3 mai


Festival artistique ce soir, des vernissages dans trente-trois locaux de la Mission tels qu’Artist’s Television Access, Project Artaud, le genre d’espaces subventionnés que Theresa et moi visitions souvent pendant les festivals à Pittsburgh, l’Xchange, Intersection for the Arts, le Centre culturel de la Mission et le Glass Dome. Téléchargements gratuits avec la visite : les plus belles pièces de l’expo, la bio des artistes… la présentation la plus médiatisée étant une expo de masques Day of the Dead réalisés par la Latino Art League. Je dîne d’une omelette dans un café du nom de Kahlo et, à un marchand des rues sur Dolores Street, j’achète des frites faites avec des pommes de terre fraîches, aspergées de vinaigre et de ketchup. Musiciens folkloriques mexicains et démonstrations de salsa dans les rues fermées à la circulation. Des employés des galeries circulent au milieu de la foule, distribuant des invitations à des « after ». Les rues et les trottoirs sont déjà tapissés de leurs tracts et de leurs cartes postales, la plupart augmentés de têtes de mort Day of the Dead, des crânes artistiquement peints, avec les yeux cramoisis et un sourire étincelant, qui flottent en 3D, illusoires, et s’éparpillent quand je les traverse. Hésitant dans la cohue, je me demande comment jouer mon coup – un doute me tord les tripes : dois-je rencontrer Albion ? Ne devrais-je pas lui ficher la paix, laisser tout tomber et partir en courant ? Mais je sais que Timothy et Waverly ne me laisseront jamais disparaître, et qu’Hannah Massey, elle, disparaîtra à jamais. Une procession de drag-queens vient de commencer, une marche de Sousa version Tina Turner – la reine du cortège est habillée comme Meecham, robe de bal aux couleurs du drapeau américain et masque de cochon.

Sur la devanture du Glass Dome, on a écrit Le papier enveloppe la pierre : nouvelles œuvres de San Francisco sur papier. De la musique électro retentit à l’intérieur, du bon vieux Deadmau5, et une ambiance d’émeute imprègne le bal qui démarre spontanément dans les rues. L’épaule en avant, je me fraie un chemin jusqu’à la porte. Une crise de claustrophobie aiguë me saisit, comme si, plutôt que dans une salle d’exposition bondée, je me trouvais dans une caverne où on aurait entassé des cadavres. Le Glass Dome, tout en longueur, tel un couloir sans portes, me rappelle des galeries de Pittsburgh : des immeubles rénovés sans finitions, avec tresses de fils électriques et tuyaux apparents. Pittsburgh était cernée de villes industrielles mortes, presque des villes fantômes, que les collectifs artistiques et les associations à but non lucratif pouvaient louer pour un prix modique, des quartiers entiers qui auraient disparu sans les artistes soucieux de s’offrir une sensation d’authenticité et de fortitude.

Je pêche une canette de bière dans une piscine pour enfants remplie de glace, qui fuit. Restant à la périphérie de la foule, je me fraie un chemin jusqu’au fascicule d’Albion, décousu celui-là, les six pages exposées côte à côte, accrochées avec des punaises. Un portrait de la blonde – Peyton – et, malgré la foule étouffante, les coups de coude ou d’épaule reçus par inadvertance dans la salle bondée, les musiques diverses et les conversations de plus en plus animées, le silence pourrait aussi bien régner dans la salle quand, observant les tableaux, je prends conscience que je ne suis pas en train de regarder des détails fétichistes d’un corps féminin mais un portrait entier brisé en six plans, comme si je voyais le reflet de ce nu dans six éclats de miroir, ou que je le lisais en six chapitres. Deux seulement montrent le visage, la tête inclinée en arrière dans une frénésie molle, l’expression pareille à L’Extase de sainte Thérèse. Je me rends compte que le corps tout entier, autant qu’il puisse être obscurci par les disjonctions cubistes d’Albion, fait écho à L’Extase de sainte Thérèse – sans l’ange malicieux, sans la présence de Dieu. Une hôtesse pose des gommettes orange près de chaque tableau pour indiquer qu’ils sont vendus. Deux autres artistes exposent leurs œuvres ce soir – sur un mur des collages de scènes urbaines, sur l’autre une suite de mots, Dispositif ou Panopticon, peints en Times New Roman, noir sur blanc, des trucs simples.

Elle est ici.

Je ne la vois pas entrer, mais je remarque que la tonalité de la salle se modifie, que toutes les personnes présentes, malgré leurs tenues à la mode et leurs postures culturelles semblent soudain pâles et estompées, insignifiantes. Je l’aperçois par-dessus la tête des visiteurs, les cheveux teints aile de corbeau. Des amies se précipitent à sa rencontre, et la voir enlacer ces femmes qu’elle connaît me donne l’impression de voir une mariée enlacer ses demoiselles d’honneur. Elle porte une robe blanche serrée à la taille par un ruban noir, mais ses épaules, son cou élégant, ses bras nus sont presque plus blancs que la dentelle. Sa jupe est munie de deux grandes poches, chacune garnie d’un bouquet de pâquerettes. Je recule contre un mur – me sentant hors sujet à présent qu’elle est là, mes problèmes et mes désirs concernant désormais un personnage mineur qui figure tout juste dans l’histoire. Le premier soin d’Albion est de trouver les deux artistes qui exposent avec elle, deux hommes qui ressemblent à des écoliers rencontrant une femme pour la première fois quand elle leur offre à chacun un bouquet et les félicite pour leurs œuvres. Plus grande qu’eux, elle se penche pour les écouter parler, son corps évoquant un cygne. Elle rit facilement.

Des admirateurs l’entourent pendant la plus grande partie de la soirée. Elle passe d’un groupe à un autre, on la complimente sur son travail. J’entends qu’on lui pose des questions à propos de son modèle, mais elle ne parle que de technique et de style, évite de révéler l’identité de la jeune femme blonde. J’entends des gens l’appeler « Darwyn ». D’autres, sans doute plus proches, disent « Dar ». Plusieurs heures s’écoulent, la foule s’éclaircit mais Albion demeure. J’attends une brèche dans ses conversations, qu’elle aille seule faire la queue devant la table des rafraîchissements.

Je me poste derrière elle. Ses cheveux relevés sont une vague soyeuse. Elle est si près que je pourrais la toucher, la sentir ici, dans le monde, avec moi, une réalité, non pas une illusion. La ligne de son cou rejoint ses épaules en une courbe parfaite, comme si elle était sculptée dans le marbre. Est-elle bien réelle ? Ne suis-je pas en pleine hallucination ? Des taches de rousseur s’éparpillent sur ses épaules, près du cou. Quelques mèches de cheveux châtain roux poussent sur sa nuque. Je ne sais pas quoi dire, alors je bredouille :

« Raven et Honeybear… »

Elle s’écarte de moi comme si je l’avais frappée.

« Pardon », dis-je, comme s’il m’était possible de reprendre mes paroles, de l’aborder d’une autre manière, mais il est trop tard. Je me sens rougir et frissonner de sueurs froides. Il y a tant de choses que je voudrais lui dire, et tout ce que j’arrive à sortir, c’est : « Pardon… »

Elle se reprend, comme quelqu’un qui se bâtit une dignité après une humiliation publique.

« C’était il y a longtemps, dit-elle, avec un léger accent – de Virginie-Occidentale, peut-être, ou de Pennsylvanie rurale.

– Albion ?

– C’est vous qui l’avez tué ? » lance-t-elle, perdant soudain son calme. Un cri lui échappe, presque un rire ou un aboiement guttural, un son laid que la musique tonitruante ne peut couvrir. Une amie lui demande si ça va. Elle serre les dents, elle tremble, sa peau a encore pâli, sauf pour des taches écarlates sur les joues et la gorge.

« Ça va, dit-elle en s’essuyant les yeux à l’aide d’une serviette en papier. Tout va bien.

– Non, lui dis-je, ce n’est pas moi.

– Alors qu’est-ce que vous me voulez ? demande-t-elle. Je ne vous ai rien fait.

– Ma femme, dis-je. Je veux retrouver ma femme. Je veux la récupérer… »

Mes paroles tempèrent son hystérie. Elle me fixe de ses yeux injectés de sang, presque haletante, tentant de deviner qui je suis, ce que j’essaie de dire, pourquoi je suis ici, pourquoi elle a été découverte.

« Je vous demande pardon ?

– Vous me l’avez prise. Mook me l’a prise. Je veux la retrouver… »

Je tremble aussi, à présent, ma voix se brise, et je me mets à pleurer – de lourds sanglots. Dire à cette inconnue que je n’ai plus mon épouse revient d’une certaine manière à admettre pour la première fois que j’ai perdu Theresa il y a dix ans, que je suis resté seul toutes ces années. Je n’ai jamais ressenti avec autant d’acuité l’absence de Theresa, je n’avais encore jamais admis en moi-même que, dussé-je la trouver à présent, il ne resterait rien à trouver.

« Tu veux qu’on appelle la police ? lui demande quelqu’un.

– Non, répond-elle, ça va. Tout va bien.

– S’il vous plaît », dis-je.

Albion explore la salle du regard, les tableaux et les gens qui l’entourent – apparemment hébétée, mais davantage comme si elle sortait d’un rêve agréable pour trouver une dure matinée, sachant que les plaisantes illusions qui l’entourent sont sur le point de s’effacer, et tentant de les prendre en elle, de les absorber avant de s’éveiller.

« Vraiment désolée, dit-elle aux deux autres artistes et à ses amis, qui se sont rassemblés autour de nous comme si nous étions des comédiens jouant une scène. Ça me désespère d’interrompre ainsi le vernissage, je vous supplie de me pardonner. Je suis vraiment, vraiment désolée de tout ça. Ce monsieur et moi avons des choses à nous dire… »

Elle m’entraîne dans un coin tranquille de la salle, où les autres nous regardent avec méfiance, et scrute mon visage avec curiosité – cela me rend nerveux, comme si j’étais disséqué.

« Je vous connais, non ? demande-t-elle. Il me semble vous reconnaître, mais vous étiez différent. Est-ce que vous… Vous êtes poète, non ? Je crois vous avoir vu à des lectures…

– Je ne sais pas, lui dis-je. C’est possible.

– Comment vous appelez-vous ?

– Dominic…

– Votre nom complet, insiste-t-elle. Dites-moi…

– John Dominic Blaxton, dis-je. J’étais marié à une femme qui s’appelait Theresa.

– Theresa, répète-t-elle, éprouvant le nom, pesant sa sonorité. Je ne me rappelle aucune Theresa mais je me souviens de vous. Même si vous avez changé, je vous revois bien à présent. J’assistais à une lecture à la galerie ModernFormations de Garfield. Il y a au moins douze ans… C’est bien ça ?

– C’est ça, lui dis-je. Un festival de petits éditeurs. J’étais Confluence Press. Le New Yinzer était là, Copacetic Comics, Autumn House… »

À dire ces noms devant quelqu’un qui se les rappelle, j’ai l’impression de retrouver le souvenir d’un langage codé inventé quand j’étais enfant.

« Caketrain, ajoute Albion. City of Asylum…

– Je me rappelle m’être retrouvé debout sur scène, avec les autres poètes assis sur des canapés derrière moi. Je regardais le public, mais je ne voyais rien à cause des projecteurs, donc j’ai baissé les yeux sur les poèmes tapés à la machine que j’avais apportés, et j’ai été surpris de voir mes mains trembler…

– J’ai adoré ce que vous avez lu ce soir-là, dit-elle. J’ai acheté deux de vos livres…

– Le Chemin de croix ? Le bleu ?

– Celui-là et un autre. Vous aviez apporté une plaquette, avec des poèmes d’amour. C’étaient mes préférés… »

J’avais oublié cette plaquette, que j’avais publiée pour la vendre en même temps que Le Chemin de croix quand je faisais des lectures : de petites esquisses de lettres d’amour que j’avais données à Theresa au fil des ans puis rassemblées.

« Vous ne les auriez pas encore, hein ?

– Tout a été perdu », me dit-elle.

Nous étant écartés davantage des autres, nous nous tenons sous une feuille de papier blanc, avec des lettres noires qui disent baisant dans une voiture à 130 kilomètres-heure percutant un mur de briques.

« Je ne me rappelle pas vous avoir vue ce soir-là, dis-je. Je sais que vous y étiez, cela dit : je vous ai vue dans l’Archive, mais je n’étais pas sûr que ce soit bien vous. Je pensais que je me serais rappelé vous avoir déjà rencontrée…

– Il y avait beaucoup de monde. »

La galerie est en train de se remplir à nouveau, de gens qui viennent d’autres vernissages. Albion suggère que nous nous servions un verre et allions prendre l’air. Ayant assuré à ses amis qu’elle ne risque rien, que je suis un vieux copain, elle promet de les appeler et de repasser plus tard. La soirée s’est rafraîchie, et je lui propose ma veste. Elle refuse tout d’abord mais finit par accepter pour cesser de frissonner. La devanture du Glass Dome s’est couverte de buée, les visiteurs apparaissent tels des spectres à travers la vitre. Nous marchons un long moment en silence, puis elle s’assied sur le perron d’une boutique d’antiquités close, dans l’ombre de l’auvent. Je la rejoins. Des promeneurs qui passent en riant ne nous remarquent pas – j’ai l’impression que nous sommes invisibles.

« Parlez-moi de votre femme, demande-t-elle.

– Theresa Marie, dis-je. Mook a tout effacé d’elle, comme il vous a effacée, vous. Il m’a averti que je ne devais pas vous chercher dans la Ville, et puis il l’a tuée tout de même. Je veux que vous la rameniez.

– Je ne peux pas la ramener, dit Albion. J’en suis incapable. Lui l’aurait peut-être pu. »

Je me penche dans les ombres, regardant mon souffle former un nuage au sortir de mes poumons, comme si c’était mon âme qui s’échappait. La dépression familière s’empare de moi, plus noire et plus profonde que jamais – je veux Theresa, je veux la retrouver, l’embrasser, l’entendre me parler, je veux la revoir, point final. Albion me laisse reprendre mes esprits. Elle est patiente. Je m’imagine en train de mettre dans ma bouche le canon d’acier d’un pistolet, visant mon palais.

« C’est lui qui vous envoie ? demande-t-elle.

– Waverly ?

– C’est lui ? Je pensais que c’était Timothy.

– Timothy aussi, lui dis-je.

– Il est là, alors ? C’est lui qui a tué mon ami ?

– Je ne sais pas… »

Elle hoche la tête. Elle se demande encore qui je suis.

« Est-ce que vous travaillez pour lui ? Vous allez lui dire où je suis ? »

J’explique tout. Que j’ai commencé à travailler pour Waverly en croyant chercher sa fille mais que j’ai continué uniquement parce que je les pensais, Mook et elle, capables de me protéger de Timothy, de m’aider à disparaître. Que j’espérais récupérer ma femme grâce à elle.

« Vous avez faim ? demande-t-elle.

– Euh… oui, admets-je. Je n’ai mangé qu’une omelette il y a un moment.

– Moi, je suis affamée. Je reste sur ma salade du déjeuner. Vous aimez la cuisine thaïe ? »

Nous quittons le perron de l’antiquaire, sortons de sous l’auvent. Albion voit quelques amis se diriger vers l’expo. Quand ils lui demandent si elle y va, elle leur adresse un sourire désolé.

« Je vous rejoins », leur assure-t-elle.

Nous marchons côte à côte.

« Ça ne vous ennuie pas si je garde votre veste ? demande-t-elle. Vous n’aurez pas froid ?

– Il ne fait pas si froid », dis-je, mais elle affirme qu’elle est gelée.

Elle connaît un restaurant appelé Thaiphoon, trop bondé pour qu’on y trouve une table, aussi commandons-nous des plats à emporter. Albion propose son appartement, au coin de la rue. Elle dit que, là, nous pourrons parler. Nous attendons au comptoir, cherchant que dire – organisant nos pensées. Je règle nos dîners. Quand nous ressortons, je lui demande si elle dessine ses propres vêtements, et elle me le confirme.

« Vous devez en savoir beaucoup à mon sujet, remarque-t-elle.

– Pas beaucoup, non. Un peu.

– Sherrod m’a parlé de vous. Il n’était pas vraiment inquiet, mais il disait que vous réussiriez peut-être à me trouver. Que vous travailliez pour l’Archive de la Ville, que vous saviez faire des recherches et que vous compreniez ses méthodes. Il pensait que vous risquiez de…

– Il faut que vous me croyiez quand je vous dis que je ne savais pas qu’il se ferait tuer. Je ne savais absolument pas ce qui se passait, je ne sais toujours pas ce qui se passe… »

Son immeuble est décrépit. Le papier peint floral de l’ascenseur, décollé sur les bords, expose le métal brun qu’il est censé couvrir. Nous montons en silence, écoutant le son des rouages et des poulies jusqu’à ce que la cabine s’arrête mollement et que les portes s’écartent en grinçant. Albion déverrouille sa porte et me précède à l’intérieur, allumant le plafonnier tandis que nous traversons le couloir principal. Son appartement est un loft très vaste mais peu meublé en dehors de canapés jumeaux et d’une table basse. La plus grande partie de l’espace est aménagée en atelier : des toiles immenses posées contre les murs de briques, des rouleaux et des lés de tissus, deux machines à coudre, des livres d’art de très grand format qui font ployer des étagères artisanales réalisées avec des planches et des briques. Une table à dessin, près de la fenêtre, soutient plumes, encre et pinceaux dans des tasses en céramique, ainsi que plusieurs blocs de papier.

« C’est ici que vous réalisez vos fascicules ?

– Là-bas, oui, dit-elle.

– Et les toiles ?

– Je les ai achetées il y a un moment, en me disant que j’allais peut-être essayer quelque chose de différent. Je ne l’ai pas fait. Pas encore. »

Un rideau en dentelle est punaisé à l’encadrement de porte qui mène à la cuisine.

« Je vais faire du thé, si vous voulez.

– Ce sera parfait. »

Je la suis dans la cuisine, lui demande où elle range la vaisselle. Tandis qu’elle emplit sa bouilloire d’eau du robinet et allume la cuisinière, je m’agite autour d’elle, dispose nos plats thaïs sur des assiettes.

« Du Earl Grey ? » demande-t-elle.

J’emporte nos assiettes dans la grande pièce et les pose sur la table basse. Albion a accroché au mur une de ces pendules du souvenir avec une photo du centre de Pittsburgh et l’inscription Nous n’oublierons jamais. Par une illusion d’optique, l’eau des trois rivières semble couler. C’est l’unique référence visible à la bombe. Il est déjà plus de dix heures. La jeune femme apporte le thé sur un plateau et le pose près de notre dîner.

« Vous auriez dû commencer, dit-elle. Ça va refroidir. »

Albion nous sert du thé – dans la cuisine, elle a encore pleuré. Elle met de la musique, Etta James, et nous mangeons presque sans parler, écoutant la chanteuse. Les radiateurs toussent et crachent mais finissent par réchauffer la pièce. Ma compagne me pose des questions sur Washington. Moi, je lui en pose sur San Francisco, elle répond que c’est un paradis qui a connu des jours meilleurs, et j’affirme que c’est pareil pour Washington – sauf que ça n’a jamais été un paradis. Après dîner, je lave la vaisselle tandis qu’Albion prépare du café. Elle sort un paquet de biscuits au citron de son placard et me sert une tasse, apportant sucre et lait. Je prends des deux.

« J’ai trouvé des informations sur Timothy qui mettent en danger mes amis et ma famille, lui dis-je après avoir bu une gorgée de café. Je ne sais pas qui ils sont réellement, ni quels sont leurs rapports avec toi… mais je sais que Timothy et Waverly sont dangereux…

– C’est vrai, dit-elle.

– J’ai besoin que tu m’aides. C’est pour ça que je t’ai cherchée. J’ai besoin que tu me parles de lui, pour que je monte un dossier, que je me fabrique une protection contre lui…

– Tu ne peux pas te protéger d’eux, assure-t-elle. Rien de ce que je peux dire ne te protégera.

– Qui es-tu ? »

Elle se met à parler…