Après lecture de Philonenko1 :
Le « Notre Père »
C’est, dit-il, une invocation, non une énonciation. Veut-il dire qu’il n’est rien dit de ce que Dieu est ? Qu’il n’y a pas d’ontologie ? Certes, il n’y a rien de grec, comme ce sera [le cas] avec les Pères. Mais il n’y a pas implicitement [?], par exclusion, mais aussi par possibilisation, un dit sur Dieu.
Ce qui frappe dans le vocabulaire, c’est la dominance du faire. Au reste, une invocation s’adresse à un Dieu qui peut ce qu’il fait. Dans les demandes en « tu », il est demandé à Dieu de faire qu’il règne. [Dans la marge : Peut-être un Dieu du posse ? (Richard R.). Voir autre fragment.] La vision eschatologique est celle d’une complétude de l’Agir. La structure même de la demande est l’attente, c’est-à-dire plus que le vœu, plus que l’optatif, à savoir la confiance dans l’accomplissement de l’Agir. Deux marques dans le vocabulaire s’accordent avec la marque dans la grammaire (impératif), les mots règne et volonté. L’un marque une politique sublimée, l’autre une psychologie sublimée : on n’est ni chez Hobbes et le problème de souveraineté humaine, ni chez Descartes et la volonté dans le jugement. Règne et volonté sont à la mesure de l’Agir pur.
Les demandes en « nous » le confirment :
« Pardonne-nous comme nous pardonnons les offenses. »
Nous demandons de recevoir l’agir pour nous, à la mesure de notre agir envers les autres, dans la dimension de l’offense qui est un agir négatif de notre part. Deux agir sont mis en couple : celui de Dieu, celui des hommes. Le comme (hôs) opère verbalement ce que la symétrie inégale des deux agir opère effectivement.
La dernière demande, telle que réécrite par Philonenko :
« Et fais que nous n’entrions pas dans l’épreuve mais délivre-nous du Malin »
met en scène : | – l’Agir, avec la note négative (fais que non) |
– notre agir à l’épreuve excessive | |
– le diabolique qui engendre la mise à l’épreuve. | |
Triangulation de l’agir : | |
1. Fais que ne pas. Agir par en ne-pas | |
2. Agir humain mis à l’épreuve excessive. Être éprouvé dans son agir | |
3. diabolique tentateur : énigme du mal qui dans son anonymat est et n’est pas Quelqu’un. |
Telle serait la possibilisation qu’une [d’une ?] énonciation en termes d’agir. Non grec. Mais possibilité d’une réécriture du verbe être à la façon d’Aristote. Être comme dunamis – energeia.
L’agir rend possible cette réécriture de l’être grec. Comme déjà Exode 3,14-15. Voir Penser la Bible2 sur « je suis qui je serai ».
Marc Philonenko, Le « Notre Père ». De la Prière de Jésus à la prière des disciples, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 2001.
Cf. André LaCocque et Paul Ricœur, Penser la Bible, Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 2003, p. 346-385 : « De l’interprétation à la traduction ».