BOUGER

 

Notre nature est dans le mouvement, le repos entier est la mort.

BLAISE PASCAL (1623-1662)

Corps et esprit réunis dans le mouvement

Le risque d’Alzheimer augmente quand l’hippocampe s’atrophie. Pourtant, ce dernier pourrait croître toute notre vie au fil de nos expériences. Dans ce cas, où se situe exactement le problème ? À vrai dire, nous sommes sans arrêt confrontés à des nouveautés et, à travers la publicité permanente et la nouvelle industrie numérique du divertissement, souvent bien plus que nous ne le voudrions. Comment se fait-il alors que le centre de nos souvenirs autobiographiques perde malgré tout 1 % de son volume chaque année ? Pour répondre à cette question, nous devons nous pencher sur la nature des informations qui mettent efficacement en réseau les nouveaux neurones et les maintiennent ainsi en vie. Mais avant tout chose, voyons comment l’hippocampe sait qu’il doit créer de nouveaux neurones et en quelle quantité.

En raison de notre évolution, c’est à travers l’activité physique que l’hippocampe reçoit les impulsions qui déterminent sa croissance. Le mouvement signale à l’hippocampe qu’il faut s’attendre à de nouvelles expériences et qu’il ferait bien d’activer la neurogenèse. Voilà comment les choses fonctionnent : quand nous faisons un effort physique, par exemple en montant l’escalier plutôt que de prendre l’ascenseur, nos muscles consomment de l’oxygène afin de mettre à disposition l’énergie nécessaire. Comme la respiration et le cœur réagissent en différé au travail des muscles, la quantité d’oxygène dans le sang baisse légèrement (ce qui explique pourquoi notre cœur bat encore la chamade alors que nous sommes déjà arrivés en haut de l’escalier. C’est à cause de ce décalage que nous avons besoin de temps pour reprendre notre souffle). Pendant le mouvement, des capteurs qui se trouvent dans les vaisseaux sanguins des muscles alors en action ainsi que dans les reins constatent cette baisse de la concentration d’oxygène dans le sang. En réaction, les vaisseaux sanguins produisent une hormone : le facteur de croissance de l’endothélium vasculaire ou VEGF (vascular endothelial growth factor). Son rôle est de permettre la formation de nouveaux vaisseaux sanguins au niveau local, l’idée étant que, la prochaine fois, ces muscles seront ainsi mieux irrigués et donc mieux approvisionnés en oxygène. Les reins eux aussi produisent alors une hormone : l’érythropoïétine ou EPO. Celle-ci entraîne dans la moelle osseuse une hausse de la production de globules rouges, chargés de transporter l’oxygène dans le sang. Ainsi, grâce à cette combinaison entre “davantage de vaisseaux sanguins” et “davantage de transporteurs d’oxygène”, la prochaine fois que nous monterons l’escalier, les choses seront plus faciles. C’est ce qu’on appelle l’effet d’entraînement. Avec l’activité physique, les muscles utilisés deviennent bien sûr un peu plus forts eux aussi. Cela se produit pour ainsi dire du jour au lendemain : pendant que nous dormons, l’hormone de croissance (ou somatotropine) entre en action. Aujourd’hui, on sait que l’interaction entre le VEGF, l’EPO et la somatotropine n’a pas seulement pour effet d’améliorer notre forme physique (ce qui pousse certains sportifs à se doper à l’EPO et aux hormones de croissance) : toutes ces hormones – de même que l’irisine produite par les muscles actifs ou la sérotonine et l’adiponectine produites par le tissu adipeux – envoient aussi des impulsions de croissance décisives vers l’hippocampe1.

Ce mécanisme est très ancien, plus ancien que l’humanité : il s’est développé plusieurs centaines de milliers d’années avant la découverte de la télécommande ou du moteur à combustion. Un exemple : l’hippocampe des rats-kangourous se développe en automne, quand ces petits rongeurs préparent leurs réserves de nourriture pour l’hiver. Là encore, c’est l’activité physique qui donne à l’hippocampe le signal nécessaire à la stimulation de la croissance. Résultat : en hiver, les rats-kangourous se souviendront de l’emplacement de leurs cachettes de nourriture.

La logique sur laquelle se fonde cette caractéristique évolutive est simple : quand on bouge, quand on entreprend quelque chose, il y a de fortes chances pour qu’on se retrouve confronté à la nouveauté, ce qui nécessite une plus grande capacité de mémoire. Voilà pourquoi les hormones qui sont produites lors d’un effort physique ont aussi pour conséquence de stimuler la neurogenèse. À l’inverse, quand on ne bouge pas – et à l’ère des voitures et des ascenseurs, mais aussi de la télécommande et du micro-ondes, ce n’est pas rare –, notre corps ne produit pas ces hormones. Indirectement, le message envoyé au cerveau est donc le suivant : “Pas de nouvelles expériences en vue !” Dans ces conditions, pourquoi l’hippocampe devrait-il se donner la peine de se développer ?

Le mouvement élargit l’horizon

Nous l’avons dit : la neurogenèse peut être stimulée tout au long de la vie. Nous ne serons donc pas surpris par les résultats d’une expérience menée sur 120 séniors2 : âgés de 66 ans en moyenne, les participants avaient été sélectionnés sur le critère d’une excellente santé mentale et physique, et ce, alors qu’ils ne marchaient pas plus de trente minutes par semaine avant le début de l’étude. C’est très peu, mais c’est loin d’être une exception chez les pensionnaires de maisons de retraite. Les participants furent répartis de manière aléatoire en deux groupes de même taille. Chaque jour, le premier groupe se promenait pendant 40 minutes, durée pendant laquelle le deuxième groupe, lui, faisait des exercices d’étirement. Pendant un an, un groupe se promenait donc pendant que l’autre faisait de la gymnastique. Avant, au milieu et à la fin de l’étude, l’hippocampe de tous les participants fut mesuré par des procédés d’imagerie médicale. Au cours de l’année d’étude, le volume de l’hippocampe augmenta chez les promeneurs d’environ 2 %. Chez les gymnastes, en revanche, les tissus hippocampiques s’atrophièrent plus que la normale (avec une perte moyenne de 1,4 %).

Conclusion : pour stimuler la croissance de notre capacité de mémoire, la gymnastique ne suffit pas. La marche quotidienne, en revanche, a des effets positifs. Les résultats prouvent que ce que l’on considère comme une atrophie normale de l’hippocampe n’est en réalité pas dû à l’âge, mais plutôt à un manque d’activité physique. (Évidemment, en se promenant, les participants à l’étude discutaient, ce qui a aussi pu stimuler l’intégration des nouveaux neurones, décisive pour leur survie.) On sait en outre qu’une perte de matière au niveau de l’hippocampe s’accompagne d’une perte au niveau de la mémoire. Il n’est donc pas étonnant que dans les tests de mémoire le groupe des promeneurs ait obtenu de meilleurs résultats que le groupe des gymnastes, moins actifs physiquement. Dans une autre étude au concept comparable, on a ainsi constaté que marcher trois kilomètres par jour au lieu de seulement 400 mètres divisait par deux le risque d’Alzheimer3.

Mais pourquoi, me direz-vous, ces trois kilomètres de marche n’annulent-ils pas complètement le risque d’Alzheimer ? Pourquoi votre grand-père ou votre grand-mère ont-ils été touchés par la maladie alors qu’ils avaient une activité physique quotidienne ? Là encore, il nous faut songer à la Loi du minimum. Pour que les neurones à peine germés dans l’hippocampe puissent “prendre”, il faut bien sûr du mouvement, mais d’autres conditions doivent également être remplies pour que nous soyons en bonne santé générale. Si nous vivions de manière globalement saine, si la seule carence dont nous souffrions était le manque d’activité physique, alors en bougeant, nous réduirions à zéro notre risque d’être touché par la maladie d’Alzheimer.

L’inactivité – un progrès ?

L’activité physique a des effets positifs sur notre cerveau. Et cela ne concerne pas que notre mémoire autobiographique, mais aussi toutes nos autres facultés cérébrales, elle aussi améliorées par le mouvement. Ceux qui sont actifs physiquement sont par exemple plus résistants au stress que les inactifs. Car dans ce domaine-là aussi, la neurogenèse stimulée par l’effort physique est décisive. Avec une meilleure neurogenèse, nous pouvons mieux faire abstraction de ce qui n’est pas essentiel, et nous avons donc plus de facilité à prendre des décisions dans des situations délicates.

Avoir une activité physique suffisante, c’est aussi améliorer son taux de cholestérol, optimiser son système cardiovasculaire et réduire sa tension. Par ailleurs, quand on fait des efforts physiques dans la journée (sans toutefois aller au-delà de ses limites), le sommeil est également de meilleure qualité. Tous ces effets – et il y en a bien d’autres – interagissent pour faire tant baisser le risque d’une démence “hippocampique” (Alzheimer) que celui d’une démence vasculaire (AVC).

Se promener, nager, faire du vélo – tout est bon. L’important est de faire preuve de régularité. Et surtout, il s’agit d’abandonner la passivité physique que permet le progrès technologique. Grâce à lui, notre vie est de plus en plus confortable, du moins en ce qui concerne les exigences physiques. Mais comme on l’a vu, c’est un cadeau empoisonné. Chaque fois que nous renonçons à utiliser une assistance technologique, nous nous faisons donc du bien !

Dans le cadre de la prévention ou du traitement de la maladie d’Alzheimer, il ne s’agit pas de faire du sport de haut niveau. Le chasseur-cueilleur, par exemple, devait se mouvoir plutôt tranquillement, car s’il avait galopé dans la forêt, il aurait fait fuir le gibier. De même, pour ramasser des fruits, il valait mieux qu’il prenne son temps pour avoir une belle cueillette. Mais il se déplaçait pendant de nombreuses heures (entre quatre à six heures par jour, d’après ce qu’on suppose) pour chasser et cueillir les nutriments essentiels à sa survie. Pour lui, pas question d’aller au supermarché en voiture et de couvrir ses besoins énergiques en achetant un paquet de spaghettis.

Programmes thérapeutiques

Le programme thérapeutique du professeur Bredesen ne comptait que 30 à 60 minutes d’activité physique quotidienne, et ce, quatre à six jours par semaine. D’après les résultats d’études les plus récents, cet effort est suffisant pour protéger l’hippocampe d’une atrophie, même dans le cas d’une prédisposition génétique4. Ben Miller, par exemple, avait l’habitude (et l’a sans doute toujours) d’aller nager trois ou quatre fois par semaine. S’y ajoutaient une séance hebdomadaire de jogging et deux de vélo.

Dans le cadre de l’étude FINGER, en revanche, on suivit les consignes internationales de l’American College of Sports Medicine et de l’American Heart Association5. Au programme des membres du groupe actif : musculation et maintien de la condition physique, mais aussi exercices d’endurance d’intensité moyenne (c’est-à-dire permettant encore aux participants de dialoguer entre eux). Les connaissances actuelles indiquent en effet que les programmes de mise en forme renforcent aussi les forces psychiques quand ils comprennent des unités d’endurance d’intensité moyenne et de la musculation. En outre, chaque séance doit durer au moins une demi-heure.

Sous la direction d’un kinésithérapeute expérimenté, les participants actifs ont renforcé tous les grands groupes de muscles sur une durée d’environ six mois. Les exercices étaient effectués sans poids excessifs de sorte qu’il était possible de les répéter chacun jusqu’à une vingtaine de fois, avec pour conséquence une amélioration de la musculature, mais aussi du système cardiovasculaire. Chaque exercice était répété deux fois par séance. Au début, la séance de musculation et d’endurance avait lieu une ou deux fois par semaine, chaque fois pour une durée de 30 à 45 minutes. Puis, au bout de six mois, la “dose d’administration” passa à deux ou trois séances par semaine, chaque séance durant environ une heure. La séance d’endurance d’intensité moyenne était une séance variée, comprenant de la marche nordique, de la gymnastique aquatique et du jogging. Enfin, le fait de rendre compte chaque jour de son activité dans un journal d’entraînement physique participait à la réussite du programme.

Et pourquoi pas ?

Nous pouvons chaque jour décider de nous rendre quelque part à pied ou d’utiliser la voiture, de cuisiner nous-mêmes un repas ou de mettre une pizza surgelée au micro-ondes. Pour le chasseur-cueilleur, ces questions ne se posaient pas. Sans oublier que son cerveau le récompensait chaque fois qu’il se dépensait. L’objectif du cerveau, pour ainsi dire, est en effet de se développer : il s’agit de faire sans cesse de nouvelles expériences et d’assurer grâce aux nouvelles connaissances ainsi réunies la réussite de la reproduction à travers les générations à venir. C’est sans doute la raison pour laquelle n’importe quel effort physique, à condition de ne pas exagérer, déclenche encore aujourd’hui dans notre cerveau la production de sérotonine, aussi appelée “hormone du bonheur”.

Mais alors, pourquoi avons-nous tant de mal à “nous bouger les fesses” ? Est-ce parce que nous travaillons dur pour notre confort et voulons savourer cette inactivité durement gagnée ? Est-ce à cause de notre éducation ? Des objectifs prescrits par une société où les enfants apprennent dès le plus jeune âge à rester sagement assis ? Des principes de marché qui régissent notre vie, désormais placée sous cette devise : “Pour aller loin, restez assis devant votre ordi” ?

Henry Ford, l’inventeur de la chaîne de production automobile, avait un avis tranché sur la question : “L’activité physique n’a aucun intérêt. Quand tu es en bonne santé, tu n’en as pas besoin, et quand tu es malade, il faut l’éviter.” Une opinion insensée que partagent malheureusement beaucoup d’entre nous – jusqu’au jour où il est trop tard.


1 FABEL, K. et al., “VEGF is necessary for exercise-induced adult hippocampal neurogenesis”, Eur. J. Neurosci., vol. 18, 2003, p. 2803-2812, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/14656329 ; R ANSOME, M. I. et TURNLEY, A. M., “Systemically delivered Erythropoietin transiently enhances adult hippocampal neurogenesis”, J. Neurochem., vol. 102, 2007, p. 1953-1965, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17555554 ; YAU, S. Y. et al., “Fat cell-secreted adiponectin mediates physical exercise-induced hippocampal neurogenesis : an alternative anti-depressive treatment ?”, Neural. Regen. Res., vol. 10, 2015, p. 7-9, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25788905 ; PHILLIPS, C. et al., “Neuroprotective effects of physical activity on the brain : a closer look at trophic factor signaling”, Front. Cell. Neurosci., 2014, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24999318.

2 ERICKSON, K. I. et al., “Exercise training increases size of hippocampus and improves memory”, Proc. Natl. Acad. Sci. USA, vol. 108, 2011, p. 3017-3022, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21282661.

3 ABBOTT, R. D. et al., “Walking and dementia in physically capable elderly men”, JAMA, vol. 292, 2004, p. 1447-1453, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15383515.

4 SMITH, J. C. et al., “Physical activity reduces hippocampal atrophy in elders at genetic risk for Alzheimer’s disease”, Front. Aging Neurosci., 2014, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24795624.

5 COLCOMBE, S. et KRAMER, A. F., “Fitness effects on the cognitive function of older adults : a meta-analytic study”, Psychol. Sci., vol. 14, 2003, p. 125-130, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/12661673.