ENTRETIEN AVEC SWAMI JAYRAMDAS

par Francis Roquet

Le guru

Êtes-vous un guru ?

Je pense qu’on devient guru à partir du moment où on donne quelque chose. Sans don de mantra, sans don de technique de méditation on ne peut pas devenir guru.

 

Pour cette raison, celui qui donne le mantra ou celui qui enseigne la méditation peut éventuellement être considéré par celui qui les reçoit comme son guru.

C’est la tradition indienne ?

C’est la tradition indienne, oui. Ils estiment que je représente l’image du guru ; par la robe que je porte ; peut-être aussi par l’intuition qu’ils ont à mon égard.

Qu’est ce que le guru ? Une personne humaine ou un principe spirituel divin ? … Ou les deux à la fois ?

Le guru, c’est un principe ; c’est cette force spirituelle qui est censée aider les pratiquants sur la voie spirituelle. Il peut aussi être la personne humaine qui a la capacité de guider les disciples sur une voie spirituelle. Mais de penser que c’est seulement et uniquement un être humain, là, ce n’est pas possible.

 

C’est une lignée de maîtres. Tu as reçu de ton guru, ton guru a reçu de son guru, son guru a reçu de son guru… c’est toute une lignée. Donc c’est un principe spirituel fondé sur l’existence d’une lignée de maîtres. C’est l’éveilleur, c’est le guide… c’est aussi le but.

 

En fait, le guru, c’est toi-même, c’est le Soi. Le guru est censé éveiller le Soi en toi. Son rôle se termine à partir du moment où tu as découvert le Soi. Tu deviens alors toi-même ton propre guru.

Un guru compétent, à lui seul, est-il suffisant pour amener les progrès spirituels du disciple ?

Les efforts du disciple sont très importants aussi. Il y a la grâce du guru, plus les efforts du disciple, plus la grâce de Dieu. Mais de penser que le guru va tout faire pour le disciple, ce n’est pas possible…

 

Bien sûr, un guru compétent est capable de guider son disciple et peut lui permettre ainsi de franchir de nombreux obstacles. De là à dire que le guru va tout faire ! …

 

Mais ça dépend. Si le disciple est capable de se laisser porter et de se laisser guider en se soumettant totalement, cela devient possible.

Donc une soumission totale est demandée ?

Est demandée, oui…

C’est dangereux, n’est-ce pas ?

Oui, c’est dangereux parce que si tu te soumets totalement à un être que tu ne connais que très peu, il devient alors vraiment difficile de savoir où tu vas. Mais enfin, cela fait partie du jeu, non ? C’est un risque à prendre…

 

N’est-il pas nécessaire, en ce cas, que le disciple garde tout de même les deux yeux bien ouverts ?

Il y a ce chant qui dit que, pour trouver le Seigneur, on devrait fermer les yeux et s’asseoir aux pieds du guru. Je dis non ! On garde les yeux ouverts, n’est-ce pas ? Nous avons tout de même le droit de connaître la vérité.

 

Difficile de concilier le fait de garder les yeux ouverts, donc d’être vigilant, avec une attitude de soumission totale ! Ah, c’est difficile !

C’est possible ?

Cela fait partie du risque à prendre, cela fait partie du jeu.

 

Si tu refuses de te soumettre tu ne pourras jamais avoir une relation réelle avec le guru. La relation sera toujours étriquée, toujours comme cassée en deux. Et il faut bien faire un choix, non ?

Donc il ne s’agit pas d’une foi aveugle, les yeux fermés ?

Ah, non ! Par exemple, si on considère la vie de Swami Vivekananda et la relation qu’il avait avec son maître Ramakrishna, on voit bien que Vivekananda le teste à plusieurs reprises ; pour être vraiment sûr qu’il s’agit bien d’un être spirituel authentique.

 

Les tests devraient se faire des deux côtés. Pendant un certain temps uniquement ; il ne faut pas non plus qu’on passe son temps à se tester.

Le disciple

On parlait du disciple… Quelles sont les qualités qu’un bon disciple devrait posséder d’emblée ?

Une ouverture… une ouverture et une soumission. La capacité de se mettre au niveau du guru et de laisser passer l’énergie spirituelle, l’énergie divine de manière intelligente.

Si quelqu’un est attiré par la recherche spirituelle mais ne présente pas les conditions requises pour être un bon disciple, que peut-on lui conseiller ?

D’essayer de s’ouvrir, d’essayer de se perfectionner à plusieurs niveaux.

Comment le disciple peut-il être convaincu que tel ou tel maître spirituel est ou n’est pas son guru ?

Il devrait être capable, grâce aux expériences qu’il reçoit, de s’assurer que la relation se fait bien avec ce guru.

Quelles sont les qualités que le disciple aura à développer durant sa sâdhana ?

Des qualités d’endurance… Une grande patience et puis aussi une soumission… une soumission plus ou moins totale par rapport à ce qu’on lui demande de faire.

 

Si le disciple doit se comporter de manière totalement indépendante par rapport au maître, il n’y a pas de relation possible. Il faut bien comprendre qu’une fois accepté le principe de la relation guru-disciple, on est alors engagé l’un par rapport à l’autre dans le meilleur fonctionnement possible de cette relation.

 

Oui, c’est un engagement réciproque. Oui, c’est une relation que je compare souvent à une relation entre mari et femme. C’est tout aussi complexe…

La sâdhana

Qu’est-ce que la sâdhana ? Quel est son but ?

Qu’est ce que la sâdhana ?... La sâdhana, cela veut dire les pratiques spirituelles. Le but est de progresser spirituellement, de sortir peu à peu de cette ignorance dans laquelle nous vivons pour passer à autre chose. Se dépasser, se découvrir et finalement arriver à vivre avec soi-même intérieurement.

 

Vivre avec le Soi… découvrir que nous ne sommes ni ce corps, ni cet esprit, ni ces pensées mais que nous sommes tout à fait autre chose. Que nous sommes bien au-delà de tout cela et que nous sommes la conscience éternelle.

 

Ce n’est pas facile et on n’y arrive pas du jour au lendemain.

Pourquoi s’engager sur cette voie ?

Nous arrivons parfois à une étape dans la vie où nous nous rendons compte que ce que nous avons vécu ne nous convient pas, qu’il y a autre chose à découvrir, et nous pouvons prendre conscience à ce moment qu’il n’y a que la vie spirituelle qui puisse l’apporter.

 

Par la méditation, par la pratique de la récitation de mantras, nous arrivons à nous découvrir en tant qu’un autre être.

Cela part-il d’une situation de manque au départ ?

De manque… ou d’insatisfaction.

Qu’est-ce que le kundalinî yoga ?

C’est une technique holistique puissante qui travaille sur les différents plans de l’être à partir de séries (appelées kriyas) utilisant le souffle, le rythme, des postures dynamiques ou statiques, le son (sous forme de mantras), la relaxation et la méditation.

N’est-il pas réservé à une toute petite élite de chercheurs spirituels déjà très entraînés ?

En principe tout le monde peut le pratiquer, il n’y a pas de restrictions spéciales à condition de suivre les enseignements du maître. Cependant quand on veut vraiment aller vers une pratique plus profonde, il faut déjà être un sâdhak avancé et ce n’est certainement pas non plus pour le commun des mortels.

Le japa

En quoi consiste le japa et quel est son rôle dans la sâdhana ?

Le japa consiste à réciter des mantras un certain nombre de fois tous les jours pour amener le mental à se calmer, à se contrôler. C’est un outil très précieux dans la sâdhana, justement pour petit à petit permettre au mental de se fondre dans la conscience supérieure, pour guider la conscience normale d’un être humain vers une conscience beaucoup plus élevée.

C’est une sorte de carburant dans la sâdhana. Parce que méditer c’est très bien, mais méditer sur quoi ? Avec quelle force ?

La force qui apporte une meilleure méditation, c’est le japa justement.

Quelles sont les conditions à réaliser pour que le japa porte ses fruits ?

Il faut essayer d’observer certaines règles de vie : notamment être végétarien, contrôler ses sens… Et puis il faut y croire aussi, avoir foi dans le mantra. Si on n’y croit pas, ce n’est pas la peine.

Le mantra récité doit-il obligatoirement avoir été reçu du Guru pour porter ses fruits ?

Oui, il y a des milliers et des milliers de mantras dans les Écritures, mais ce n’est pas d’en choisir un ou même deux qui apporte beaucoup de paix. Ce qui mène à ce résultat, c’est de l’avoir reçu d’un maître qui l’a déjà perfectionné. Car ce mantra appartient aussi à une lignée de maîtres qui l’ont déjà récité des milliers et des milliers de fois ; le disciple peut ainsi en recevoir tous les bienfaits.

Le disciple reçoit donc en quelque sorte les fruits du japa de son maître ?

Oui, il reçoit les fruits et les bienfaits déjà obtenus par le maître.

La méditation

Avec le japa, la méditation (dhyâna) est le second pilier de l’enseignement spirituel hindou. Quels sont les effets de la méditation ? Quelles sont les conditions pour ressentir pleinement ses effets ?

À l’époque où elle était enseignée directement par les gurus, la méditation était déjà prête à l’emploi. Il n’y avait pas d’effort spécial à faire, les gens méditaient d’eux-mêmes grâce à la force de leur guru. Et il est très important justement d’obtenir le bénéfice de l’ascèse du guru pour accélérer le progrès spirituel du disciple.

Doit-on méditer tous les jours à la même heure ? Quelles heures sont les plus adaptées ?

Méditer à la même heure, en principe le matin ou le soir, crée une force en soi. On préconise habituellement de méditer dans ce qu’on appelle le samdhya, c’est-à-dire quand le jour se lève ou quand la nuit tombe.

Deux méditations par jour ?

Deux méditations par jour, oui.

Et doit-on méditer au même endroit et quels endroits sont les plus adaptés ?

C’est bien aussi de méditer au même endroit et dans la même direction. En principe de faire face à l’est ou de faire face au nord.

Est-il préférable de méditer seul ? Ou bien en groupe ?

Ce n’est pas le même genre de méditation. Méditer en groupe aide s’il y a de bons méditants ; cela aide justement ceux qui méditent moins bien à méditer mieux. Mais enfin, c’est bien aussi de méditer seul ; d’apprendre justement qu’on est seul dans la vie et que, pour cette raison aussi, on peut méditer seul.

Chants et lectures

Le chant dévotionnel et le chant de mantras, seul ou en groupe, sont-ils des pratiques que vous recommandez ?

Oui, le chant permet d’éveiller sa force intérieure. Mais enfin, cela dépend des gens, cela dépend des natures.

La lecture d’écritures sacrées ou d’œuvres spirituelles inspirées peut-elle être considérée comme une partie intégrante de la sâdhana ?

Oui, la tradition yoguique parle de l’étude de certains textes sacrés. Alors là oui, cette pratique fait partie de la sâdhana. Mais lire simplement certains ouvrages sur le yoga ou sur la méditation, c’est ce qu’on appelle swadhyâya, c’est-à-dire « ce qui aide à se découvrir soi-même ». Il y a beaucoup de gens qui lisent beaucoup de choses, et puis qui ont tendance à s’identifier à ce qu’ils ont lu ; ce n’est pas pour cela qu’ils sont réalisés.

Malgré tout, n’y a-t’il pas des œuvres ou des auteurs que vous recommanderiez particulièrement ?

 

J’aimais beaucoup lire Swami Vivekananda, Sri Aurobindo, Ramana Maharshi, ainsi que l’évangile de Ramakrishna 1. Son propre maître aussi, tout ce que son propre maître a pu écrire est toujours intéressant à lire.

Purification

L’adoption d’un régime alimentaire particulier est-elle recommandée pour la pratique optimale de ce yoga ?

Certainement oui, parce que le yoga prône justement ce qu’on appelle mitahara, c’est-à-dire un régime équilibré, végétarien. Si on veut réussir à se purifier, à purifier les canaux d’énergie, il n’y a qu’avec ce genre de régime qu’on peut y arriver.

 

Avec la pratique de la méditation, continuer à vivre comme on avait l’habitude de le faire auparavant n’aboutira qu’à des problèmes, souvent même physiques. La méditation a tendance à chauffer le corps, à chauffer tous les systèmes d’énergie, c’est pourquoi il est très important de manger des nourritures saines et végétariennes.

Mise à part la nourriture, quels sont les autres moyens de purification du corps et de l’être vital ? Est-ce que vous encouragez notamment la pratique du hatha yoga et du prânâyâma dans ce but ?

Certainement, il est très important de pratiquer des asanas et du prânâyâma, justement pour aider à la purification plus rapide des canaux d’énergie. Et puis certains prânâyâmas comme le bastrikâ, ou comme le anuloma viloma sont réellement très importants (démonstration par swamijî des prânâyâmas cités).

Pouvez-vous nous éclairer sur les concepts de tamas, rajas, sattva ?

Tamas, c’est l’inertie, tout ce qui est lourd à porter dans la vie. Rajas, c’est le vital, tout ce qui est actif. Sattva est la partie pure de l’être, celle qui peut atteindre des états de méditation très élevés.

Le mariage vous paraît-il être une aide ou une entrave sur le chemin spirituel ? Est-il pour vous compatible avec l’exercice d’une sâdhana authentique ?

D’après les Tantras le mariage est quelque chose de très positif, mais à condition que la vie du couple soit très contrôlée, très spirituelle. Si les deux partenaires sont capables de vivre ensemble une vie spirituelle, c’est excellent. En revanche, si l’un est pour et l’autre contre, cela devient problématique. Mais, pour celui qui est guidé par un guru compétent le mariage n’est pas un obstacle dans la vie spirituelle.

Recommandez-vous une attitude particulière, cette fois, entre parents et enfants ?

D’essayer aussi de conduire ses enfants à pratiquer la méditation, à pratiquer la vie spirituelle.

Une fois que l’on est engagé dans la sâdhana, comment considérer ses relations, ses amis, ses collègues de travail ?

Rester humain… C’est certain, cela peut poser d’énormes difficultés parfois. Parce qu’on se sent très différent d’eux, parce que nos réactions sont différentes et qu’ils sont souvent incapables de les comprendre ; et de comprendre ce que l’on fait.

Vie dans le monde et sâdhana

La vie dans le monde vous paraît-elle compatible avec une recherche spirituelle authentique ? Si tel est le cas, dans quelles conditions ?

La vie dans le monde pose certainement des problèmes à tout pratiquant spirituel, surtout en ce qui concerne les horaires. Mais si on a vraiment envie de pratiquer, à mon avis on doit pouvoir. Il faut apprendre à s’adapter à toutes les situations, quelles qu’elles soient, et continuer à pratiquer sa sâdhana.

Quelle attitude générale adopter vis-à-vis du monde ?

D’un certain point de vue philosophique, on pense que tout ce qui nous entoure est illusoire. D’une certaine manière c’est exact, mais au-delà de l’illusion, il est bien plus important de tenter de transformer son existence, d’essayer de lui apporter quelque chose de différent. La vie spirituelle elle-même tend à apporter cette autre chose, cette différence qui permet de vivre de manière plus équilibrée et plus profonde avec soi-même.

… Et peut-être diviniser sa vie ?

Diviniser sa vie, c’est à l’extrême, mais transformer sa vie au moins, transformer ses attitudes, transformer la compréhension que l’on a de sa vie.

Comment ne pas être happé par les objets des sens ? Comment garder son mental fermement ancré dans les pratiques spirituelles ?

Par la pratique progressive. Il faut absolument se dire que, de la même manière qu’on a l’habitude de manger, de dormir, de marcher, il faut méditer et réciter des mantras. Il faut inclure toutes ces pratiques dans sa vie, c’est tout. Et à mon avis on doit y arriver. Il faut y croire mais il faut surtout pratiquer, ne pas lâcher.

Comment réagir lorsque, malgré soi, le corps ne réagit plus que par la paresse, par l’inertie (tamas) et refuse manifestement d’aller plus loin ?

Il faut être patient, c’est tout. Il faut continuer de pratiquer. Surtout surveiller son régime alimentaire. Ce sont des expériences qui viennent souvent à cause d’un mauvais régime alimentaire.

Comment réagir lorsque, malgré soi, le désir, la confusion des énergies et la colère (rajas) envahissent notre vital et obscurcissent notre raison ?

Il faut bien comprendre que toutes ces choses proviennent de l’inertie et de l’ignorance. C’est l’ignorance qui veut ça. Si on était vraiment capable de comprendre ce qui se passe et de le maîtriser, toute cette confusion n’existerait pas. Mais de faire la part des choses, de séparer ce qui est bon de ce qui est mauvais demande toujours beaucoup de discrimination mentale.

 

C’est ce que faisait Ramana Maharshi qui se posait en permanence la question : « Qui suis-je ? »

Enfin, comment cultiver et retenir les moments où l’esprit se calme et s’éclaire (sattva), les moments de certitude, de confiance et de dévotion profonde envers Dieu ?

Par la pratique. Plus on expérimente des états très élevés plus on devrait pratiquer, c’est la clé. C’est la pratique qui est la clé… et la foi, la foi dans les enseignements qu’on nous a donnés.

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