23 août


Le cadavre de la femme est à moitié enfoui dans la vase au fond du Nine Mile Run. Time code : fin avril ; ce sont sans doute les pluies qui l’ont révélé, à moins qu’il n’ait été submergé par la rivière en crue, dont le courant aurait chassé les trente centimètres de boue qui le recouvraient. Time code : 18:44 – des flèches de soleil pénètrent le sous-bois en oblique, mouchetant la terre humide des clairières. L’eau, d’un vert moussu à leur lumière directe, présente ailleurs un brun foncé presque noir. Je songe à la terre d’ici, à l’histoire de ce lieu tellement accoutumé à brûler : les flancs de colline escarpés qui bordent le lit de la rivière étaient naguère les crassiers des hauts-fourneaux, des dépôts ondoyants de scories fondues, mais, quand j’y suis venu pour la première fois, ils étaient déjà réhabilités, couverts de verdure. C’était devenu un parc municipal.

Quand le time code atteint 19:31, il fait trop noir pour que j’y voie. Je règle les filtres optiques. Forêt et cadavre brillent un peu plus, de la pâleur maladive que leur confère la lumière numérisée. Je distingue les pieds à présent, tels des champignons blancs bulbeux poussés dans la vase. Marque-page sur le corps. Je l’abandonne, retrouvant dans l’obscurité absolue le parcours de jogging à travers bois.

Arrivé au parking aménagé au début du sentier, je réinitialise à 18:15, une demi-heure avant ma découverte du cadavre. Le soir retrouve une nuance crépusculaire plus bleutée. J’emprunte le parcours de jogging qui serpente dans la forêt, puis j’escalade un entrelacs de racines et de ronces, m’accroche à des branches fines pour garder l’équilibre. Je suis déjà passé ici. Mon regard explore les broussailles, cherche des empreintes, des traces de lutte, des lambeaux de vêtements, n’importe quoi, mais je ne trouve aucun indice tangible avant la masse blanche du cadavre : une courbe pâle que je suppose être le dos et une chevelure déployée – bien plus sombre, à cause de la boue, que le brun miel vu sur ses photos. Je m’accroupis près de la femme pour l’observer, tenter de reconstituer les événements – tenter de comprendre. À 19:31, il fait trop noir pour que j’y voie.

Je reviens sur mes pas. Arrivé au parking, je réinitialise à 18:15 et la soirée s’inverse. Le cadavre est là-bas, à moitié enfoui dans la boue. Je m’engage sur le sentier, scrutant le sous-bois, cherchant les traces que la femme aurait pu laisser. Je la trouverai dans vingt minutes environ.