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Je ne suis pas un philosophe chrétien, comme la rumeur en court, en un sens volontiers péjoratif, voire discriminatoire. Je suis, d’un côté, un philosophe tout court, même un philosophe sans absolu1 soucieux de, voué à, versé dans2 l’anthropologie philosophique, dont la thématique générale peut être placée sous le titre de l’anthropologie fondamentale3. Et, de l’autre, un chrétien d’expression philosophique, comme Rembrandt est un peintre tout court et un chrétien d’expression picturale et Bach un musicien tout court et un chrétien d’expression musicale.
Dire « philosophe chrétien », c’est énoncer un syntagme, un bloc conceptuel ; en revanche, distinguer le philosophe professionnel du chrétien philosophant, c’est assumer une situation schizoïde qui a sa dynamique, ses souffrances et ses petits bonheurs.
Un chrétien : quelqu’un qui professe une adhésion primordiale à la vie, aux paroles, à la mort de Jésus. C’est cette adhésion qui pour le philosophe de métier et de culture, le penseur de culture philosophique, suscite le discernement, le souci de rendre raison, de donner le meilleur argument dans les situations de confrontation et de ce que j’appelle plus loin de controverse [en marge : propres à l’expression publique]. Mais cette mobilisation de la compétence philosophique n’entame pas la liberté de pensée et l’autonomie – je dirais même l’autarcie, l’autosuffisance – propres à la recherche philosophique et à la structuration de son discours.