17

Cela apparaissait comme une catastrophe, mais en réalité, tout se déroulait mieux qu’elle ne l’aurait espéré.

Ses équipes écumaient les vaisseaux deux par deux. Impossible de faire plus vite. Quant à l’escouade de Daguenay, sur le Lurpek, elle s’enlisait dans la poursuite de Palestel. Il se produisait là-bas le même scénario que sur les bâtiments qu’elle avait arraisonnés : l’équipage avait préféré saborder leur IA que livrer ses codes de contrôle, signant l’arrêt de mort de leur cargo. Belake s’était bien gardée de partager cette information, de même qu’elle n’avait pas envoyé de vaisseau de secours au croiseur en déroute.

Pour la troisième fois, Daguenay tenta de la joindre. Cette fois, elle accepta la communication.

… Que fabriques-tu, par Saran ?

Les parois d’une coursive se reflétaient sur sa visière. Son rembourrage de casque peinait à absorber la sueur à ses tempes, dont l’excédent s’écoulait dans le cou.

– Situation, Daguenay ? demanda-t-elle, imperturbable.

Son réseau lui communiquait toutes les infos nécessaires, mais elle voulait que ses officiers entendent de vive voix les pertes qu’il avait subies.

Plus tard. Envoie-moi une barge à la baie de transbordement qui se trouve à mi-vaisseau. J’ai besoin de renforts en urgence.

– Toutes mes unités sont mobilisées.

Qu’elles désengagent, alors !

– As-tu réussi à mettre la main sur Palestel ?

La passerelle est sous mon contrôle. Je fais diffuser des images de C-Luz sur le circuit interne pour qu’il se rende.

– Tu es toujours à sa poursuite ?

Je vais l’avoir.

– Décroche de là. Dès que tu auras embarqué, je fais sauter leur foutu cargo.

On peut encore limiter la casse. Écoute-moi et…

Elle coupa la transmission.

– Sena, nous pouvons parfaitement… commença un officier, avant qu’un index brandi le fasse taire.

Une nouvelle explosion ébranla le Lurpek.

Belake contacta le croiseur de Daguenay. Tous ses ponts avaient été touchés, mais le centre stratégique fonctionnait. Les informations des commandos continuaient de lui parvenir.

Peu après, la passerelle lui confirma la mort de Daguenay. Des émotions mêlées l’assaillirent. Pas de remords : plutôt un vide, que le sentiment de puissance combla aussitôt.

Voilà, c’est fait. Le monde de Daguenay est définitivement révolu. Comme celui de Bosmor.

Elle rajusta sa coiffure et ouvrit tous les canaux de communication.

– Sen Daguenay est tombé au champ d’honneur, tué dans un piège tendu par les rebelles. Ce crime ne restera pas impuni. Par droit acuménique, je deviens le bras droit d’Azat et le commandement des deux croiseurs m’échoit à cette minute. Officiers, prononcez le serment d’allégeance.

Ses hommes la regardèrent, interloqués. Un renouvellement d’allégeance, en pleine opération militaire ? Mais ils s’y soumirent sans regimber. De toute façon, il était trop tard pour intercepter tous les cargos en fuite. En particulier avec Palestel, toujours en liberté sur le Lurpek : il restait sa cible, ce qui obligeait son propre croiseur à demeurer en orbite d’Es Saödi.

Elle appela le croiseur de Daguenay. L’officier de liaison se mit au garde-à-vous en entendant l’ordre de transférer Céluz à son propre bord.

– Toutes nos unités sont occupées à décompter les morts et à s’occuper des blessés.

– Je n’ignore pas l’épreuve que vous traversez, mais reprenez-vous.

Oui, sena.

– La prisonnière est sauve ?

– On l’a confinée dans une cellule au centre du vaisseau. Elle doit avoir été épargnée, mais…

– Que deux de vos hommes me l’amènent. Exécution.

Pendant que la navette quittait sa baie d’amarrage, elle tourna le regard vers les vaisseaux de LaMarche, qui désertaient l’orbite haute. Ses poings se serrèrent. À peine dix pour cent de la flotte réduite à l’impuissance, et l’un des croiseurs devrait subir un radoubage complet. Une fortune, littéralement.

Il faudra des décennies pour éponger nos pertes. Daguenay avait raison, les batailles spatiales sont des absurdités.

Le démantèlement de LaMarche leur fournirait peut-être assez de ressources pour restaurer leur puissance. Sinon, d’autres multimondiales subiraient le même sort. Après tout, rares étaient celles qui ne complotaient pas, d’une manière ou d’une autre. Des rats, qui grouillaient au pied du lion qu’était Azat. Elle sourit. En réalité, cette défaite servait les intérêts du nouvel acumen. Elle justifierait le ménage drastique qui s’annonçait. Les opposants donnaient de la voix depuis trop longtemps, il était temps de régler le problème une bonne fois pour toutes. Bosmor avait été faible, Azat avait eu raison de l’éliminer.

Elle appela le second groupe d’assaut de Daguenay, sur la passerelle du Lurpek. La transmission était claire depuis que les rebelles ne brouillaient plus les fréquences. Derrière la visière relevée de son casque, le visage du commandant portait les stigmates du combat.

– Capitaine… Malval, c’est ça ?

Malval, oui, sena Belake.

– Les renégats qui ont éliminé l’escadron de Daguenay doivent faire route vers la proue.

La surprise fit hausser les sourcils du capitaine.

Ils comptent attaquer la passerelle ?

– Probablement pas, mais là n’est pas le sujet. Il y a parmi eux celui que je recherche. Palestel.

Oui, sena.

– Allez à sa rencontre.

La zone n’est pas sécurisée. Si nous laissons la passerelle sans garnison…

– Une petite unité suffira. Surtout, adjoignez-y votre dragon d’assaut. Programmez-le pour capturer Palestel. Je le veux vivant.

À vos ordres, sena.