14.


Quelqu’un, peut-être le géant, frappe Aminat en plein visage.

C’est douloureux. Bien que l’armure absorbe en grande partie la force de l’impact, elle est quand même projetée au sol. Aminat cligne des paupières pour recouvrer sa vision. Elle entend un autre coup de feu, mais ne ressent aucun choc. Manqué. Trois soldats normaux et un géant. Tout en récupérant, elle saisit l’arme de sa cheville.

Debout, debout, debout. Tu ne peux pas mourir ici.

Elle tire la première, sans même viser, seulement pour les déstabiliser. Un crétin essaie de sortir par la porte qu’elle a pourtant clairement verrouillée devant eux. Elle se redresse vivement et le géant avance vers elle ; sa chevelure afro balaie le plafond. Elle a horreur de se battre contre des géants ; ils sont si grands que leurs membres semblent occuper tout l’espace. Elle lui envoie un coup de pied dans la poitrine – elle n’a jamais frappé aussi haut – et, tandis qu’il recule, elle bondit et lui donne un coup de genou dans le bas-ventre. Elle tire une balle dans le pied du gars situé à sa gauche, une autre dans son bras. Le géant n’a pas renoncé, mais il titube et frappe involontairement son compatriote.

Aminat lance un puissant coup de pied dans le genou du géant et sent l’os se rompre. Elle lui tire à bout portant dans la cuisse, puis dans ce qu’elle pense être son foie. Pendant qu’il hurle en se tordant de douleur, elle abat le troisième homme dans le dos.

Elle saisit le géant par le col de son pull et le redresse un peu pour lui asséner un coup de poing au visage. Puis un autre. Et un troisième. Son crâne est sacrément solide. Il se met à rire, alors que son nez est en sang.

« Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ?

— C’est toi… Tu es vraiment marrante », répond le géant, avec cette voix résonnante qu’ils ont tous. « Tu crois qu’on ne sait pas qui tu es, mais on l’a toujours su. Et tout ça… nous faire poursuivre par toi… c’est notre initiation. Plus tu me frappes, plus tu me tires dessus et plus ma cote augmente. Cogne-moi encore. Allez ! »

Quand Aminat le laisse retomber, son crâne heurte le sol et le bruit se répercute dans tout l’appartement.

Ils avaient enlevé six personnes, pas des gens riches, et extorqué de l’argent aux familles désespérées. Libérés sans aucune inculpation.

« Allez ! Tu ne veux pas m’arrêter ? demande le géant. Je pourrais commettre un autre crime. »

Aminat s’en va.

 

Une fois rentrée, elle retire son armure et prend une douche pour nettoyer la sueur et le sang. Elle emploie un shampoing que Jack Jacques lui a offert quelques mois plus tôt et qui est fabriqué spécialement pour lui. Le clébard est réveillé, mais n’est pas enthousiasmé par la présence d’Aminat, bien qu’il la suive des yeux en remuant paresseusement la queue. Au moins, il n’est pas dans leur chambre.

Elle s’assoit dans le salon, la mine maussade, regarde vaguement une émission inepte, zappe sur les diverses chaînes. Elle n’a pas encore fait son choix quand elle entend les pas traînants de Kaaro. Il avance près d’elle et bâille en se grattant le bas-ventre.

« Tu as faim ? demande-t-il. Je peux commander un dîner.

— Je n’ai pas faim. Emmène-moi au lit et baise-moi à fond.

— Oui, je peux faire ça aussi. »

 

Plus tard, assis sur un rocher dans la xénosphère, Kaaro et Aminat regardent s’épancher une cascade de mercure. Elle lui dit à quel point elle souffre et se sent déboussolée. Il l’écoute en silence, balayant de la main quelques gouttes de liquide argenté.

« Kaaro, dit-elle. Pour quelle raison Armoise bougerait-il ?

— Je ne sais pas.

— Tu pourrais le demander.

— Je pourrais, mais je n’en ai pas envie.

— Pourquoi ?

— Je n’ai plus la même relation avec lui. Anthony était mon copain et il est mort. Koriko est une déesse d’un autre genre.

— Tu avais toujours besoin d’Anthony pour parler à Armoise ?

— Oui. Une fois, j’ai essayé de discuter directement avec lui et je suis resté catatonique pendant trois jours. Quand j’ai tenté de lire dans l’esprit d’un flotteur, j’ai eu l’impression de nager dans des éclats de verre. Ces créatures extraterrestres sont très différentes de nous.

— Tu pourrais interroger Koriko ?

— Je ne crois pas. Elle est obnubilée par la recherche des cadavres qui pourraient accueillir ses congénères. » Il lance une pierre dans la mare qui s’est formée au bas de la cascade. « Et puis, tu n’as pas pensé qu’Armoise pourrait agir de manière autonome ? Qu’il ne veut pas qu’elle le sache ? Si j’en parle à Koriko, elle sera automatiquement au courant.

— Tu penses que nous pourrions profiter d’une mésentente entre eux ?

— Nous ? Tu veux dire l’humanité, Rosewater ou le gouvernement de Rosewater ?

— L’un ou l’autre.

— Je ne sais pas. Tout dépend de la raison pour laquelle Armoise bouge.

— Pourquoi ne pas lui parler des déchets ? Elle pourrait voir les mines elle-même.

— Je… Bien sûr. Mais elle a déjà vu les mines et elle s’en fiche.

— Demande-lui !

— Bien, m’dame.

— Est-ce que j’ai utilisé ma voix de flic ?

— Oui.

— Désolée.

— Il y a des moments où ce ton peut se révéler excitant…

— J’aurais besoin d’un peu de temps pour récupérer, dit Aminat.

— Tu as cinq minutes.

— J’ai l’impression de ne pas comprendre ce qui t’arrive.

— Tu as été très occupée, dit Kaaro. Mais ne t’en fais pas. Nous nous en sortirons.

— Tu aurais dû me parler de ta rencontre avec Femi.

— Oui.

— Mon Dieu, quand je pense à elle… Grrr !

— Elle subit beaucoup de pressions.

— Tu prends sa défense ?

— Non, je dis seulement que ses responsabilités la font paraître bizarre et insensible. Si tu savais tout ce qu’elle sait… »

Aminat s’écarte de lui. « Mais oui, tu la défends ! Et toi, tu sais ce qu’elle sait ?

— Si je… Oui.

— Tu as lu ses pensées, pas vrai ?

— Elle m’a demandé de le faire.

— Et tu as aussi couché avec elle ? Je sais que tu en as toujours eu envie.

— Aminat, bon sang, c’était il y a des années ! J’étais un gamin.

— Tu n’as jamais lu dans mon esprit.

— Mais qu’est-ce que tu as ? On dirait que tu cherches la bagarre.

— Oh, bien sûr, c’est ma faute, parce que je suis une femme irrationnelle et émotive ? Fais-moi sortir de ce putain d’endroit. Et encore deux choses : un, personne n’a envie d’une saleté de cascade en mercure. C’est toxique. Deux, quand je chercherai la bagarre, tu le sauras tout de suite, au bruit de mes phalanges contre ton visage. »

 

Tout en caressant le cabot, Aminat regarde les temps forts de la plaidoirie d’Hannah Jacques devant la cour. Pas étonnant que personne n’ait voulu lui parler des mines ou du déplacement d’Armoise. Aminat avait pensé qu’Hannah était simplement une épouse décorative et distante. Elle savait que la femme du maire était diplômée en droit, mais c’est… c’était le Nigeria. On peut acheter des diplômes. On peut payer certaines personnes pour qu’elles passent les examens à votre place. Avec de l’argent, n’importe qui peut devenir avocat. Apparemment, Mme Jacques est réellement douée. Beaucoup de gens engagent des poursuites contre le gouvernement afin de récupérer leurs chers défunts avant qu’ils soient implantés par les extraterrestres, mais ce cas particulier attire l’attention en raison de la personnalité d’Hannah. Aminat a déjà vu Boderin dans la résidence du maire. Un beau mec, malgré son albinisme, et assez silencieux, ce qui est étonnant pour un avocat. Dans la vidéo, il semble savoir ce qu’il fait, mais il ne peut pas être aussi confiant qu’il en a l’air. Le maire doit faire dans son froc.

Avant d’aller dormir, Aminat réfléchit et envisage de démissionner. Elle peut commencer une nouvelle vie à Lagos avec Kaaro. Raviver la flamme. Ranimer leur passion dans une épouvantable ville crasseuse et surpeuplée où les gens ne sont pas guéris automatiquement. Ouais. Cela semble très romantique.