Lora attend devant la porte de Jack Jacques, en compagnie des deux premiers gardes du corps du maire. Ce dernier se dispute avec son épouse, une situation qui devient de plus en plus fréquente au fil des semaines. Lora se demande comment réagir quand le maire sortira de la pièce, mais il ne lui laisse pas le temps de la réflexion. Il jaillit trop rapidement et file déjà dans le couloir avant qu’elle puisse réagir. Elle court derrière lui, de même que les gardes, car le maire semble avoir réglé son fauteuil roulant sur une vitesse plus élevée que prévu. Lora regrette qu’il n’ait pas accepté de prothèse, mais le choix n’appartenait qu’à lui. Après tout, c’est le maire qui a perdu sa jambe.
« Monsieur le maire…
— Bon retour parmi nous, Lora. Comment étaient vos vacances ?
— Divertissante, monsieur.
— Excellent, excellent. C’est une nouvelle robe ? »
Lora porte une robe d’été au lieu de son tailleur habituel. « Il fait chaud, aujourd’hui. J’essaie quelque chose de plus léger. »
Elle lui tend un bracelet, qui se synchronise avec son implant téléphonique après avoir reconnu sa puce ID. Il n’emporte jamais de travail chez lui, mais la machine étatique ne s’arrête pas devant la vie de famille. Le bracelet contient huit heures d’informations trop sensibles pour être diffusées par radio.
« Alors, qu’est-ce que nous avons ? demande le maire.
— La chef de la sécurité attend devant votre bureau.
— Aminat ? Elle a pris rendez-vous ?
— Non.
— Pourquoi l’a-t-on autorisée à venir ici ?
— Parce qu’elle est la chef de la sécurité. »
Jacques soupire. « Quoi d’autre ?
— Vous devez visiter l’Institut de Repeuplement Originien et…
— Jack ! »
Aminat a perdu patience et s’avance à grands pas. Les gardes du corps se regroupent autour du maire pour le protéger, mais celui-ci lève la main pour les calmer. « Allons, c’est Aminat. Qu’est-ce qui vous prend ? Elle n’est pas là pour me tuer.
— N’en soyez pas si sûr, réplique Aminat.
— En public, vous devez m’appeler “monsieur le maire”, Aminat.
— Vous avez rendu Femi Alaagomeji aux Nigérians.
— Je préfère penser que j’ai récupéré Dahun.
— Qu’est-ce qu’on a à foutre de Dahun ?
— Rien. Mais je l’aime bien. » Le maire sourit. Lora l’a déjà vu employer cet artifice ; il n’est pas réjoui, mais se sert de son sourire contre un adversaire. Il passe en roulant près d’Aminat et se dirige vers les statues d’orishas qui bordent le couloir menant à son bureau. Elles sont toutes en pierre, sauf une. La dernière, près de la porte, est en métal brillant. Il s’agit en réalité d’une sentinelle robotique, ultime défense du maire. Elle a dû être activée pendant la guerre de l’Insurrection, mais l’artiste chargé de la camoufler se trouve au Nigeria et la finition a été interrompue.
« Que voulez-vous que je fasse de lui ? » demande Aminat en trottinant pour rattraper le fauteuil du maire, délibérément poussé à la vitesse maximale.
« Vous n’avez pas à vous occuper de lui, Aminat. » Il laisse ses gardes à la porte, puis se hisse dans le fauteuil installé derrière son grand bureau. « Vous pouvez peut-être le faire entrer dans la police. La criminalité a augmenté de trente pour cent ce trimestre.
— Trente-deux pour cent, précise Lora.
— Trente-deux pour cent, répète le maire.
— Mais c’est votre faute, déclare Aminat.
— Comment ça ?
— Pas de simagrées avec moi, Jack. Ne jouez pas les imbéciles.
— Quoi ?
— Pourquoi ne m’avez-vous pas prévenue que vous alliez échanger Femi ?
— Kaaro ne vous l’a pas dit ? demande Lora. D’après ce que je sais, il l’a interrogée la veille.
— Quoi ? » Aminat semble réellement surprise.
« Vous devez améliorer vos méthodes de communication, abi ? » déclare Jack.
Aminat paraît sur le point d’exploser et Lora sent une routine d’autodéfense titiller ses protocoles de comportement.
« Comment pourrais-je vous soulager ? » demande le maire. C’est encore une de ses ruses habituelles : se moquer des problèmes d’une personne, puis redevenir sérieux.
Aminat désigne Lora. « Faites-la sortir. Je dois vous parler en privé.
— Pas question. Elle en sait davantage sur moi que ma propre femme. Elle reste.
— Très bien. Je démissionne.
— Mais non. Allons, Aminat ! Vous êtes en pétard. Je ne vous ai jamais vue comme ça. Asseyez-vous, au moins. »
Avec une moue dubitative, Aminat s’assoit en face du maire, dans le fauteuil installé de l’autre côté du bureau. « Vous m’avez chargée d’un boulot. Je ne peux pas le faire si vous intervenez sans me tenir au courant.
— Vous n’êtes pas responsable du taux de criminalité.
— Je le sais. C’est vous, le responsable. Il faut me laisser poursuivre en justice vos copains de guerre. Je sais ce qu’ils ont fait pour nous, mais ils avaient une autorisation à ce moment-là. Ils en ont tous profité. Maintenant, vous nous ramenez Dahun, leur chef.
— Non, objecte Lora. Dahun les a entraînés pour nous. Il disposait de ses propres hommes. Il n’est pas lié à…
— Taisez-vous, s’il vous plaît. Il a dit que vous pouviez écouter, mais pas que vous pouviez intervenir. » Aminat se retourne vers le maire. « Nous n’avons pas gagné la guerre. Au lieu de nous libérer du Nigeria et d’accéder à l’indépendance, nous sommes submergés d’un côté par les Originiens et de l’autre par les organisations criminelles. Je veux obtenir carte blanche.
— Aminat…
— Carte blanche !
— Très bien, bon sang ! D’accord.
— Plus de décrets d’amnistie ?
— Mais vous devez engager Dahun.
— Je…
— Ça fait partie de l’accord. C’est tout ou rien. »
Aminat semble réfléchir un instant, puis quitte la pièce.
« C’est ce que vous vouliez depuis le début, dit Lora.
— Oui. Elle n’a pas tort à propos de la criminalité. C’est ma faute, et je ne dois plus m’en mêler.
— Elle ignorait que Kaaro avait rencontré Femi, souligne Lora.
— En effet, c’est intéressant. Et vous dites que nous n’avons aucun enregistrement de leur entretien ?
— Aucun.
— Il pourrait s’agir d’une relation sentimentale ?
— Selon nos renseignements, il la déteste, monsieur.
— Hmm. On peut considérer l’amour et la haine comme les deux côtés d’une même pièce. Et une pièce peut être retournée.
— Je ne comprends pas.
— Ça viendra avec le temps. » Le maire examine sa correspondance. « Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’église ?
— Le primat de l’Église anglicane du Nigeria a informé l’archevêque d’Ibadan que nous ne pouvions plus avoir d’évêque à Rosewater après avoir déclaré notre indépendance. L’archevêque de la province d’Ibadan, dans laquelle se trouve notre ville, a donc ordonné à l’évêque de la cathédrale de Rosewater de retourner au centre épiscopal. Cependant, notre évêque a refusé. Cette lettre vous demande de libérer l’évêque.
— Quoi ? Mais je ne l’ai pas…
— Je sais. L’évêque ne veut pas abandonner ses ouailles.
— Il peut foutre le camp s’il en a envie. Il le sait, non ?
— Oui. C’est de la propagande. Je rédigerai une réponse pour indiquer simplement que l’évêque est libre de partir. Je laisserai fuiter l’information dans la presse.
— Voyez si je peux assister au service religieux dimanche prochain. Ça donnerait une bonne photo.
— D’accord. »
Il se penche en lisant la lettre suivant. « Je dois… C’est sûrement une erreur.
— Pas du tout.
— Lora, un groupe de réflexion demande que Rosewater crée une marine.
— Oui.
— Nous n’avons aucune côte maritime.
— Je sais.
— C’est pour le fleuve ? Nous devrions patrouiller sur le Yemaja d’est en ouest ?
— Un document accompagne la lettre, monsieur.
— Je ne vais pas me taper ça. Il y a cent trente pages. Vous l’avez lu ?
— Oui, et vous devriez le lire également. Mais le plus important, c’est que nos importations arrivent sur des navires qui sont harcelés par l’armée ou les douanes nigérianes, ou par des pirates encouragés par le Nigeria. Cela se produit avant que les cargaisons puissent être acheminées jusqu’ici par la terre. Nous devrions créer une marine marchande et envoyer quelques canonnières dans les eaux internationales pour protéger nos navires jusqu’à leur arrivée dans les ports nigérians.
— Nous sommes enclavés dans les terres. Ce qui me gêne, c’est le côté absurde.
— Il y a des précédents. Nous ne serions même pas la première nation africaine à le faire. Cet honneur revient à l’Ouganda, quoique certains prétendent que c’est à l’Éthiopie.
— Très bien. Faites passer tout ça au conseil. Ils pourront en discuter pendant que je lirai le rapport et nous verrons ce qu’il faut faire.
— Compris. »
Il lit encore d’autres lettres, prises au hasard, en jette quelques-unes. « Bon, nous pouvons y aller, maintenant ?
— Il y a encore autre chose. Ce n’est pas sur la pile parce que je n’ai pas eu le temps.
— De quoi s’agit-il ?
— Nous avons un souci avec les flotteurs.
— C’est-à-dire ?
— Quand la… la nouvelle déesse a retiré le dôme et étendu sa protection sur toute la ville, elle a libéré par mégarde les flotteurs survivants, qui se promènent maintenant dans la nature. Quelques citoyens ont subi des attaques.
— Il nous faut un détachement spécial ?
— Ce serait une violation du protocole d’accord établi avec les Originiens. Nous devons en parler à la déesse.
— Ça promet d’être amusant.
— À mon avis, une bonne entrée en matière serait de préciser que les flotteurs ont dévoré tous les rapaces. Si on lui parle environnement, elle devrait nous écouter.
— Ils ont vraiment dévoré tous les rapaces ?
— Oui.
— Oh ! D’accord, je vais cogiter sur ce que je dois dire à Alyssa.
— On l’appelle Koriko, maintenant.
— C’est noté. On y va ? »
Avant la guerre, le centre de Rosewater était occupé par un biodôme, haut d’une soixantaine de mètres, qui avait poussé au-dessus de l’extraterrestre géant nommé Armoise. La cité s’était développée autour de l’extraterrestre et l’ancien dieu avait créé ce dôme pour bien séparer son territoire de celui des humains. Ne partageant pas ce point de vue, la nouvelle déesse avait étendu son domaine à l’ensemble de l’agglomération. Le site de l’ancien dôme conserve son pouvoir dans l’imagination des humains et des Originiens. Des pierres tombales ont été disposées en hommage à ceux qui sont morts – les centaines de personnes qui avaient choisi de vivre avec le dieu à l’intérieur du dôme. À l’emplacement du dôme se trouvent maintenant un nouvel aéroport et un centre commercial. On a pu constater que beaucoup de sociétés apprécient les vainqueurs des rébellions ; elles ont bataillé entre elles pour participer au redéveloppement de la ville dévastée par les bombardements.
Une des nouvelles structures n’est pas d’origine humaine. La Ruche est un grand complexe constitué de tours hexagonales séparées par des feuilles d’un matériau créé par les Originiens. C’est le centre de la présence extraterrestre, qui fait également office d’ambassade, ce qui explique pourquoi des gens manifestent autour en permanence.
L’escorte du maire lui fraie un chemin et son véhicule avance. Les voix des manifestants ne parviennent pas dans l’habitacle clos, mais leurs pancartes sont suffisamment explicites. Si l’on écarte les groupes marginaux, on distingue deux principales factions : les humains qui protestent contre l’occupation extraterrestre et ceux qui souhaitent devenir des extraterrestres. Il est d’ailleurs étonnant que la Ruche n’accepte pas les volontaires humains.
La voiture se gare devant l’accueil, où se tiennent deux personnages. Les portières s’ouvrent pour laisser passer Lora, les deux gardes du corps et le maire. La sortie du fauteuil roulant est automatisée. De l’avis de Lora, Jack semble se délecter dans ce fauteuil lorsqu’il est en présence d’Originiens.
Il ne devrait évidemment y avoir aucune différence physique entre les humains et les Originiens. Les corps sont humains ; pour Lora, les seules distinctions portent sur l’esprit, le logiciel de commande. Pourtant, les deux individus envoyés pour accueillir le maire expriment nettement leur altérité. On peut remarquer un frémissement permanent de leurs mains ; il n’est pas assez marqué pour affecter leurs gestes ou leur dextérité, mais Lora a constaté le même phénomène chez tous les extraterrestres. Si l’on parle avec un Originien pendant plus de cinq minutes, ses yeux semblent perdre leur synchronisme et fixer des directions différentes, mais cela ne dure qu’un instant et le regard est vite corrigé, comme s’il se rendait compte de cette anomalie. De plus, chez tous les extraterrestres, le blanc de l’œil présente une teinte légèrement verdâtre, comparable à celle que produit la jaunisse. Lora remarque avec intérêt que ces caractéristiques sont absentes chez les réanimés. Malgré tout, aucun de ces extraterrestres n’aurait de difficulté à passer pour un humain.
« Monsieur le maire », déclare la seconde Originienne la plus âgée de Rosewater : Lua, la scientifique chargée de surveiller les milliards de consciences originiennes conservées sur une lune située à des années-lumière.
« Lua. »
Ils se serrent la main et pénètrent dans la plus proche alvéole de la Ruche, un grand hall au plafond élevé et au mobilier clairsemé. Le plancher insonorisé amortit même le bruit des roues du fauteuil roulant. En voyant les tentures aux motifs géométriques accrochées sur les murs, Lora ne sait pas si elle doit les considérer comme de l’art ou des armoiries. L’air ne révèle aucune odeur.
Ils passent une porte à deux battants et la température tombe sensiblement.
« En premier lieu, monsieur le maire, nous accueillons ici les défunts, inertes ou réanimés. Vous verrez sur la gauche nos chambres de réfrigération, ce que vous appelez la morgue. À droite, le vestibule des réanimés.
— Nous les gardions dans une prison, déclare le maire. Il y a longtemps que vous avez terminé cette construction ? »
Lua plisse les yeux. « Elle n’est pas terminée. C’est une structure modulaire. Nous continuerons de l’agrandir selon nos besoins, et bien entendu en fonction des terrains que vous nous accordez si généreusement. »
De la flatterie. Voilà qui est nouveau.
Le premier transfert de structures mentales en provenance de la lune originienne avait eu lieu dans la prison de Rosewater, juste après la guerre, pour sceller la récente relation de confiance entre le maire et la nouvelle déesse. Lua faisait partie de cette fournée. À l’époque, les humains se chargeaient d’accueillir les arrivants ; maintenant, toute l’opération est sous le contrôle des Originiens.
La salle suivante est voûtée. Bien qu’il n’y ait pas de vitraux, il y règne une atmosphère religieuse. Lua baisse la voix.
« L’intermédiaire se trouve ici. Elle reçoit les corps ou les réanimés dans le temple, un par un.
— Vous appelez cela un temple ? demande Lora.
— Nous ne sommes pas dans un édifice religieux, mais ce qui se passe ici peut quand même être assimilé à un rite, je dois bien l’admettre. Pourquoi cette question ?
— Simple curiosité. Vous savez qu’elle est considérée comme une déesse ?
— Et pourquoi pas ? N’exerce-t-elle pas ici un pouvoir sur la vie et la mort ? » La voix de Lua trahissait une légère intonation sarcastique.
« Donc, les cerveaux sont simplement… téléchargés ? » Le maire s’efforce d’éviter toute méprise. Il souhaite que les extraterrestres s’accommodent de l’espace qu’il leur a alloué et que leur présence ne devienne pas une gêne pour les humains.
« C’est une façon de parler. Chaque esprit originien est encodé sur un serveur. Les systèmes qui maintiennent l’intégrité des données reçoivent un signal, puis associent cet esprit à quelques milliards de xénocytes. Lorsque c’est fait, le transfert s’effectue dans ce que vous appelez la xénosphère. Les xénocytes prioritaires de la sphère se trouvent dans l’espace central. L’intermédiaire escorte l’individu réincarné de cet espace psychique jusque dans le corps physique. Et ce dernier se réveille. Ici même. »
Ils ne voient pas grand-chose du temple, ni du travail de la déesse, ni la déesse elle-même. On les conduit dans une zone de rétablissement où sont disposés de nombreux lits. Des haut-parleurs diffusent des bruits de vagues, accompagnés parfois d’un cri de mouette ; l’enregistrement est présumé apaisant. Lora ne saisit pas pourquoi, mais elle note l’information.
Lua fait halte et se retourne. « Le reste du complexe est consacré à l’accueil et à l’éducation des nouveaux arrivants. Physiothérapie, contrôle de leur nouveau corps, acquisition du langage, sciences sociales, installation dans un logement, ce genre de choses.
— Et où sont les ratés ? demande le maire.
— Je ne comprends pas. »
Les bras posés sur les accoudoirs de son fauteuil, Jack Jacques a joint le bout des doigts, comme pour évoquer une tente. « Ce sont essentiellement des processus biologiques. Je suppose qu’ils fonctionnent… dans quatre-vingt-dix-sept pour cent des cas ? En suivant une courbe en cloche, non ? Ça signifie qu’il y a quelques échecs, des situations qui ne correspondent pas aux normes, des transferts qui ne se passent pas bien. Où les gardez-vous ?
— Je vais devoir vérifier, répond Lua.
— Voilà comment je sais que vous mentez.
— Non, je dois m’assurer que je sais parfaitement ce qui se passe ici. Tout n’est pas lié à une conspiration.
— Oh si, chef scientifique Lua ! Il y a ceux qui savent, ceux qui devinent et ceux qui oublient. Vérifiez. Nous attendrons. »
Lora lui murmure alors : « C’est la véritable raison de notre visite ? »
Le maire hoche la tête.
« Vous le saviez ?
— Je le suspectais. Ce ne sont pas ces ratages qui me dérangent le plus. C’est le fait qu’ils aient tenté de me les cacher. Je n’apprécie pas que des alliés ne se montrent pas francs.
— Ils le sont ?
— Ils sont quoi ?
— Des alliés ? »
Lua revient. « Monsieur le maire, il y a effectivement un endroit pour héberger ceux dont le transfert a échoué, mais on m’a informée qu’il était très dangereux pour les humains.
— Pourquoi ? Il est toxique ?
— Non, mais il pourrait compromettre votre intégrité mentale.
— Mon intégrité mentale a toujours été discutable, mais je comprends votre point de vue. C’est mon assistante, Lora Asiko, qui visitera cet endroit. Elle est beaucoup plus stable que moi. »
Lora se penche pour murmurer à l’oreille du maire. « Je ne vais pas vous laisser tout seul, monsieur.
— Je ne crains rien ici, Lora. Ne vous en faites pas. Contentez-vous d’inspecter leur installation.
— Ne parlez à personne.
— Je ne suis pas un gamin », rétorque-t-il, mais Lora décèle une pointe d’amusement dans sa voix.
Sans dire un mot, Lua conduit Lora dans un petit couloir, jusqu’à une salle qui requiert une procédure de vérification. Elle agit si rapidement que Lora est certaine qu’elle a menti un peu plus tôt en feignant l’ignorance.
Seize personnes sont étendues sur des lits de camp ; certaines sont attachées, mais toutes essaient de crier comme si elles étaient tourmentées par d’invisibles démons. Des soignants s’efforcent en vain de réconforter ces pauvres gens. Lora vient à peine de faire un pas dans la salle quand un bras lui bloque le cou ; un vaporisateur lui envoie un petit nuage de gaz dans les narines.
« Je suis désolée, déclare la voix de Lua, mais je ne peux pas vous permettre de garder ce souvenir. »
Un protocole d’autodéfense s’active aussitôt ; Lora saisit le bras de Lua et la balance par-dessus sa hanche gauche. Comme la chef scientifique ne résiste pas, Lora pose simplement le pied sur la poitrine de l’extraterrestre. Elle regarde autour d’elle, pour voir si quelqu’un d’autre vient l’attaquer, mais n’entend que les plaintes des malheureux réprouvés.
« Vous pensez que votre drogue va rapidement faire effet, dit-elle. C’est pour cela que vous restez tranquillement sur le sol. Moi, je sais qu’elle ne me fera aucun effet, et c’est pour cela que je me tiens tranquillement au-dessus de vous.
— Je ne comprends pas. Vous devriez déjà avoir des hallucinations. » Lua commence à se tortiller, mais son corps mince n’est pas taillé pour la lutte et Lora la maintient aisément.
« Comment allons-nous régler ce problème ? Vous aviez l’intention de me tromper, peut-être de me blesser. Dois-je vous tuer tout de suite ? Dois-je vous torturer afin de savoir pourquoi vous agissez ainsi ? Vous comprenez maintenant qu’on ne peut plus vous accorder aucune confiance.
— Je vous ai sous-estimée, mademoiselle Asiko.
— Non, vous ne m’avez pas estimée du tout. » Elle tape deux fois du pied sur le crâne de Lua, très fort, pour s’assurer que l’extraterrestre est inconsciente, puis elle prend le temps d’observer la salle.
Plus tard, quand elle a fait son rapport au maire, ce dernier juge que les transferts avortés ne concernent que les Originiens. Cependant, il décide aussi que, lors de sa prochaine visite dans la ruche, il viendra avec une escorte armée.