4.
78 Ibid. pp. 155-156.
79 Filming the Gods, « un espace religieux transnational ».
80 Diwali est une fête très populaire en Inde : c’est celle des lumières, à l’occasion de laquelle on s’offre des cadeaux et tire des feux d’artifice.
81 Nous choisissons de citer cette série comique British-Asian car Meera Syaal qui est l’auteure du roman autobiographique et du film Anita and Me, en est également la comédienne star.
82 Se dit d’un Indien qui pense comme un Blanc, en référence à la noix de coco d’apparence brune mais blanche à l’intérieur.