Non Lieu

J’ai voulu écrire ces poèmes dans le goût dévorant de mon siècle. Si j’ai résisté, d’où m’est venue cette résistance?

J’ai voulu être de cœur avec mon temps, de chair avec l’histoire. Pourquoi cette pente me fut-elle refusée?

Il m’a été donné de connaître les libertés du poème, ses limites, son essence, ses facilités redoutables, ses soi-disant obstacles, dérisoires. Je connais le sésame qui l’ouvre. Et j’ai déserté, j’ai trahi, la cause dialectique.

Non, ce n’est pas là, tant s’en faut, de la poésie! Quelque chose de plus fort que moi, de plus délibéré, me tire en arrière, me propulse en avant. Quelque chose de plus puissant que moi monte en moi, m’envahit, me dévore, brouille mes plus secrets desseins, me force à exprimer à travers le bric-à-brac des structures lyriques les moins apparentées, les plus dépareillées, les plus décriées, la confusion d’un esprit que hantent, pêle-mêle, des vœux, des présages, des superstitions, des calembours, des ténèbres et des essences.

Le ridicule m’apparaît d’une telle expédition à rebours, d’une telle exploration des antipodes. J’ai tout essayé pour fuir, me dérober. Mais de quelle digue me servirais-je? A qui en appellerais-je? J’ai voulu être avec vous, camarades. Je n’ai pas pu. Pardonnez-moi!

I

D’autres que nous ont fait la traversée

de cette vie, de ces mers. L’écume

de l’inconnu coula sur leur visage.

Ont-ils erré longtemps d’une fenêtre

à l’autre, sans oser! Ont-ils pesé

les matinées immenses du peut-être!

Ces jours sans horizon, ces mers sans pli,

ces continents sans nom...que d’amériques

pour les pêcheurs de perles de l’oubli

et quel malaise au gris de la matière

quand des remous s’y creusent tout à coup

pareils à des idées silencieuses...

—Qui leur avait jeté autour du cou

le nœud coulant, têtu de l’Aventure

(pendant que la bolée de cidre doux

râpait leur gorge)? Bars de la marine!

Paquets de corde, ô ports, accordéons.

Et cette odeur de TEMPS dans la narine.

...Soleils de l’au-delà. Ouvrages longs

faits à la grosse aiguille par des esclaves

couchés sur les saisons...Qu’il ferait bon

qu’il ferait bon s’étendre sur vos nattes

et oublier, aux sources du sommeil,

l’immense bruit d’empires et de bottes

EN MARCHE...

II

Oui, pirates, baleiniers,

navigateurs tenaces du sensible,

n’ayant d’aucun destin à témoigner,

ont traversé ces mers accoutumées

dans l’anonyme flux des horizons,

traçant partout leurs routes de fumées.

A peine un fin sillage de leur court

périple. Noms sur une pierre encres

séchées sur un registre. Bref discours:

nés à...morts à...perdus en mer...Et une

date en regard de ces événements

fragiles feux follets d’une lacune,

pas même attestés par des témoins

de bonne foi, présents à ce scandale

d’apparitions et de disparitions

mystérieuses...

III

Oui...Pourtant, en songe,

le front collé aux vitres de la nuit

où ce qui est demeure en ce qui change,

je les ai vus entrer en leur sommeil,

dans le murmure long du miel sauvage,

et s’y coucher, farouches, sur le seuil.

Je les ai vus aussi, aux heures d’huile,

quand la pensée ressemble à un ibis

debout, sur une jambe et immobile,

jeter (d’un muscle rude et aguerri)

leur dur harpon au dos des solitudes.

IV

De cette vie, de ces mers l’écume

est tout ce qui demeure entre les doigts;

et dans le clair regard un peu de brume.

Nuit dure étoiles froides croix du Sud...

Mais cette odeur de pluie: où donc était-ce?

Voyons: Marseille? Gênes? Port-Saïd?

et la fillette nue sous sa robe

qui souriait—où donc?—en effeuillant

les tours penchées aux aubes de l’Europe?

On a beau dire; ça tient chaud au cœur

tous ces riens! Pourtant, nous les quittâmes...

Il nous fallait partir...Mais cette odeur

de pluie tendre la fillette nue

les tours penchées l’Europe. Tout cela

ça chante encore en nous, et ça remue.

—Ont-ils vraiment, usés et vieillissants,

tourné le dos au bruit de leur périple

—eux-mêmes? Etres évanouissants,

noms à coucher sur une pierre cippes

brisées nés à...morts à...perdus en mer...

Fantômes délicats fumant leurs pipes.

V

Des conquérants, des jeunes...Dans la nuit,

les yeux ouverts si doux en leur coquille

muqueuse tendre où brille le regard,

comme une flèche en pointe, de sauvage

—sans regarder le pont sous leur hamac,

ni les étoiles prises dans le piège

des eaux, ils sont couchés. Que le sommeil

est bon quand par le chas de son aiguille

le fil du rêve passe en un clin d’œil!

Que le sommeil est loin, quand on y entre

comme un garçon craintif dans l’eau d’été,

orteils, chevilles, cuisses, puis le ventre,

et qu’on titube au seuil des nénuphars,

ces écolières nues de l’eau tendre.

VI

D’autres nous, aux planches des vieux tomes.

—D’autres que NOUS? L’écume les a vus.

—La MÊME écume? Histoires de fantômes!

Que cherchent-ils au centre de mes fils

ces AUTRES! de leur plainte délavée:

«Oui, nous aussi», «Oui, nous aussi!» —Qui, ILS?

Qui, NOUS? Le vent soulève les surfaces.

Ah! vivre dans un monde rabâché

où d’autres «eux aussi» ...Et qui nous cassent

la tête—vieilles barbes, vieilles scies—

avec leur éternel «la même écume!»

(un grain de sable usé dans leurs vessies).

D’autres que NOUS—vraiment? Les MÊMES mers?

Qu’en savent-ils, le diable les emporte!

Mangés par des requins eux-mêmes morts,

sous des étoiles mortes, aux mers mortes...

VII

D’autres que nous ont fait les argonautes

dans les bas-fonds d’eux-mêmes! Ils dormaient

de ce côté du monde, mais dans l’autre

(ayant quitté l’envers pour un endroit

de même trame hélas) ils jettent l’ancre

sonore. Ici et là, le même toit

offert au long désir! Quelle agonie

que cette terre étale et cette soif

d’événements dans la monotonie

d’où l’acte enfin! jaillit, musicien,

couvert de violence et de bataille,

de sang sauvage et sombre d’Indien.

—Galériens d’un songe que nous eûmes,

de force nue, énorme?—Négriers,

banqueroutiers, colons...Splendide écume

des métropoles! Cœurs de proies. Chercheurs

non d’or, mais de victimes. Fortes races

brassant des mondes. Ravisseurs. Danseurs.

Qu’est-ce pour eux le sang naïf et louche

—le tien, le leur?—ce fleuve primitif

issu de Dieu? Un verre de gros rouge

à boire.

Puis briser le verre.

Puis

celui qui en a bu. Le fleuve coule...

Qui donc encor voudra y prendre appui?

VIII

...ont-ils vécu leur songe? Ont-ils vaincu?

ont-ils mené à bien la traversée

de cette vie, de ces mers?

—Et nous?

IX

Car à présent c’est notre tour. Des femmes

enceintes, des vieillards assis sur nos

bagages. Lourds. Nous-mêmes des bagages.

Feuilles que vent emporte. Etranges feuilles

portées par quelque automne sur ce pont.

Atones. Loin de la forêt. Au seuil

d’autres forêts humaines. Et nous fuyons

sans fuir, le long des âges, en nous-mêmes

les meutes du Dehors. Nous écoutons

le vent de l’avenir mouvant les voiles

des mers inapaisées. Et le sanglot

nous laisse nus en face des étoiles.

—Qu’il ferait bon de vivre, sous les pieds

la terre ferme. Humaine! Mais la Terre

nous est un long boa dont l’amitié

est incertaine et fourbe...Hé oui! des proies.

Du feu fuyant...Mais eux! Des êtres lents!

pas comme nous! Eux-mêmes des boas

inassouvis. Immenses. Immobiles!

X

Vaincus d’hier, vomis par la marée...

—Qui veut de nous pour une nuit? La nuit

est une barque aux terres amarrée.

Tous—des passants! Chassés de quelque trou.

Pas un à qui ne pèse son visage.

Je les ai vus. Plus humbles que des loups.

Des gens sans nom, sans dieu, sans âme. O lisse

rien. Tous—inconnus! Ils avançaient

sans avancer, dans l’œil de la police

(du même élan qui porte le gibier

vers le chasseur, la faim dans les entrailles,

et les chapeaux usés chez le fripier).

—Pitié pour eux!—O plainte de marmailles!

Nous avons cru les mers finies. Vrai,

qu’il y en a de mailles et de mailles.

XI

Pays du Nouveau Monde! Ça commence

par des chevaux de bois...Un pas de plus,

dans la musique nue—et c’est l’enfance

qui sur le môle usé du familier

s’embarque en elle-même. Quel voyage

dans la houleuse mer du mobilier

où tout se fait écueil, et tout astuce,

pour empêcher le havre d’échouer

au lourd royaume du marché aux puces!

Où êtes-vous, étranges compagnons,

petits marins d’eau douce, que le large

devait casser: épaves et moignons?

—Ils dorment sur les planches: patriarches,

femmes enceintes, gosses scrofuleux,

portés vers l’arc-en-ciel au gré de l’Arche

...Quelle chanson jolie que la Faim!

ça chante tout à coup, quand nul n’écoute,

(faisant un violon de l’intestin)

seule au milieu du monde. O monde! Berce

ces vieux enfants bouffis qui rêvent de

ripailles, de métiers et de commerces,

de ta statue géante, Liberté,

au seuil du port immense. Tas de rêves,

feuilles que vent emporte en la clarté

de l’aube. Et dans le tas, sur le pont sale

quelqu’un remue, si pareil à moi—

et néanmoins...Il rêve? Non; il parle...

XII

«Pas même seul. Des tas. Des tas de SEULS!»

Ainsi jadis criais-je en un poème

où ce long vers rimait avec «linceuls»

faute d’une autre rime—ou du courage

d’abandonner le texte inachevé

quand on n’est plus le maître de l’ouvrage.

«Pas même seul!» criais-je. Et ce long cri

revient encor en ce décasyllabe,

tel un fuyard en quête d’un abri.

Combien de fois le thème en ce prélude

revient et reviendra: «Pas même seul!»,

aux touches d’orgue de la solitude?

«Des tas!» Cœur envieux, il roule en toi

l’heureux noyé sauvage sur le fleuve

dont tu n’as su—ni pu—trouver l’emploi.

«Des tas!» Je les ai vus. J’étais du nombre!

Que d’ombres! J’en étais. Nous attendions—

nous attendons encor la fin du monde.

«Des tas de seuls!» Chacun sur son ballot

assis, colis perdu, une monade—

et cependant figure d’un ballet

mystérieux, mobile, monotone

d’Iphigénies en marche vers l’autel...

Mais tout à coup le Chœur: «Quel Dieu ordonne

que nous ayons tout seuls, sans être seuls,

à traverser ces mers et cette vie

sans autre rime riche que «linceuls»?

XIII

Empires nés, empires écroulés

l’un surgissant de l’autre et l’un dans l’autre

disparaissant. Pressés de s’écouler...

—Qu’est-ce pour eux, ivrognes de l’émeute,

qu’une charrue à l’aube s’éveillant

qu’une mamelle émue, qui allaite?

Qu’est-ce pour eux le cri du nouveau-né

—épi de blé tout nu que l’on écrase

dans la musique immense de l’année?

Qu’est-ce pour eux la vie de tous les jours

pleine de son fini, heureuse d’être,

peignant ses longs cheveux dans l’eau des jours

telle une fille en ses amours; enceinte

d’une chanson; l’œil tendre; bleuissant

un vol d’oiseaux naïf sur toile peinte.

Empires nés, empires écroulés!

Durs moissonneurs de vent pour qui la vie

est un engrais léger—ensemencez

le mal mystérieux, la peine nue,

ce tubercule dur où se rompra

le peigne long et fin—de la charrue.

XIV

Tout est dans tout. O monde. Apothéose!

Rien ne se crée; rien ne disparaît.

Tout tourne en rond autour de quelque chose.

Quelle poussière de soleils morveux

qu’un grain de sable! Un monde à la dérive...

A peine l’Ephémère dit «je veux»

—où est-il donc? Où sont les ombres douces

qui m’ont quitté aux rives d’autrefois?

Chanson d’une aube morte dans ses couches.

Tout coule, coule...Oh! temps sorti des gonds.

Socrate au bord de l’Ilissus...Tout coule

Jésus cloué au bois...Tout tourne en rond!

Poussez, orties, aux vers de l’Odyssée!

Un long puma traverse d’un pas lent

l’Epître à l’Ange de Laodycée.

Œil vague de l’abîme...Vieux Pascal

traînant le sien.—Et nous? «—Que nul dorme

tant que Jésus...»—Pitié!—A l’hôpital,

au cimetière, aux bagnes, aux casernes,

dans les tripots, aux mines, aux bordels,

«mignonne, viens voir...» L’homme des cavernes,

de l’Age d’Or, des âges successifs...

le même lourd chameau, le même arabe

chercheur de puits. La mort saisit le vif

en marche, juif errant, changeant de pose,

tournant autour de quelque chose qui

tourne à son tour autour de quelque chose...

XV

Nulle musique ne saurait guérir

ce qui n’a pas été par la musique

blessé. Et nulle Paix, réconcilier

(en quelque soif donnée) le Lamentable

avec lui-même. Nulle éternité

verser l’oubli du temps à l’incurable.

—Prier? mais OÙ? Le Temple est écroulé!

La voix titube aux pierres, dans le vide...

Prier? mais QUI? Les pierres ont roulé...

Pourtant ILS nous ont dit: «Prenez les harpes!

(c’était au bord des fleuves). Jouez donc

esclaves! Sonne, ô vin des vieilles grappes!»

Mais nous: «Quelle musique peut guérir

le cœur captif, le mal de ce fantôme

las de toujours renaître, pour périr?»

C’était au bord des fleuves. (Nous y sommes.)

XVI

«Dieu de mes pères. Tendre sous la rouille!

Tienne sans doute la vengeance. Tiens,

le juste jugement et les dépouilles.»

Ainsi, jadis, aux bouches du désert,

nous T’appelions. Et c’est toujours le même

désert les mêmes sommes-nous ça sert

à quoi d’y revenir? La route est longue.

Es-tu Celui qui meut le devenir

avec quelques liquides et diphtongues?

«Si tu es bien Celui qui nous créa

de rien et d’être, juste à la surface,

comme de vase et d’air, le nymphéa,

pourquoi Seigneur au centre de ton lustre

mis-tu ce grand Soleil pour éclairer

d’un même amour les justes—et l’injuste?

Oh puisses-tu de Gog et de Magog

comme jadis répandre les entrailles,

et de ta main, briser contre le roc

leurs tendres nouveau-nés?»

XVII

— «Tu veux?» —Arrête!

Suave est ta Justice! Qu’il fait bon

la contempler. Pourtant, que vaut la Fête

sans le retour final, par ton pouvoir,

du bien ôté? sans fuite, en la matière,

du mal créé? O, soif du long SAVOIR,

qui veut l’éternité! Miséricorde!

Est-il possible ô Père, que le Sang

fût la mystique rose de ton Ordre

inengendré?...Pirates, conquérants,

je les ai vus aussi, de la démence

ou de la grâce, étranges instruments,

tomber, les yeux ouverts, dans cette danse

de l’être. Transparents. Tout comme nous

bâtards du vieux mystère de l’Offense.

XVIII

Oui, ils sont morts dans cette terre nue,

tout seuls avec leur mort. Ils dorment là

couverts de mille mouches inconnues

(mouches de viandes, vertes; mouches d’eau,

couleur de fond d’étang; couleur de vide)

...des demi-dieux enfin! visage beau,

cruches rendues au sol, mais de peau lisse,

pleins de leur propre creux. Non pas vidés,

tordus, et enlaidis par ta justice,

pesés dans les balances de ta Loi

—mais comme des lézards cherchant la fuite

dans l’univers aveugle du sang-froid,

ivres de leur paresse. Hors d’atteinte!

(Tels d’Ici-Bas, ils semblent.) Cœurs fermés

à cette terre d’où jaillit la plainte

immense de l’Histoire...

XIX

Oui...Mais nous,

ça nous connaît l’Histoire! Femmes enceintes;

vieillards; malades; gosses scrofuleux.

Sans rêve, sans espoir—Dociles briques,

vils matériaux placés dans le milieu

de cette histoire qui se fait...Cynique!

—inique Histoire! Eux, les conquérants!

Et nous les égorgés!...A eux, quand même,

le pain (un peu rassis), le lit (de camp),

la femme (au ventre frais), les soirs (d’ivresse),

toutes les joies terribles d’ici-bas;

l’oubli du lendemain...Dans leur détresse,

quand l’heure extrême amène ses remous,

qu’il sonne clair encor, de leur triomphe,

le chant fini. Eux, eux toujours! Mais nous,

pas même ça! Bâtards de l’éphémère!

...on donnerait parfois l’éternité

pour une de ces heures de la terre,

vécue selon la terre, dût le fruit

fondre aussitôt que neige dans la bouche

inassouvie.

XX

Mais, après la nuit,

vient l’aube. Et dans ses yeux (fermés ou presque)

quand toute soif s’apaise et que se meurt

le bruit immense de la soldatesque,

quand le silence emporte les vivants

couchés aux flancs de la prostituée

—des gosses effrayés crient «maman»

(à l’heure de la fin, ce sont nos mères

vieilles, aux cheveux gris qui tout à coup

mettent de l’éternel dans l’éphémère),

sous les paupières d’or, que reste-t-il?

Rien—des noms sur une pierre encres

séchées dans un registre état civil:

nés à (qu’importe) Décédés à...Comme

comme le monde meurt entre les cils!

XXI

Le monde meurt. En route, vieux fantômes!

Qui veut ressusciter d’entre les morts?

Ivresse! Faut-il donc qu’elle sanglote

toujours—encore—l’ancre dans les ports?

...Terres de l’au-delà! Nuits féeriques...

Quoi! Echoués aux visions sans voir,

vils papillons pour lampes électriques?

...on nous ramassera sur les trottoirs.

XXII

Trompettes de la fin! Rompez les sceaux!

Un paysage trouble d’albumine,

de rats fuyant les cales du vaisseau

—d’épaves! Et un exode (vieux modèle)

interminable d’hommes, de soleils,

vers d’autres terres, d’autres mers. NOUVELLES?

Y a-t-il quelque part un autre dieu,

d’autres soleils et d’autres hommes?—AUTRES?

—Pourtant, ce sont les mêmes que je veux,

oh! oui. le même dieu, les mêmes hommes,

les mêmes vieux soleils. Et cependant—

pas tout à fait les mêmes...Etrange somme

où l’on se rêve à peine, délié

de toute attache, ride et transparence;

d’un long oubli—de soi inoublié.

Ah! l’ancienne féerie. Commerces,

métiers, chimies, études...Et ta statue

géante, Liberté!—Qu’il est amer ce

terrible appel qui fuit et qui nous fuit,

et qui soudain se pose sur nos vergues

tel un oiseau de mer. Mais, dans la nuit,

tous seuls dans l’infini de ces systèmes

qui grouillent en tous sens, nous avons peur.

Peur du sommeil—du rêve—de nous-mêmes

où roule le vieux Sang. Et nous restons

(pendant que l’Aube énorme et ouvrière

chantonne—en balayant les horizons)

—au seuil de l’Inconnu...Photogéniques!

Pleins tout de même—d’une larme—dont

s’accroît la masse d’eau de l’Atlantique.

XXIII

D’AUTRES humains (du moins je le présume)

ont regardé la vie par leurs carreaux

couler avec ses barques dans la brume.

D’autres QUE NOUS (flâneurs, grammairiens

mûris au miel intime du poème,

philatélistes d’éternels riens)

ONT FAIT leur lent voyage de tortue

le long des côtes maigres du connu,

sans épuiser leur feuille de laitue.

LA TRAVERSÉE sans doute avait si bien

mimé le temps, coulé avec les choses

du même rythme et imité le train

DE CETTE VIE—si pleine de mesure!—

qu’elle coula sans bruit dans un portrait

pendu au mur—de Sage—à l’embouchure

du Songe. Nulle houle DE CES MERS

ne vint, de son écume, sous la lampe,

emplir leurs têtes vides d’univers

quand—de leur plume d’oie, bouleversée—

ils écrivirent sans pâté, d’un trait:

«D’AUTRES QUE NOUS ONT FAIT LA TRAVERSÉE...»

Case Dismissed

I wanted to write these poems in the all-consuming taste of my times. If I resisted, how did I come to that resistance?

I wanted my heart to beat at one with my times, my flesh to join as one with history. Why was this course refused me?

I was granted knowledge of the poem’s freedoms, its limits, its essence, its fearsome ease, and its supposed, though in fact trivial, obstacles. I know the magic word that opens its doors. And I deserted, I betrayed the dialectical cause.

No, all that isn’t poetry, far from it. Something stronger than me, more deliberate, drags me back, propels me forward. Something more powerful than me rises within me, invades me, consumes me, leaves my most secret plans in disarray, and compels me to use a medley of the most unrelated, and leftover, and disparaged lyric forms to express the confusion of a mind haunted by such a commotion of vows, superstitions, puns, shadows, and pure essences.

I see the absurdity of this misguided expedition, this exploration of the antipodes. I did all I could to flee, to slip away. But what bulwark could protect me? Whom could I cry to for help? I wanted to be with you, my comrades. I wasn’t able. Forgive me!

I

Others before us made the crossing

of this life, these seas. Their faces ran

streaming with spray of the unknown.

Did they wander, cowed, from one window

to the next? Did they measure out

the promise of mornings under sail?

Days without limit, unpleated seas,

the nameless coasts...Americas

for pearl divers of oblivion,

and at the wash of waves, the sudden

down-drop like a silent thought,

what queasiness in mind and flesh...

Who looped around their necks the quick,

tenacious slipknot of adventure

(as bowlfuls of sweet cider burned

their throats)? Oh ports, and harbor bars,

packets of rope, accordions.

That whiff of TIME which fills the nose.

...Suns of hereafter—done in crude

and patient needlework by slaves

who dream the passing seasons. Oh,

to stretch my body out on your mats,

oh, to forget, at the roots of sleep,

imperial tumult and black boots

MARCHING...

II

Yes, whalers and pirates,

hardy explorers of the real

without a fate to call their own,

have crossed these habituated seas

and left behind them smoke trails lost

in the nameless swell of boundaries.

Hardly a sign that they, too, furrowed

the waves a name in stone dried ink

in a register. The briefest of words:

born in...died in...lost at sea...

And by each one the ghostly flicker

of a date, the hint of something missing,

and even that is unconfirmed;

there are no trusted witnesses

of these appearances and deaths

still unexplained...

III

Yes...Yet in dreams,

my face against the glass of night

where the unchanging is transformed,

I saw them come in, sleepwalking

through the long whisper of wild honey,

and lie down, savage, at the door.

I saw them, at the hour when thought

stands motionless on one leg like

an ibis, when time is thick as oil,

with hardened arms plunge a harpoon

into the back of solitude.

IV

After this life, these seas, only

the spray between the fingers remains,

a bit of fog clouding the eyes.

Hard night cold stars the Southern Cross...

That smell of rain recalls somewhere,

Marseille? Genoa? Port Said?

and the girl naked beneath her dress

who smiled—where?—and like petals plucked

the leaning towers of Europe’s dawns?

Whatever they say, these small things

still warm the heart. And yet we left them...

we had to leave...But that lingering smell

of cooling rain the naked girl

the leaning towers of Europe. It all

still resonates, still stirs up something.

—Aging and weary, did they turn

their backs on the echoes of their long

voyages—themselves? They vanish,

a name in stone cracked cenotaphs

born in...died in...lost at sea...

Frail ghosts puffing on their pipes.

V

Conquerors, the young...Their eyes

that look sublime into the night

from moistened sockets, their bright gaze

as sharp as the tips of tribal arrows—

without a glance at the ship’s bridge

beneath their hammocks, or at the stars

trapped in the water, they fall asleep.

Sleep is so good when dreams in a blink

are threaded through the needle’s eye.

Sleep is so far when, like a boy,

we test its waters, wet our toes,

ankles, thighs, and then our stomachs,

suddenly shy before those nude

schoolgirls—the gentle water lilies.

VI

Another us, aboard old books.

—Others before US? The foam saw them.

—The SAME foam? Or only ghost stories?

What are those OTHERS looking for

among my nets? Their washed-out cry:

“We, too,” “We, too”—Who, THEM?

Who—US? The wind whips up the water.

That’s life in a world where everything

repeats, where others “them too”...who drive

us mad—old beards, old melodies—

with their unending “the same foam”

(a worn-down grain of sand in their bladders).

Others before US—really? The SAME seas?

What do they know? The devil take them!

They are food for dead sharks, afloat

on dead seas, under dead stars.

VII

Others before us launched, in their

own dregs, the Argonauts. They slept

on this side of the sea, but on

the other (turned inside out, alas,

the world is of the same weave) they dropped

their ringing anchor. Here or there,

the same roof for the long desire.

This earth offers such agony,

and thirst for something new in the calm

where at last the act, musician wreathed

in violence, battle, and the dark

wild blood of the natives, breaks through.

—Did we dream up these galley slaves,

pure naked force?—These bankruptcies,

slave traders, colonists...Bright foam

of cities. Hearts of prey. Such quests

are not for gold, but victims. One race

stirring two worlds. Ravishers. Dancers.

What is this dusky blood to them

—yours and theirs—this unschooled river

that flows from God? A glass of wine

to throw back.

Then break the glass.

And then

the drinker. Still, the river flows...

So who would put his trust in that?

VIII

...did they live out their dream? And conquer?

and manage in the end the crossing

of this life, these seas?

—And us?

IX

For now it is our turn. Women

with child—old men—seated on

our baggage. Heavy. Baggage ourselves.

Leaves scattered by the wind. Strange leaves

left by some autumn on this bridge.

Lifeless—the woods are far—at the edge

of other human forests. We flee

immobile through the ages, within ourselves,

the hounds Outside. We hear

the future’s wind whipping the sails

on unquiet seas. And then the sob

that leaves us naked before the stars.

How good to live with solid ground

beneath our feet. Human—but the Earth

encircles like a boa, friend

duplicitous...Oh yes, we are prey.

A guttering flame...But they are SLOW.

They are not like us. They are boas,

insatiable. Immense. Immobile!

X

Yesterday’s vanquished, flung by the tide...

Who’d take us for a night? The night

is a mere dingy moored to land.

Only passing. Chased from some hole.

Not one not weighted down by his face.

I saw them, even humbler than wolves—

no name, no god, no soul, smoothed

ciphers—advance without advancing

under the gaze of the police

(moved by the very impulse that bears

wild game to hunters and old hats

to rag stores, hunger to the gut).

—So pity them!—O rabble’s cry!

We thought we’d finished with these seas

but they are knit for miles and miles.

XI

The lands of the New World begin

with wooden horses. One more turn

of the spare music and here is childhood

putting to sea within itself

from the worn jetty of the familiar.

The sea howls round the furniture,

where all’s a threatening reef, and we

must plot to keep the haven safe

from the flea market’s dark designs.

What’s come of you, my little freshwater

sailors, who must have broken up

on the open sea: driftwood and wrecks?

—They sleep on the open deck: patriarchs,

women with child, consumptive kids,

borne to the rainbow by the Ark

...As Hunger plays a pretty song:

when no one’s listening, it tunes up

intestines for a fiddle string,

alone in the crowding world. O world—

Cradle these children puffy with age

who dream of feasts, professions, trade,

and your great statue, Liberty,

at the vast port’s entrance. Piles of dreams,

leaves that are scattered by the dawn’s

clear wind. And on the filthy bridge,

deep in the pile, someone stirs—

like me, yet...Dreaming? No, he speaks...

XII

Not even alone. Alones. Whole crowds

of ALONES,” I cried out once in a poem

and rhymed the word “alones” with “shrouds”

for lack of another rhyme—or else

afraid that I might leave the text

unfinished when it was time to go.

“Not even alone,” I cried. That cry

still haunts this decasyllable,

a fugitive in search of shelter.

Over and over the theme returns:

“Not even alone,” how many times

on the pipe organ of solitude?

“Whole crowds.” You hold, my jealous heart,

the happy savage drowned on the river

whose ways you would not—could not—learn.

“Whole crowds.” I saw them. I was among them.

Just shadows. We waited all together—

we are still waiting for the world to end.

“Whole crowds of alones.” They were seated

on bundles, each separate, lost packages—

and at the same time were dancers in

a shadowy monochrome ballet,

Iphigenias approaching the altar...

The chorus cuts in, “What God requires

we make alone, yet not alone,

the crossing of these seas, this life,

with ‘shrouds’ our only final rhyme?”

XIII

Empires newborn, empires crumbling

emerging from each other, lost

in each other. Impatient to disappear.

—What do they care, these riotous drunks,

for the plow that cuts the earth at dawn,

the suckling breast flush with emotion?

What do they care for the newborn’s cry

—bare stalk of wheat so easily crushed

in the vast music of the year?

What do they care for daily life,

charmed to exist, an end in itself,

combing its hair in the liquid days

as a girl in passing loves; moist eye;

and pregnant with a song; a bird’s

blue flight across the painted canvas.

Empires newborn, empires crumbling.

You heartless harvesters of wind,

life is your breezy fertilizer—

you sow the nameless evil, pain,

that hard protuberance where the plow

will break its long and fine-toothed comb.

XIV

All is in all. Apotheosis.

Nothing created or destroyed.

O world! All things turn round another.

And every grain of sand is the dust

of peevish suns. A world adrift...

The Fleeting hardly says “I want”

—where is it, then? Where are the kind

shadows I left on shores gone by?

Song of a dawn that died in labor.

Everything flows...Oh, time out of joint.

Socrates by the Illisus.

Jesus nailed up. All flowing, turning.

Grow to the lines of the Odyssey,

nettles! A mountain lion crosses

the Epistle to the Laodiceans.

The void’s blank eye. And old Pascal

with his in tow.—And us?—“None sleep

till Jesus...” Mercy!—In graveyards,

hospitals, barracks, gambling dens,

labor camps, mines, and whorehouses,

“A cutie, come and see...” Cavemen,

men of the Golden Age, and later

ages...the same slow camel, the same

Arab searching for wells. The living

are seized by death, a wandering Jew,

protean, turning around another

thing that itself is turning round...

XV

There is no music that can cure

those wounds that were not made by music.

No Peace (however sharp the longing)

can reconcile the Pitiful

with itself. And no eternity

can soothe with time what’s past repair.

—Where can we pray? The Temple has crumbled.

Our voices stammer to lonely stones...

—WHO prays? The stones have rolled away...

And yet they said, “Take up your harps!”

(We were sitting down by the river.) “Play,

slaves. Sing, you wine of withered grapes.”

Yet we: “What music cures the heart

in chains, the sorrows of this ghost

that’s tired of being reborn to die?”

Down by the river. (We are still there.)

XVI

God of my fathers. Quick beneath

the rust. Vengeance is yours and yours

too is the judgment and the spoils.”

There was a time we called You thus

at the desert’s edge. It’s still the same

desert we are the same it serves

what good to go back? The way is long.

Are you the One who whispers diphthongs,

an affricate, and moves creation?

“If you are He who created us

from all and nothing, at the surface,

—as water lilies from silt and air,

then why, O Lord, did you set the sun

amid your glory to shine down

the same love on just—and unjust?

Oh could you now, as long ago,

strew the innards of Gog and Magog,

and with your outstretched hand dash

their tender newborns on the rocks.”

XVII

That’s really what you want?”—Stop.

Your justice is so suave, we sit

in contemplation. Yet what good

is the Rite, if at the end your might

does not restore the stolen good,

and drain the substance made corrupt?

We thirst for a long Knowledge, then

eternity.—Oh Father, how could

the Blood be the mystic rose of your

pure Order?...Pirates and conquerors

have fallen, as I watched, from grace

or madness (what strange instruments)

wide-eyed into this dance of being.

Transparent. Bastards like us

of the ancient mystery of Offense.

XVIII

Yes, they are dead now in this bare earth,

all alone with their deaths. They sleep

beneath a thousand unknown flies

(the meat flies, green; the water flies, the

color of pond scum, of emptiness)

...at last with the bright faces of gods,

their wine jars dust now, their skin smooth,

filled with their hollowness. Your justice

did not disfigure them, empty

and twisted on the scales of your Law

—but like lizards, lazy and quick,

they search a way out of the blind

cold-blooded universe. Beyond

all harm (they seem, from Here Below).

Their hearts hardened to History’s

vast earth-born wail.

XIX

Yes...but History

knows us too well. Old men, the ill,

women with child, consumptive kids.

All dreams and prospects gone. Docile bricks,

the raw material for history

that’s fashioned all around us. Faithless

History that makes them conquerors

and slits our throats. They get, after all,

the bread (gone stale), the beds (hard cots),

the women (fresh), and the nights (of riot),

all the cruel joys of here below;

the new day’s forgetting...When they must face

the final hour’s unsettling,

the clear song of their victory

still resonates. Them, always them.

For us, not even that! Bastards

of the ephemeral! We would give

eternity for one earthly hour

lived the way of the earth, though the fruit

would melt in our parched mouths as quickly

as snow.

XX

But after night comes dawn.

And in its eyes (closed or nearly)

when every thirst is quenched, and outside,

the martial tumult has quieted,

when silence carries off the living

bedded beside the sleeping whore

—as frightened kids cry “mama” (for

it’s always mother, hair gone gray,

who at the final hour arrives

to make our fleeting time eternal),

under its gilded eyelids what

is left? Nothing—just names in stone,

dried ink in a civil registry:

born at (as if it matters)

Died...The world expiring in their eyes.

XXI

The world expires. Old ghosts, get packing!

Who, among the dead, would return?

Riot. So must it forever lie

at anchor, sobbing, in strange ports?

...Lands of hereafter, enchanted nights...

Did we succumb to visions sight

unseen, plain moths on electric lamps?

—come day, they’ll sweep us off the walk.

XXII

The final trumpets! Break the seals!

A troubled egg-white countryside,

and rats fleeing the vessel’s hold

—shipwrecked. An endless exodus

(the older kind) of men and suns

in search of new lands, new seas. NEW ONES?

Somewhere is there another god

and other suns, and other men?

—OTHERS? I still want the same ones, still,

yes, the same god, and the same men,

the same old suns. And somehow not

entirely the same...Strange sleep

untroubled by dreams, where we are freed

of wrinkles, ties, lucidity;

forgetting ourselves—yet not forgotten.

Ah, for the old enchantment. Trade,

professions, studies, chemistry...

Your giant statue, Liberty.

—That awful, bitter call eludes us,

then perches like a seabird atop

our masts. Yet all alone in the night,

among these endless systems teeming

in all directions, we are afraid.

Afraid of sleep, of dreams, of ourselves

where the old Blood flows. We stop

(as meanwhile, great working-class Dawn

hums as it sweeps the earth’s horizons)

—just on the threshold of the Unknown...

Photogenic. Brimming—one tear—

that swells the water of the Atlantic.

XXIII

OTHERS (as far as I can tell)

have watched life’s barges slipping by

their narrow windows in the fog.

Others BEFORE US (idlers, dons

grown old on the poem’s intimate honey,

collectors of eternal trifles)

HAVE MADE slow tortoise steps around

the barren shoreline of the known,

content to munch their daily greens.

Surely THE CROSSING mimed so well

the passage of time, and flowed with the rhythm

of things, and imitated the pace

OF THIS LIFE—so full of measure—

that silently it flowed within

a portrait on the wall—a Sage—

at the mouth of Dreams. No swell of THESE SEAS

surged from under the lamp to fill

their heads emptied of universe

when—overwhelmed—they took their quill

and wrote a single, unblotted stroke:

“OTHERS BEFORE US MADE THE CROSSING...”

[Nathaniel Rudavsky-Brody]