DEVÎSADANGEÏ

QUATRE POÈMES – EXTRAIT

par Philippe Pratx

Fictivement attribué à Aridam, un poète tamoul, tout aussi imaginaire, du XIXe siècle, le Devîsadangeï (le « Cercle de grelots de Devî ») est un recueil poétique d’inspiration spirituelle publié en 2007 par Philippe Pratx conjointement avec les nouvelles des Lettres de Shandili.

 

Brahman est tout

Brahman est moi

Et tu es Brahman

 

Son odeur fauve imprègne

Les clairières secrètes

De la forêt où bruissent ses songes

 

Est-il question de lui dresser

Des idoles d’herbes nouées

Qui pourrissant avec le temps

Se tordent en silhouettes vivantes

 

Est-il question d’offrandes pures

La connaissance et la dévotion

La quête encore égoïste

De la conscience et de la félicité

 

Brahman nous prendra

Écrasera nos deux corps en un seul

Et soufflera sur nous le feu

 

Au-dessus de nos sangs et nos cendres

La fumée unique de nos âmes

Témoignera de l’amour accompli.

* * *

Parfois Devî je te boude

Je détourne mon regard

Je te tourne résolument le dos

Je m’éloigne de toi à pas décidés

 

Quelle naïveté

N’es-tu pas partout et n’es-tu pas toute chose

Ne suis-je pas en toi où que j’aille

 

Où que je cherche à me cacher

Où que je me tourne ne suis-je pas Toujours face à toi Devî

Mais si souvent aveugle devant ta lumière.

* * *

Sur la Devî des petits temples Devî

L’ombre descend des grands arbres

Et le clair de lune tombe sur toi seule

 

Ta tête est ceinte de manguier

Et les longs anneaux roulés de tes cheveux

Sont piqués de jasmins et d’œillets

 

Tu ressembles à Kâverî

Dont les eaux coulent et tourbillonnent

Charriant les jacinthes en îlots mouvants

 

À Kamalâ au lotus tu ressembles

Caillée comme un nuage d’argent

Sur l’eau noire à l’écart du fleuve

 

Et comme la vigie

Du haut de son mât annonce la terre

Une voix crie à tous les courants

 

Une voix crie dans les demeures inhumaines

Dans le séjour des morts

Aux habitants muets et maigres

 

– Joie mes amis et mes frères

Devî désormais sera parmi nous

Car je l’ai ramenée de chez les vivants

 

Mangeons des douceurs, rions et chantons

Car demain pour l’éternité

Aridam épousera Mallikadevî !

* * *

De mes actes les fruits bons et mauvais j’y ai renoncé

Et l’intention qui gouvernait chacun de mes actes

Je te l’ai attribuée

 

Et le souffle qui faisait vivre chacun de mes actes

Je te l’ai dédié

Plus rien ne m’appartient de mes actes

Sinon parce que je t’appartiens

Et sans faiblir je continue de les accomplir

 

Et comme à leurs fruits j’ai renoncé à mes désirs

Selon ce que recommande la parole des sages

 

Mais je mens Devî pardonne-moi si je mens

Car comment pourrais-je renoncer au désir

De toucher le cou de ton pied et de respirer ton parfum

Comment renoncerais-je au désir de toi

Et si même je renonce à toute chose

N’est-ce pas seulement par ce désir de toi

Et le désir de renoncer lui-même

N’est qu’un déguisement du désir d’être à toi.