Jacques Derrida
« Je suis en guerre contre moi-même. »
Je prends le même point de départ : ce que je ne crois pas.
Si « apprendre à vivre enfin », c’est apprendre à mourir, à prendre en compte pour l’accepter la mortalité absolue sans salut, sans résurrection ni rédemption, je partage tout le négatif. Moi non plus je n’attends pas la résurrection pour moi – comme je l’ai écrit dans La Critique et la Conviction. D’abord je récuse tout l’imaginaire d’un [survivre ?] de [?] la survie des [autres ?]. Survivant en sursis, je suis. Mais non [?], sans [exemption]. Je remets mon esprit à Dieu pour les autres. Ce lien, cette transmission a son sens au-delà de moi et un sens y est caché auquel Dieu peut-être m’associera d’une façon que je ne peux imaginer ; reste : demeurer vivant jusqu’à la mort.
Oui, je commence à m’éloigner de D. Son premier regard est vers la génération dont il est l’ultime représentant. Il n’a pas de contemporains à aimer, et [à] joindre à son apprentissage du mourir et du vivre. Seul en sursis, en survie. Plus héritier que contemporain. (À cet égard il rassemble large de Lacan à Sarah Kofman, même s’il continue à discuter avec certains ; mais il les rassemble.) [Dans la marge : Un seul contemporain nommé : Habermas, mais un vrai vis-à-vis. Plus liés par 11 septembre.] L’aveu : « Apprendre à vivre, c’est toujours narcissique », aveu terrifiant pour la fidélité par la lecture. « Me demander de renoncer à ce qui m’a formé, à ce que j’ai tant aimé, c’est me demander de mourir. » « Oui, Jacques, je le dis avec vous. » Mais je le confie aux miens. Les miens. Je reviens au pour les autres du plus haut. Je dois dire que je ne peux lier fidélité à la déconstruction, même distinguée de « destructive », mais liée à une révolution poignante et totale du langage, je vois [là] un signe de narcissisme verbal. Cela change beaucoup à l’idée de trace qui passe par les miens. Un mot me revient à nouveau : « l’espérance qu’elle me survive ». Tout le religieux est là, comme lien entre mon vouloir-vivre et les miens. Il est vrai que je n’ai pas l’illusion de croire qu’on n’a pas commencé de me lire. Je suis plus ordinaire et sans doute mon œuvre durera moins que celle de Derrida qui est proprement extraordinaire. Mais il y a la trace des autres, à laquelle la mienne se joint à sa mesure. Cela fait partie de l’espérance que la mienne survivra. Peut-être que [?], même ceux qui ne laissent pas de trace écrite « make a difference in God » ?
Il s’agit d’une interview de Jacques Derrida.