43.


Les restes de Koriko se dissipent en volutes de fumée nauséabonde. Aminat n’était pas sûre que l’arme fonctionnerait, mais elle éprouve maintenant un frémissement de joie, ou au moins de satisfaction. Quoi qu’il en soit, elle en profite. Sacrée nuit !

Les bigots semblent récupérer rapidement et l’observent. Ils hurlent quelque chose, mais Aminat ne saisit pas leurs paroles. Cependant, lorsqu’ils commencent à lui lancer des pierres, elle comprend leur intention.

« Venez me chercher », dit-elle dans son téléphone. Ensuite, elle sort son arme et s’adresse au groupe d’adorateurs. « Je viens de tuer votre déesse, alors pensez à ce que je pourrais vous faire. Réfléchissez bien avant d’agir. »

Ils hésitent assez longtemps pour permettre à l’hélicoptère d’arriver. Un projecteur illumine les bigots et la sono diffuse un avertissement tonitruant.

« Attention ! Vous entravez la mission d’un officier de police. Barrez-vous immédiatement et rentrez dans vos baraques de merde ! »

Une échelle de corde descend de l’appareil. Aminat attrape le dernier barreau, s’envole puis grimpe vers l’hélicoptère. À cette hauteur, elle constate l’étendue des dégâts. Les ganglions d’Armoise ont disparu et le paysage est parsemé d’incendies. Il y a quand même un peu d’électricité, peut-être vingt-cinq pour cent, grâce à des générateurs fonctionnant sur batteries et installés après la guerre. Une partie de l’éclairage est fournie par des piles solaires qui conservent encore de l’énergie. Jack ne voulait pas dépendre d’une seule source.

Dans l’appareil, Dahun lui tend un casque à écouteurs, puis ordonne au pilote de rentrer.

« Vous avez fait fondre cette femme comme dans Le Magicien d’Oz, dit-il.

— Je l’avais prévenue.

— Comment ça ?

— Pendant l’insurrection, la plante infernale était la seule adversaire des extraterrestres. Après sa destruction, j’ai demandé à des techniciens d’étudier ses restes, et surtout les chérubins morts. Quand nous avons remplacé le reptile, j’ai fait installer dans son corps le composé toxique que nous avons pu recréer. Il nous suffisait de localiser le serpent pour savoir où elle se trouvait. J’aurais pu faire exploser le sac de venin à n’importe quel moment. Boum !

— Rappelez-moi de ne jamais vous mettre en colère, dit Dahun.

— Vous n’avez aucune crainte à avoir. J’ai perdu la seule raison qui aurait pu me pousser à vous tuer. »

Après l’atterrissage de l’hélicoptère, Dahun tend un œuf dur à Aminat, qui est affamée. Elle ordonne un état d’alerte, bien qu’elle ne sache pas combien de temps il faudra à Koriko pour obtenir un nouveau corps. Elle téléphone chez elle pour prendre des nouvelles de sa famille. Elle doit convaincre Layi de rester sur place car elle a besoin de quelqu’un pour protéger ses proches en cas d’urgence. Elle envoie ensuite un rapport de situation à Lora.

Aminat prend une douche dans les toilettes du quartier général de la police. Elle est en train de s’habiller lorsqu’elle sent une présence derrière elle.

Kaaro. Ou quelqu’un qui ressemble à Kaaro, plus jeune qu’elle ne l’a jamais vu.

« Je suis réveillée ou endormie ? » Elle se mord l’intérieur de la joue.

« Tu es réveillée », dit-il. Il ne s’avance pas, lui laisse le temps de se remettre de sa surprise.

« Tu es plus jeune que mon Kaaro, dit Aminat. Et tu es mort.

— Ouais. Je n’étais pas à l’épreuve des balles, finalement.

— Qui l’aurait cru.

— Qui l’aurait cru, répète-t-il en avançant vers elle.

— Ce n’est pas toi. Si ?

— Non, répond Kaaro. Mais je pourrais l’être. Je suis tout ce qui reste de ses souvenirs et de ses pensées dans la xénosphère.

— Tu es une sorte de fantôme, précise Aminat.

— Une personnalité résiduelle, oui. Mais je peux exprimer les derniers souhaits et les derniers espoirs de Kaaro.

— Viens me faire un câlin, alors. Tu me manques. »

Aminat sent sa chaleur en l’étreignant. Elle ne s’y attendait pas. « Tu n’es pas seulement plus jeune. Tu t’es embelli, pas vrai ?

— En effet.

— Petit coquin.

— Que veux-tu ? J’ai toujours été plus beau dans mes souvenirs.

— Je peux t’embrasser, même si tu n’es pas mon Kaaro ?

— Il n’y a pas d’autre Kaaro. »

Aminat garde les paupières closes en l’embrassant. Ce n’est pas parce que les larmes lui piquent les yeux ni parce qu’elle ne veut pas le regarder – elle en a envie. C’est parce qu’elle souhaite prolonger cet instant, imaginer qu’il s’agit de son Kaaro, profiter de ce dernier moment d’intimité, sans se désoler de la destruction de leur couple.

Quand elle rouvre les yeux, il a disparu.

 

Tandis qu’elle marche dans la station, Aminat la trouve d’abord déserte et pense que tout le monde est sorti pour aider les gens qui sont en détresse, jusqu’au moment où elle voit les policiers regroupés devant un moniteur. Ils regardent une chaîne d’info – ne provenant probablement pas du Nigeria car, avec le black-out, personne ne transmet de nouvelles à Rosewater. Aminat approche, car elle n’a jamais constaté autant d’intérêt, sinon pour les matchs de football.

L’écran montre une photo fixe d’un personnage portant un agbada et un turban. Il sourit d’un air idiot, comme un homme simple incapable de nourrir de sombres pensées.

Son nom était Ranti Ogunmuyiwa. Vous n’avez peut-être jamais entendu parler de lui, mais il exerçait le métier de vendeur de voitures jusqu’en 2067. M. Ogunmuyiwa s’est porté candidat à l’élection du maire de Rosewater. Vous n’êtes pas au courant car, avant même l’annonce de cette élection, le maire Jack Jacques a prononcé le discours qui a provoqué la rupture entre la cité et la République fédérale du Nigeria.

Notre chaîne a obtenu des informations crédibles indiquant que Ranti Ogunmuyiwa a été exécuté de sang-froid. De plus, ce meurtre aurait été perpétré dans le bureau du maire Jacques.

Bordel de merde.

L’image est remplacée par une étonnante photo de Femi Alaagomeji, prise une dizaine d’années plus tôt. Elle semble sortir d’un rêve, mais ils ont modifié le contraste et un effet de surimpression la fait ressembler à une belle créature démoniaque.

D’après nos informations, c’est cette femme, connue sous le nom de Femi Alaagomeji, qui a abattu M. Ogunmuyiwa. Nous n’avons pas pu trouver grand-chose sur elle, mais il s’agit vraisemblablement d’une agente gouvernementale chevronnée qui travaille pour le S45. Une source anonyme nous a révélé qu’elle avait assassiné son propre mari en 2055.

Selon un de ses porte-parole, le gouvernement fédéral n’avait aucune raison de tuer Ogunmuyiwa, qui était d’ailleurs soutenu par le président du Nigeria. Passons maintenant au direct…

Aminat se met à courir, tout en téléphonant à la résidence du maire.