19 novembre


C’est CNN International qui sort l’histoire, mais, en quelques minutes, plusieurs autres chaînes ont récupéré les images – je regarde tout ça sur la télévision de ma tante, en buvant du cognac au lait. BBC Europe, CT24 de Prague, Sky News, Al Jazeera, presque toutes les chaînes sur lesquelles je zappe montrent la vidéo non censurée du meurtre : Waverly hurlant qu’Hannah n’est pas plus sacrée qu’un animal écrasé sur la route, Timothy la frappant à vingt-quatre reprises… Plusieurs personnalités officielles américaines déclarent que les images sont en cours d’authentification, que la présidente Meecham est informée et qu’elle évalue la situation. Une photo de Waverly clignote sur l’écran. Hannah passe en boucle, avec des zooms sur ses organes génitaux, des zooms sur ses seins, sur son visage mourant – et des débatteurs se demandent si ce visage exprime ou non l’orgasme, si le viol et le meurtre n’étaient pas dans une certaine mesure consensuels. Un remix hip-hop de la voix de Waverly, corrigée par AutoTune, en train de chanter : « Vous ne voyez rien de plus sacré qu’un animal écrasé sur la route. » Je suis sous le choc de voir l’assassinat d’Hannah devenir viral, de lui avoir fait ça. Sa vie est exposée : photos et vidéos de ses petits copains de lycée, images intimes post-bal de fin d’année, une journée très lucrative pour les sextapes d’Hannah Massey – et les producteurs supplient en direct qu’on leur envoie des images qui valent le coup d’être diffusées. Nue. Sextapes. Porno amateur. Vacances à la mer, portraits, images de caméra cachée d’un ancien amant. Interviews avec la grande famille d’Hannah dans l’Ohio – celle-là même qui avait demandé le paiement de l’assurance ayant motivé mon enquête. Ses parents ont déjà signé pour qu’Hannah passe dans Superstar du crime, ils sont déjà enthousiasmés par le score qu’elle obtient au préclassement et parlent déjà de ce qu’ils feront de l’argent si elle gagne le premier prix.

Je termine la bouteille de cognac puis sors en titubant sur la vaste pelouse. L’alcool me soutient un peu mais je finis par m’effondrer. Il neige doucement. L’herbe est gelée, piquante. Je sens le parfum de la terre et me demande combien de millions de vers qui se tortillent juste sous la surface monteraient vers le ciel pour festoyer de ma carcasse si je mourais. Je reste allongé face contre terre pendant des heures – Qu’est-ce que je t’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Je suis au-delà des frissons, au-delà du gel. Ma tante me trouve inerte mais conscient – je me rappelle avoir fixé le ciel blanc. Qu’est-ce que je t’ai fait ? Je ne me rappelle pas que ma tante m’ait fait rentrer, ni qu’elle m’ait plongé dans un bain chaud. Je ne me rappelle pas le médecin qui m’a rendu visite. Je ne me rappelle rien du tout.