Six mois plus tard

Un chemisier blanc et une jupe marine, très sobres : voilà ce qu’elle porterait pour sa soutenance de thèse. Monica Réault entra dans un grand magasin du centre-ville. Il y faisait frais, presque froid, et elle poussa un soupir d’aise. La chaleur dans les rues était insoutenable, écrasante, inhabituelle pour une fin de mois de septembre. Monica prit l’ascenseur jusqu’au deuxième étage et examina le contenu des rayons ; elle choisit un modèle de chemisier très simple, presque sévère, et la vendeuse, une fille un peu plus jeune qu’elle, avec les cheveux violets du côté gauche, noirs du côté droit et blond platine sur le dessus, commenta :

— C’est quelque chose qu’on vend aux clientes un peu plus vieilles que vous, d’habitude.

Mieux vaut entendre cela que son contraire, songea Monica. Elle répondit :

— C’est pour une occasion spéciale, et je pense que ce sera approprié.

— Ah, dans ce cas, essayez-le avec ce tailleur marine, il est en promotion à deux cents dollars.

— Je ne veux pas de tailleur, fit Monica.

— Essayez-le. Ça ne coûte rien.

Monica hésita. Après tout, pourquoi pas ? En fait, c’était une bonne idée. Pour sa soutenance de thèse, elle devait faire une aussi bonne impression que possible. Le département avait connu un certain remue-ménage : Claire Lanriel venait d’annoncer son départ pour l’université de Sherbrooke — totalement inattendu — et, juste après, Eric Duguet avait quitté l’enseignement pour le secteur privé, une compagnie d’ingénierie minière dans la région de Vancouver. Sans expérience en dehors de l’Université, Monica ne pouvait prétendre présenter sa candidature à un des postes qu’ils avaient libérés, mais d’autres profs partiraient, et dans quelques années elle pourrait, peut-être, revenir à Richelieu… Donc un tailleur, finalement, c’était l’idéal, même si elle n’en avait jamais porté ! Elle passa dans la cabine d’essayage et en ressortit quelques instants plus tard, se sentant toute gauche et engoncée dans cette coupe inhabituelle.

— Ça vous va très bien, dit la vendeuse en mâchant son chewing-gum.

Monica avança vers les miroirs au centre du rayon et vit avec un peu de surprise une jeune femme marcher vers elle, une jeune femme un plus âgée qu’elle, plus mûre, avec plus d’autorité, aussi. Elle tourna la tête. Un homme qui descendait dans l’escalier roulant, assez vieux — il avait bien trente-cinq ans — mais grand et bien bâti, lui fit un sourire. Elle le lui rendit et revint à son reflet. Les cheveux n’allaient pas… il faudrait qu’elle les fasse couper plus court. Des mèches ? En tout cas, quelque chose de plus élaboré, de plus conforme à l’image qu’elle devait maintenant donner d’elle-même. Monica se demanda soudain à quoi pouvait ressembler Claire Lanriel vingt ans plus tôt. Comment avait-elle construit son image ? À quel moment ?

— Ça vous va très bien, madame, répéta la vendeuse.

Madame ? Le charme se rompit et Monica Réault se reconnut à nouveau dans le miroir. Songeuse, elle fit quelques pas, observant le mouvement du tissu qui cintrait sa silhouette et marquait ses épaules.