27.


La première réaction d’Aminat est une souffrance épouvantable, le mal de tête ultime, si puissant que l’IA le remarque.

Vos signes vitaux révèlent une douleur aiguë. Désirez-vous un analgésique ?

Kaaro est mort. Elle le sait. Il est mort chez eux, tandis qu’elle se trouve à près d’un kilomètre et qu’elle est incapable de les contacter par téléphone, lui et Layi.

Aminat, vous pleurez de douleur.

« Non. Enfin, oui, mais ce n’est pas mon corps qui souffre. »

Souhaitez-vous que je…

« Ramène-moi à la maison le plus vite possible. Code rouge. »

Veuillez confirmer l’infraction à la réglementation sur le trafic routier.

« Confirmé. »

Il est mort. Il est mort. Je devais le protéger et il est mort.

Elle prend la bague et la glisse à son annulaire.

La morve qui obstrue son nez gêne sa respiration. Elle a froid et ne parvient pas à se réchauffer, même en montant le chauffage de l’habitacle au maximum.

Le véhicule fonce sur les routes, frôle des piétons, parvient à destination. La maison, entourée par des groupes de gens, semble avoir été frappée par une bombe, tout comme les habitations voisines.

Dois-je me garer ou attendre ?

« Gare-toi, mais reste en alerte. Et garde un contact radio crypté. »

Dans quel but ?

« Inconnu pour l’instant. En cas de danger. »

Aminat se fraie un chemin vers le lieu du carnage. Son uniforme de la police et son badge suffisent à lui dégager le passage, mais elle est prête à utiliser son arme en cas de besoin. Layi est agenouillé au milieu des débris, tenant…

Il n’a plus de visage. La mâchoire supérieure, une partie du crâne fracassé, un œil, quelques fragments de cerveau encore accrochés aux os. Le reste a disparu. Et elle reconnaît le pyjama.

« C’est toi qui as fait ça ? demande-t-elle à Layi. Ça t’est arrivé de perdre le contrôle. »

La poitrine de son frère se soulève et il secoue la tête, mais demeure incapable de prononcer un mot.

« Mon chéri… »

Il est encore chaud quand elle le touche. Bien qu’il s’agisse d’une scène de crime et que sa raison proteste après toutes ces années d’entraînement, Aminat le retire des mains de Layi et laisse couler ses pleurs. Elle ignore depuis combien de temps elle se tient là quand un murmure parcourt la foule.

« Ma sœur. » Layi lui touche l’épaule et elle redresse la tête.

Koriko.

« Je suis venue chercher mon dû, dit l’extraterrestre. Je pense que vous l’avez assez pleuré.

— La balle a détruit son cerveau, réplique Aminat.

— Il en reste suffisamment. Nous pouvons restaurer complètement ce corps.

— Vous ne prendrez pas celui-ci. » Aminat se lève, sort son arme et pose le canon contre le front de Koriko – pourtant, son bras tremble et sa vision est brouillée.

« Je suis désolée. Je m’étonne de constater que vous, les humains, vous suppliez toujours. Malgré le fait que je ne sois jamais revenue sur ma décision, malgré l’accord que vous connaissez tous et dont vous tirez profit. Je suis vraiment désolée. » À une si faible distance, Aminat peut sentir son haleine, qui évoque le jasmin. « Tous les cadavres sont à moi. Nous avons conclu un pacte. Et d’ailleurs, au départ, c’était votre idée, Aminat. Il n’y a pas d’exceptions.

— Pardonnez-moi, mais de quel cadavre parlez-vous ? » demande Layi.

Les fragments du crâne de Kaaro commencent à briller, chauffés à blanc, et les flammes engloutissent bientôt le cou, puis la poitrine. Le corps s’illumine de l’intérieur et bientôt il ne reste plus que des cendres, emportées vers l’inconnu par la brise.

Aminat pourrait l’embrasser.

Koriko plisse les paupières. « Qu’est-ce que… »

Aminat appuie sur la détente. Un quart de la tête de Koriko explose et la foule s’éparpille en hurlant devant ce blasphème. Elle s’apprête à faire feu une seconde fois quand une sorte de serpent s’enroule autour de son pistolet et la mord. « Vous savez que vous ne pouvez pas me blesser », dit Koriko, sans se préoccuper du fait qu’une partie de son crâne est manquante.

Layi vient se placer devant sa sœur. « Moi, je dis que tout peut brûler. »

Koriko s’immobilise, enveloppée par une flamme bleue. Sa peau se détache en lambeaux, puis son squelette noircit, s’effrite, se disperse.

« Ça ne la tuera pas, dit Aminat.

— Non. Mais elle devra se fabriquer un nouveau corps, ce qui prend du temps.

— Monte dans la voiture. Elle s’ouvrira pour toi.

— Et toi ?

— Je vais chercher le chien. Et autre chose. »

Elle trouve tout ce dont elle a besoin, revêt une nouvelle armure, puis quitte la maison. Elle sait qu’elle n’y vivra plus jamais avec Kaaro et part sans se retourner.