L’Hystérie est une névrose caractérisée par l’hyperexpressivité somatique des idées, des images et des ajfects inconscients. Ses symptômes sont les manifestations psycho-motrices, sensorielles ou végétatives de cette « conversion somatique ». C’est pourquoi depuis Freud on appelle cette névrose l’hystérie de conversion.
Mais l’hystérique doit encore être défini par rapport à la structure de sa personne caractérisée par la psychoplasticité, la suggestibilité et la formation imaginaire de son personnage.
Ainsi deux éléments sont nécessaires pour définir l’hystérie :
— la force inconsciente de la réalisation plastique des images sur le plan corporel (conversion somatique),
— la structure inconsciente et imaginaire du personnage de l’hystérique.
On comprend que ce soit précisément à propos de cette névrose qu’aient été les plus discutés les problèmes relatifs à la réalité, à l’importance et à l’organisation de l’Inconscient.
Cette névrose mérite une brève étude historique. Ses signes principaux sont connus depuis l’antiquité et elle recouvre toute une tradition de maladies sine materia qui ont motivé les plus vives discussions chez les médecins de tous les temps, mais c’est seulement depuis Freud que nous pouvons saisir les contenus essentiels de cette « pathologie du simulacre ».
L’histoire des névroses (1) s’est longtemps confondue avec celle de l’hystérie. Mais on englobait autrefois sous son nom, non seulement une partie de ce que nous reconnaissons comme symptômes névrotiques, mais aussi des troubles rattachés maintenant à la pathologie lésionnelle ou à des psychoses (maladie de Parkinson, épilepsie, catatonie, etc.). C’est ainsi qu’en 1682, Thomas Willis rassemblait sous le nom d’hystérie, qui remonte à Hippocrate, la moitié des maladies chroniques.
En France, révolution des idées, de Charcot à Babinski, illustre les vicissitudes de la notion d’hystérie. Charcot avait étudié l’hystérie par les méthodes ordinaires de l’observation médicale. Babinski, frappé de certaines lacunes dans la méthode d’observation, voulut la soumettre à un contrôle rigoureux. En neurologiste de génie, il réussit à délimiter avec précision le domaine de l’hystérie (les phénomènes « pithiatiques » qui peuvent être reproduits par la suggestion) de celui de la neurologie lésionnelle. Depuis Babinski, nous savons ce que l’hystérie n’est pas : une maladie localisable, susceptible d’une définition anatomo-clinique et d’une description par accumulation de signes. Mais Babinski a échoué dans sa tentative de définir l’hystérie : les termes d’autosuggestion et de pithiatisme ne peuvent prendre un sens que si l’on explique ce qu’est la suggestion ou la persuasion, ce qui implique l’étude concrète et analytique de la personnalité de l’hystérique. De telle sorte que, à la suite de Babinski, l’hystérie a risqué d’être rejetée hors de toute réalité comme n’étant qu’une simulation (Boisseau). L’hystérie étant devenue ce qui n’existe pas pour la neurologie, restait cependant à pénétrer à l’intérieur de la « réalité » qu’elle est pour le psychiatre.
C’est ce que tenta de faire Pierre Janet à la Salpêtrière en étudiant les relations de l’hystérie, de l’hypnose et de l’automatisme psychologique. A la même époque Freud eut la première intuition qui devait le conduire à la psychanalyse. En étudiant avec Breuer (1895) une malade que celui-ci guérissait périodiquement de ses symptômes par une « ab-réaction » émotionnelle (on dit encore catharsis ou libération du refoulé) à l’évocation de ses souvenirs, il conçut l’idée du refoulement, de son origine sexuelle et de l’importance du transfert affectif dans sa thérapeutique. L’hystérie entrait ainsi dans une nouvelle phase d’études qui ont permis d’en appréhender le contenu.
Il faut enfin noter l’influence toute particulière des données socio-culturelles sur les manifestations extérieures de l’hystérie. Nulle forme pathologique n’est plus sensible à l’esprit du temps : les symptômes de l’hystérie ont varié beaucoup de Charcot à notre époque, ils varient selon les cultures, suivent les modes et l’évolution de la médecine. Mais il n’en va pas de même de la structure hystérique, incluse dans le caractère, et qui, sous des dehors variables, constitue le fond permanent et invariant de la névrose.
Nous nous proposons d’en faire un simple inventaire sans trop nous soucier des discussions et querelles d’écoles. Nous nous référons ici à une sorte d’expérience clinique moyenne pour décrire l’ensemble — d’ailleurs très varié — de la Symptomatologie de la « grande névrose », Symptomatologie que Sydenham (1624–1689) désignait déjà comme « protéiforme ».
On peut envisager un classement des symptômes multiformes de l’hystérie en trois groupes : 1 ° Les paroxysmes : les crises névropathiques. 2 ° Les manifestations durables par inhibition des fonctions psycho-motrices du système nerveux. 3 ° Les troubles viscéraux ou tissulaires : « troubles fonctionnels » décrits parfois dans l’hystérie.
Tous ces accidents hystériques sont centrés par la crise hystérique devenue rare sous sa forme complète (« à la Charcot »), mais qu’il faut décrire, car les autres manifestations paroxystiques en sont des fragments ou des dérivés que l’on peut observer quotidiennement.
I° Les grandes attaques d’hystérie. — Dans l’histoire de cette névrose, elles marquent une époque. La grande crise « à la Charcot » comportait cinq périodes :
1 ° Des prodromes (aura hystérique) : douleurs ovariennes, palpitations, boule hystérique ressentie au cou, troubles visuels. Ces prodromes aboutissaient à la perte de connaissance avec chute non brutale.
2 ° Période épileptoïde : phase tonique, avec arrêt respiratoire et immobilisation tétanique de tout le corps ; convulsions cloniques commençant par de petites secousses et grimaces pour aboutir à de grandes secousses généralisées ; puis résolution dans un calme complet, mais bref, avec stertor.
3 ° Période de contorsions (clownisme) : commençaient alors des mouvements variés accompagnés de cris, ressemblant à « une lutte contre un être imaginaire » (Richer, 1885).
4 ° Période de transe ou des attitudes passionnelles, dans laquelle la malade mimait des scènes violentes ou érotiques. On est alors en plein rêve, dans une imagerie vécue (généralement le même thème est repris à chaque crise : idée fixe des anciens auteurs).
5 ° Période terminale ou verbale au cours de laquelle le malade, plus ou moins rapidement, au milieu de visions hallucinatoires, de contractures résiduelles, revenait à la conscience, en prononçant des paroles inspirées par le thème délirant précédemment vécu en pantomime.
Le tout durait d’un quart d’heure à plusieurs heures (état de mal hystérique par reprises de tout le déroulement).
2 ° Formes mineures. — Si l’on ne voit plus guère cette crise « comme au temps héroïque de Charcot », on observe des crises dégradées ou camouflées qui ont la même valeur : ce sont les crises de nerfs dans lesquelles l’agitation, la grossière ressemblance avec l’épilepsie, le caractère expressif de la décharge émotionnelle, l’apaisement consécutif de la poussée érotique ou agressive conservent tous les traits essentiels de la crise décrite par les classiques. Elles sont fréquentes surtout chez les êtres frustes ou à forte expressivité ethnique, comme par exemple dans les populations méditerranéennes, ou dans certains groupes culturels d’Afrique ou d’Amérique.
Il existe des crises atypiques plus difficiles à diagnostiquer :
a) La crise « syncopale ». — Le sujet « se sent mal », pâlit, exprime en quelques secondes son angoisse et s’affaisse. Les signes d’examen sont ceux de la vagotonie extrême : pouls ralenti et petit, tension basse. Le cœur reste normal à l’E. C. G. L’évanouissement dure quelques minutes et est suivi d’une phase de fatigue sans amnésie de l’épisode critique. Tous les intermédiaires existent entre l’évanouissement facile et la syncope vraie.
b) La crise à symptomatologie de type extra-pyramidal. — Nous groupeperons sous ce titre des manifestations motrices qui peuvent être considérées comme des équivalents mineurs de la grande crise : accès de hoquet, de bâillements, d’éternuements ; crises de rire ou de pleurs incoercibles ; tremblements, secousses musculaires, tics ou grands mouvements d’allure choréique.
c) L’hystéro-épilepsie. — Il existe des termes de passage entre les deux affections. Les auteurs classiques ou anciens (Gowers, Tissot, Bratz, Féré, etc.) ont bien étudié ces cas d’ « épilepsie affective » ou de crises névropathiques chez des épileptiques avérés. Plus récemment dans des perspectives variées, des cliniciens (Baruk, Marchand et Ajuriaguerra), ou des neurophysiologistes ont repris cette étude et montré que certains aspects paroxystiques ou intercritiques de l’épilepsie ne pouvaient pas être radicalement séparés des manifestations hystériques. Pour si discuté que soit encore ce problème, il est évident que cette discussion même répond à certains faits (cf. p. 346).
d) Hystérie et tétanie. — Ces deux séries de troubles entretiennent aussi des rapports. Ils consistent dans l’aptitude convulsive commune aux deux états, déclenchée aussi bien par l’émotion que par l’hyperpnée, au point que l’on ne sait plus si l’hyperpnée agit par sa valeur émotionnelle ou l’émotion par ses facteurs humoraux (Ajuriaguerra, 1951). Les travaux de H. P. Klotz se rapportent à cette parenté.
— L’intérêt de ces formes cliniques de la crise hystérique est de nous montrer les frontières de l’hystérie et de certains syndromes qui par leur contiguïté même peuvent nous apprendre quelque chose sur les supports organiques de l’hystérie. Ainsi les crises syncopales nous renvoient à une certaine débilité neurocirculatoire, les relations de l’hystérie avec les troubles extrapyramidaux (Van Bogaert) ou avec l’épilepsie nous montrent que, sans mettre en question une identité de structure lésionnelle qui serait absurde, il est permis de supposer des « voies communes » (Ajuriaguerra) à l’hystérie et à certaines affections cérébrales ; enfin le rapprochement avec la tétanie nous ouvre un aperçu sur des déséquilibres humoraux. Inversement, ces formes cliniques nous montrent que, dans des syndromes neurologiques ou généraux bien définis, des incidences psychosociales peuvent jouer un rôle important puisqu’elles déclenchent des symptômes.
3 ° Les états crépusculaires et états seconds. — Nous rassemblerons ici : les épisodes crépusculaires proprement dits, les états seconds, le somnambulisme et les fugues hystériques.
L’état crépusculaire hystérique consiste dans un affaiblissement de la conscience vigile, de début et de terminaison brusques, pouvant aller de la simple obnubilation à la stupeur et comportant une expérience demi-consciente de dépersonnalisation et d’étrangeté généralement centrée sur une « idée fixe » (P. Janet).
Une forme particulière de ces états est le syndrome de Ganser : réponses « à côté », actes « à côté », associées à des analgésies. Il s’agit d’une méconnaissance systématique de la réalité ambiante. Le malade ne tient pas compte de l’environnement, ses actes et ses paroles s’adressent à une situation « à côté », c’est-à-dire rêvée (cf. Whitlock, 1967).
De tels états ont fait parler de conscience « hypnoïde » ou de rétrécissement du champ de la conscience chez les hystériques (P. Janet). Il s’agit, en effet, d’un état d’hypnose de la conscience. Le malade vit une expérience de demiclarté qui s’apparente à certaines crises catatoniques et cataleptiques (Baruk). Mais il reste à l’orée de ce chemin vertigineux. La preuve en est qu’il s’y engage parfois avec une complaisance consciente. On a fait remarquer la fréquence du « syndrome de Ganser » dans la pathologie des prisons où le sujet peut estimer qu’il a intérêt à méconnaître certaines réalités.
— D’autres états crépusculaires, dits aussi états seconds, nous montrent la production oniroïde sous la forme habituelle du rêve, avec une riche production d’images surtout visuelles. Ce sont des états de transe, fragments isolés et plus ou moins développés de la grande crise.
Quant aux états seconds des personnalités « multiples » il s’agit de faits exceptionnels mais célèbres dans lesquels la tendance que nous venons de voir a remplacé l’expérience réelle par une expérience rêvée, s’amplifie et se déploie au maximum au point de faire alterner une personnalité seconde (celle du rêve hystérique) avec la personnalité prime (celle de l’état normal). Les cas de Janet (Juliette), de Morton Prince (Miss Beauchamp), d’Azam (Félida) ont un intérêt historique.
— Il faut rapprocher de ces états crépusculaires le somnambulisme hystérique qui n’en diffère que par son apparition au milieu du sommeil.
Il est classique de décrire enfin, dans ces états de semi-conscience, des fugues, car il arrive que l’hystérique au cours de ces états crépusculaires ou hypnotiques erre comme fasciné par la suggestion de ses images. Ces fugues ont d’ailleurs la même valeur clinique que les amnésies dont nous allons maintenant parler.
4 ° Les amnésies paroxystiques. — Les états que nous venons de décrire comportent généralement des troubles de la mémoire plus ou moins profonds ou paradoxaux, mais l’amnésie peut se présenter comme le seul symptôme qui, après coup, permet de supposer un état crépusculaire.
Ce qui marque la crise d’amnésie hystérique, c’est son caractère systématique. lacunaire le plus souvent, elle consiste dans l’oubli d’un événement pénible, d’une situation (guerre, mariage). Parfois, l’amnésie est générale et l’hystérique est comme un « voyageur sans bagages ». Dans le cas de Mary Reynolds (Weir Mitchell), la malade après une série de crises et un sommeil de 20 heures était demeurée pendant six semaines « comme un être venant au monde ». Puis après un nouveau sommeil cataleptique tous ses souvenirs lui furent rendus. Cette réversibilité, les paradoxes d’évocation, de rechute, les éléments de suggestion sont caractéristiques. Les personnalités multiples (dont nous avons parlé plus haut) constituent un cas particulier de telles amnésies évoluant par cycles périodiques avec systématisation de souvenirs propres à l’une ou l’autre des personnalités alternantes. Mais nous reviendrons sur le comportement de l’hystérique à l’égard de ses souvenirs, car il s’agit d’un trait essentiel de sa personnalité.
5 ° Les attaques cataleptiques. — C’est le « sommeil hystérique », terme critiquable puisque cet état ne comporte pas tous les signes cliniques, ni électriques du sommeil. Comme dans les autres symptômes de l’hystérie, la catalepsie réalise seulement une image de l’état physiologique correspondant.
Le sujet est inerte, les yeux clos ou ouverts, mais sans la triade caractéristique du sommeil (myosis, strabisme divergent par la prédominance du tonus du grand oblique, contraction active de l’orbiculaire des paupières). Le tonus musculaire est variable, d’autant plus que des paralysies ou contractures peuvent s’associer à la catalepsie. Des anesthésies, parfois des secousses musculaires peuvent s’observer. Cet état n’est pas complètement inconscient ni amnésique. Il peut durer quelques heures ou quelques jours. S’il est durable, un ralentissement des fonctions végétatives s’observe, avec hypothermie, hypotension, diminution parfois extrême des métabolismes. On évoque irrésistiblement l’hypnose et le fakirisme devant cet état qui réalise jusqu’à l’extrême possible la symptomatologie des sommeils hypnotiques de la grande névrose.
Ce sont généralement des inhibitions fonctionnelles qui peuvent porter sur tous les aspects de la vie de relation.
1 ° Les paralysies. — P. Janet les a classées en paralysies systématiques et localisées.
— Les paralysies fonctionnelles sont des paralysies d’un mouvement ou d’un groupe de mouvements coordonnés par une même signification fonctionnelle. Le type en est l’astasie-abasie (paralysie de la marche et de la station debout laissant la possibilité de mouvements actifs en dehors de la marche). C’est, dit Ljungberg (1957), la manifestation hystérique la plus fréquente (50 %). Notons encore la fréquence de l’aphonie (perte de la voix haute, conservation de la voix chuchotée), etc. Toutes les combinaisons sont d’ailleurs possibles entre les diverses fonctions abolies ou altérées.
— Les paralysies localisées sont des paralysies d’un membre ou d’un segment de membre. Elles ne suivent pas les lois de l’organisation anatomique mais le schéma des connaissances vulgaires (une main, un bras, une jambe).
Ces paralysies fonctionnelles ne s’accompagnent pas des troubles de la réflectivité et du tonus qui caractérisent les paralysies déterminées par l’altération de la voix pyramidale ou des centres moteurs de la moelle (Babinski). Par contre, elles sont capricieuses, paradoxales et donnent à l’observation du clinicien l’impression de dépendre plutôt d’un parti pris, d’une intentionnalité, d’une inhibition émotionnelle ou d’une suggestion que de troubles « réels ». L’association de troubles sensitifs ou sensoriels qui ne cadrent pas avec la réalité de l’organisation anatomo-physiologique du système nerveux est à cet égard typique.
2 ° Les contractures et les spasmes. — Ils constituent eux aussi une sorte de paralysie active dont la systématisation est paradoxale et variable sous l’influence de facteurs psychologiques. On observe ainsi des contractures des membres et du cou (torticolis), mais surtout du tronc (plicature du tronc ou camptocormie, faux mal de Pott). Certaines manifestations toniques ou spasmodiques sont fréquentes (hoquet, vomissement, spasmes oculo-faciaux, etc.).
3 ° Les anesthésies. — Elles réalisent aussi une sorte d’imagerie fonctionnelle qui exclut les perceptions tactiles, douloureuses, thermiques, etc., de segments corporels découpés par la fantaisie (anesthésie en manchon intéressant les deux mains, les deux membres inférieurs, toute la face, à distribution alterne, etc.). Ces formes de troubles de la sensibilité, leur topographie, les modalités qualitatives de leurs altérations n’obéissent pas aux lois de l’innervation, de la conduction et de la systématisation des voies de la sensibilité. On rencontre parfois des cas d’anesthésie totale intéressant tous les territoires cutanés et toutes les modalités sensitives et même sensorielles (fakirisme). On pourrait aussi constater des phénomènes tout à fait étranges et inexplicables comme l’allochirie (sensibilité transférée d’un côté à l’autre du corps), des algies synesthésiques (douleurs provoquées par la vue d’un objet, etc.).
4 ° Les troubles sensoriels. — Ce sont les atteintes d’une fonction sensorielle ou d’une partie de cette fonction (cécité, surdité, anosmie, etc.). La cécité hystérique est sans doute la plus remarquable de ces manifestations, et elle est parfois difficile à diagnostiquer par voie objective. On peut être au contraire certain de l’hystérie devant deux autres symptômes oculaires qui ont été décrits parmi les « stigmates » : le rétrécissement concentrique du champ visuel et la diplopie monoculaire (P. Janet).
On l’aura remarqué, les manifestations précédentes affectent les instruments de la vie de relation (fonctions du système cérébro-spinal). L’existence de manifestations « végétatives » de l’hystérie a fait du temps de Charcot et de Babinski l’objet de polémiques portant, soit sur la réalité des faits, soit sur leur interprétation : simulation, disaient les uns: conséquences fonctionnelles des crises ou des inhibitions, disaient les autres.
La discussion s’est aujourd’hui déplacée : la « réalité » de troubles viscéraux hystériques est admise et les « explications » par la simulation, les effets des crises ou le pithiatisme ont perdu beaucoup de crédit. Il ne paraît pas difficile d’admettre en effet que la vie inconsciente puisse agir sur les phénomènes vitaux et par conséquent puisse s’exprimer par des dérèglements viscéraux ; toute la médecine psycho-somatique repose sur cette hypothèse. Mais c’est précisément du côté de la médecine psycho-somatique que vient une difficulté : celle de délimiter les réactions viscérales qui appartiennent à l’hystérie de conversion de celles qui doivent être comprises comme de « véritables » syndromes psycho-somatiques. Nous nous expliquerons plus loin sur ce point (p. 933–961). Quoi qu’il en soit, voici les principales de ces manifestations hystéro-organiques. Ce sont : des spasmes, des algies et les troubles trophiques.
Les spasmes. — Les plus fréquents sont digestifs : impossibilité d’avaler, nausées, vomissements (notamment les vomissements de la grossesse). La fameuse « boule » hystérique sentie dans le cou ou l’épigastre paraît être assimilable à un spasme œsophagien. Certains spasmes coliques, certaines constipations peuvent déceler à l’analyse leur nature hystérique.
Mais il existe d’autres spasmes : surtout urinaires (rétention) et génitaux (vaginisme, dyspareunie), etc. L’asthme relève d’une interprétation complexe ; il semble légitime d’y inclure une certaine charge hystérique qui devient très importante dans les états de mal asthmatiques.
Les algies. — S’il est inutile d’essayer de les schématiser, il est important d’insister sur leur fréquence dans les troubles fonctionnels dont se plaignent les malades. Toutes les localisations et tous les types de douleur peuvent être symptomatiques de l’hystérie. Assez souvent, leur nature sera soupçonnée dès la présentation du malade sur l’allure dramatique qu’il confère à l’expression du symptôme. Une douleur qui n’est pas explicable par des corrélations locales doit faire penser à l’hystérie.
Les troubles trophiques et généraux. — La catalepsie déjà nous a montré certaines anomalies végétatives. Lorsqu’elle est durable, la réduction des échanges, parfois extrême, manifeste une sorte de mise en veilleuse des processus métaboliques dont la rareté n’exclut pas la réalité. Beaucoup plus communes sont les réductions parfois extrêmes de la faim (anorexie mentale), de la soif, des excrétions (oligurie, constipation).
Des effets du même ordre, mais localisés dans les divers secteurs du système neurovégétatif périphérique, ont été observés. Sous le nom de troubles physiopathiques (1), Babinski et Froment ont décrit des troubles vasomoteurs et trophiques qui apparaissent au cours de certaines paralysies hystériques : les téguments sont épaissis, froids, cyanosés, les oscillations artérielles réduites, la pilosité généralement développée. Les muscles atrophiés et un certain degré d’œdème sous-cutané peuvent donner lieu à des déformations qui en imposent pour des atteintes articulaires. L’os lui-même peut être atteint par les troubles trophiques (ostéoporoses diffuses). Ces troubles ont été observés surtout pendant la guerre de 1914–1918. Ils se voient principalement de nos jours dans les suites d’un accident de travail ou de la circulation. Leur évolution est parallèle à celle de la paralysie.
— On peut inclure dans le même groupe de faits certains troubles paroxystiques généralement considérés comme faisant partie de la « pathologie de l’émotion » ; certaines crises d’urticaire ou d’œdème de Quincke, certains spasmes vasculaires. La réalité de troubles comme des hémorragies localisées ou la fièvre, n’a pas été admise par tous les auteurs, faute d’observations indiscutables. C’est le fameux problème des stigmatisés. Pour la majorité des auteurs contemporains, ces faits entreraient dans le cadre des œdèmes et troubles vasomoteurs hystériques.
Tous ces troubles généraux, trophiques ou vasomoteurs, doivent être considérés quand ils existent comme des signes de gravité de la névrose.
En guise de premières conclusions sur cet inventaire des symptômes, nous pouvons remarquer que le contenu manifeste de l’hystérie est une exagération pathologique de certains modes normaux d’expression. A tout un chacun, la peur « coupe la voix ou les jambes » ; l’attention concentrée nous rend « insensibles à la douleur » ou à certaines perceptions ; nous « oublions » certaines réalités qui nous gênent ; la joie, la peur ou la colère « nous font » danser, crier, rougir ou blêmir, serrer les poings, le dégoût nous donne la nausée, etc. Ce sont là des manifestations non verbales de l’émotion. L’hystérique parle ce « langage des organes » avec une éloquence toute spéciale. Il vit les métaphores au lieu de les parler et c’est là l’essentiel du phénomène de conversion somatique.
Les manifestations hystériques que nous venons de passer en revue émergent à la surface du corps et dans les conduites expressives de l’hystérique. Mais reste à envisager maintenant la structure de la personnalité hysterique qui contient virtuellement, sous forme latente, ces manifestations. Il est important de noter à ce sujet que le caractère hystérique, s’il est le soubassement habituel des symptômes, déborde de tous les côtés la névrose de conversion car il rejoint, d’un côté, le sujet normal (tendance à « jouer la comédie », à faire ou à sentir « comme si » …), d’un autre côté d’autres formes névrotiques (phobies, etc.) et même certaines psychoses (formes schizonévrotiques de la schizophrénie notamment).
Le « caractère », la « mentalité », la « personne » de l’hystérique ont toujours frappé les cliniciens qui ne peuvent pas consentir à détacher les manifestations hystériques de l’organisation névrotique de la personnalité de ces malades.
C’est ainsi que l’on a toujours insisté sur trois aspects fondamentaux du « caractère » hystérique : 1) la suggestibilité ; 2) la mythomanie ; 3) le dérèglement sexuel.
1 ° Suggestibilité. — L’hystérique, soit qu’il soit sensible à la suggestion et particulièrement à l’hypnose, soit qu’il s’autosuggestionne, apparaît comme un individu « plastique ». C’est-à-dire qu’il est influençable et inconsistant car sa personne ne parvient pas à se fixer dans l’authenticité d’une identité personnelle fermement établie.
2 ° Mythomanie. — L’hystérique, par ses « comédies », ses mensonges et fabulations, ne cesse pour ainsi dire pas de falsifier ses rapports avec autrui. Il se donne toujours en spectacle car son existence est à ses propres yeux une série discontinue de scènes et d’aventures imaginaires.
3 ° Dérèglement sexuel. — C’est lui qui a fait donner son nom à cette névrose. Sans doute, hystérique ne peut pas vouloir dire « érotique » ou « hypergénital », car les hystériques ne sont pas des nymphomanes ou des excités sexuels. Mais cela veut dire que leur sexualité est profondément troublée. En effet, dans ce domaine plus que dans les autres, les expressions émotionnelles et passionnelles ont quelque chose de théâtral, d’excessif, qui contraste avec de fortes inhibitions sexuelles. Ainsi le « donjuanisme » masculin ou le « messalinisme » féminin des hystériques cachent toujours l’impuissance, la frigidité ou des perversions.
Nous pouvons compléter ces traits classiques du portrait de l’hystérique par un certain nombre d’analyses de sa personnalité que nous devons en grande partie à l’école psychanalytique. Nous mettrons l’accent sur : 1) l’inconsistance de l’identification et de l’unité de la personne ; 2) les tendances au refoulement des événements réels dans la trame de l’existence ; 3) les tendances à la falsification des expériences.
1 ° L’inconsistance de la personne. — Le Moi de l’hystérique est un Moi qui n’est pas parvenu à s’organiser conformément à une identification de sa propre personne. Certes, chacun de nous a de la peine à fixer son identification au personnage qu’il désire être et il y a toujours — nous l’avons noté dans les Éléments de Psychologie — un certain décalage entre ce que nous voulons être et ce que nous sommes. En ce sens, nous paraissons être autrement que ce que nous sommes. Mais chez l’hystérique, le masque du personnage masque complètement la personne. Nous verrons plus loin que ce défaut d’identification à l’idéal de soi provient d’un conflit infantile de la phase œdipienne.
L’ensemble de la personne de l’hystérique reflète ce porte-à-faux, et son système d’organisation se développe pour ainsi dire en construisant un faux personnage qui vit une fausse existence.
2 ° Le refoulement amnésique des événements réels. — Les « répressions », les dénégations, les méconnaissances au cours de la vie font disparaître les souvenirs réels (amnésies, illusion de la mémoire) pour leur substituer soit des lacunes, soit des mensonges. Tout dans sa conduite et son attitude témoigne de ce désir de substituer au principe de la réalité celui du plaisir et de la fantaisie. A cet égard, l’hystérique est bien comme l’enfant qui ne parvient pas à constituer la trame de son existence, l’ordre chronologique de ses souvenirs. Les oublis, les faux souvenirs, les souvenirs-écrans constituent d’après Freud une des caractéristiques essentielles de l’insincérité inconsciente de l’hystérique. Ainsi la névrose apparaît-elle comme une névrose de désir : désir de plaire, désir de s’exhiber, désir de séduire, désir de se donner en spectacle. Ces désirs commandent toutes les conduites de refoulement en écartant ou reniant les événements de l’histoire personnelle en même temps que les exigences profondes des pulsions libidinales.
3 ° La falsification de l’existence. — L’hystérique vit non seulement dans un monde factice par l’effet du refoulement de tout ce qui devrait constituer la trame authentique de sa vie de relation, mais il ne cesse de tirer des « bénéfices secondaires » de sa névrose par une sorte d’érotisation de l’imagination. Celle-ci devient une véritable technique de satisfaction libidinale. C’est notamment dans le monde perçu que l’hystérique altère la réalité concrète (politique de la perception, disait Parcheminey) ; l’hystérique ne peut pas voir les choses comme elles sont. Par les jouissances du jeu et du simulacre, l’hystérique remplace l’impossible orgasme. C’est ainsi que le dévergondage de l’imagination sexuelle plus ou moins symbolique fait partie intégrante de cette théâtralité de l’existence hystérique (Racamier) où le névrosé joue son rôle comme un acteur. La vie de l’hystérique trouve souvent son cadre « naturel » dans les coulisses de théâtre, le monde des « starlettes » de cinéma, les milieux d’esthètes, les ateliers de peintres ou de la haute couture. Ainsi l’hystérique finit-il en quelque sorte par vivre « réellement » son monde artificiel.
La névrose hystérique, malgré ses manifestations paroxystiques, est comme toute névrose une forme d’anomalie de la personnalité qui constitue une affection chronique. Sans doute la névrose reste-t-elle plus longtemps latente que manifeste dans le cours de l’existence. Mais elle a une tendance particulière à s’exprimer par une floraison de symptômes divers (crises, états crépusculaires, amnésies, syndromes fonctionnels variés), d’abord à un certain âge (adolescence, puberté, puis à l’âge critique et au cours de la sénescence) et ensuite à se renouveler à l’occasion de certaines situations pathogènes (émotions, exaltation collective, mariage, maternité, accidents, etc.).
L’évolution des manifestations névropathiques est généralement de courte durée, mais certaines peuvent être très longues (anorexie, paralysies, contractures, anesthésies, etc.). En général, dit Ljungberg (statistique portant sur 381 cas observés de 1931 à 1945), dans 62 % des cas, en moins d’un an les accidents rétrocèdent.
La névrose elle-même évolue par poussées et tend souvent à se stabiliser sous forme mineure quand le sujet a pu acquérir malgré ses défenses une maturité plus grande ou une neutralisation de son angoisse. Il arrive cependant le plus souvent que la « politique de la maladie » s’installe sous forme d’une cristallisation fixe des principaux symptômes ou traits de caractère. Les bénéfices secondaires de la névrose rivent ainsi le névrosé à sa névrose et le portent à réduire son entourage à l’esclavage de ses caprices.
Parfois cependant — mais rarement — la névrose hystérique « tourne mal » et c’est le cas notamment des hystériques qui se dissocient et tombent dans la désagrégation schizophrénique (Claude). Généralement, il s’agit dans ces cas de délires d’influence, de délires médiumniques ou de possession, avec expériences délirantes de dépersonnalisation et syndrome d’automatisme mental (S. Follin, J. Chazaud et L. Pilon, 1961 ; P. Martin, 1971, etc.).
Il arrive aussi que des crises de « dépression névrotique » se rencontrent chez les hystériques et prennent l’allure de véritables mélancolies. Cette éventualité est rare, mais l’incertitude du diagnostic de certaines dépressions de la ménopause ou d’involution est peut-être responsable du fait que le clinicien n’observe pas plus souvent les rapports qu’entretiennent entre elles, à cet âge, ces deux formes de dépression.
Nous examinerons ici quelques problèmes seulement parmi ceux que pose le diagnostic d’hystérie.
1 ° Diagnostic positif. — On analysera soigneusement les troubles fonctionnels sensori-moteurs, sensoriels, etc., pour mettre en évidence leur nature paradoxale ou leur valeur d’expressivité intentionnelle inconsciente. L’analyse du caractère hystérique est déterminante. Pratiquement, on accordera une grande importance à l’exaltation imaginative, aux tendances mimétiques, à l’hyper-expressivité et à l’aptitude à recevoir la suggestion et particulièrement l’hypnose.
2 ° Diagnostic avec les autres névroses. — Il n’offre pas généralement de grandes difficultés. Cependant la névrose phobique (appelée justement hystérie d’angoisse) est très proche de la névrose hystérique. L’importance de l’angoisse, la systématisation et la répétition des mêmes symptômes toujours sous la forme de la peur obsédante permettent en général de faire le diagnostic.
3 ° Diagnostic avec les psychoses. — C’est surtout avec les psychoses schizophréniques que le diagnostic (et si l’on veut le pronostic) est parfois particulièrement difficile. Cela se conçoit puisque Claude proposait de ranger dans le groupe des « Schizoses » l’hystérie et la schizophrénie et que l’on décrit toujours plus de formes « schizonévrotiques » de la schizophrénie ou de « pseudonévroses » schizophréniques. Mais face à l’hystérie avec sa mentalité et ses accidents caractéristiques, la schizophrénie par son organisation autistique reste assez différente dans sa structure et son évolution. En faveur de l’hystérie on notera les tendances mythomaniaques, la suggestibilité, le théâtralisme du comportement, le caractère superficiel et variable des symptômes. En faveur de la schizophrénie, les tendances schizoïdes, l’importance du délire, l’introversion, le développement de l’autisme, les troubles de la pensée et la dissociation progressive.
4 ° Diagnostic des crises hystériques. — C’est naturellement entre la crise d’épilepsie et la crise d’hystérie que le clinicien peut hésiter. Si l’on peut opposer en gros la brièveté de la crise épileptique et ses symptômes fondamentaux (phases typiques, sommeil terminal, incontinence, morsure de la langue, inconscience et amnésie totales) et le caractère théâtral de la crise hystérique (attitudes passionnelles, déclenchement émotionnel et réactionnel, longue durée, vigilance pendant la crise, etc.), il existe, comme nous l’avons noté, des cas d’hystéro-épilepsie (tant au point de vue clinique qu’électrique) qui exigent de minutieuses observations.
5 ° Diagnostic des manifestations hystériques et des syndromes organiques. — Par ses phénomènes de conversion, l’hystérie est essentiellement pathomimique et simulatrice de tous ou presque tous les aspects de la pathologie. Voilà pourquoi Babinski s’était soucié de tracer une ligne de démarcation simple et rigoureuse entre le domaine de l’hystérie caractérisée par le pithiatisme, c’est-à-dire par le fait que tous ses symptômes pouvaient être reproduits par la suggestion — et le domaine de la pathologie organique caractérisée par l’impossibilité d’en reproduire les symptômes par suggestion. Cette « règle d’or » est certainement pratique et il faut s’y conformer pour ne pas se perdre dans de trop grandes subtilités. Il n’en reste pas moins que c’est encore une fois l’analyse de la mentalité hystérique, de la structure hystérique, qui est à cet égard décisive.
Des nombreuses discussions où s’opposent psychiatres d’une part et « généralistes » ou neurologistes d’autre part dans tel ou tel cas particulier (paralysies, algies, troubles sensoriels, troubles digestifs, urinaires, etc.), on retiendra qu’il ne suffit pas que les investigations cliniques et paracliniques soient négatives pour affirmer l’hystérie et qu’il ne suffit pas inversement, quand l’analyse sémiologique des troubles révèle leur nature hystérique, de constater qu’ils ont aussi une cause organique, pour éliminer le diagnostic d’hystérie.
6 ° Diagnostic étiologique. Le problème des hystéries symptomatiques d’affections nerveuses. — Comme nous venons de le souligner par cette dernière réflexion, l’hystérie est une forme pathologique qui ne saurait se définir par la « non-organicité » absolue. C’est ainsi que ne peut pas être purement et simplement nié le bien-fondé de ce problème diagnostique.
Il se pose notamment à propos de certains syndromes fonctionnels ou psychosomatiques (asthme, migraine, troubles neuro-végétatifs, etc.) ; mais c’est surtout à propos des syndromes extrapyramidaux (méso-diencéphaliques) observés comme séquelles de l’encéphalite épidémique que la question a été soulevée de leurs analogies ou de leurs différences avec les phénomènes hystériques (Tinel, Baruk, etc.). Les hyperkinésies expressives, les kinésies paradoxales, les symptômes cataleptiques, les états d’automatose de Zingerle, les crises oculogyres, les tics de Salaam, etc., ne peuvent pas ne pas poser le diagnostic d’hystérie (Van Bogaert, 1935). Généralement, on se fonde pour l’écarter sur le caractère non névrotique de la personnalité du malade qui présente ces syndromes hystéroïdes, même quand ils sont, comme c’est quelquefois le cas, sensibles à la suggestion et aux facteurs psychiques et émotionnels.
Affection organique ou psychique ? — La conception de Babinski. — Dans aucun autre chapitre de la psychiatrie, les querelles sur le physique et le moral, le psychique et l’organique n’ont été plus vives. C’est que l’hystérique en effet est un névrosé dont la symptomatologie est si expressive et intentionnelle qu’elle paraît être comme on dit parfois « purement psychique ». Sur ce point paraissent concorder les neurologues organicistes intransigeants et les psychanalystes psychogénistes impénitents. Mais les uns parlent de pure imagination et les autres d’affectivité inconsciente, ce qui n’est pas la même chose. Ce dualisme doit être dépassé.
Babinski, nous l’avons vu dans l’historique, s’est fait le champion en France d’une conception de l’hystérie qui la sépare radicalement de la pathologie nerveuse, qui la rapproche de la suggestion hypnotique et qui considère les phénomènes hystériques comme l’effet du pithiatisme, c’est-à-dire de la persuasion. Sa conception du pithiatisme (1901–1909) s’appuie sur une analyse approfondie de ce qui sépare les paralysies, les crises ou les troubles organiques du système nerveux, des troubles qui peuvent être reproduits par suggestion. De telle sorte que pour lui l’essence de l’hystérie est l’autosuggestion. Voici quelle est sa définition de l’hystérie (Soc. de Neurologie, 1901) : « L’hystérie est un état psychique rendant le sujet qui s’y trouve, capable de s’autosuggestionner. Elle se manifeste principalement par des troubles primitifs et accessoirement par des troubles secondaires. Ce qui caractérise les troubles primitifs, c’est qu’il est possible de les reproduire par suggestion avec une exactitude rigoureuse chez certains sujets, et de les faire disparaître sous l’influence exclusive de la persuasion. Ce qui caractérise les troubles secondaires, c’est qu’ils sont étroitement subordonnés à des troubles primitifs. » — On voit ce que n’est pas l’hystérie. Mais reste à comprendre ce qu’elle est. Qu’est cet « état psychique », cette « attitude spéciale » ?
Le fond du problème ne peut être atteint que si l’on se représente à l’occasion de l’hystérie ce qu’est une névrose. Or, la névrose — nous l’avons déjà indiqué — est une anomalie, une régression ou un défaut de développement qui dépend d’une inorganisation ou d’une désorganisation de la personnalité et celle-ci dépend à son tour de facteurs étiopathogéniques qui la conditionnent.
Ainsi cette querelle entre « psychistes » et « organicistes » doit être dépassée, et si les symptômes hystériques ne dépendent pas directement de lésions organiques, l’hystérie n’en est pas moins une névrose qui dépend des conditions biologiques, héréditaires, constitutionnelles, neurophysiologiques de l’organisation de la personne; mais elle est aussi nécessairement une modalité d’existence pathologique dont les symptômes sont formés par l’expression des forces psychiques inconscientes. Elle est organique dans sa condition, et psychique dans son mécanisme et sa symptomatologie. Elle est, si l’on veut, comme toutes les maladies mentales, organique au deuxième degré.
L’hystérie et la pathologie de l’imagination. — Tous les observateurs ont insisté sur l’importance de l’imagination dans le caractère (mythomanie) et les manifestations hystériques. Qu’il s’agisse chez nous des travaux de Dupré, d’A. Delmas, de Logre, ou ailleurs de ceux de Klages par exemple, l’hystérie est toujours ramenée à la faculté psychoplastique ou mythoplastique de réaliser l’image. C’est en ce sens que Logre a pu écrire à propos des hystériques que leur devise est : « Toute l’image, rien que l’image. » Mais s’il s’agit là d’un trait clinique évident et fondamental, il doit être lui-même interprété si l’on veut approfondir la nature des phénomènes hystériques sous leur aspect « pathomimique » (Dieulafoy).
L’hystérie, les manifestations hystériques collectives et les problèmes de l’hypnose. — La psychopathologie de l’hystérie ne peut être envisagée sans tenir compte de certains aspects de la psychologie humaine. La fonction d’expression, assez plastique pour permettre le mensonge et la comédie d’une part, et les manifestations d’hystérie collective (danses rituelles de possession, épidémie d’attaques hystériques, convulsionnaires de Saint-Médard ou autres) d’autre part, indiquent bien que la névrose hystérique joue sur le clavier humain des expressions psycho-somatiques.
Mais l’hystérique n’est pas seulement un homme qui peut à l’occasion ou dans certaines circonstances présenter des manifestations hystériques, pas plus que l’épileptique n’est un homme qui sous l’influence de l’électrochoc fait une crise d’épilepsie. L’appareil hystérique « inconscient » dont parlait Bernheim constitue bien une virtualité pour ainsi dire spécifique, c’est-à-dire commune à l’espèce humaine.
L’hystérique est en effet plus que tout autre homme hypnotisable (dans des conditions médicales ou de psychologie des foules). Il a, comme on le disait du temps des discussions homériques entre l’école de la Salpêtrière et celle de Nancy, une « aptitude spéciale à la suggestion et à l’hypnose ». De telle sorte qu’en effet l’étude de l’hypnose et celle de l’hystérie se recoupent historiquement et cliniquement.
Le problème est donc de se demander quelle est la nature et la structure de la névrose hystérique en tant qu’elle est précisément cette aptitude spéciale. C’est le véritable problème qui est bien loin d’être résolu. Nous pouvons cependant indiquer comment il a été envisagé par Pierre Janet et par Freud.
La conception de Pierre Janet. — Pour Pierre Janet, c’est la structure de la conscience de l’hystérique qui est altérée fondamentalement. Tout comme dans l’hypnose, il y a concentration et rétrécissement du champ de la conscience sur l’idée suggérée. L’hystérique a une aptitude analogue à vivre intensément les images et à s’hypnotiser par elles. Il développe ainsi jusqu’à sa réalisation plastique et motrice l’idée fixe qui est le symptôme fondamental de l’hystérie. Cette idée fixe est une manifestation de l’automatisme psychologique, c’est-à-dire de toutes les forces inconscientes qui sont libérées par la faiblesse de la conscience. Les sentiments, les croyances, les désirs, les souvenirs, les représentations mentales prennent alors une particulière intensité et les symptômes hystériques (paralysies, amnésies, double personnalité, etc.) figurent ou cristallisent ces phénomènes d’émancipation automatique. Les études de P. Janet ont porté principalement sur cet aspect de la désorganisation, de la désintégration du Moi, telles qu’elles peuvent être réalisées par l’hypnose ou observées dans les crises et les manifestations hystériques. Cette conception a été plus ou moins celle de Sollier (dissociation hystérique) à la même époque et celle de Claude un peu plus tard (Schizoses).
La conception de Freud. — Avec Breuer d’abord, puis en établissant la fameuse théorie de l’inconscient pathogène, Freud est allé plus loin. Il a montré que la force des phénomènes hystériques provenait du refoulement dans l’inconscient des sentiments, des désirs et des craintes qu’ils soulèvent. Tout d’abord Freud a établi sa fameuse théorie de l’hystérie sur le refoulement des souvenirs. Il avait remarqué en effet : I° qu’au cours de la crise surgissaient des souvenirs anciens (infantiles) écartés de l’organisation consciente de la mémoire (inconscients) et réprimés par la « censure » en raison de leur caractère intolérable (refoulés); 2 ° que, dans les autres manifestations hystériques, celles-ci se comprenaient si on les envisageait comme des expressions symboliques (déguisées) des sentiments en rapport avec les souvenirs refoulés. De telle sorte que Freud rattachait l’hystérie essentiellement à un refoulement excessif d’un événement ou d’une scène (Urszene) constitué généralement par un traumatisme sexuel infantile.
Mais dans la suite, la théorie s’est compliquée par le recours à l’idée de régression. Pour l’école psychanalytique contemporaine (à l’exception de certains auteurs comme Bouvet qui discernent dans certaines formes de l’hystérie une régression à des stades prégénitaux), la névrose hystérique est caractérisée du point de vue de sa structure inconsciente par la fixation et la régression à ta phase œdipienne. L’hystérie est une névrose œdipienne. C’est l’angoisse caractéristique de cette phase du développement libidinal (le choix objectai), c’est-à-dire l’angoisse de la culpabilité sexuelle, de la castration, des complexes incestueux qui constitue la force inconsciente contre laquelle l’hystérique se défend par la conversion sur le plan somatique du conflit inconscient (cf. le cas Dora).
Ainsi P. Janet et Freud ne sont pas aussi loin l’un de l’autre que leurs zélateurs l’ont proclamé. Tous deux ont approfondi les deux aspects complémentaires (négatif et positif) de la névrose hystérique. Celle-ci en effet relève tout à la fois d’une dysgénésie de l’organisation psychique et de la poussée des forces inconscientes. L’impuissance de l’hystérique qu’il compense dans son imagination débordante porte sur l’identification ou l’unité de sa personne. Il ne parvient plus ou n’est jamais parvenu à se composer une image authentique de soi et, dans la discontinuité et les artifices de cette mauvaise structuration du Moi, il joue une véritable comédie de l’existence; il s’abandonne aux forces de ses phantasmes et va jusqu’à épuiser dans leurs fragments épars la plasticité des images.
Les psychanalystes ont coutume de dire à la fois que l’hystérique est un mauvais candidat à l’analyse et que l’analyse est la seule thérapeutique capable de le guérir. Ce paradoxe exprime les difficultés du choix d’une psychothérapie. Il est clair que, si l’on veut aider le malade à sortir d’un mode de relations vitales infantiles profondément structurées dans la personnalité, une psychothérapie est insuffisante. Seule une psychanalyse permet les prises de conscience nécessaires. Ce sera le traitement de choix, réservé à des sujets encore jeunes, intelligents et désireux de s’affranchir du noyau affectif de leurs troubles. Mais il arrive souvent que les sujets ne tiennent pas à sortir d’une conduite qui les gêne assez peu et dont ils tirent des bénéfices secondaires « intéressants » ; la dramatisation de l’existence leur permet de jouer tantôt sur l’apitoiement, tantôt sur la menace pour obtenir des gratifications et cela leur suffit.
Lorsqu’une psychanalyse est impossible, des conduites psychothérapiques diverses seront étudiées. Certaines ne s’adressent parfois qu’au plan le plus superficiel : celui de la disparition des symptômes de conversion. Il est assez facile d’utiliser le caractère plastique des symptômes pour en obtenir la disparition en accentuant le refoulement des pulsions : la peur, la douleur ou l’influence directe du thérapeute mobilisent les positions du sujet par un transfert qui peut être en quelque sorte directement imposé.
De nombreuses techniques peuvent être utilisées dans des buts analogues : hypnose, narco-analyses, cures de sommeil suivies d’une psychothérapie. Tous ces traitements ont en commun la limitation de leurs ambitions à une amélioration des conduites, la nécessité de fournir au malade une porte de sortie honorable, l’inconvénient de substituer à la dépendance habituelle du malade une dépendance envers le thérapeute. Il ne faut pas en médire : ce sont souvent les seules conduites thérapeutiques possibles. Beaucoup d’hystériques en effet ne peuvent sortir de leur attitude de fond. L’angoisse irrépressible devant la réalité, la réelle faiblesse de la personnalité, une organisation de vie bâtie sur la névrose et impossible à modifier sont alors des obstacles souvent infranchissables devant une plus grande ambition thérapeutique.
C’est dans ce cadre que s’inscrivent les procédés physiothérapiques ou le « torpillage » à l’aide du courant faradique, c’est-à-dire les traitements de « suggestion active »,
Des conduites qui se situent entre le maximum possible (une psychanalyse) et le minimum (la disparition simple des symptômes) seront les psychothérapies de tous les genres, adaptées aux conditions du sujet dans son milieu. Il est parfois utile pour engager une psychothérapie d’isoler le malade dans une ambiance normale : celle d’un service ouvert, par exemple. On pourra alors utiliser non seulement l’action psychothérapique directe, plus ou moins approfondie, mais aussi celle du milieu. Les bénéfices secondaires seront dévalorisés, les incidents de la vie quotidienne ramenés à leur échelle. Le psychothérapeute qui sera, de préférence, indépendant du cadre social de réadaptation, explorera et analysera, chemin faisant, les attitudes et les incidents. Les modalités de ces tentatives sont infiniment variables et doivent être ajustées à chaque cas.
(1)On se reportera aux exposés historiques récents : H. Ellenberger (1970), Usa Veith (1973), L. Chertok et R. de Saussure (1973).
(1)Pour Babinski et Froment, ces phénomènes sont extérieurs à l’hystérie. Ils parlent d’« épines irritatives » et se sont efforcés d’incriminer des causes occasionnelles pour expliquer ces troubles qui, dans leur esprit, ne pouvaient être hystériques, puisqu’ils étaient « réels ».