12 décembre


Gav m’appelle.

« Mets la télé », me dit-il.

Onze heures du soir, ivre de rhum – j’allume la télé du salon pour découvrir une rediffusion d’un épisode de Takeshi’s Castle Revival, des Japonaises doublées en tchèque qui effectuent une course d’obstacles. Il est tombé beaucoup de neige ces derniers jours, masquant les champs. Ma tante est dans la grange, dont l’éclairage constitue l’unique lumière à des kilomètres à la ronde.

J’interroge mon cousin :

« Qu’est-ce que je dois chercher ? »

En zappant sur les chaînes d’infos, je comprends toutefois vite de quoi il retourne :

« Dernière minute. Fusillade en Alabama. »

« Je vais appeler ma mère, dit-il. Il ne faut pas que tu restes tout seul… »

Des vues par hélicoptère d’un corps de ferme au milieu de nombreux hectares de champs cultivés. Deux granges dont une en feu. Un cadavre dans la cour.

« Les autorités ont identifié la victime comme étant Cormac Waverly, 36 ans, agent de la police de l’État d’Alabama. Cormac Waverly est considéré comme l’un des assaillants figurant sur le flux criminel de Theodore Waverly… »

« Tu vas bien, Dominic ? » demande ma tante en entrant d’un pas rapide – elle doit croire que j’ai eu une autre crise, un DELIRIUM TREMENS ou quelque chose comme ça.

Me voir assis au bord du canapé la rassure, bien que j’aie un verre à la main. Verre que je pose.

« Moi, ça va, lui dis-je. Ils l’ont trouvé, on dirait. Waverly. Il y a eu une fusillade… »

Elle ôte son chapeau, ses gants, et, après quelques minutes, s’éclipse pour nous préparer du thé – un Earl Grey corsé qui me rappelle Albion, notre première soirée ensemble. Je me demande si elle est là-bas, en Alabama.

Les mêmes plans tournés par hélicoptère passent en boucle : le tour de la propriété, le nuage de fumée noire qui sort de la grange, le cadavre étalé sur la pelouse, juste devant la maison. La ferme est celle de Gregor Waverly. Diagrammes de la propriété, illustrations de la grange embrasée. Le feu a pris au cours de la première étape de l’assaut, quand le groupe d’intervention de Birmingham a établi son périmètre. Il y a eu un échange de coups de feu. L’explosion d’une grenade a incendié la grange.

Vers une heure du matin, ma tante prépare du porridge avec du sucre roux et du beurre, et nous fait du café. Les infos recyclent les images d’Hannah Massey, tout en faisant défiler la bio de Waverly dans un bandeau. Des images retracent les rapports de l’homme d’affaires avec la présidente Meecham, qui remontent aux premiers pas en politique de cette dernière. Des commentateurs rappellent les événements de la matinée : le FBI, en collaboration avec un cabinet d’enquêtes privé, le Groupe Kucenic, a monté un dossier contre Theodore Waverly et toute la famille Waverly de Birmingham, Alabama, suite à la mise en ligne du flux montrant l’assassinat d’Hannah Massey.

Le Groupe Kucenic. Mon ancien patron apparaît sur l’écran, ses cheveux blancs et sa barbe poussant en mèches et tresses indisciplinées. Il a bien plus l’air d’un prophète vengeur que du patron d’un cabinet d’enquêtes privé.

« Nous avons reconnu dans ces images une pièce à conviction dans le cadre d’une affaire non résolue en rapport avec l’Archive de la Ville de Pittsburgh. Ayant suivi cette piste en collaboration avec des représentants du FBI… »

Je me demande ce qui a changé, ce qui donne à Kucenic tant de courage alors qu’il m’a abandonné et qu’il a accepté de laisser balayer Hannah Massey sous le tapis. Ce sont peut-être des agents du FBI qui ont reconnu le cadavre d’Hannah, sont remontés à cette vieille affaire et ont exigé des réponses. Le Bureau a pu se présenter à la porte de Kucenic avec une plus grosse matraque que Waverly.

Des troupes d’assaut du FBI et un groupe d’intervention de la police de Birmingham avancent prudemment vers la maison, à pied, derrière des camions blindés puis en file indienne derrière ceux qui tiennent des boucliers d’acier. Une explosion déchire tout l’arrière de la maison, une boule de feu monte vers l’hélico des actualités qui couvre le siège. Quelques minutes plus tard, on apprend qu’un policier de Birmingham a été blessé quand les coups de feu ont produit une étincelle au milieu d’une fuite de gaz. Encore cinq ou dix minutes et on nous confirme un second mort : un homme identifié comme étant Gregor Waverly. Son cadavre a été récupéré. Images de Gregor, bien plus jeune, posant bras dessus bras dessous avec son frère.

Une fois voitures de pompiers et ambulances arrivées, l’équipe d’assaut du FBI se déploie dans la maison. Elle en ressort quelques minutes plus tard avec deux prisonniers, Rory et Theodore Waverly, quoique le premier soit dans un état critique en raison de blessures par balles. Trente minutes après les arrestations, le gouverneur d’Alabama donne une conférence de presse et remercie les agences impliquées de leur travail conjoint. Quand un journaliste lui pose la question, il confirme que Rory Waverly est mort des suites des blessures reçues pendant le siège.