Avant-propos
Notre seul droit international légitime actuel ce sont les Nations unies, c’est la seule organisation qui a été fondée sur une charte dans laquelle on dit clairement au nom de quelles valeurs morales agissent ses représentants. Ce n’est pas le cas du G8, ni du G20, qui ne disposent d’aucune charte, qui font ce qu’ils veulent entre eux, se mettent d’accord, mais ne sont fondés sur aucun droit international reconnu.
Peut-on en conclure, comme malheureusement beaucoup le font, que l’ONU a perdu toute crédibilité ? À cela notre réponse est double. Premièrement, ce n’est pas la seule mission de l’ONU. L’ONU s’occupe de nombreuses affaires et ce n’est que pour mettre fin à un conflit qu’elle dispose d’un organe, le Conseil de sécurité, et que cet organe possède un point de blocage qui est le veto. Cela ne veut pas dire que nous devions, ni ne puissions mettre en place une autre organisation. Si l’OTAN avait par exemple tout à coup le droit de faire n’importe quoi au nom de la volonté de ses membres, qui ne sont qu’une petite fraction de l’humanité, et n’ont donc pas de responsabilités acceptables, cela ne fonctionnerait pas. Il n’y a pas de valeurs fondamentales qui fondent l’OTAN, si ce n’est la volonté de défendre un certain nombre de pays contre le communisme, et cela c’est du passé.
Donc, l’ONU oui, l’ONU seulement, mais l’ONU meilleure demain. Et c’est l’ONU qui a été à la base de la création d’Israël, lui donnant des droits et des responsabilités. Et c’est à travers l’ONU que nous devons comprendre la Palestine. À travers la question du droit international. Stéphane Hessel en est plus que jamais convaincu :
« Moi qui suis plus âgé que Véronique et ai vécu tous ces événements, je suis aujourd’hui exactement dans le même état d’esprit que lorsque Israël a été créé. Je reste attaché au droit international : je n’ai pas changé. J’étais à New York à cette époque et je travaillais aux Nations unies. Elles essayaient de trouver une formule qui apporterait une réponse au drame que nous, Juifs, venions de vivre. Ce qui nous animait était très fort. Nous avions vécu la destruction totale, la Shoah.
« Nous nous disions : “Les Juifs du monde entier ont enfin le droit d’avoir un État, ce qu’ils n’ont pas eu pendant deux mille ans. Ils ont le droit d’avoir un État et cet État doit être pour eux un lieu d’accueil. Si jamais, à nouveau, des Juifs étaient menacés, pourchassés par ce mal terrible qu’est l’antisémitisme, il faut qu’il y ait un lieu au monde où ils soient accueillis fraternellement.”
« Nous pensions alors que cet État serait un État pour les Juifs et que, par conséquent, il fallait à côté de cela qu’il y ait un autre État pour les Arabes. La création de l’État d’Israël s’est accompagnée d’un découpage difficile, qui n’a été bien accepté ni par les uns ni par les autres, mais qui signifiait un État pour Israël et un État pour les Arabes. Nous ne savions pas encore si ce serait la Cisjordanie, la Transjordanie, ou une Palestine, mais au fur et à mesure, jusqu’en 1967, il est devenu de plus en plus évident qu’il s’agissait d’un État palestinien.
« Il fallait aussi une organisation (elle a été créée à l’époque, s’appelle l’URNWA et existe toujours), qui aurait la charge de mettre en place l’accueil des Palestiniens déplacés ou réfugiés ailleurs. C’était à notre avis la voie qu’il fallait suivre, une voie qui aurait pu être solide si seulement Israël et son armée n’avaient pas gagné la guerre de 1967 de façon si éclatante. Aucune autre armée, hormis peut-être celle d’Hitler, n’a remporté des victoires aussi formidables et aussi rapides. Et c’est très dangereux ! Pour la raison suivante : quand un pays a l’ivresse de la victoire, il risque de commettre des erreurs. Dayan, à l’époque, aurait dit : “Il faut rendre ces territoires.” Les Israéliens ne l’ont pas fait.
Aujourd’hui, beaucoup sont tentés de dire : “La solution à deux États, Israël et Palestine, c’est fini. Trouvons autre chose, par exemple un État plurinationnal où tout le monde aurait les mêmes droits.” »
Nous sommes convaincus que la solution d’un seul État ne correspond pas à l’avenir, en particulier à celui d’Israël. Au vu de la natalité arabe dans la région – ce n’est qu’un constat et pas du tout un jugement –, l’État unique deviendrait rapidement à majorité arabe et musulmane et ce n’est pas l’objectif initialement recherché. Pourtant, nous n’aimons pas non plus la formule d’« État juif » car il n’y a plus d’État religieux chez nous depuis le traité de Westphalie. Nous, Européens, savons que cela ne marche pas et que ce n’est pas viable. Qu’il existe un État où les Juifs soient toujours accueillis et où se trouve une majorité de Juifs, d’accord… mais un « État juif » ? Donc, oui, nous croyons qu’il faut aller vers deux États, la Palestine et Israël, ayant une valeur en commun, la démocratie. La reconnaissance de la Palestine comme État observateur non membre à l’ONU n’entraîne pas dans l’immédiat de changements sur le terrain, mais modifie la façon dont l’Assemblée générale des Nations unies et ses différentes instances fonctionneront à l’avenir à son égard.
Quant à la question de la laïcité de ces États, elle est centrale. Il ne faut pas croire que la laïcité européenne soit la conquête des États modernes – le traité de Westphalie date de 1648 ! Nous pensons généralement que c’est un problème particulier pour l’Islam et nous avons tendance à considérer l’Islam comme une religion et une politique. Nous n’imaginons pas facilement des États qui soient à la fois musulmans et laïques. Nous avons tort. Il en est un en particulier qui comporte le plus grand nombre de musulmans du monde, l’Indonésie, et dont le régime, depuis quelque temps, est à peu près laïque.
Oui, il faut souhaiter une Palestine laïque et un État d’Israël laïque, mais se souvenir aussi de la question « Qu’est-ce que l’État juif ? ». Israël n’est peut-être pas pour les Juifs un État religieux, et d’ailleurs beaucoup d’Israéliens sont des démocrates laïques. Les ultras sont minoritaires. Il n’empêche que convaincre Israël de donner la priorité à une démocratie laïque, et par là se trouver en contact avec d’autres démocraties laïques, est un défi. Cela signifierait que soit politiquement accepté le fait que deux religions qu’on oppose artificiellement, le judaïsme et l’islam, relèvent de la vie privée et que, dans la vie publique, le religieux ne doive pas dominer. Nous souscrivons de tout cœur à cette perspective et nous sommes sûrs que nombreux sont ceux qui y adhèrent aussi, en Israël et, malgré les apparences, dans les pays du Magreb et du Mashreq qui vivent une transition démocratique difficile. Nous sommes persuadés que les musulmans ne sont pas moins capables de construire un État laïque que les catholiques, les protestants ou les juifs. Et par conséquent, si de nouveaux États se développent en Tunisie, en Algérie, au Maroc, en Égypte et ailleurs, nous souhaitons qu’ils deviennent des États (démocratiques) avec lesquels Israël devrait pouvoir trouver une autre forme de contact plus positif. Ce ne sera pas toujours facile, mais c’est nécessaire pour Israël qui se réclame constamment haut et clair comme « le seul État démocratique de la région ». Qu’à côté d’Israël d’autres États soient engagés dans une transition démocratique est un point positif.
Imaginons un triangle reliant l’État, le citoyen et les forces économiques, qui jouent un rôle déterminant. L’État n’est pas libre de faire ce dont il aurait envie parce qu’il est dominé par un certain nombre de forces économiques. Quant au citoyen, le troisième membre du triangle, il voudrait bien exercer une influence sur l’État, mais il n’est pas assez organisé pour que cette influence soit vraiment efficace. C’est là, nous semble-t-il, que les choses peuvent changer. Les diplomates, quand ils sont de bons diplomates, et beaucoup le sont, ne prennent pas seulement contact avec les gouvernements des différents pays auprès desquels ils sont accrédités, mais essaient de connaître aussi la population, et de rendre compte à leurs gouvernements de ce qui se trame.
Ce qui s’est passé en Afrique du Nord démontre que nos diplomates dans ces pays n’ont pas réussi à convaincre leurs gouvernements de changer d’attitude. Mais il n’est pas tout à fait vrai qu’ils n’aient pas essayé. Stéphane Hessel se souvient d’un de ses très bons amis, Yves Aubain de La Messuzière, qui a fait, à l’époque où il était ambassadeur en Tunisie, des comptes rendus très sévères sur la façon dont la Tunisie était dirigée, où il écrivait : « Il est grand temps que nous nous mettions en contact et que nous soutenions d’autres forces que celles de la tyrannie. » C’est un exemple. A-t-il été écouté ? Non, parce que l’État, lui, dit : « Ce que mon ambassadeur dit est peut-être intéressant, mais j’ai des contrats importants avec le gouvernement et grâce à lui, donc je ne vais pas me laisser mener en bateau par cet ambassadeur un peu utopiste. » Voilà hélas où nous en sommes, poursuit Stéphane Hessel.
« J’ai vécu en Algérie le moment où l’on a dit “Attention, c’est le FIS qui a gagné les élections.” Les élections, c’est bien, mais il ne faut pas que ce soit le mauvais qui gagne. Avec Véronique De Keyser, nous partagions l’idée que lorsqu’il y a des élections et qu’elles sont conduites intelligemment, le résultat est nécessairement un progrès pour le peuple. C’est une preuve de confiance dans le système démocratique à laquelle nous convie également notre vieux Winston Churchill, qui disait : “C’est le plus mauvais des systèmes hormis tous les autres.” Effectivement, nous n’avons pas d’alternative à laquelle nous puissions accorder notre confiance. Donc soyons clairs, simples et directs, et disons oui, quand il y a une élection, il faut en accepter le résultat et ne surtout pas dire : “Ces élections n’ont peut-être pas été tout à fait correctes. En tout cas ceux qui ont gagné sont les mauvais.” »
Nous avons constaté les résultats de cette grave erreur en Algérie, qui souffre encore du fait que depuis, il n’y a plus de réels partis politiques, il n’y a plus de véritable sortie d’un régime très peu démocratique, et nous avons fait hélas la même erreur avec les deux élections successives qui ont eu lieu en Palestine. Souvenons-nous qu’à la première Michel Rocard était parmi ceux qui avaient constaté que les choses s’étaient déroulées très correctement et que, finalement, Israël n’avait pas empêché l’élection de se tenir, bravo, et qu’il fallait en tirer toutes les conséquences.
Et puis lors de l’élection suivante, que Véronique De Keyser a menée en tant qu’envoyée de l’Union européenne, le Hamas, tout à coup, est apparu comme le vainqueur et la communauté internationale effrayée s’est récriée : « Attention, voilà le Hamas ! » Sauf Jimmy Carter du côté américain, et Véronique De Keyser du côté européen, qui ont tous deux déclaré : « Il faut respecter le choix des électeurs car ces élections étaient démocratiques. »
Ils partent du principe que devant un problème où il s’agit de mettre d’accord les interlocuteurs, il faut surtout parler avec tous.
Avec Régis Debray, Stéphane Hessel a fait un voyage à Gaza. « Nous avons un ami qui s’occupe des droits de l’homme et qui nous avait demandé si nous souhaitions rencontrer Ismaïl Haniyeh. Nous nous sommes consultés et nous sommes dit que si nous le rencontrions, nous allions être accusés à Paris de prendre des contacts avec quelqu’un qui n’était pas accepté, mais si nous ne le faisions pas, nous aurions été des imbéciles. Nous avons donc accepté et nous y avons été encouragés par le directeur de l’URNWA en poste à Gaza à ce moment-là, John Ging. Il nous a confié : “Je suis scandalisé parce qu’il y a ici des députés européens, des diplomates, qui viennent sans même essayer de rencontrer Haniyeh. Pour moi, c’est scandaleux, il faut rencontrer ceux avec qui l’on a des différends. Si on ne rencontre que ceux qui sont pleinement en accord avec soi, cela n’en vaut même pas la peine, on peut les avoir au téléphone et leur dire vous êtes d’accord, bien, et on raccroche. Tony Blair par exemple ne vient pas à Gaza et n’a jamais essayé de le rencontrer.”
« J’ai trop assisté, dans le cours d’une longue vie, aux rares moments où c’est sans violence qu’un progrès formidable a été accompli. Je ne parle pas de Gandhi, c’est un peu avant moi, mais je parle de Martin Luther King, de Gorbatchev. C’est extraordinaire, il y a des non-violents qui ont réussi à dénouer des problèmes. Alors que des violents, citez-m’en un seul qui, parce qu’il a tapé très fort, a trouvé une solution à un problème. En revanche, il faut être juste, quand on se trouve faible devant un fort, très faible devant un très fort, l’exaspération peut vous amener à vouloir taper. Quand les Algériens tapaient sur les colons français d’une façon peu conforme aux grands principes humanitaires, en posant des bombes là où se trouvaient des civils innocents, quand le Hamas envoie des roquettes, ou que le Hezbollah envoie des bombes, c’est compréhensible, mais non excusable. Je tiens à cette différence. C’est compréhensible, il faut se mettre dans la peau de quelqu’un qui est constamment sous oppression et qui se dit : “J’en ai assez, je frappe.” Mais ce n’est absolument pas excusable, parce que le premier résultat est que le fort rétorque : “Maintenant, je suis obligé de frapper moi aussi.” »
L’Europe est une merveilleuse conquête de la génération de Stéphane. On n’a rien fait de mieux depuis. Mais nous ne sommes pas encore allés au bout de ce que l’Europe peut réaliser politiquement. En particulier en ce qui concerne le Moyen-Orient. Et il y a urgence. Nous avons fait preuve de beaucoup de gentillesse vis-à-vis de notre allié et ami, l’État d’Israël, et nous n’avons pas veillé à ce que les violations commises par cet État à l’égard de ses voisins palestiniens, et même quelquefois à l’égard de ses citoyens arabes, soient dénoncées, condamnées. Ces violations restent, à notre avis, impunies. Et l’Europe a pourtant les moyens pacifiques, économiques, de faire pression sur l’État d’Israël, pour l’amener à respecter le droit international et par là même à briser le cycle de la violence.
En cela nos travaux se rejoignent, qu’ils soient décryptage des décisions européennes ou participation au tribunal Russell sur la Palestine. Nous nous plaçons du côté du droit international, Véronique De Keyser en particulier collecte et analyse la manière dont l’Europe agit au Moyen-Orient par rapport à ses propres accords et ses propres traités… Nous avons tous deux le sentiment qu’il y a urgence à rendre compte. Urgence pas parce que nous vieillissons tous, mais urgence au contraire parce qu’une jeunesse monte, impatiente, en Palestine, qui n’a jamais connu que l’occupation israélienne et, aujourd’hui, l’onde de choc du printemps arabe. C’est cette jeunesse-là à qui nous devons donner confiance : confiance dans le droit international, confiance dans la laïcité de l’État, confiance dans l’État de droit, confiance dans son pouvoir d’influencer le futur.
Mais l’urgence n’est pas que du côté palestinien. Elle est aussi du côté israélien. Nous avons de nombreux amis israéliens qui sont des dissidents depuis des années et qui, comme l’institution des droits de l’homme B’Tselem, écrivent des rapports ravageurs sur les méfaits et les violations des droits de l’homme commis par Israël, nous aimerions que ces instances-là puissent rapidement retrouver un rôle à jouer et faire en sorte qu’Israël (un pays qui peut être tellement merveilleux) se débarrasse de ses méfaits, violations des droits humanitaires et violations du droit international. Il y a aussi une pression en Israël qui justifie le mot urgence.
Car sur quelles forces pouvons-nous compter pour que les choses bougent ? Chaque fois qu’une tentative de paix a été lancée, que ce soit à Madrid ou à Oslo, chaque fois que quelque chose semblait se mettre en route, l’initiative s’est heurtée, et elle s’est toujours heurtée, insistons là-dessus, à l’intransigeance israélienne. Il n’y a jamais eu, du côté palestinien, une porte qui se serait refermée. Les attaques, les violences, et même les attentats kamikazes qui ont émaillé du côté palestinien la résistance à l’occupation n’ont jamais été pour nous de véritables obstacles à aller de l’avant. Si le gouvernement israélien avait voulu simplement faire un pas en direction des Palestiniens – par exemple diminuer les check points, favoriser le développement social et économique à Gaza, rendre possible pour les Bédouins une existence respectant leur développement et leur culture –, si des mesures avaient été prises dans ce sens, on aurait pu croire qu’une porte allait s’ouvrir. Cette porte ne s’est pas ouverte. L’Europe, elle non plus, n’a pas tenu ses promesses. Elle n’a pas utilisé les leviers politiques et économiques dont elle disposait pour forcer les résistances.
Dans ces conditions, où trouver une petite espérance ? D’abord, il faut se rendre compte que les désespérés de l’Afrique maghrébine ont vécu longtemps sans entrevoir une lueur d’espoir. Puis tout à coup, en 2011, sont apparues des ouvertures. Des ouvertures compliquées, difficiles, où la laïcité en particulier n’est pas du tout acquise, mais un mouvement est né et c’est essentiel ! Ce mouvement incroyable, n’allait-on pas le retrouver ailleurs ? On l’a retrouvé bien sûr, même – et cela nous a émus – parmi les Israéliens, puisque se sont produits ces mouvements d’indignation au cœur d’Israël. On dit que ça n’existe pas, que ce n’est pas politique, ça n’a rien à voir avec les colonies, c’est un truc purement économique, oui, oui, mais quand ça bouge, ça bouge ! Et quelque chose a tremblé aussi en Israël, ne serait-ce qu’avec les élections du 22 janvier. Les résultats ne sont pas ceux qu’espérait Netanyahou ! L’impassibilité dramatique de la jeunesse israélienne sur ses positions colonisatrices n’est peut-être pas infinie. Donc il ne faut pas négliger ce que font heureusement encore des Avraham Burg, ou des Michel Warschawski et d’autres Israéliens avec un courage terrible, comme d’ailleurs Marwan Barghouti, de sa cellule, avec dignité et obstination. Tout cela pourrait changer la donne.
Ce qui nous intéresse aujourd’hui particulièrement, et c’est un point important que nous avons en commun, c’est la jeunesse palestinienne. Cette jeunesse aurait toutes les raisons d’être découragée : elle a connu les difficultés de l’occupation, la fracture entre le Hamas et le Fatah, les positions prises par le Hezbollah, etc. Mais ces difficultés l’ont forgée. Certains jeunes ont eu la chance de poursuivre des études en Europe, hors de la Palestine, et cette ouverture les a confrontés à un environnement tout différent. Ce qui nous frappe, c’est que cette jeunesse n’a pas comme référent principal l’islamisme, pas même la religion, mais bien plutôt un rêve d’État. De constitution. Comme les jeunes Égyptiens qui veulent refaire l’Égypte, comme les jeunes Tunisiens qui veulent une autre Tunisie, les jeunes Palestiniens veulent un État, discutent d’élections, de constitution, d’État de droit – et ces termes si abstraits pour nous ont pour eux un sens très concret. L’espoir viendra de là. Nous souhaitons insister sur cette note d’espoir.
Car ce mouvement de la jeunesse, qui a su concrétiser dans ses actes des concepts aussi abstraits que ceux que nous avons évoqués, y compris ceux de justice et de droit, possède du coup un bouclier contre les idéologies. Contre une idéologie islamique, purement religieuse, contre une idéologie communiste qui ne verrait que la révolution, contre une idéologie capitaliste néolibérale, tout aussi dangereuse, qui pervertit la démocratie pour la transformer en oligarchie. Nous pensons que sur ces trois plans les jeunes Palestiniens ont quelque chose à apporter – et la meilleure façon de le faire, c’est de le traduire dans une constitution.
Un jour un jeune Palestinien est venu voir Véronique De Keyser dans son bureau, au Parlement européen, et lui a demandé si l’Europe était sensible au fait que depuis une bonne décennie maintenant les Palestiniens avaient choisi la voie pacifique. Très embarrassée, elle a répondu instinctivement : « Je ne crois pas. » En fait, elle voulait dire : « Je ne crois pas que nous la mesurions à sa juste valeur. Nous nous sommes habitués à la non-violence, comme allant de soi. »
Et c’est vrai que douze ans après la seconde Intifada, nous ne mesurons plus ce qu’il en coûte de croire encore à la non-violence, de la prôner, lorsque rien ne bouge. De déclarer à des jeunes qui se voient en prison, qui se voient sans futur, qui se voient restreints dans toutes leurs libertés, que la seule voie est une voie pacifique. Gandhi disait : « La non-violence c’est ce qu’il faut faire régner, mais lorsqu’elle se confronte à la lâcheté, j’aime encore mieux la violence. » Mais la non-violence peut malheureusement apparaître comme une forme de lâcheté, ou de manque de véritable courage, or ce n’est pas ce qui caractérise les Palestiniens. Il nous semble que tous ceux d’entre nous qui ont eu l’occasion de discuter avec eux en sont convaincus. C’est pour cela qu’il faut s’indigner avec eux aujourd’hui et prendre le relais de leur espoir, sûrement, mais de leur colère aussi. Si nous ne le faisons pas – et une fois de plus il y a urgence –, nous donnons des armes à la violence.