FAIRE DU SOLEIL SON ALLIÉ

 

La lumière du soleil guérit.

Talmud de Babylone (VIe siècle av. J.-C.)

De l’hormone du soleil à la vitamine

Le berceau de l’humanité se trouve en Afrique, près de l’équateur. Nos ancêtres n’avaient donc pas à se soucier d’un éventuel manque de soleil. Ils auraient plutôt eu à s’inquiéter de ses rayons brûlants, mais leur peau sombre les protégeait. Même ainsi, la quantité de rayonnements UVB (ultraviolets de longueur d’onde moyenne) issus de la lumière du soleil qui pénétraient leur peau était cependant suffisante pour synthétiser assez de vitamine D à partir du cholestérol. On parle de vitamine D, mais il s’agit plutôt d’une hormone, puisque le corps humain est capable de la produire lui-même. Elle ne devient en fait une vitamine que quand la lumière du soleil vient à manquer.

LE POINT SUR : LA VITAMINE D

 

La vitamine D existe chez l’homme sous deux formes : la vitamine D2 (ou ergocalciférol) est d’origine végétale alors que la vitamine D3 (cholécalciférol) est d’origine animale. Cette dernière est la vitamine que nous fabriquons grâce au soleil ou que nous ingérons par notre alimentation. C’est aussi la plus efficace.

La vitamine D3 synthétisée au niveau de la peau sous l’action des rayons solaires est transformée en hormone active à l’issue de deux étapes. La première a lieu dans le foie, où la vitamine D3 est transformée en une prohormone, c’est-à-dire le précurseur inactif d’une hormone. Il s’agit du calcidiol (25-OH-D3) qui, dans une deuxième étape, est transformé au niveau des reins en une hormone active : le calcitriol (1,25-(OH)2-D3).

Plus nous nous éloignons de l’équateur, plus les rayons du soleil sont obliques, et plus la proportion d’UVB est faible. Dans cette situation, la vitamine D3 est le plus souvent une vitamine (essentielle, mais que le corps ne peut pas produire), et non une hormone (essentielle et produite par le corps). Parmi les conséquences d’une carence en vitamine D3 due au manque de soleil ou à une peau trop sombre, on peut citer le rachitisme. Touchées par ce trouble de l’ossification, les femmes auront un bassin plus étroit, ce qui rend plus difficile, voire impossible, l’accouchement par voie naturelle. Pour permettre la reproduction sous les latitudes nordiques, l’humanité n’a eu que deux solutions : trouver une source nutritive qui fournisse la vitamine D nécessaire (ce que firent les Inuits du Grand Nord), ou évoluer génétiquement. Nos ancêtres européens ont d’abord “choisi” cette dernière solution. Ceux d’entre eux qui étaient porteurs d’une modification génétique à l’origine d’une peau claire ont pu compenser par ce biais le manque de lumière et se reproduire.

Mais une peau claire ne nous sert pas à grand-chose si – comme souvent aujourd’hui – nous passons la majeure partie de notre temps dans des espaces fermés. L’éclairage artificiel ne délivre pas d’UVB et les vitres filtrent ceux qui pourraient provenir de la lumière naturelle. Sans compter qu’en hiver, les rayons du soleil sont plus obliques qu’en été, de sorte que le rayonnement UVB est alors pratiquement nul sur le continent nord-européen. En combinaison avec les vêtements couvrants que nous impose le froid, la production de vitamine D3 chute pendant la saison froide.

Au XIXe siècle, la pollution croissante liée à l’industrialisation de l’Europe et de l’Amérique du Nord a entraîné une augmentation massive des cas de rachitisme1. Dans les centres industriels présentant une haute pollution atmosphérique, les enfants étaient particulièrement touchés. En cherchant à lutter contre le rachitisme, on découvrit alors l’effet bénéfique de l’huile de foie de morue, dans laquelle fut ensuite identifiée une substance active vitale. Comme on avait déjà identifié les vitamines A, B et C, on baptisa cette substance vitamine D. Voilà comment une évolution culturelle – la pollution et le travail dans des espaces fermés – et le manque de lumière qui en résultait ont transformé une hormone en vitamine.

Le manque de vitamine D en cause dans l’Alzheimer

Une carence en vitamine D ne nuit pas seulement à l’ossification. Les systèmes immunitaire et cardiovasculaire mais aussi le cerveau en ont besoin ou, pour être plus exact, ils utilisent sa forme bioactive, la vitamine D3 (également appelée cholécalciférol). Une carence en vitamine D empêche les nouveaux neurones formés dans l’hippocampe de parvenir à maturation2. Les troubles de la neurogenèse et la baisse de la résistance au stress qui y sont liés pourraient expliquer ce qu’on appelle la dépression hivernale3, causée par un manque saisonnier de vitamine D – un cercle vicieux que nous connaissons maintenant comme moteur de la maladie d’Alzheimer. En outre, la régulation du métabolisme de la bêta-amyloïde requiert elle aussi de la vitamine D. En cas de carence, le processus va donc être accéléré. Inversement, en compensant une carence en vitamine D, nous allons pouvoir éliminer l’excès de bêta-amyloïde toxique et réduire dans le cerveau une tendance inflammatoire qu’on attribue à l’âge. C’est ce qui permet d’enrayer le déclin cognitif lié à cette carence4. Enfin, la vitamine D protège les neurones de l’effet destructeur de la bêta-amyloïde agrégée5. Voilà pourquoi ceux qui absorbent plus de vitamine D3 grâce à leur alimentation sont plus rarement atteints par la maladie d’Alzheimer6.

Fin 2014, une équipe internationale de chercheurs a identifié les concentrations de vitamine D nécessaires dans le sang pour assurer cette protection7. Pendant environ six ans, les scientifiques ont observé 1 658 participants âgés en moyenne de 68 ans et mesuré leur taux de vitamine D dans le sang ou, plus précisément, leur taux de vitamine D3 (cholécalciférol) qui sert communément de référence, la valeur obtenue étant alors exprimée en nanomoles par litre (nmol/l). Au cours des six années de l’étude, 171 des 1 658 participants (qui étaient au départ en bonne santé mentale) ont développé une démence, dont 102 plus spécifiquement une maladie d’Alzheimer. Ceux dont le taux de vitamine D dans le sang était supérieur à 50 nmol/l étaient les mieux protégés. Avec une carence modérée en vitamine D (soit des valeurs comprises entre 25 et 50 nmol/l), le risque général de démence augmentait de 53 %, celui d’Alzheimer de 70 %. Pour les participants dont les dosages étaient inférieurs à 25 nmol/l, la probabilité d’être atteints d’Alzheimer ou d’une autre forme de démence était même plus de deux fois plus élevée, la démence étant le plus souvent vasculaire.

Cette dernière donnée a également été confirmée par les résultats d’une autre étude à laquelle ont participé 25 000 Danois pendant sept ans. Celle-ci a en effet montré qu’un manque de vitamine D3 augmentait considérablement le risque d’infarctus et d’accidents vasculaires cérébraux8.

Avec d’autres recherches menées sur la corrélation entre une carence en vitamine D et le risque de cancer9, ces deux études fournissent des résultats concordants sur la quantité de vitamine D optimale pour une longue vie sans cancer ni démence. Cette valeur se situe aux alentours de 100 nmol/l (soit au-dessus des 70-75 nmol/l que l’Endocrine Society, société américaine de spécialistes en hormonologie, indique comme consigne10).

Toutefois, la concentration dans le sang ne devrait pas être beaucoup plus élevée : comme l’a montré l’étude danoise, le risque de décès augmente en effet en cas de surdosage de la vitamine D3. Des valeurs nettement supérieures à 130 nmol/l sont à considérer comme excessives. Dans le cadre d’une alimentation équilibrée, elles sont cependant quasiment impossibles. Sur la base de ces résultats, on peut recommander une valeur de cholécalciférol comprise entre 70 nmol/l et 130 nmol/l.

Sources de vitamine D3 et besoins

Le danger d’un “surdosage naturel” en vitamine D3 à la suite de trop longs bains de soleil est peu probable, car notre corps régule très exactement sa production. En peu de temps, il ralentit si besoin la synthèse et, en cas d’exposition fréquente, la peau brunit.

Le danger d’un sous-dosage, en revanche, est réel. Il est donc important, notamment en Europe du Nord, de recourir à d’autres sources d’approvisionnement. Comment ? Regardons ce qui se passe chez les Inuits, dans les régions arctiques privées de rayonnements UVB pendant quasiment toute l’année : en dépit des conditions de vie et de leur peau encore foncée, les Inuits survivent en couvrant la totalité de leurs besoins à travers une alimentation riche en poisson. Ce n’est pas difficile pour eux : les poissons gras tels qu’on en trouve communément en eau froide sont une excellente source de vitamine D3. 100 g d’huile de poisson (huile de foie) contiennent environ 12 000 UI11. La même quantité de hareng contient environ 1 000 UI, la truite environ 880 UI et le saumon 650 UI.

Il existe aussi encore quelques autres aliments qui peuvent contribuer à couvrir nos besoins. Deux œufs de poule de taille normale contiennent environ 120 UI de vitamine D3. 100 grammes d’avocat et de champignons aussi (il s’agit alors de la vitamine D2 végétale, dont les valeurs sont similaires). En revanche, les céréales, les fruits et les légumes n’en contiennent pas. Et les quantités présentent dans le lait et les produits laitiers sont négligeables.

Pour compenser un déficit, la Société allemande de nutrition (DGE, Deutsche Gesellschaft für Ernährung) recommande aux adultes un apport quotidien de 800 UI de vitamine D3, jusqu’à ce que la quantité de vitamine D synthétisée via l’épiderme soit suffisante. Une recommandation que viennent contredire les résultats d’une étude sur la prévention du cancer. Celle-ci a montré que pour augmenter la concentration dans le sang d’environ 2 nmol/l, un adulte devait ingérer 100 UI par jour12. Si l’on part du principe que l’effet protecteur de la vitamine D contre la démence requiert une concentration de 100 nmol/l, alors 5 000 UI seraient nécessaires chaque jour (dans le cas d’une production sinon nulle), soit bien plus que les recommandations de la DGE. Il se pourrait même que les quantités requises soient encore plus importantes si l’on essaie de compenser les carences avec des préparations multivitaminées.

Dans cette même étude, certains indices sembleraient en effet montrer que la vitamine D3 issue des compléments alimentaires entraîne souvent des hausses moins élevées que prévu. Avec ces sources artificielles, jusqu’à 400 UI étaient nécessaires pour faire augmenter la concentration dans le sang d’environ 2 nmol/l. Pourquoi ? On suppose que la vitamine D, liposoluble, n’est assimilée efficacement qu’avec une alimentation riche en graisses. Si l’on avale la préparation vitaminée avec un verre d’eau, la quantité de vitamine qui arrive finalement dans le sang est bien maigre. Par conséquent, mieux vaut les prendre avec un aliment gras.

Pour que nous ne nous mettions pas à jouer les apprentis sorciers chacun dans notre coin, un changement de mentalité doit s’opérer dans nos sociétés. L’objectif ? Généraliser le dosage de la vitamine D par les médecins traitants et banaliser la prescription de préparations efficaces à base de vitamine D3.

Dans le cadre de l’étude finlandaise FINGER, la dose quotidienne recommandée aux membres du groupe qui avaient abandonné leur mauvaise hygiène de vie n’était que de 400-800 UI de vitamine D3, y compris pour les participants qui ne mangeaient pas de poisson. C’est peut-être suffisant pour prévenir l’ostéoporose, mais pas, comme on vient de le voir, pour réduire le risque de démence (ou de cancer) lié à une carence en vitamine D. Encore moins en Finlande où, même en été, le soleil est trop bas pour fournir un rayonnement UVB suffisant.

Le professeur Bredesen, en revanche, se fia aux résultats de l’étude sur le cancer évoquée plus haut. En outre, il veilla à proposer un dosage personnalisé : Sarah Jones prenait 2 000 UI par jour, Ben Miller en était même à 5 000 UI.

Le mieux, cependant, serait d’oublier le statut de vitamine qui colle à la peau de la vitamine D3 et de prendre l’air aussi souvent que possible. Un être humain à la peau claire peut produire jusqu’à 20 000 UI de vitamine D3 en l’espace de 20 à 30 minutes. On comprend bien dans ces conditions qu’une complémentation ne devrait être nécessaire que dans les mois les plus froids, du moins sous nos latitudes.

Rappelons-le : les effets bénéfiques du soleil ne se limitent pas à une protection contre l’ostéoporose et le cancer. L’astre du jour a aussi des atouts certains quand il s’agit de lutter contre la démence vasculaire et la démence hippocampique, c’est-à-dire l’Alzheimer. En outre, il a des vertus antidépressives – ou disons plutôt, pour être plus exact, que nous développons des tendances dépressives quand nous restons enfermés et ne profitons que trop peu de la lumière et de la chaleur du soleil. Il semble ainsi que le besoin d’aller dehors quand il fait beau soit inné chez l’être humain, ce qui nous permet de faire le plein de vitamine D.

Instinctivement, nous sentons que le soleil nous fait du bien, et passer du temps dehors est donc primordial. Songeons aussi que chaque fois que nous prenons les transports en commun ou la voiture pour un trajet que nous pourrions sans difficulté faire à pied, nous renonçons à une dose précieuse de vitamine. Une autre bonne manière d’en profiter ? Le jardinage ! Cette activité en plein air réduit le risque d’Alzheimer13. En outre, utiliser une pompe à eau manuelle est un excellent entraînement pour le ventre, les bras et le dos, tandis qu’en retournant la terre des plates-bandes, nous allons fournir un effort physique intense, qui libère quantité d’hormones favorables à la croissance de l’hippocampe.

Comme vous le voyez, il y a mille façons de profiter du soleil. Alors, si le temps le permet, pourquoi ne pas aller lire le chapitre suivant au grand air ?


1 RAJAKUMAR, K., “Vitamin D, cod-liver oil, sunlight, and rickets : a historical perspective”, Pediatrics, vol. 112, 2003, p. 132-135.

2 ZHU, Y. et al., “Abnormal neurogenesis in the dentate gyrus of adult mice lacking 1,25-dihydroxy vitamin D3 (1,25-(OH) 2-D3)”, Hippocampus, vol. 22, 2012, p. 421-433.

3 ANGLIN, R. E. et al., “Vitamin D deficiency and depression in adults : systematic review and meta-analysis”, Br. J. Psychiatry, vol. 202, 2013, p. 100-107.

4 BRIONES, T. L. et DARWISH, H., “Vitamin D mitigates age-related cognitive decline through the modulation of proinflammatory state and decrease in amyloid burden”, J. Neuroinflammation, 2012, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23098125.

5 DURSUN, E. et al., “A novel perspective for Alzheimer’s disease : vitamin D receptor suppression by amyloid-β and preventing the amyloid-β induced alterations by vitamin D in cortical neurons”, J. Alzheimer’s Dis., vol. 23, 2011, p. 202-219.

6 ANNWEILER, C. et al., “Higher vitamin D dietary intake is associated with lower risk of Alzheimer’s disease : a 7-year follow-up”, J. Gerontol. A. Biol. Sci. Med. Sci., vol. 67, 2012, p. 1205-1211.

7 LITTLEJOHNS, T. J. et al., “Vitamin D and the risk of dementia and Alzheimer disease”, Neurology, vol. 83, 2014, p. 920-928, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25098535.

8 DURUP, D. et al., “A reverse J-shaped association between serum 25-hydroxyvitamin D and cardiovascular disease mortality – the CopD study”, J. Clin. Endocrinol. Metab., vol. 100, 2015, p. 2339-2346, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25710567.

9 INGRAHAM, B. A. et al., “Molecular basis of the potential of vitamin D to prevent cancer”, Curr. Med. Res. Opin., vol. 24, 2008, p. 139-149, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18034918 ; GARLAND, C. F. et al., “Vitamin D for cancer prevention : global perspective”, Ann. Epidemiol., vol. 19, 2009, p. 468-483, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19523595.

10 HOLICK, M. F. et al., “Evaluation, treatment, and prevention of vitamin D deficiency : an Endocrine Society clinical practice guideline”, J. Clin. Endocrinol. Metab., vol. 96, 2011, p. 1911-1930.

11 Unité de mesure pharmacologique définie par convention internationale pour la quantité d’une substance. Ici, 1 UI = 0,025 μg de cholécalciférol.

12 GIOVANNUCCI, E. et al., “Prospective study of predictors of vitamin D status and cancer incidence and mortality in men”, J. Natl. Cancer Inst., vol. 98, 2006, p. 451-459.

13 TAKEDA, T. et al., “Psychosocial risk factors involved in progressive dementia-associated senility among the elderly residing at home. AGES project – three year cohort longitudinal study”, Nihon Koshu Eisei Zasshi, vol. 57, 2010, p. 1054-1065, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21348280.