FAIRE FACE

 

Il est sot de demander aux dieux ce que l’on peut se procurer par soi-même.

ÉPICURE (341-270 av. J.-C.)

Le défi du diagnostic

Si l’on se place d’un point de vue strictement évolutif ( !), le but de notre existence ne réside que dans la transmission de notre patrimoine génétique. Nous pouvons tout à fait aspirer à d’autres projets, mais cela ne change rien à cet état de fait : nous sommes issus d’une évolution biologique au fil de laquelle une stratégie s’est imposée avec succès, et celle-ci repose sur la collecte, l’utilisation et la transmission d’expériences et de savoirs au sein de petites communautés de coopération. C’est dans ce cadre que nous pouvons évoluer intellectuellement tout au long de notre vie. Tant que nous agissons de la sorte et faisons activement partie de la société, notre moi continue de se développer, ce qui nous protège en même temps de l’Alzheimer1. Les contacts humains sont donc déterminants pour le maintien de la mémoire autobiographique jusqu’à un âge avancé2. Les échanges avec les membres de notre famille, par exemple, jouent un rôle majeur : ils nous permettent de partager chaque jour un vécu avec ceux dont le développement, en général, retient naturellement notre attention.

Pour que les nouveaux neurones fabriqués chaque jour dans l’hippocampe soient intégrés, il est essentiel que notre vécu soit captivant. 80 à 90 % de ces nouveaux neurones meurent en effet au cours de leur processus de maturation quand ils ne sont pas utilisés. Parmi leurs missions, l’une – décisive – est de comparer les nouvelles expériences aux expériences déjà vécues. Si nous ne vivons ni n’apprenons rien de nouveau à même de susciter des émotions et d’être retenu, l’existence de ces neurones devient donc caduque3. Or, chaque neurone qui meurt dans notre hippocampe représente à terme un peu moins de sable dans le sablier de notre existence, mesurée en souvenirs. En outre, comme il y a moins de neurones dans l’hippocampe, notre résistance au stress diminue et notre niveau de stress est constamment élevé. Le moteur qui entraîne le développement de la maladie est en marche. Nous devons donc faire tout notre possible pour que de nouveaux neurones soient fabriqués et qu’ils se connectent aux neurones déjà existants.

Pour autant, il ne s’agit pas de vivre sans le moindre stress ou d’éviter par principe toute situation stressante. Cela ne ferait même qu’aggraver le problème. Notre cerveau a constamment besoin de nouveaux défis gérables et du stress positif qui en découle. Du point de vue de l’évolution, c’est-à-dire génétiquement, notre cerveau n’est pas préparé à une inactivité à long terme, à une vie dépourvue de défis qui lui donnent du sens. Pour le chasseur-cueilleur, il n’y avait pas de retraite ni de chômage, et encore moins de résidences pour le troisième âge, à l’écart de sa famille et de ses amis. Tout au long de sa vie, il restait utile, même s’il ne s’agissait que de transmettre son expérience. Dans cette perspective, vivre, c’est devenir sans cesse !

Sans l’action stimulante du stress positif que nous ressentons quand nous menons activement à bien des tâches que nous avons choisies, les nouveaux neurones ne pourraient pas créer de souvenirs signifiants et donc stables. Nous serions alors incapables de développer notre personnalité, d’entretenir des rapports avec d’autres êtres humains ou de concevoir notre vie de manière créative. Le stress positif est la quintessence du sens de la vie, le contraire du sentiment d’absurdité que nous ressentons par exemple quand on nous met au placard4.

C’est prouvé : le stress positif réduit le risque d’Alzheimer. Une étude a ainsi mis en lumière une relation importante : quand je me lève le matin avec le sentiment que ma vie a un sens parce que des tâches utiles et intéressantes m’attendent, j’ai deux fois et demie moins de risque d’être touché par la maladie d’Alzheimer que celui qui ne voit aucun sens à son existence5. Cette situation est étroitement liée à la neurogenèse hippocampique. Le stress négatif chronique (trop grande sollicitation) est tout aussi néfaste à la neurogenèse que le manque de stress (manque de sollicitation). Voilà pourquoi, chez les patients atteints d’Alzheimer, la maladie ne progresse que lentement quand ils estiment que leur vie a un sens et qu’ils affrontent de nouveaux défis. Le psychologue américain Richard Taylor, chez qui la maladie d’Alzheimer a été diagnostiquée en 2001, alors qu’il était âgé de 58 ans, explique qu’une fois la démence diagnostiquée, la plupart des gens perdent leur autonomie et ce qui donnait du sens à leur vie. Comme il le résume dans une interview accordée au magazine scientifique Gehirn & Geist, il ne leur reste plus qu’une chose à faire : “Ils font des soirées loto, se promènent et regardent la télévision. Mais ce ne sont que des activités qui remplissent la journée. Ce n’est pas ce qui donne un sens à notre vie ou nous fait ressentir notre individualité6.”

Beaucoup de gens passent une grande partie de leur temps libre à regarder des futilités à la télé. Et ce n’est pas sans conséquences, puisque le risque de développer un Alzheimer augmente proportionnellement au temps que nous passons chaque jour devant le petit écran. À long terme, chaque heure quotidienne de télévision représente une augmentation du risque d’environ 30 %7. En moyenne, les Français regardent la télévision environ trois heures par jour, ce qui fait de notre bonne vieille lucarne un facteur culturel de risque important pour l’Alzheimer8. En réalité, ce n’est pas la télévision elle-même qui pose problème, mais plutôt le fait qu’à la regarder, nous gaspillons des heures précieuses que nous pourrions sinon investir dans une activité physique, des contacts sociaux et des loisirs intellectuellement enrichissants. Même passer ce temps à dormir serait plus efficace du point de vue de notre santé, puisqu’apparemment, nous sommes toujours trop occupés pour couvrir nos besoins en sommeil.

À l’époque de son diagnostic, Richard Taylor ne connaissait pas les causes de l’Alzheimer et ne savait pas qu’on pouvait lutter contre cette maladie de carences. Comme il l’expliquait dans l’interview citée plus haut, il n’avait aucun espoir de guérison. Il passa par tous les états d’âme qui accompagnent l’annonce d’une mort prochaine : “La colère, la dépression, le déni – ce qui déprimait toute ma famille. Ils étaient tous furieux. Car ils ne voulaient même pas accepter que j’étais atteint de démence, et encore moins que j’allais mourir bientôt9.”

Face à ce diagnostic, le psychologue se sentait abandonné. “S’imaginer qu’on va perdre peu à peu le contrôle de son Moi, c’est quand même d’une grande violence.” Mais cette colère incommensurable “envers la démence, Dieu et soi-même – envers tout” le conduisit à opérer un revirement salutaire : il s’engagea dans une psychothérapie de plusieurs années. “Cela m’a permis de réapprendre ce que j’avais moi-même toujours expliqué à mes patients : la vie est comme elle est. Ni bonne, ni mauvaise, elle n’est que ce qu’on en fait. Tu connais tes problèmes, alors efforce-toi de les résoudre.”

Chaque soir, il écrivait ce dont il pouvait encore se souvenir, ce qui donna naissance à un livre10. Pendant des années, il parcourut le monde et témoigna dans des conférences de son expérience de la maladie. Il mourut en 2015 d’un cancer. L’Alzheimer ne l’a pas terrassé : il a conféré un nouveau sens à son existence. Transmettre l’enseignement qu’il tirait de sa maladie est devenu sa vocation, et sa vie était peut-être même plus enrichissante qu’auparavant. Comme il le dit : “Parler avec d’autres gens et constater que ces échanges avaient du sens, c’était très bon pour mon ego. Je me réalisais en mettant des mots sur les expériences que je partageais avec d’autres. En leur donnant une voix. C’est autour de ce nouvel objectif que se construit ma vie.” Le sentiment d’accomplissement lié à son succès a sûrement fait office d’engrais pour son hippocampe. Car chaque expérience positive contribue à l’intégration durable des nouveaux neurones.

Richard Taylor avait senti qu’il risquait de dépérir si son existence n’avait aucun sens. Au lieu de maudire la maladie, il l’accepta. Ce faisant, il transforma un problème jugé insoluble (être atteint de la maladie d’Alzheimer) en un défi surmontable.

Mettre fin au stress négatif fatal pour le cerveau

Les problèmes jugés insolubles – et un diagnostic révélant une maladie d’Alzheimer en faisait jusqu’à présent partie – génèrent du stress négatif chronique ainsi qu’une augmentation elle aussi chronique du taux de cortisol. L’hormone du stress renforce l’agrégation de bêta-amyloïde toxique et accélère l’atrophie de l’hippocampe. À son tour, la neurogenèse bloquée (cf. illustration p. 74-75, “Le cercle vicieux de l’Alzheimer”) réduit la tolérance au stress, ce qui alimente le cercle vicieux11. On s’enfonce alors de plus en plus profondément dans un tunnel dont on croit ne plus pouvoir sortir seul. Le désespoir généré par le diagnostic de la maladie d’Alzheimer induit un stress négatif fatal pour le cerveau. Il s’agit donc de le stopper !

On parle de stress négatif quand le facteur de stress déclencheur n’est plus perçu comme un défi contrôlé, mais comme une charge incontrôlable. Or, le stress négatif chronique n’est pas qu’une conséquence de l’Alzheimer, c’est aussi l’une de ses nombreuses causes possibles. Dans nos sociétés modernes centrées sur le rendement, le manque de temps est une constante et le stress négatif s’installe, par exemple quand il nous faut accomplir des tâches professionnelles qui ne sont tout simplement pas faisables dans le temps imparti. On a alors l’impression de ne plus dominer ni la situation, ni sa propre vie. On se sent dominé. Il convient de se protéger de ce stress le plus souvent inutile pour ne pas avoir à en subir les dommages, comme l’augmentation de la bêta-amyloïde toxique et le blocage de la neurogenèse.

Le stress négatif n’est cependant pas le seul paramètre qui justifie le blocage de la neurogenèse et alimente le cercle vicieux que nous avons décrit précédemment. Aujourd’hui, notre quotidien moderne permet d’observer un certain nombre d’autres facteurs, que j’évoquerai plus en détail dans les chapitres suivants. Quel qu’ait été le déclencheur, en tout cas, une chose est sûre : quand la résistance au stress diminue, quand la sensibilité au stress augmente, à long terme, il y a un risque de stress négatif chronique et donc d’Alzheimer. Comme on l’a mis en évidence dans une étude suédoise menée sur presque quatre décennies, le nombre mais aussi la durée des épisodes porteurs de stress négatif (divorce, décès du conjoint, problèmes professionnels ou maladie chronique dans le cercle familial) semblent à première vue jouer un rôle déterminant12. À y regarder de plus près, pourtant, il s’est avéré que ces épisodes sur lesquels nous n’avons généralement aucun pouvoir sont certes générateurs de stress, mais qu’ils ne sont pas la cause réelle de l’Alzheimer. Une analyse plus poussée des données recueillies a révélé que le paramètre clef était surtout la réaction des personnes touchées à ces événements13. Faire face à une expérience traumatisante n’implique pas forcément qu’on devienne dépressif ou qu’on développe un Alzheimer : certains, au contraire, sortiront grandis de tels défis et utiliseront la situation comme un tremplin pour aller plus loin. Ces personnes sont dotées de ce qu’on appelle la résilience, une force psychologique qui leur permet de se reconstruire après un traumatisme.

Née à Arles en 1875, Jeanne Calment détient à ce jour le record de longévité de l’espèce humaine. À sa mort, en 1997, elle était âgée de 122 ans, cinq mois et quatorze jours. Elle a survécu à tous les membres de sa famille, y compris sa fille et son petit-fils, ce qui ne l’a pas empêchée de conserver jusqu’au bout sa joie de vivre. Elle avait de nombreux loisirs, comme l’escrime, un sport auquel elle s’était initiée à l’âge de 85 ans, ou la bicyclette, qu’elle pratiquait toujours à 100 ans. Notons à ce propos qu’une heure par jour consacrée aux loisirs permet déjà de diviser par deux le risque d’Alzheimer14. Jeanne Calment n’emménagea qu’à 110 ans dans une maison de retraite qui porte désormais son nom. Les examens neurologiques réalisés quelques années avant sa mort n’indiquaient aucun signe de démence15.

Comment se fait-il que certains soient capables de surmonter les coups du sort sans tomber malades, et d’autres pas ? Peut-on imaginer qu’il y ait là un lien avec le temps que nous investissons dans l’introspection, qui nous permet d’être plus flexibles et de mieux réagir aux nouveaux défis de la vie ? Prendre conscience de soi, c’est un peu comme suivre un chemin qui traverse une forêt sombre peuplée de démons : nombreux sont ceux qui préfèrent ne pas s’y aventurer à moins d’y être forcés. L’introspection demande du courage, mais aussi et surtout une neurogenèse intacte qui permette d’avoir ce courage. Quand une situation de carences a généré des troubles de la neurogenèse, nous sommes moins résistants au stress. D’emblée, nous sommes donc moins enclins à nous aventurer dans des situations stressantes et à les affronter. Pour augmenter la résistance au stress et, en même temps, préparer un terrain favorable à l’introspection et au développement personnel, il est nécessaire de procéder de manière systémique. C’est la démarche adoptée dans cet ouvrage pour, entre autres, stimuler la neurogenèse. Car l’activation de la neurogenèse (le traitement de la dépression l’a montré) est une condition indispensable pour s’ouvrir et aller vers une guérison durable.

L’épreuve de la maturité

S’ouvrir à la nouveauté et faire preuve de flexibilité, cela implique de remettre en question ses schémas de pensée habituels et de les faire évoluer. C’est aussi devenir adulte, et cela n’a rien à voir avec l’âge qu’on a. Au départ, que notre enfance ait été formidable ou abominable (ou que nous l’ayons ressentie comme telle), nous ne maîtrisons en général qu’un seul modèle comportemental, celui en usage dans l’environnement parental. Plus tard, ce modèle va déterminer le rôle que nous endosserons à l’âge adulte dans un monde nettement plus complexe. Il va donc aussi conditionner le moment où nous atteignons nos limites et la façon dont nous affrontons les crises. Quand nous n’avons qu’une seule réponse à toutes les questions que pose notre existence, quand nous ne possédons qu’un seul schéma comportemental face à toutes les situations, alors le stress chronique (peu importe qu’il soit le résultat de nos propres actes ou d’une intervention extérieure) est pratiquement inévitable. Pourtant, les crises peuvent aussi nous faire grandir – à condition de trouver de nouveaux moyens de les gérer.

Au plus tard quand tombe le diagnostic de la maladie d’Alzheimer, et surtout si l’on souhaite s’engager dans un traitement curatif qui exige des modifications plus ou moins importantes du mode de vie jusque-là adopté, il est indispensable de développer de nouveaux schémas de pensée. Le défi est de taille : il s’agit de se confronter à son moi profond. On sera éventuellement forcé d’initier un changement auquel on s’était toujours opposé (alors même, peut-être, qu’on avait plus ou moins conscience du problème).

Et si l’on n’y parvient pas par soi-même, pourquoi ne pas recourir à l’aide d’un psychothérapeute ? Richard Taylor, le psychologue dont nous parlions plus haut, a franchi le pas, tout comme de nombreux participants à l’étude FINGER se sont eux aussi fait aider pour trouver la motivation de changer en profondeur leur vie en y intégrant une alimentation saine, davantage de sport et des activités intellectuelles. L’aide qu’ils ont alors reçue provenait tant des psychologues qui dirigeaient les séances de groupe accompagnant la thérapie, que de la dynamique qui s’était développée entre les différents participants. Au cas par cas, il est aussi possible de recourir à des méthodes modernes d’hypnose, à une thérapie systémique familiale ou à la thérapie EMDR (eye movement desensitization and reprocessing, désensibilisation et retraitement par mouvement des yeux), une méthode notamment utilisée dans le syndrome de stress post-traumatique et remboursée dans certains cas par la Sécurité sociale.

Le yoga et la “pleine conscience” comme thérapie

À condition de ne pas le réduire à son aspect physique et à des exercices purement corporels, le yoga est une bonne façon de gérer son stress. Dans une pratique globale, il a aussi pour objectif de nous permettre de relativiser notre existence, de reconnaître notre moi profond et d’agir de manière consciente. À travers les différents apprentissages et notamment la méditation, l’esprit d’ordinaire occupé à mille choses en même temps doit trouver un apaisement. Pour agir de manière consciente et ciblée, il faut en effet avoir l’esprit clair. Indispensable pour y parvenir, la concentration sur l’essentiel est précisément ce qui fait défaut à notre époque et ce que la pratique du yoga encourage.

Dans les traditions bouddhiste et hindouiste, les cinq principaux obstacles qui nous empêchent de guider notre esprit vers un état de détente et de concentration sont appelés klesha. Selon sa personnalité, le patient atteint d’Alzheimer devra, pour initier un processus de guérison, surmonter l’un ou l’autre de ces klesha, peut-être même tous :

• L’ignorance ou, pire encore, la méconnaissance qu’on tient pour vraie. Elle entraîne des préjugés et nuit à notre perception des choses. Elle est à l’origine des autres klesha.

• La surestimation de soi et l’égoïsme exagéré, ou encore l’idée que notre propre vie (et donc le fait de “prendre”) constitue le sens de notre existence, plutôt que le don ou la transmission.

• Les désirs et l’avidité, parce qu’un monde matériel dans lequel tous aspirent à la possession ne nous permet pas de reconnaître le changement perpétuel comme étant la seule constante qui fonde l’Être.

• Les pensées négatives et l’aversion face aux nouvelles expériences.

• La peur diffuse de l’inconnu qui nous incite à conserver de vieux schémas de pensée même quand ils nous nuisent.

En apprenant à reconnaître ce qui est important dans la vie, avec l’aide d’un professeur de yoga ou dans le cadre d’un programme de réduction du stress à partir de la pleine conscience (mindfulness-based stress reduction, MBSR) tel que certaines cliniques le proposent, on arrive peu à peu à faire voler en éclats des schémas de pensée et à s’ouvrir à la nouveauté. Aussi bien en théorie qu’en pratique, on se rapproche ainsi progressivement de la réponse à la question du sens.

LE POINT SUR : LA RÉDUCTION DU STRESS ET LA PLEINE CONSCIENCE

Les techniques de réduction du stress à partir de la pleine conscience s’avèrent particulièrement efficaces dans les cas de dépressions à répétition16. En restant assis calmement, en se concentrant sur sa respiration et en prenant conscience de ses émotions et de son corps, on apprend à écouter toutes les sensations et pensées qui éclosent – sans les juger. On s’entraîne aussi à gérer de manière rationnelle les pensées négatives qui surviennent et peuvent créer une spirale du malheur, poussant irrémédiablement l’individu vers un trou noir émotionnel. L’un des aspects de cette thérapie est par exemple de considérer que les sentiments de culpabilité et les reproches qui en découlent ne sont que de simples constructions de l’esprit, et non des vérités. Si l’on considère le taux de rechute, pour les patients qui acceptent de se lancer dans une démarche psychothérapeutique, la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience est aussi efficace que la prise d’antidépresseurs liée quant à elle à de nombreux effets secondaires. Cela en dit long sur les véritables carences qui caractérisent nos cultures.

Réduction du stress par la pleine conscience, méditation ou yoga sont autant de voies intéressantes quand il s’agit de progresser dans la connaissance de soi et d’évacuer le stress. Dans la pratique du yoga, on doit pour se détendre faire confiance à une puissance supérieure qui peut aussi être assimilée à la nature. Seulement, comme nos efforts pour maîtriser la nature aboutissent constamment à des échecs, nous ne croyons plus à ses vertus curatives. Nous créons des carences à travers notre mode de vie et attribuons la responsabilité de maladies telles que l’Alzheimer non pas à nos actes, mais à la nature (en accusant l’âge, le patrimoine génétique humain ou l’environnement). Nos espoirs se tournent alors vers des substances chimiques qui devraient guérir ce cerveau constamment soumis à un stress non naturel (dont nous sommes souvent les premiers responsables). Avec le yoga, il s’agit tout d’abord de prendre consciemment du temps pour soi. Si cela permet de réduire le niveau de stress, alors la voie est libre pour le processus naturel d’autoguérison : la neurogenèse de l’hippocampe !

Imaginez un chasseur-cueilleur. Il ne faisait sans doute pas de yoga, mais il vivait ces principes au jour le jour. Car agir dans la précipitation lui aurait été fatal : pour la chasse comme pour la cueillette, il faut du calme, du sang-froid et une compréhension profonde de la nature qu’on ne peut avoir qu’en ayant le sentiment de faire partie intégrante de celle-ci. Or, pour lui, la nature et l’esprit n’étaient pas des phénomènes distincts. C’est ce lien perdu que les préceptes du yoga peuvent nous aider à retrouver en partie. Aujourd’hui, nous disposons des premières preuves scientifiques indiquant que la méditation et le yoga ont des effets bénéfiques sur la santé mentale des séniors, même s’ils ne commencent à les pratiquer qu’au moment où ils souffrent déjà de troubles sérieux de la mémoire17. Grâce au yoga et à la méditation, nous réduisons le stress négatif, ce qui permet déjà de briser l’un des principaux cercles vicieux agissant comme un moteur de la maladie d’Alzheimer. En outre, le sommeil s’améliore, libérant les énergies naturelles de régénération18. Les exercices de méditation augmentent le volume cérébral de l’hippocampe. Pour cela, trente minutes de méditation selon les principes du yoga suffisent19.

Dharma Singh Khalsa, directeur administratif et médical de l’Alzheimer’s Research and Prevention Foundation, aux États-Unis, a ainsi reproché à l’étude FINGER de ne pas utiliser le yoga comme mesure d’amélioration des capacités cognitives des participants. Le professeur Bredesen, en revanche, proposa à ses patients le yoga et la méditation comme outils de réduction du stress. C’est ainsi que Sarah Jones commença la pratique du yoga pendant le programme, avec des séances de méditation de vingt minutes deux fois par jour. Aujourd’hui, comme on l’a vu, elle enseigne elle-même cette pratique.


1 KARP, A. et al., “Mental, physical and social components in leisure activities equally contribute to decrease dementia risk”, Dement. Geriatr. Cogn. Disord., vol. 21, 2006, p. 65-73, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16319455.

2 ERTEL, K. A. et al., “Effects of social integration on preserving memory function in a nationally representative US elderly population”, Am. J. Public Health, vol. 98, 2008, p. 1215-1220, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18511736.

3 DREW, L. J. et al., “Adult neurogenesis in the mammalian hippocampus : why the dentate gyrus ?”, Learn Mem., vol. 20, 2013, p. 710-729, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24255101.

4 ROSENTHAL, L. et al., “The importance of full-time work for urban adults’ mental and physical health”, Soc. Sci. Med., vol. 75, 2012, p. 1692-1696, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22858166.

5 ECKERSTRÖM, C. et al., art. cité.

6 NEUMANN, B., “Leben mit Alzheimer : Opa, da ist wieder dein Alzheimer !”, Gehirn und Geist, vol. 5, 2012, p. 76-78.

7 LINDSTROM, H. A. et al., “The relationships between television viewing in midlife and the development of Alzheimer’s disease in a case-control study”, Brain Cogn., vol. 58, 2005, p. 157-165, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15919546.

8 Cf. www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1437.

9 NEUMANN, B., art. cité.

10 TAYLOR, R., Alzheimer’s from the Inside Out, Health Professions Press, 2006.

11 SNYDER, J. S. et al., art. cité ; WILSON, R. S. et al., “Chronic psychological distress and risk of Alzheimer’s disease in old age”, Neuroepidemiology, vol. 27, 2006, p. 143-153, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16974109.

12 JOHANSSON, L. et al., “Common psychosocial stressors in middle-aged women related to longstanding distress and increased risk of Alzheimer’s disease : a 38-year longitudinal population study”, BMJ Open, 2013, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24080094.

13 JOHANSSON, L. et al., “Midlife personality and risk of Alzheimer’s disease and distress : a 38-year follow-up”, Neurology, vol. 83, 2014, p. 1538-1544, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25274849.

14 HUGHES, T. et al., “Engagement in reading and hobbies and risk of incident dementia : the MoVIES project”, Am. J. Alzheimer’s Dis. and Other Demen., vol. 25, 2010, p. 432-438, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20660517.

15 D’après BANAS, R., “Aging expert on can we prevent Alzheimer’s ?”, BMA Blog, 15.5.2012, www.bma-mgmt.com/blog/?p=2299.

16 PIET, J. et HOUGAARD, E., “The effect of mindfulness-based cognitive therapy for prevention of relapse in recurrent major depressive disorder : a systematic review and meta-analysis”, Clin. Psychol. Rev., vol. 31, 2011, p. 1032-1040, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21802618.

17 NEWBERG, A. B. et al., “Meditation effects on cognitive function and cerebral blood flow in subjects with memory loss : a preliminary study”, J. Alzheimer’s Dis., vol. 20, 2010, p. 517-526, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20164557.

18 INNES, K. E. et al., “The effects of meditation on perceived stress and related indices of psychological status and sympathetic activation in persons with Alzheimer’s disease and their caregivers : a pilot study”, Evid. Based Complement Alternat. Med., 2012, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22454689 ; MARCINIAK, R. et al., “Effect of meditation on cognitive functions in context of aging and neurodegenerative diseases”, Front. Behav. Neurosci., 2014, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24478663.

19 HÖLZEL, B. K. et al., “Mindfulness practice leads to increases in regional brain gray matter density”, Psychiatry Res., vol. 191, 2011, p. 36-43, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/ 21071182.